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rieux de sçavoir la langue Latine. Je ne puis dire au
vray, son estat, combien qu’il me souvienne avoir
leu en la Chronique d’Aquitaine, qu’il fut docteur
en Theologie : ce que je ne puis croyre. Tant y a
qu’il fut homme d’honneur, fort estimé & ayant
quelques moyens honnestes de vivre. Car au livre
intitulé le Songe duPrieur de Saloin, dedié à Va-
lentine Duchesse d’Orléans : & à elle presenté avant
la mort de Louis son mary : il est fait mention d’un
jardin appartenant audit de Meung. Je m’en allois «
(dit l’autheur) en le jardin de la tournelle hors de «
Pa[r]is , qui faut jadis maistre Jehan de Meung. Et puis «
au commencement de sondit livre, parlant du mes-
me jardin : il dit encores,
« Je sui maistre Jehan deMeung,
« Qui par maints vers sans nulle prose,
« Fis cy le Romans de la Roze.
« Et cet hostel qu’ici voyez,
« Prins pour accomplir mes souhaits :
« S’en achevé une partie,
« Apres mort me toli la vie.
Ce mesme Prieur de saloin, reprensente ledit de
Meung, bien vestu d’une robe ou chappe fourree
de menu vair : comme quelque homme d’honneur.
Il continua le Romans de la Roze XL. ans apres la
mort de Guilleaume de Lorris : & comme je pen-
seroy bien, au commencement du regne de Philip-
le Bel : ou pour le plus tard, l’an M. CCC. car il dit,
« Et puis viendra Jehan Clopinel
« Au cuer jolis, au cuer isnel,
« Qui naistra sus Loire à Meung.
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& peu apres encores,
« Il aura le Romans si chier,
« Qu’i le voudra par tout noncier.
« Et quant Guilleaume cessera,
« Jehan le continuera,
« Apres sa mort que je ne mente,
« Ans trespassez plus de quarente.
Ce qui (pour le moins) revient au temps que j’ay dit.
Les premiers vers de Clopinel, commencent apres
ces derniers de Guilleaume de Lorris :
« Jamais n’iert riens qui me confort
« Si je perds vostre bien veillance :
« Que je n’ay mes ailleurs fiance.
Puis Jehan de Meung continue, disant :
« Et si l’ay je perdue espoir,
« A poi que ne m’en deespoir.
continuant jusques à la fin, où il dit :
« Et sus ce point je me reveille.
Car il y a grande apparence, que les trente ou qua-
rante vers qui se trouvent pares, en aucuns exem-
plaires,
« Et puis que je sui esveillé,
« Et du long sommeil travaillé.
ne sont pas de luy. J’oseroy bien asseurer, que le
Romans de la Roze a esté composé avant l’an
M. CCCX. pource qu’au Romans de Fauvel (qui con-
fesse avoir esté fait ceste annee) je trouve ces vers,
« Faux semblant se siet pres de luy,
« Mais de ceste ne de celuy
« Ne vous veuil faire graigneur prose :
« Car en eu nul bien ne repose.
203
« Et de ce au tiexte sans glose,
« Parle le Romans de la Roze.
Jehan le Maire de Belges, a non seulement opinion
que de Meung aye vescu du temps de Dante poe-
te Florentin, mais qu’il a encores esté son ami &
compagnon d’estude Car au temps de Venus il
dit : Et puis (comme autresfois j’ay ouy dire) le bon «
maistre Jehan de Meung estoit contemporain, c’est «
à dire du mesme temps & faculté que Dante, qui «
preceda Petrarque & Boccace. Et l’un estoit emu- «
lateur, & nonobstant ami des estudes de l’autre. «
Or les Italiens sont d’accod, que Dante nasquit
l’an 1265. & en vesquit 56. revenans à l’an 1321. qui
est le premier du regne de Charles le Bel, dernier
enfant de Philippes le Bel. Ce qui rapporte à ce que
dit la Chronique d’Aquitaine, à sçavoir, que Jehan
de Meung floirssoit souz ce Roy. L’on a publié un
livre intitulé Dodecaedron, qui est un jeu de passe-
temps, pour sçavoir son adventure par le sort des
dez. Mais je ne puis croire, qu’il l’aye presenté au
Roy Charles 5. lequel commença son regne l’an
1364. ou il faudroit qu’il eust vescu bien longue-
ment. Car quand il auroit composé le Romans de
la Rose, en l’aage de 25. ans, & faict l’an 1300. encore
le presentant au Roy Charles 5. le premier an de
son regne, il faudroit qu’il eus testé aagé de 89. ans.
Et toutesfois il semble bien, que le Romans de la
Rose (veu les traits de doctrine semez parmi) ne
soit pas un ouvrage de jeune homme : comme
aussi le Dodeacedron, celuy d’un vieillard usé : puis
qu’il estoit question d’estre subtil en Arithmeti-
204
que, pour si bien asseoir les renvois & responses, à
fin de se rapporter aux poincts des dez. Au reste,
Jehan de Meung cuida estre payé de la mesme mon-
noye qu’Ovide son maistre : pource qu’une partie
des dames de court mal renommees, moynes, hy-
pocrites, & autres gens vicieux qu’il avoit taxez en
ses livres, luy susciterent beaucoup d’ennemis. Mes-
mes les dames faschees de ces vers trop piquans :
« Toutes estes, serez, ou fustes,
« De faict, ou de volonté, putes.
delivererent un jour de l’en chastier. Duquel dan-
ger il se sauva gentiment en ceste maniere. Maistre
Jehan de Meung estant venu à la Court pour quel-
que occasion, fut par les dames arresté en une des
champbres du logis du Roy, estant environné de
plusieurs seigneurs : lesquels pour avoir leur bonne
grace, avoyent promis le representer, & n’empes-
cher la punition qu’elles en voudroyent faire. Mais
Jehan de Meung les voyant tenir des verges, & pres-
ser les gentilshommes de le faire despouiller, il les
requi luy vouloir octroyer un don : jurant qu’il ne
demanderoit pas remission de la punition qu’elles
attendoyent prendre de luy (qui ne l’avoit me-
ritee) ains au contraire l’advancement. Ce qui luy
fut accordé à grand’ peine, & à l’estante priere des
seigneurs. Alors maistre Jehan commença à dire :
Mes dames, puis qu’il faut que je reçoive chasti-
men, ce doit estre de celles que j’ay offesees. Or
n’ay-je parlé que desmeschantes, & non pas de
vous qui estes icy toutes belles, sages, & vertueu-
ses : partant celle d’entre vous qui se sentira la plus
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offensee, commence à me frapper, comme la plus
forte putain de toutes celles que j’ay blasmees. Il
ne se trouva pas une d’elles qui voulust avoir cest
honneur de commencer, craignant d’emporter ce
tiltre infame. Et maistre Jehan eschappa, laissant
aux dames une vergongne : & donnant aux sei-
gneurs là presens, assez grande occasion de rire : car
il s’en trouva aucuns d’eux, à qui il sembloit que
telle ou telle devoit commencer, mais les mieux
appris rompirent ce jugement, pour eviter au de-
bat qui en fust suivi. Le Romans de la Rose a (ce
neantmoins) esté rece par les librairies des sei-
gneurs, comme livre plaisant & rempli de beaux
traits de doctrine, malgré les prescheurs & Theo-
logiens : marris de ce qu’il estoit trop manié &
appris de toutes sortes de gens : tellement que
plusieurs crierent contre. Et entre autres maistre
Martin Franc, natif en la conté d’Aumale en Nor-
mandie, Prevost & Chanoine de Lauzane en Sa-
voye, fit un livre contre le Romans de la Rose, in-
titulé Le Champion des dames : comme si Jehan de
meung eust escrit contre elles, mais ce fut longue-
ment apres la mort de maistre Jehan de Meung,
pource que ce Champion est addressé à Philippes
deuxieme, Duc de Bourgongne, surnommé le
Bon. Il se trouve en la Chronique d’Aquitaine,
un traict de risee que le bon maistre Jehan de
Meung fit aux freres prescheurs ou Jacobins de
Paris, mesmes en son testament. Par lequel ayant
ordonné estre enterré en leur Eglise, il leur laissa
un coffre avec tout ce qui estoit dedans : com-
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mandant ne l’ouvrir qu’il ne fust mis en terre. Mai-
stre Jehan trespassé, & son service mortuaire fait,
suivant ce qu’il avoit ordonné : les freres viennent en
grande haste pour enlever ce coffre, lequel se trou-
vant plein de pieces d’adoise, sus lesquelles possi-
ble il tiroit des figures d’Arithmetique ou de Geo-
metrie, les moines indignez, & pensans qu’il
se fust moqué d’eux vif ou mort, deterrerent son
corps. Mais la Cour de Parlement advertie de telle
inhumanité, le fit remettre en sepulture honorable,
dans le cloistre du convent. Cela me fait croire, s’il
eus testé docteur en Theologie (comme a voulu
dire l’autheur de la Chronique d’Aquitaine, ou
celuy duquel il l’a pris) qu’il n’eust usé de telle risee
en mourant. Si vous ne dittes qu’en ce temps-la,
les estudians en l’université de Paris, estoyent en-
nemis des Mendians, pour l’entreprise que faisoyent
ces freres sus les gens d’Eglise, & maistre de l’Uni-
versité : se fourrans par les cours, pour estre con-
fesseurs des Rois & princes : entreprenans aussi les
lectures publiques, sus les maistres Regens des U-
nivesitez. Dont maistre Jehan se vange tant qu’il
peut, representant les vices d’aucuns d’eux, sous
la personne de Faux semblant, tant au Romans de
La Rose, qu’en une Satyre faitte contre tous vices,
appellee Testament, & Codicille : mais par une
copie quej ‘ay (escrite avant deux cens ans) Status
mundi, siue doctrina gentium. J’ay mis toutes ces rai-
sons, à fin que toy (lecteur) en juges ce qu’il te plai-
ra. Il y a XXV. ans passez, que voulant escrire la
vie de ce poete & autres, & ramassant à ceste fin
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tout ce qui pouvoit estre dict d’eux : j’allay au mo-
nastere des Jacobins, où je ne peu trouver aucune
marque de sa sepulture, pource qu’on rebastissoit
le cloistre, par la liberalité de Nicolas Hennequin,
quand il vioit estimé le plus riche de nos bour-
geois de Paris. Et voila tout ce que je puis dire
quant à present, de maistre Guillaume de Lorris,
& Jehan Clopinel : les plus renommez de tous nos
poetes anciens.
PIERRE GENTIEN. CXXVII.
PIerre Gentien fut natif de Paris : lequel estant
amoureux d’une dame de ceste ville, composa
un livre auquel il nomme quarante ou cinquante
des plus belles dames de son temps. Prenant occa-
sion sus un Tournoy, qu’il feint avoir esté entre-
pris par ces dames, pour esprouver comme elles se
porteroyent au voyage d’outre mer, où elles deli-
veroyent aller. il y a grande apparence qu’il ves-
quit du temps de Philippes le Bel : & au plus tard
sous Philippe de Valois. Au commencement du
regne duquel, ce Roy fit semblant d’entrepren-
dre la guerre pour le recouvrement de la terre sain-
te : & onc puis il ne se fit croysade pour le pais de
Surie. Il sen omme à la fin de son livre,
« J’ay à nom Pierre Gentien,
« Qui sui loié de tel lien,
« Dont nus ne me puet deloyer.
Il n’y a doute qu’il ne fust de la maison des Gentiens,
tresancienne à Paris. car il blasonne ses armes, telles
que ceux de ceste famille portoyent lors : à sçavoir
« D’enciens guelles & d’argent,
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« Qui contre le Soleil resplent,
« Une bende y ot ouvree
« De fin azur, d’or fleuretee. & puis apres :
« Joenes hom » non pas antien,
« Que on appelle Gentien,
« Portoit tiex armes ce disoyent.
Ce Pierre peut bien estre venu de l’un des deux freres
qui furent tuez aidans à monter Philippes le Bel, sur-
pris par les Flamens, en la bataille donnee l’an 1304.
à Mont de Pirenes en Flandres. Dequels la grand
« Cronique dit : Et fut le Roy de si pres pris, qu’a pei-
« ne peut il estre armé à poinct. Et ainçois qu’il peut
« estre monté à cheval, peut il voir occir devant luy
« messire Hue de Bouille, chevalier : & deux bour-
« geois de Paris Pierre, & Jaques Gentiens freres. Les-
« quels pour le bien & fidelité qui estoyent en eux,
« estoyent tousjours pres le Roy. Et cest autheur mes-
me ne cele pas en ce livre, que Pierre Gentien ne
fust vaillant de sa personne : car il l’appelle
« Le plus vaillans de cist royaume.
Ce tournoy peut estre leu pour la mémoire d’au-
cunes familles de Paris plus que pour excellence du
stil. Or je confesse qu’il se trouve assez d’autres Ro-
mans, precedens ceux que j’ay nommez, desquels
je n’ay voulu parler : pour ce que je ne sçavoy le
nom, ne le temps de ceux qui les ont composez. Et
que mon intention n’estoit de mettre en ce livre,
que ceux qui ont vescu avant l’an M. CCC. ayant reser-
vé ceux qui depuis sont venus, pour un autre vo-
lume. Il suffira donc pour ceste heure, d’avoir mon-
stré la route à d’autres, qui cingleront plus libre-
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ment par ce golfe jadis incogneu : leur donnant
moyen de nous communiquer des livres, jusques
ici mesprisez : lesquels possible fussent perdus, qui
n’eust adverti les possesseurs, qu’on en peut tirer
quelque congnoissance de l’antiquité Françoise.
Mais aussi je les supplie (en recompense) m’en vou-
loir aider, puis qu’en partie j’ay esté cause de les con-
server, à la honte de ceux qui les ont pensé indignes
d’estre estimez : combien qu’il n’y aye si pauvre au-
theur qui ne puisse quelque fois servir, aumoins
pour le tesmoignange de son temps. Ce qui (à mon
advis) a fait dire à Pline, que toute histoire telle-
ment quellement escrite plaist. Et à ce propos j’ose
bien asseurer, que des Journaux de simples gens,
m’ont tellement aidé en aucuns endroits d’histoi-
re, que je ne puis appeler gaste-papiers, ceux qui
fidellement recueillent les choses de marque :
quelque mauvais ordre ou lanage dont ils usent.
Ce qui me donne esperance que ce recueil, tout
lourd qu’il est, sera bien receu de ceux qui desirent
s’informer de l’ancienne Poesie, ryme & Romans
François.
FIN.
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Ommissions en la Copie, & faultes reveues.
Pag. 81, 4. Ce livre estant presque achevé d’imprimer, j’ay trouvé dans la
vie de S. Christine, composee environ l’an 1300. les vers qui ensuivent.
« Seigneurs, qui en vos livres par maistrie metez
« Quivocations & lénometez,
« Se je tel ne puis faire, ne deprisiez mon livre.
« Car qui à trouver n’a soubtil cuer & delivre,
« Et leonimeté veult par tout aconsuivre,
« Moult souvent entrelest ce qu’il devroit ensuivre.
De sorte que Ryme Leonime est celle qui a dix, vingt, & trente vers
d’une lisiere. Car ceux de ceste vie sont croisez deux contre deux par
tout, fors en ces quatre derniers : & neantmoins la lisiere est de ryme
tresriche. Voyla ce que, &c.
Page 15. ligne 14. lisez, nation des François. 18, 1. polir. Car Chil-
peric entre autres voulut. 25, 9. Françoise Thioise, 28, 2. que Louis fit
34, 21. pour le lang. Ib. 30. qu’à d’autres, 10, 26. encores CC. ans 41,
29. ils tiroyent 43, 18. langue quant & quant leur religion : 59, 19. car
il est joint 61, 7. mé l’espece 69, 4. Enzina, 83, 3. Mille cent 84, 22.
mauvez est 95, 8. qu’il avoit au 97, 14. com se je fusse 112, 6. livre. Ce-
cy est dudit Romans : 121, 10. comme à l’oiselet Ib. 17. & beauté. 124,
9. lor aviaux, 143, 14. m’auroit. 154, 9. perd l’envie 184, 27. Porles-
guez : 191, 1, 2. Mapolis 200, 6. ces vers :
211
Extrait du privilege.
Par privilege du Roy donné à Paris le 17. de Juin 1581. signé GOHO-
RI, & seellé sur simple queue en cire jaune : Il est permis à monsieur
Fauchet Conseiller du Roy & President en sa Cour des monnoyes,
de faire imprimer par tel Libraire & Imprimeur que bon luy semble-
ra, un Recueil de l’origine de la langue & poesie Françoise, Ryme &
Romans : & aussi des poetes François, qui ont vescu avant l’an 1300.
Avec defenses à tous Libraires & imprimeurs, autre que celuy qui se-
ra choisi par ledit sieur Fauchet, de non imprimer ou faire imprimer
ledit Recueil, durant le temps & terme de cinq ans. Sur peine de con-
fiscation desdits livres, despens, dommages & interests, & d’amende
arbitraire.