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1581-Origine de la langue et poesie françoise (Claude Fauchet) (201-211)

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rieux de sçavoir la langue Latine. Je ne puis dire au

vray, son estat, combien qu’il me souvienne avoir

leu en la Chronique d’Aquitaine, qu’il fut docteur

en Theologie : ce que je ne puis croyre. Tant y a

qu’il fut homme d’honneur, fort estimé & ayant

quelques moyens honnestes de vivre. Car au livre

intitulé le Songe duPrieur de Saloin, dedié à Va-

lentine Duchesse d’Orléans : & à elle presenté avant

la mort de Louis son mary : il est fait mention d’un

jardin appartenant audit de Meung. Je m’en allois « 

(dit l’autheur) en le jardin de la tournelle hors de « 

Pa[r]is , qui faut jadis maistre Jehan de Meung. Et puis « 

au commencement de sondit livre, parlant du mes-

me jardin : il dit encores,

« Je sui maistre Jehan deMeung,

« Qui par maints vers sans nulle prose,

« Fis cy le Romans de la Roze.

« Et cet hostel qu’ici voyez,

« Prins pour accomplir mes souhaits :

« S’en achevé une partie,

« Apres mort me toli la vie.

Ce mesme Prieur de saloin, reprensente ledit de

Meung, bien vestu d’une robe ou chappe fourree

de menu vair : comme quelque homme d’honneur.

Il continua le Romans de la Roze XL. ans apres la

mort de Guilleaume de Lorris : & comme je pen-

seroy bien, au commencement du regne de Philip-

le Bel : ou pour le plus tard, l’an M. CCC. car il dit,

« Et puis viendra Jehan Clopinel

« Au cuer jolis, au cuer isnel,

« Qui naistra sus Loire à Meung.

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& peu apres encores,

« Il aura le Romans si chier,

« Qu’i le voudra par tout noncier.

« Et quant Guilleaume cessera,

« Jehan le continuera,

« Apres sa mort que je ne mente,

« Ans trespassez plus de quarente.

Ce qui (pour le moins) revient au temps que j’ay dit.

Les premiers vers de Clopinel, commencent apres

ces derniers de Guilleaume de Lorris :

« Jamais n’iert riens qui me confort

« Si je perds vostre bien veillance :

« Que je n’ay mes ailleurs fiance.

Puis Jehan de Meung continue, disant :

« Et si l’ay je perdue espoir,

« A poi que ne m’en deespoir.

continuant jusques à la fin, où il dit :

« Et sus ce point je me reveille.

Car il y a grande apparence, que les trente ou qua-

rante vers qui se trouvent pares, en aucuns exem-

plaires,

« Et puis que je sui esveillé,

« Et du long sommeil travaillé.

ne sont pas de luy. J’oseroy bien asseurer, que le

Romans de la Roze a esté composé avant l’an

M. CCCX. pource qu’au Romans de Fauvel (qui con-

fesse avoir esté fait ceste annee) je trouve ces vers,

« Faux semblant se siet pres de luy,

« Mais de ceste ne de celuy

« Ne vous veuil faire graigneur prose :

« Car en eu nul bien ne repose.

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« Et de ce au tiexte sans glose,

« Parle le Romans de la Roze.

Jehan le Maire de Belges, a non seulement opinion

que de Meung aye vescu du temps de Dante poe-

te Florentin, mais qu’il a encores esté son ami &

compagnon d’estude Car au temps de Venus il

dit : Et puis (comme autresfois j’ay ouy dire) le bon « 

maistre Jehan de Meung estoit contemporain, c’est « 

à dire du mesme temps & faculté que Dante, qui « 

preceda Petrarque & Boccace. Et l’un estoit emu- « 

lateur, & nonobstant ami des estudes de l’autre. « 

Or les Italiens sont d’accod, que Dante nasquit

l’an 1265. & en vesquit 56. revenans à l’an 1321. qui

est le premier du regne de Charles le Bel, dernier

enfant de Philippes le Bel. Ce qui rapporte à ce que

dit la Chronique d’Aquitaine, à sçavoir, que Jehan

de Meung floirssoit souz ce Roy. L’on a publié un

livre intitulé Dodecaedron, qui est un jeu de passe-

temps, pour sçavoir son adventure par le sort des

dez. Mais je ne puis croire, qu’il l’aye presenté au

Roy Charles 5. lequel commença son regne l’an

1364. ou il faudroit qu’il eust vescu bien longue-

ment. Car quand il auroit composé le Romans de

la Rose, en l’aage de 25. ans, & faict l’an 1300. encore

le presentant au Roy Charles 5. le premier an de

son regne, il faudroit qu’il eus testé aagé de 89. ans.

Et toutesfois il semble bien, que le Romans de la

Rose (veu les traits de doctrine semez parmi) ne

soit pas un ouvrage de jeune homme : comme

aussi le Dodeacedron, celuy d’un vieillard usé : puis

qu’il estoit question d’estre subtil en Arithmeti-

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que, pour si bien asseoir les renvois & responses, à

fin de se rapporter aux poincts des dez. Au reste,

Jehan de Meung cuida estre payé de la mesme mon-

noye qu’Ovide son maistre : pource qu’une partie

des dames de court mal renommees, moynes, hy-

pocrites, & autres gens vicieux qu’il avoit taxez en

ses livres, luy susciterent beaucoup d’ennemis. Mes-

mes les dames faschees de ces vers trop piquans :

« Toutes estes, serez, ou fustes,

« De faict, ou de volonté, putes.

delivererent un jour de l’en chastier. Duquel dan-

ger il se sauva gentiment en ceste maniere. Maistre

Jehan de Meung estant venu à la Court pour quel-

que occasion, fut par les dames arresté en une des

champbres du logis du Roy, estant environné de

plusieurs seigneurs : lesquels pour avoir leur bonne

grace, avoyent promis le representer, & n’empes-

cher la punition qu’elles en voudroyent faire. Mais

Jehan de Meung les voyant tenir des verges, & pres-

ser les gentilshommes de le faire despouiller, il les

requi luy vouloir octroyer un don : jurant qu’il ne

demanderoit pas remission de la punition qu’elles

attendoyent prendre de luy (qui ne l’avoit me-

ritee) ains au contraire l’advancement. Ce qui luy

fut accordé à grand’ peine, & à l’estante priere des

seigneurs. Alors maistre Jehan commença à dire :

Mes dames, puis qu’il faut que je reçoive chasti-

men, ce doit estre de celles que j’ay offesees. Or

n’ay-je parlé que desmeschantes, & non pas de

vous qui estes icy toutes belles, sages, & vertueu-

ses : partant celle d’entre vous qui se sentira la plus

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offensee, commence à me frapper, comme la plus

forte putain de toutes celles que j’ay blasmees. Il

ne se trouva pas une d’elles qui voulust avoir cest

honneur de commencer, craignant d’emporter ce

tiltre infame. Et maistre Jehan eschappa, laissant

aux dames une vergongne : & donnant aux sei-

gneurs là presens, assez grande occasion de rire : car

il s’en trouva aucuns d’eux, à qui il sembloit que

telle ou telle devoit commencer, mais les mieux

appris rompirent ce jugement, pour eviter au de-

bat qui en fust suivi. Le Romans de la Rose a (ce

neantmoins) esté rece par les librairies des sei-

gneurs, comme livre plaisant & rempli de beaux

traits de doctrine, malgré les prescheurs & Theo-

logiens : marris de ce qu’il estoit trop manié &

appris de toutes sortes de gens : tellement que

plusieurs crierent contre. Et entre autres maistre

Martin Franc, natif en la conté d’Aumale en Nor-

mandie, Prevost & Chanoine de Lauzane en Sa-

voye, fit un livre contre le Romans de la Rose, in-

titulé Le Champion des dames : comme si Jehan de

meung eust escrit contre elles, mais ce fut longue-

ment apres la mort de maistre Jehan de Meung,

pource que ce Champion est addressé à Philippes

deuxieme, Duc de Bourgongne, surnommé le

Bon. Il se trouve en la Chronique d’Aquitaine,

un traict de risee que le bon maistre Jehan de

Meung fit aux freres prescheurs ou Jacobins de

Paris, mesmes en son testament. Par lequel ayant

ordonné estre enterré en leur Eglise, il leur laissa

un coffre avec tout ce qui estoit dedans : com-

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mandant ne l’ouvrir qu’il ne fust mis en terre. Mai-

stre Jehan trespassé, & son service mortuaire fait,

suivant ce qu’il avoit ordonné : les freres viennent en

grande haste pour enlever ce coffre, lequel se trou-

vant plein de pieces d’adoise, sus lesquelles possi-

ble il tiroit des figures d’Arithmetique ou de Geo-

metrie, les moines indignez, & pensans qu’il

se fust moqué d’eux vif ou mort, deterrerent son

corps. Mais la Cour de Parlement advertie de telle

inhumanité, le fit remettre en sepulture honorable,

dans le cloistre du convent. Cela me fait croire, s’il

eus testé docteur en Theologie (comme a voulu

dire l’autheur de la Chronique d’Aquitaine, ou

celuy duquel il l’a pris) qu’il n’eust usé de telle risee

en mourant. Si vous ne dittes qu’en ce temps-la,

les estudians en l’université de Paris, estoyent en-

nemis des Mendians, pour l’entreprise que faisoyent

ces freres sus les gens d’Eglise, & maistre de l’Uni-

versité : se fourrans par les cours, pour estre con-

fesseurs des Rois & princes : entreprenans aussi les

lectures publiques, sus les maistres Regens des U-

nivesitez. Dont maistre Jehan se vange tant qu’il

peut, representant les vices d’aucuns d’eux, sous

la personne de Faux semblant, tant au Romans de

La Rose, qu’en une Satyre faitte contre tous vices,

appellee Testament, & Codicille : mais par une

copie quej ‘ay (escrite avant deux cens ans) Status

mundi, siue doctrina gentium. J’ay mis toutes ces rai-

sons, à fin que toy (lecteur) en juges ce qu’il te plai-

ra. Il y a XXV. ans passez, que voulant escrire la

vie de ce poete & autres, & ramassant à ceste fin

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tout ce qui pouvoit estre dict d’eux : j’allay au mo-

nastere des Jacobins, où je ne peu trouver aucune

marque de sa sepulture, pource qu’on rebastissoit

le cloistre, par la liberalité de Nicolas Hennequin,

quand il vioit estimé le plus riche de nos bour-

geois de Paris. Et voila tout ce que je puis dire

quant à present, de maistre Guillaume de Lorris,

& Jehan Clopinel : les plus renommez de tous nos

poetes anciens.

PIERRE GENTIEN. CXXVII.

PIerre Gentien fut natif de Paris : lequel estant

amoureux d’une dame de ceste ville, composa

un livre auquel il nomme quarante ou cinquante

des plus belles dames de son temps. Prenant occa-

sion sus un Tournoy, qu’il feint avoir esté entre-

pris par ces dames, pour esprouver comme elles se

porteroyent au voyage d’outre mer, où elles deli-

veroyent aller. il y a grande apparence qu’il ves-

quit du temps de Philippes le Bel : & au plus tard

sous Philippe de Valois. Au commencement du

regne duquel, ce Roy fit semblant d’entrepren-

dre la guerre pour le recouvrement de la terre sain-

te : & onc puis il ne se fit croysade pour le pais de

Surie. Il sen omme à la fin de son livre,

« J’ay à nom Pierre Gentien,

« Qui sui loié de tel lien,

« Dont nus ne me puet deloyer.

Il n’y a doute qu’il ne fust de la maison des Gentiens,

tresancienne à Paris. car il blasonne ses armes, telles

que ceux de ceste famille portoyent lors : à sçavoir

« D’enciens guelles & d’argent,

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« Qui contre le Soleil resplent,

« Une bende y ot ouvree

« De fin azur, d’or fleuretee. & puis apres :

« Joenes hom » non pas antien,

« Que on appelle Gentien,

« Portoit tiex armes ce disoyent.

Ce Pierre peut bien estre venu de l’un des deux freres

qui furent tuez aidans à monter Philippes le Bel, sur-

pris par les Flamens, en la bataille donnee l’an 1304.

à Mont de Pirenes en Flandres. Dequels la grand

« Cronique dit : Et fut le Roy de si pres pris, qu’a pei-

« ne peut il estre armé à poinct. Et ainçois qu’il peut

« estre monté à cheval, peut il voir occir devant luy

« messire Hue de Bouille, chevalier : & deux bour-

« geois de Paris Pierre, & Jaques Gentiens freres. Les-

« quels pour le bien & fidelité qui estoyent en eux,

« estoyent tousjours pres le Roy. Et cest autheur mes-

me ne cele pas en ce livre, que Pierre Gentien ne

fust vaillant de sa personne : car il l’appelle

« Le plus vaillans de cist royaume.

Ce tournoy peut estre leu pour la mémoire d’au-

cunes familles de Paris plus que pour excellence du

stil. Or je confesse qu’il se trouve assez d’autres Ro-

mans, precedens ceux que j’ay nommez, desquels

je n’ay voulu parler : pour ce que je ne sçavoy le

nom, ne le temps de ceux qui les ont composez. Et

que mon intention n’estoit de mettre en ce livre,

que ceux qui ont vescu avant l’an M. CCC. ayant reser-

vé ceux qui depuis sont venus, pour un autre vo-

lume. Il suffira donc pour ceste heure, d’avoir mon-

stré la route à d’autres, qui cingleront plus libre-

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ment par ce golfe jadis incogneu : leur donnant

moyen de nous communiquer des livres, jusques

ici mesprisez : lesquels possible fussent perdus, qui

n’eust adverti les possesseurs, qu’on en peut tirer

quelque congnoissance de l’antiquité Françoise.

Mais aussi je les supplie (en recompense) m’en vou-

loir aider, puis qu’en partie j’ay esté cause de les con-

server, à la honte de ceux qui les ont pensé indignes

d’estre estimez : combien qu’il n’y aye si pauvre au-

theur qui ne puisse quelque fois servir, aumoins

pour le tesmoignange de son temps. Ce qui (à mon

advis) a fait dire à Pline, que toute histoire telle-

ment quellement escrite plaist. Et à ce propos j’ose

bien asseurer, que des Journaux de simples gens,

m’ont tellement aidé en aucuns endroits d’histoi-

re, que je ne puis appeler gaste-papiers, ceux qui

fidellement recueillent les choses de marque :

quelque mauvais ordre ou lanage dont ils usent.

Ce qui me donne esperance que ce recueil, tout

lourd qu’il est, sera bien receu de ceux qui desirent

s’informer de l’ancienne Poesie, ryme & Romans

François.

FIN.

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Ommissions en la Copie, & faultes reveues.

Pag. 81, 4. Ce livre estant presque achevé d’imprimer, j’ay trouvé dans la

vie de S. Christine, composee environ l’an 1300. les vers qui ensuivent.

«  Seigneurs, qui en vos livres par maistrie metez

« Quivocations & lénometez,

« Se je tel ne puis faire, ne deprisiez mon livre.

« Car qui à trouver n’a soubtil cuer & delivre,

« Et leonimeté veult par tout aconsuivre,

« Moult souvent entrelest ce qu’il devroit ensuivre.

De sorte que Ryme Leonime est celle qui a dix, vingt, & trente vers

d’une lisiere. Car ceux de ceste vie sont croisez deux contre deux par

tout, fors en ces quatre derniers : & neantmoins la lisiere est de ryme

tresriche. Voyla ce que, &c.

Page 15. ligne 14. lisez, nation des François. 18, 1. polir. Car Chil-

peric entre autres voulut. 25, 9. Françoise Thioise, 28, 2. que Louis fit

34, 21. pour le lang. Ib. 30. qu’à d’autres, 10, 26. encores CC. ans 41,

29. ils tiroyent 43, 18. langue quant & quant leur religion : 59, 19. car

il est joint 61, 7. mé l’espece 69, 4. Enzina, 83, 3. Mille cent 84, 22.

mauvez est 95, 8. qu’il avoit au 97, 14. com se je fusse 112, 6. livre. Ce-

cy est dudit Romans : 121, 10. comme à l’oiselet Ib. 17. & beauté. 124,

9. lor aviaux, 143, 14. m’auroit. 154, 9. perd l’envie 184, 27. Porles-

guez : 191, 1, 2. Mapolis 200, 6. ces vers :

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Extrait du privilege.

Par privilege du Roy donné à Paris le 17. de Juin 1581. signé GOHO-

RI, & seellé sur simple queue en cire jaune : Il est permis à monsieur

Fauchet Conseiller du Roy & President en sa Cour des monnoyes,

de faire imprimer par tel Libraire & Imprimeur que bon luy semble-

ra, un Recueil de l’origine de la langue & poesie Françoise, Ryme &

Romans : & aussi des poetes François, qui ont vescu avant l’an 1300.

Avec defenses à tous Libraires & imprimeurs, autre que celuy qui se-

ra choisi par ledit sieur Fauchet, de non imprimer ou faire imprimer

ledit Recueil, durant le temps & terme de cinq ans. Sur peine de con-

fiscation desdits livres, despens, dommages & interests, & d’amende

arbitraire.

Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

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