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1581-Origine de la langue et poesie françoise (Claude Fauchet) (151-200)

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PHilippes Pa, se tenoit fort contant d’amour, car

luy & sa dame disent fi aux lozangiers : & pou

prisent lor dangiers.

Messire HUGUES DE BRESI, OU

BERSI. LIX

MEssire Hugues de Bresi ou Bersi fut tresbon

poete, ainsi que deux chansons le tesmoi-

gnent. Il dit que quand il sera mort, sa dame con-

noistra quelle perte elle aura faitte : & combien qu’il

n’accomplit jamais son vouloir d’elle, il est deliberé

mourir sous l’escu, plustost que se confesser vain-

cu : encores qu’elle luy aye deux ou trois fois men-

ti, & qu’il se doute qu’elle aye autre ami, si a-til tant

chassé qu’il deut bien achever. Toutefois sa destinee

est qu’il n’aura jamais bien d’aimer, puis qu’il ne

peut plus voir sa dame, ne trouve occasion d’aller

en son païs. Encores fera-til une chanson perdue,

puisqu’à perdre sont tournez tous ses chants. Mais

possible que celle cy aura telle vertu, qu’elle luy fe-

ra droiture des autres. Maistre Estiene Pasquier elo-

quent advocat en la Cour de Parlement, m’a presté

un livre qui apres ces deux vers de la Bible Guiot,

« Lors veuil que il itene sa voie,

« Si loing que jamais ne le voie.

en adjouste bien VI. ou VII. cens, tous Satyriques :

dont les premiers commencent :

« Moult ai allé, moult ai venu :

« Moult m’a ma volenté batu.

& puis à la fin il dit,

« Cil qui plus voit plus doit sçavoir.

« Hugues de Bersi qui tant a,

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« Cherchié le monde ça & la,

« Qu’il a veu qu’il ne vault rien :

« Presche ores de faire bien.

‘Et si sai bien que li plusour,

« Tendront mes sermons à folour :

« Que ils ont veu que je amoie,

« Plus que nus biaux solas & joie

qui pourroit bien estre le mesme Hugues de Berssi,

que les escrivains ont changé en Bresi, ou Bersil,

comme dit un livre qui est en la bibliotheque du

Roy. Lequel aussi appelle ledit opuscule, commen-

« çant Moult ai allé moult ai venu. &c. La bible du

seigneur de Berzé Chastelain. Il semble que ce de

Bersi apres avoir longuement demené l’amour, se

soit rendu moine, ou pour le moins retiré des joy)

euses compaignies.

ROGER DE CAMBRAI. LX.

ROgers de Cambrai, dit qu’il faisoit sonner bien

souvent sa vielle pour s’amie, qu’il aimot co-

raument, c’est à dire cordinallement.

JEHAN DE MAISONS. LXI.

JEhans de Maisons, prie sa dame ne croire un, en

qui jafis il s’est fié comme son bien vueillant : &

lequel il prouveroit traistre s’il le vouloit attendre

en champ.

QUENS DE BRETAIGNE. LXII.

JE ne fay doute que ce Quens de Bretaigne, ne

soit Pierre surnomme Mauclerc. Il demande à

Bernard de la Ferté, lequel vault mieux de proesse,

ou de largesse. Bernard respond, que proesse sans

largesse, est foible. Et pource que le Conte de Bretai-

153

gne n’en est d’accord, ils s’en raportent au Conte

d’Anjou,

« Qu’en tous biens a mis son pensé.

lequel je ne fai doute estre Charles frere de saint

Louis. De ce Conte de Bretaigne fait mention le

jeu parti, en la VII. chanson : & le fait parler avec

Gaces Brulez : lui demandant si ayant loyaument

aimé une dame, & il s’appercoive qu’elle vueille le

trahir : s’il doit attendre, ou la guerpir.

ROBERT DU CASTEL. LXIII.

RObert du Castel, dit que ceux la mentent qui

disent qu’amours leur fait mort recevoir.

« Car bonne amour est perdurable vie.

« N’est pas amant qui trop quiert à s’amie ;

« Ne tous ses bons veult à li achever.

à la fin il dit,

« Car j’aim miex par souffrance,

« Et par son gré avoir mon desirier :

« Qu’estre à mon bel o li par souhaidier.

Ses deux chansons sont cottees en marge, Coronee.

Je croy pour avoir avec icelles gaigné quelque

prix : estant jugees bonnes, comme à la verité elles

sont. Il dit encores, que nul ne doit avoir honneur,

s’il n’a mis sa puissance en bonne amour honorer.

Car les maux d’amour, sont legers. Que si son chant

luy peut plaire : il sera tout gueri de ses maux. Le re-

cueil des jeux partis, monstre par la LV. chanson, que

Robert de Castel fut marié : & a vescu du temps de

Bretel, duquel nous parlerons tantost, c’est à dire,

environ l’an 1260.

LAMBERT FERRIS. LXIIII.

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LAmbert Ferris dit, que tant qu’il aura dedans le

corps la vie, il aimera sans boisdie. De luy parle

le recueil des jeux partis : & le fait interroger par

Jehan Bretel ou Bretiaux. Et semble par la XLV. chan-

son dudit recueil, qu’il eut amie à Abeville. Luy

mesme a fait aussi des jeux partis : car il demande à

Bretel : lequel vault mieux estre loyaument escon-

duit, qu’estre tenu en faulse pitié. Plus si l’amant

se mariant à s’amie, prend l’envie qu’il souloit avoir

de chanter. Demande encores à maistre Jehan de

Marli : de deux amans l’un est jaloux, & l’autre non :

lequel ayme le plus coraument. Il a vescu environ

ledit an 1260.

JEHAN LI CUNELIERS. LXV.

JEhan li Cuneliers, dit qu’amours luy a emblé son

cœur, pour le mettre en la puissance de sa dame. Et

puis qu’il est en son dangier, il ne l’en doit retirer.

Car esperance luy dit, qu’encor aura recouvrier à

la joye. De cestui-cy fait encores mention le jeu par-

ti en la XIIII. chanson : & le fait ami de Jehan Bretel,

de sorte qu’on le peut mettre de son temps.

EUSTACE LI PEINTRES. LXVI.

EUstace li Peintres, fut tresbon poete. Dit que

ceux qui chantent de flor & de verdure, sont a-

moureux ainsi que d’aventure, quant ils veulent ils

ont allegement. Mais quant à luy, il trouve sa dame

tant dure qu’ c’est merveille comme son cœur l’en-

dure. Que les Ours & Lions se gardent quelquefois

de mal faire : & sa dame tous les jours fait son pou-

voir de le grever. Onques Tristan, li Chastelains (je

croy qu’il entend celuy de Couci) ne Blondiax,

155

n’aimerent de telle façon. La [i]i. chanson est belle, &

toutes aussi : mais ce trait de la V. me semble digne

d’estre renouvellé.

« Dame où tous biens crest & naist & esclaire :

« A qui biauté nulle autre ne se prend.

« Dont sans mentir ne pourroit on retraire,

« Fors grant valeur & bon enseignement :

« Qu’il n’y fault rien, fors merci seulement.

« Bien sont vos fais à vos doux ris contraire :

« Cuer sans merci, & semblant debonnaire :

« He diex pourquoy ensemble les consent.

MAHIEUX DE GANT. LXVII.

MAhieux de Gant, a fait ses chanson en dialo-

gue : & par la II. il demande, si l’on peut chan-

ger s’amie pour une plus belle.

Messire ROBERT DE MAUVOISINS. LXVIII.

MEssire Robert de Mauvoisins, dit à sa dame,

que si aucun pour bien aimer a de ses amours

alleiance : qu’elle se devroit souvenir de luy.

THOMAS ERARS. LXIX.

THomas Erars, dit avoir entendu que vrai a-

mant sont sauvez s’ils meurent en desirant : la pre-

miere de ses chansons est cottee en marge, coronee.

CAR AUSAUX D’ARRAS. LXX.

CAr Ausaux d’Arras, dit que si bien sa poine est

perdue, que s’amour n’en est decrue.

AUBINS DE SEZANE. LXXI.

AUbins de Sezane parle comme un fol deseperé.

disant, A tous sains le dit,

« Se je pers m’amie, Ne sien ne sui mie, « 

« Qu’en dieu ne me fi : Ainsi je l’affi. « 

156

JEHAN FRUMIAUX, fut de l’Isle (je croy en Flandres)

dit que sa dame le perdant seroit desheritee d’un

serf : & pource seroit moins redoutee. sa chanson

est cottee en marge, coronee.

Messire GUILLAUME VIAUX. LXXIII.

MEssire Guillaume Viaux, dit qu’il a amé tout

son vivant. Qu’à sa dame rien ne plaist de ce

qu’il dit : & troutefois il aime mieux la servir & mou-

rir en aimant, que de toutes autres jouir.

CAR AUSAUX. LXXIIII.

CAr Ausaux, je ne sçay si c’est celuy d’Arras. nom-

me sa dame Bone : & se plaint qu’il est ami sans

amie. toutefois il se fie en Amours.

THOMAS ERIERS. LXXV.

THomas Eriers se plaint, que li felon l’ont fait mes-

ler (c’est à dire tancer ou debattre) avec sa dame.

Le QUENS d’Anjou. LXXVI.

JE ne fait doute que ce Quens d’Anjou, ne soit Char-

les frere du Roy saint Louis, depuis Roy deSicile :

prince gaillard en sa jeunesse, & volontaire, ainsi

qu’on peut voir en l’histoire du seigneur de Jonville.

Ce Conte d’Anjou, dit combien qu’il n’eut jamais

pensee de servir autre que sa dame, elle l’a mis en

nonchaloir : encores qu’il ne l’aye pas deservi. Si at-

tendra-il son vouloir comme loyal ami.

ROGERIN D’ANDELI. LXXVII.

ROgerin d’Andeli dit qu’il ne cessera de chanter,

encores qu’il se deuille d’Amours : & soit taillé

de mourir en ses tourmens, se merci ne vainc sa da-

me. Il se plaint de ses yeux qui l’ont trahi.

157

Le QUENS DE LA MARCHE. LXXVIII.

JE n’ose assuerer le nom de ce Comte de la Marche,

mais il est aisé à juger, qu’il a vescu du temps des de-

susdits. Il dit que la premiere fois qu’il fit sa dame,

il oublia de la s[alu]er. Et ne fut merveille s’il se trou-

va lors esbahi. car il ne se conseilla pas à son cœur,

qu’elle avoit ja pris : & onques puis ne le recouvra.

Il nomme s’amie Biaux doux Rubis. Car tout ainsi

(dit-il) que c’est la meilleure pierre precieuse : aussi

est elle le mirouer des autres dames. Il se plaint que

les mesdisans l’ont esloigné de s’amie. Que Lance-

lot n’aima tant sa Genevre. Qu’il est comme le vais-

seau cinglant en mer ne sachant où arriver. Et com-

bien qu’il n’aye jamais maudit amours, il n’aura ja

fiance en sa dame qui l’a trahi. Que son mal luy

double, pource qu’il luy convient aller en estrange

contree. En la x. il dit que sa dame passe toutes au-

tres, comme un beau nouton de roses espanouies.

Il l’appelle encores Biaux doux Rubi. Sa derniere

chanson est belle. Le livre du seigneur de Roissi,

ne nomme plus aucun apres les chansons de ce

Conte : encores qu’il y en ait plus de ceux cens au-

tres : sinon qu’au 177. fueillet il fait mention d’un

Jolivet de Paris, Qui d’amours a grant renom. Je pou- « 

vois extraire d’avantage de belles manieres de par-

ler, tant de ceux qui sont nommez, que des autres sans

nom : mais tout ainsi que je me suis lassé de lire, aussi

croy-je bien, lecteur, que tu ne le seras pas moins.

Monseigneur RENAULT DE SABUEIL. LXXIX.

MOnseigneur Renault de Sabueil est fort esti-

mé par l’autheur du Romans Guillaume de

158

Dole, qui parle de luy ainsi :

« Des bons vers celui de Sabueil

« Monseignor Renault lui souvient.

Il se trouve de lui une chanson, commençant,

« Ja de chanter en ma vie

« Ne quier mes avoir courage :

« Ains voil miex qu’amors m’occie,

« Por fere son grant domage.

« Car jamais si finement

« N’ert aimee en servie :

« Por c’en chasti tote gent,

« Quel ma mort & li traie.

« Las j’ai dit par ma folie,

« Ce sçai de voir grant outrage :

« Mes à mon cuer prist envie

« D’estre legier & volage.

« Ga dame si m’en repent,

« Mes cil à tart merci crie,

« Qui atent tant qu’on le pent :

« Por c’ai la mort deservie.

Guiot en sa bible, nomme Robert de Sabueil en-

tre les princes & seigneurs ses bien-faiteurs,

« Qui refu Robers de Sabueil.

DOETE DE TROIES. LXXX.

DOete de Troies chanteresse & Trouverre,

ainsi que je croy, est fort estimee par ledit au-

auther : qui la nomme entre les Menestrels qui se

trouverent à la court que l’Empereur Conrad tint

à Maience comme il feint : il dit d’elle,

« Li Menestrel de meinte terre

« Qui ere venus por aquerre,

159

« De Troie la belle Doete

« I chantoit cette chansonete.

« Quand revient la seson

« Que l’herbe reverdoie.

JONGLET. LXXXI.

JOnglet fut un menestrier bien appris, fort renom-

mé & estimé par le mesme autheur, comme prin-

cipal en ce mestier pres ledit Empereur Conrad,

« Un sien vielor qu’il a,

« Qu’on apelle a cort Jonglet,

« Fit apeler par un varlet.

« Il ert sage & grant apris,

« Et s’avoit oi & apris

« Mainte chanson & maint biau conte.

Il se trouve un fabliau de la moquerie que luy fit

une espousee : au mari de laquelle (qui estoit un ri-

che villageois, si niais que ce Jonglet ne luy avoit

jamais sceu oster son ramage) il avoit persuadé que

pour se tenir plus honnestement, il ne devoit le jour

de ses nopces descharger son ventre. De maniere

que le pauvre sot endurant une extreme douleur

de tranchees, pour avoir trop mangé de poires

crues, ne peut la premiere nuict accoler sa femme.

Jusques à ce qu’[el]le advertie du fait, l’eut pressé de

se lever : luy persuadant aller perfumer Jonglet cou-

ché en une chambre voisine. Ce qu’il fit, enduisant

les chausses, pourpoint, & estuy du menestrel, qui

n’eut occasion de s’en moquer.

HUES DE BRAIE-SELVE. LXXXII.

HUes de Braieselve pres Oignon, fut un menestrel

fort estimé par le mesme auteur du Romans de

160  

Guillaume de Dole qui dit de luy :

« De Braieselve vers Oignon

« I vint Hues à cele cort.

« L’empereres le tin molt cort,

« Que li apreist une dance,

« Que firent pucelles de France,

« A l’ormel devant Tremilli

« Ou len a meint bon plet basti.

« C’est vers de belle Marguerite,

« Qui si bel se paie & aquite

« De la chansonnete nouvelle,

« Celle d’Oisseri,

« Ne met en oubli

« Que n’aille au 1cembel,

« Tant a bien en li,

« Que moilt embeli

« Le gieu souz l’ormel.

Ces plaids & gieux ou jeux souz l’ormel, estoyent

une assemblee de dames & gentilshommes, où se te-

noit comme un parlement de courtoisie & gentillesse

pour y vuyder plusieurs differens. Il y en avoit d’au-

tres en autres provinces, selon qu’il se trouvoit des

seigneurs & dames de gentil esprit. Le mesme au-

theur nomme un Cupelin menestrel.

RUTEBEUF. LXXXIII.

RUtebeuf fut un Menestrel, duquel on trouve

plusieurs fabliaux (c’est à dire, contes de plaisir

et nouvelles) mis en ryme : & encores des plaintes

de la terre sainte, adressees au Roy S. Louis, le Comte

de Poitiers & la noblesse de France : pour secourir

messire Geoffroy de Sargines vaillant Chevalier, qui

161

la defendoit à son pouvoir. La plainte d’Anceua de

l’Isle est aussi dudit Rutebeuf, de laquelle ce couplet

semble bon :

« Tousjours deut un preudhome vivre :

« Se mort eüt sans ne savoir.

« S’il fut mors, il deüt revivre :

« I ce doit bien chacun savoir.

« Mes mors est plus fiere que 1Huivre

« Et si plaine de mon savoir,

« Que des bons le siegle delivre,

« Et au mauvais laist vie avoir.

Il a fait en vers la vie de S. Elizabet de Turinge, qu’il

presenta à Isabel Royne de Navarre. Il semble qu’il

a aussi faict le dit des ordres de Paris auquel parlant

ainsi des aveugles que nous appellons Quinze

vingts, il me fait soupçonner que ceux que S. Louis

premierement y amassa, ne furent Chevaliers, com-

me l’on pense : ains quelques pauvres gens. Car ce-

stuy-cy les fait mendians, disant d’eux :

« Li Roix a mis en un repaire,

« Mais je ne sai pas por quoi faire,

« Trois cens aveugles rote à rote.

« Parmi Paris en va III. paire,

« Tote jor ne finent de braire,

« As trois cens qui ne voient gote.

« Li uns sache, li autre bote,

« Se se donnent mainte secosse,

« Qu’il n’i a nul qui lor eclaire :

« Si feux y prent, ce n’est pas dote,

« L’ordre sera brulee tote,

« Saura li Roix plus à refere.

162

Par le mesme opuscule il monstre que ceux du val des

escoliers souloyent mendier : & que les Guillemins

(ce sont les Blancmanteaux) furent premierement

reclus. C’est luy (à mo nadvis) qui a fait le fabliau du

Clerc : lequel ne pouvant persuader à une dame,

qui n’estoit des plus sages, qu’elle ne pourroit vo-

ler sans ailes & plumes : la baisant pour luy faire le

bec, & maniant nue pour faire sortir les plumes, luy

attacha si avant sa queue qu’elle germa (disoit la da-

me) dedans son ventre, l’empeschant tellement de

voler, qu’à peine pouvoit elle voir ses pieds, tant le

ventre luy estoit creu. Je ne fay doute, que ce ba-

ble n’ait donné occasion à Bocace de faire la X. nou-

velle de la iX. Journee de son Decameron. Il en a

fait encores une autre de la femme d’un escuyer :

laquelle ayant donné assignation à son Curé, de

l’aller trouver en un petit bois voisin : son mary

estant venu contre son esperance, elle l’envoya cou-

cher de bonne heure, disant vouloir veiller tard,

pour achever sa toile. Puis le sentant endormi, elle

vint trouver son Curé, avec lequel demourant trop

longuement, & le mary ne la sentant point couchee

pres de soy, demanda où elle estoit. La chambriere

luy dit, qu’elle veilloit chez sa voisine. Le mary

courroucé se leve, & la vient chercher chez ses voi-

sines : mais oyant dire qu’elle n’y avoit point esté, il

s’en retourne tou furieux. La dame qui l’avoit sen-

ty passer le long du vois, & la menacer avec le pre-

stre, s’en retourna en sa maison. Là où estant ac-

cueillie d’injures par son maru, qui l’appelloit pu-

tain, & qu’elle venoit d’avec le Curé : elle ne luy re-

163

spondit mot. Ce qu’ayant mis le mary en plus grand

colere, comme si en se taisant elle confessast ce qu’il

disoit, voulant luy couper les cheveux, elle luy dit :

Qu’estant grosse on l’avoit conseillee d’aller sur la

mi-nuict faitre trois tours à l’entour du Monstier,

en disant trois patenostres : puis sans mot dire faire

avec le talon une fosse, laquelle se trouvant ouver-

te au out de trois jours, ce seroit un fils : & s’elle

estoit clause, une fille : eschappant par ce moyen la

colere de son mary. Rutebeuf se plaisoit fort en

equivoques. Et pource au dit d’Hypocrisie, il veut

que son om vienne de Rude & de Bœuf. Il fut ma-

rié par deux fois : & combien qu’il eust peu de

biens, il prist (dit-il) femme qui n’estoit ne gente ne

belle. Aussi Dieu l’avoit fait compagnon de Job,

luy ayant osté tout à coup ce qu’il avoit, avec l’œil

dectre dont il voyoit le mieux. Il addresse sa com-

plainte au Comte de Poitiers & de Thoulouze (ce

fut Alphons frere de S. Louys) qui luy donnoit vo-

lontiers. Rutebeuf a vescu longuement : & le plus

souz le regne de S. Louys. Toutefois par un de ses

œuvres il semble qu’il soit venu jusques à l’an 1310.

MARIE DE France. LXXXIIII.

MArie de France, ne porte ce surnom pour ce

qu’elle fust du sang des Rois : mais pource

qu’elle estoit natifve de France. car elle dit,

« Au finement de cet escrit,

« Me nommerai par remembrance,

« Marie ai nom, si sui de France.

Elle amis en vers François les fables d’Esope mo-

ralisees, qu’elle dit avoir translatees d’Anglois en

164

François. Pour l’amour au Conte Guilleaume,

« Le plus vaillant de ce Roiaume.

JEHAN DU PIN. LXXXV.

JEhan du Pin, ou Pain, fut moine de Vaucelles, &

a fait un opuscule, intitulé l’Evangile des fem-

mes ; assez bien fait & plaisant, composé en ryme

Alexandrine qui commence,

« L’evangile des femmes vous veuil ci recorder.

à la fin il dit,

« Ces vers Jehans du Pain un moine de Vaucelles,

« A fet moult soutilment, &c.

COURTE BARBE. LXXXVI.

COurte Barbe fut un Menestrel, qui a fait le ba-

bliau des trois aveugles de Compiegne, assez

plaisant. Trois aveugles (dit-il) sortans de Com-

piegne, recontrent un esoclier de nature gaye : le-

quel voulant itrer du passetemps d’eux, quand ils

luy demanderent l’aumosne, leur dit : Tenez, je

vous donne ce Besant (c’estoit une piece d’or va-

lant environ un angelot) chacun des aveugles les pen-

sant qu’il l’eut donné à son compagnon, l’en remer-

cierent grandement. Et ayans cheminé quelque

peu d’espace, le plus ancien d’eux commence à di-

re aux autres : que passé long temps ils n’avoyent

fait bonne chere, & falloit retourner à Compie-

gne se resjouir : à quoy les autres s’acccorderent.

Estans donc arrivez en la ville, & oyans crier,

Ceans a de bon vin : ils prient l’hoste de les loger

en une bonne salle peinte, les bien traitter, & n’a-

voir esgard à leur estat : car il se contenteroyent

bien. Le Clerc qui avoit mis pied à terre, depuis

165

ce don imaginaire, & les suivoit pour entendre

leurs propos : vint semblablement loger en la mes-

me hostellerie, où les aveugles se firent bien

traitter de chair, de poisson, & toutes sortes de

vines : puis apres avoir bien beu ils s’en allerent

coucher, dormans si haute matinee, que l’ho-

ste les vint esveiller, & demander leurs escots. Les

aveugles respondirent que c’estoit raison, qu’ils

avoyent un besant sus lequel il se payast. Ca donc

(dit l’hoste) & un des aveugles parlant à son com-

pagnon, Robert Baillez-le luy, car ce fut à vous

qui alliez le premier qu’on le donna. Par dieu vous

avez menti, dit Robet, mais ce fut à vous qui ve-

niez le dernier. Cestui-cy jurant que non, Tu l’as

donc, disent les deux au troisiesme : Non au, respon-

doit il, mais vous. Cependant l’hoste courroucé pen-

sant qu’ils se moquassent de luy, commençoit à

frapper dessus les aveugles, quand le clerc qui avoit

tout ouy, dit à l’hoste, qu’il ne se faschast, ains mit

l’escot des aveugles sus le sien, car il payeroit tout,

dont l’hoste le remercia : & louant sa liberalité laissa

sortir les aveugles. Le crec vestu, & oyant sonner

la messe, demanda à l’hoste s’il vouloit pas prendre

son Curé pour pleige des XV. sols, que luy & les a-

veugles devoyent pour leurs escots : lequel respon-

dit, que non seulement pour cela, mais qu’il luy

presteroit jusques à trente livres. Faites donc (dit le

clerc) que je sois quitte quand on m’amenera mon

pallefroy, & l’hoste dit qu’aussi feroit-il. Ce pen-

dant le clerc commanda à son valet tirer son cheval

de l’estable, & le luy amener. Ce fait il s’achemine

166

vers l’eglise : là où estant vneu ; il prend son hoste

par le doigt, & le mene vers l’autel : où trouvant le

prestre vestu de son aube, & prest de dire la messe,

il tire de sa bourse douze deniers, & luy dit bas, que

l’homme qu’il tenoit estoit frenetique, mais pour le

present il se portoit assez bien de sa personne : qu’il luy

pleust toutefois apres la messe, dire sus sa teste une

evangile. Le prestre se torunant devers l’hoste, luy

dit, Mon ami, je le feray apres la messe. Le clerc ains

quitté, sort de l’eglise, prend congé de son hoste &

monte à cheval. Or pource qu’il estoit dimanche,

l’hoste retourne pour ouir messe, laquelle achevee

il s’approche de l’autel : & le Curé ayant encores l’-

stole au col, luy fait signe qu’il s’approche & sage-

nouille : mais l’hoste qui n’estoit en devotion, luy

dit, qu’il ne venoit pour cela, ains pour recevoir

quinze sols qu’il luy avoit promis au nom du clerc.

L’hoste ne voulant s’agenouiller, & au contraire

se courrouçant : le Curé appelle ceux qui estoyent

demourez, & les prie de tenir cest homme, qui

n’estoit pas bien sage : mais l’hostem onté de plus en

plus en colere, & fasché outre mesure, commence

à blasphemer. Ce qui fut cause que le Curé parlant

plus hault, assembla des gens, craint qu’il estoit

fol : de maniere qu’il fut lié, & l’evangile dicte sus

sa ateste. L’oraison achevee, quand il demanda ses

XV. sols, il est renvoyé comme insensé, & encores

moqué de ceux à qui il conta son affaire. Les deux

vers derniers declarent l’autheur.

« Corte-barbe dit ci endroit,

« Qu’on fait à tort maint homme honte.

167

Le CLERC DE VAUDOY. LXXXVII

LE Clerc de Vaudoy fut assez bon Trouverre : il a

fait les fabliaux, intitulez, Niserole, qui commence,

« Seignor j’ay follement mes deniers despendus :

Corbeigni, & Trambloy, que je n’ay veus : ensemble

celuy des Droits qu’il fit âgé de quarante à cinquante

ans. C’est une satyre contre les Jacobins & Cordeliers ;

Il fit encores un fabliau du Dieu d’Amours, d’Esté,

& de May : dont je n’ay veu que les XX. premiers vers.

JEHAN LE GALOIS. LXXXVIII.

JEhan le Galois fut natif d’Aubepierre, & a fait le

fabliau de la Bourse pleine de sens, qui est moral.

Un riche marchant de Desise nomméRenier, marié

à une honeste dame, qu’il caressoit assez, aymoit

toutesfois une putain. Ceste femme s’appercevant

qu’il portoit hors la maison, ce qui luy apparte-

noit, & neantmoins le cognoissant pour homme

assez grossier, un jour qu’il deliberoit aller à la foyre

de Troyes (lors fort estimee) le pria luy apporter

une bourse de la valeur d’un denier, pleine de sens :

ce qu’il meit en son mémoire. Apres allant visiter

Mabille sa garce, elle luy demanda une robbe. Le

temps de la foire approchant, Renier partit de sa

maison : & venu à Troyes feit tresgrant profit de sa

marchandise, laquelle il remploya en autres espe-

ces. Puis se souvenant de sa garce, il luy va achepter

une belle robbe : & encores ne voulant oublier sa

femme, il s’enquist où l’on vendoit des bourses plei-

nes de sens. Celuy auquel il s’adressa, qui n’estoit

pas plus habile homme que luy, le renvoya à un Sa-

voyart espicier, ou vendeur de drogues : & cestuy-

168

ci non plus sage que l’autre, l’addressa à un vieil hom-

me Espagnol : lequel sceut si bien interroger Re-

nier, qu’il luy confessa estre marié à une honeste da-

me, qu’il l’avoit prié luy apporter ceste bourse, & sa

putain une robe. L’Espagnol luy remonstra la faute

qu’il commettoit de paillarder, ayant espousé une

si sage femme : toutefois s’il se vouloit asseurer de

l’amitié de l’une & de l’autre, ensemble cognoistre

celle qui luy portoit plus vraye affection, qu’il de-

vançast ses chariots d’un jour ou deux : & se vestant

de meschans habillemens, fist courir le bruit qu’il

avoit tout perdu. Apres cela qu’il vint voir sa garce,

puis sa femme : & selon la reception qu’elles luy fe-

royent, il jugeast de leur amitié. Le sage advertisse-

ment de l’Espagnol, ayant ouvert à Renier les yeux

de son entendement, il commande à ses gens arri-

ver à Dezise, à certain jour q’uil leur dit, & non

plus tost. Ce pendant il les devance : & avant qu’en-

trer en la ville, ayant osté ses vestements accoustu-

mez, comme s’il fust eschapé de brigans, il vient

qu’il estoit la nuit, heurter en la maison de Mabille,

laquelle luy ouvrit l’huis : mais le voyant en si pau-

vre estat, luy demanda qui il estoit. Renier, respondit

qu’il avoit tout perdu, & se venoit cacher, ne vou-

lant que ses creanciers le trouvassent : car il n’avoi

moyen de leur satisfaire, pource qu’il devoit beau-

coup plus qu’il n’avoit vaillant. La garce luy dit, qu’il

allast donc autre part : & nonobstant que Renier luy

ramenteust les biens que jadis il luy avoit faits, sus

l’heure mesme elle le chassa hors sa maison. De là il

vient à la sienne, qu’il estoit nuict toute noire : &

169

huchant sa femme, elle qui entendit sa voix descen-

dit incontinent, & luy vint ouvrir la porte. Renier

entré & joyeusement receu, ne fut pas si tost monté

en sa chambre, que sa femme luy demanda la cause

pourquoy il estoit en si pauvre estat : à quoy il re-

spondit en peu de mots, M’amie j’ay tout perdu ma

marchandise, & qui pis est je doy beaucoup plus

qu’il ne me reste de vaillant, se monstrant fort cour-

roucé. La dame luy dit qu’il ne se faschast, qu’elle

avoit encores bien vaillant dix mille livres de son

patrimoine, lequel elle luy abandonnoit pour

payer ses debtes. Ce pendant qu’il despoullast ceste

meschante robe, qu’il en prist une meilleure, & fist

bonne chere. Puis l’ayant fait manger, ils s’en vont

coucher. Le lendemain la nouvelle de la perte de

Renier, fut sceue par toute la ville dés le poinct du

jour : car la garce l’avoit publiee. De sorte que sa

maison se veit incontinent pleine de ses creanciers

ou cautions : ausquels Renier faisant bien du piteux,

remonstre comme il avoit tout perdu : les priant a-

voir patience aussi bien que luy, ce qui en estonna

plusieurs : maus sur ce poinct voyci arriver son var-

let, avec son pallefroy, estant suivi des chariots qui

portoyent sa marchandise. Lors ayant conté en

preence de la compaignie, l’occasion de sa feinte

perte : sa femme luy dit, qu’il luy avoit apporté la

bourse qu’elle demandoit : & Renier asseuré de sa

fidelité, par la preuve qu’il en avoit trouvee, luy

donna la robe promise à la garce : ayant par la sa-

gesse d’autruy appris à cognoistre la difference d’u-

ne vraye & feinte amitié.

170

Sire JEHAN CHAPELAIN. LXXXIX.

SIre Jehan Chapelain, a fait un fabliau du Secre-

tain de Cluni, fort plaisant & bien meslé d’ad-

ventures diverses : lequel commence,

« Usages est en Normandie,

« Que qui herbefiez est, qu’il dit

« Fable ou chanson die à l’hoste.

« Ceste coustume pas n’en oste,

« Sire Jehan li Chapelain

« Vourra conter du Coucretain.

Et le reste en ryme que j’ay mis en prose le plus

pres du sens de l’autheur, retenant beaucoup de ses

propres mots pour d’avantage descouvrir le temps.

Jadis il y eut à Cluni une bien sage & belle dame

mariee à un bourgois de la ville, nommé Hue. La-

quelle ayant coustume d’ouir tous les jours le ser-

vice, que les moynes y souloyent faire en belles ce-

remonies : il advint que celuy qui avoit charge de

l’Eglise, qu’on appelle Secretain, en devint si fort

amoureux, que la voyant un matin pres un pilier,

il s’enhardist de l’approcher, & prenant sa main luy

dire : Madame dieu vous gard : & me doint vostre

amour. Il y a ja long temps que je vous aime : voire

dés que j’estoy petit clargeon, & que vous demou-

riez chez vostre pere. Ce mal qui me tenoit comme

enfant, ne m’a laissé à ceste heure que je suis homme,

pour le vous monstrer plus certainement. Je vous

prie donc m’octroyer vostre amour : vous advi-

sant que j’ay le maniment du thresor de ceans, le-

quel est tout à vostre commandement pour vous fai-

re riche, & si jolie de robes & joyaux, qu’il n’y a fem-

171

me à Cluni, qui le soit davantage. La dame nou-

velle mariee, & qui ne l’avoit pas agreable, luy re-

spondit : Sire Secretain, vous vous travaillez pour-

neant : jamais je ne feroy ceste faute à mon mary.

Et si vous en mettez d’avantage en peine, j’en ad-

vertiray vostre Abbé. Le moine tout confus, ne luy

sceut dire autre chose, sinon, Madame à ce que je

voy, il me convient mourir par vostre rigueur. Là

dessus il s’en va bien marry, sans plus luy en faire in-

stance. Un assez long temps apres, ce Hue ayant

par son mauvais gouvernement, vendu vigne, ter-

res, & meubles, devint si pauvre qu’il fu contraint

dire à sa femme l’extreme necessité en laquelle ils

estoyent : & luy remonstrer qu’ils ne pouvoyent

demourer au pais, n’ayans plus que la maison où

ils habitoyent : & laquelle encores ils ne pouvoyent

vendre, ne sçachant lieu auquel ils peussent mieux

celer leur pauvreté. Mais sa femme plus asseuree, le

reconfortant luy respondit, qu’elle avoit des pa-

rens en France, devers lequels ils pourroyent se re-

tirer : toutefois à fin que pas un des voisins ne s’ap-

perceust de leur partement, quand ils orroyent son-

ner matines il falloit aller en l’eglise, prier Dieu les

vouloir conduire. Le dimanche venu, ils se levent

de bonne heure, & oyans matines sonner, ils s’a-

cheminent à l’eglise : là où comme l’un serré contre

un pilier, & l’autre en quelque coing, estoyent fort

tristes, & ententifs à leurs prieres : d’avanture le Se-

cretain pour le devoir de son estat, allant par l’egli-

se une bougie au point, trouvant s’amie à une heure

non accoustumee, l’occasion propre de parler à

172

elle ayant soudain esveillé son amour, seulement

endormi, il s’approcha & luy dit, Mal dehait aye ce-

luy qui ne se soucie de vostre ennuy, & Dieu vous

envoye joye : laquelle aussi vous pourriez avoir si

vouliez croire mon conseil, ayant moyen de vous

faire la plus heureuse de la ville. La dame luy respon-

dit, Sire je m’esmerveille de vos propos : il y a dix ans

passez que me requistes d’amour, & oncques puis

ne m’en parlastes, que la premiere annee que je fu

mariee. Il est vray, ce dit le Moine : mais encores si

me vouliez octroyer vostre amour, & seulement

un baiser pour le present, je vous donneroy cent

sols que j’ay sus moy : & avant qu’il soit midi, plus

or & argent que n’a pas un homme de ceste ville. il

sembla à la dame, que sa necessité l’admonnestoit

de ne laisser passer l’occasion qui se presentoit. De

sorte, que pressee d’avantage du Secretain, elle le

pria luy donner tempsd’y penser : promettant se

trouver à l’heure de prime au lieu mesme, pour

adviser à leur affaire. Lors le Secretain tirant de sa

bourse cent sols, les luy donna en la baisant : & la

dame levee de sa place, vint trouver Hue : auquel

monstrant l’argent, elle luy raconte la priere du

moine, & comme il la devoir venir trouver chargé

d’or & d’argent : que s’il avoit le courage si bon, de

luy garder son honneur, & retenir ce qu’il appor-

teroit, elle continuroit l’assignation. Hue prenant

conseil sus le champ, dit qu’il estoit contant, & l’as-

seura que le moine ne sortiroit de ses mains quit-

te. Là dessus ils s’en vont joyeux en leur maison,

attendre l’heure de prime : laquelle sonnee, Hue

173

donne congé à sa femme d’aller à l’Eglise arrester le

jour. Le Secretain qui estoit au chœur, la voyant ve-

nir courut au devant luy dire, qu’elle estoit femme

de promesse. A quoy elle respondit, que de sa part

il se tint prest pour la nuict du mardy prochain,

que Hue seroit allé à la foire, & ne faillist d’appor-

ter ce qu’il avoit promis. Dame (dit-il) par celle

Messe que j’ay chantee, vous l’aurez & plus. Le mar-

ché conclu, ils se departirent d’ensemble : & la da-

me vint advertir Hue de leur conclusion. Lequel

dés le lundi faisant semblant d’aller à un lointain

marché, retourne secrettement se cacher en une

chambre de sa maison. D’autre costé le Secretain

qui ne craignoit ne Dieu, ne les hommes, va au

thresor, où il prend les calices d’or & d’argent, qu’il

met en un sac, lequel ne luy semblant pas assez plein,

il rompt encores un Crucefix, emplissant le sac jus-

ques au goulet. Puis la nuict venue, i lsort tout

joyeux par une poterne, & s’en vint à la maison de

s’amie heurter à lhuis de derriere, om elle l’atten-

doit. Il n’eut pas si tost frappé que la porte estant

ouverte, il se fourre dedans, & jettant le sac à ses

pieds il monstre à sa dame la richesse qui estoit de-

dans. Mais comme il eut aussi mis les bras à son col

pour la baiser, Hue qui n’estoit pas loin de là, luy

descharge sur les oreilles un coup de masse, assené si

dextrement & en tel endroit, qu’il cheut mort sans

crier. Ce fait, il dit à sa femme toute esperdue, m’A-

mie il ne reste plus que nous desfaire de ce diable :

mais elle tremblant luy commença à dire, Helas

que ferons-nous, quand au lieu de nous mettre

174

hors de pauvreté, vous nous avez conduits à la

mort ! car je sçay bien que gens viendront inco-

tinent nous prendre pour nous mener en prison.

Taisez-vous (dit Hue) laissez moy faire, serrez seu-

lement cest argent, & puis vous allez coucher. Lors

Hue qui estoit grand & fort, charge le moyne sus

son col : & sçachant le chemin qu’il estoit venu,

porta son corps sus un anneau des latrines com-

munes de l’abbaye, où il s’assit, luy mettant en la

main un torchon tel qu’il faut en ce lieu. Puis re-

tourne en sa maison dire à sa femme, comme il s’-

stoir depesché du moyne. Ce pendant le temps

de sonner matines approchant, le compagnon du

Secretain s’esveille, & luy semblant que l’heure se

passoit, appelle le Secretain : lequel ne trouvant

point en son lict, tout courroucé il s’en va aux la-

trines : là où voyant le corps du Secretain, & pen-

sant qu’il fust endormi, il luy dit : Dam Secretain,

vous beuvez tant tous les soirs, qu’il ne vous sou-

vient de ceux qui attendent apres vous. Et pource

qu’il ne luy respondoit, il le tire par le chaperon si

rudement, qu’il le fit cheoir la face contre terre.

Mais voyant qu’il ne remuoit point, & craignant l’a-

voir tué, il commença soy plaindre de sa male ad-

venture. En fin reprenant ses esprits, & se souve-

nant des amours du defunct, il charge le corps à

son col, & sortant par la porterne, il le vint appuyer

contre l’huis de derriere de la maison de Hue : di-

sant que facilement on croiroit qu’il l’eust tué par

jalousie. Quelque peu apres, la femme de Hue

pressee de descharger son ventre, & voulant sortir

175

dehors, comme elle eut ouvert l’huis, le corps du

Secretain luy chet sus le front & l’abat contre terre.

Dequoy toute estonnee, elle s’escrie : Helas, Hue,

le Secretain est retourné ! les deux marcs d’or que

nous avons serrez, pour le mettre en ce poinct,

n’empescheront que demain ne soyons ou pendus,

ou bruslez ! Taisez-vous, fait Hue (qui s’estoit in-

continent jetté hors du lict) que les voisins ne vous

entendent : c’est la raison que je porte le mal, puis

que je l’ay faict, & telle que je l’ay brassee, je la voi-

ve. Puis s’estant vestu, il dit à sa femme, Fermez vo-

stre porte, & vous allez coucher. Lors il recharge

le corps du moyne sus son col, & s’en va le long de

la rue : par laquelle il n’eut pas longuement chemi-

né, qu’il entendit du bruit de gens, dont il eut si

grande crainte (considerant le danger auquel il estoit,

qui l’eust trouvé avec ce corps mort) que rencon-

trant une ruelle assez profonde, il s’escarte dedans,

tout tremblant de frayeur. Ce pendant, des lar-

rons qui avoyent desrobé chez un boulanger nom-

mé Thomas, deux fleches de lard (lors appelez ba-

cons, dont vient le mot de Baconer pour saller)

passans le longu du lieu où il s’estoit caché, il ouit que

l’un dit : Je ne suis pas d’advis que nous portions

chez le tavernier nostre prise, jusques à ce que nous

oyons son cri (car en ce temps les taverniers fai-

soyent crier devant leurs huis, Cy a bon vin, de tel

& tel lieu) mais nous le cacherons dans ce fumier

avec le sac : l’autre trouvant son advis bon, il cou-

vrent les bacons de fiens, puis s’en vont le chemin

de la taverne. Hue qui avoit tout entendu, les sen-

176

tant esloignez, pensa que Dieu luy eust envoyé une

bonne occasion de se delivrer de son moyne. par-

quoy tout joyeux, il vient aufumier descouvrir le

sac, duquel tirant le lard, il y fourre son moyne d-

dans : accoustrant le fumier comme il l’avoit trou-

vé. Ce fait il s’achemine vers sa maison : où d’ennuy

& de crainte, sa femme ne s’estoit peu tenir. Laquel-

le voyant Hue revenir chargé, disoit en soymesme :

Helas nous sommes morts, je croy que cest homme

est enragé de rapporter ce moyne : mon dieu que

ferons nous ! Quand voyci Hue, qui en riant luy

dit, M’amie nostre bien va en croissant, j’ay changé

le moyne à tant de lard, que nous ne le sçaurions

manger d’ici à la saint Denus : serrons-le, & puis al-

lons dormir. L’angoisse de la dame changee en joye

soudaine, ils s’en retournent en leur lict plus contens

que devant. Durant cela les larrons venus à la taverne,

s’estans fait tirer à boire dirent à l’hoste, que s’il vou-

loit achepter du lard, il pourroit assez gaigner avec

eux. Le tarvernier respond, qu’il n’avoit pas accou-

stumé d’achepter chat en poche : qu’ils l’allassent

querre, & puis ils asseureroyent leur marché. Les lar-

rons dirent que c’estoit raison : & retournans au

fumier, ils prennent le sac & l’emportent à la taverne.

Mais comme ils l’eussent deslié, l’hoste n’eut pas si

tost apperceu la teste du moyne, qu’il le cogneut : &

criant apres eux, qu’ils l’avoyent tué, & falloit aller

querir ses parens : ils le prient se taire, disans qu’ils

sçavoyent bien où ils l’avoyent pris, & ne falloit

que le reporter au lieu mesme, sans en faire plus

grand buit. Allez, dit l’hoste, à tous les diables, avec

177

vostre moyne. Ainsi donc les larrons bienestonnez,

reprennent leur sac se plaignans de leur fortune :

& disans l’un à l’autre, Compaignon te sembloit-il

advis, que ce fust lard ou moyne que nous prismes ?

Par Dieu il n’y a homme qui voyant la gresse, n’eust

jugé que ce fust un pourceau. Comment donc s’est

il changé ? En disant cela, & s’esmerveillans d’une si

estrange mutation, ils arrivent chez le boulanger :

là où remontans au pignon, par lequel ils estoyent

entrez, ils rependent le moyne au lieu du lard. D’au-

tre part, Thomas approchant le jour appelle Robin

son garçon, & crie qu’il se leve pour porter son bled

au moulin : luy reprochantque c’estoit grand’

honte de dormir si tard. Robin esveillé en sursaut,

dit qu’il n’ira ja dehors, qu’il n’aye à desjeuner. Pren

(dit la femme du boulanger) du pain plus que tu

n’as encores faict. Par Dieu (dit-il) je n’iray ja, si je

n’ay une charbonnee du pourceau. Et comment

en prendras-tu à ceste heure ? respond la femme : je

t’en donnerois volontiers, si on la pouvoit lever

sans gaster & empirer la vente. Laissez moy faire

(dit Robin) j’en prendray si bien qu’il ne perra que

couteau y aye touché. La dame voyant qu’il ne se

pouvoit appaiser, luy donne congé de prendre ce

qu’il voudra : & Robin va querir une eschelle, qu’il

appuie contre le sac : puis montant amont avec son

couteau au poing, en voulant prendre de l’autre

main le sac mal accroché, Robin, le sac & l’eschelle

tomberent tous ensemble, avec si grand bruit que

le boulanger & sa femme pensans qu’il se fust blessé,

crierent, Robin qu’est-ce la ? t’es tu fait mal ? Non mai-

178

stre, repsondit-il : car je suis tombé sus le lard : mal-

encontre ait celuy qui l’attacha. Ce pendant la bou-

langere ayant allumé de la chandelle, & son mary

s’estan[t au]ssi levé, voyent la teste du moyne passant

hors le sac : pour autant que la corde qui le tenoit

lié, s’estoit rompue en tombant. De quoy tous eston-

nez, & la femme pleurant de crainte : Thomas plus

asseuré, dit qu’il falloit trouver moyen de l’oster de

là : & commande à Robin aller querir son poulain

farouche. Auquel ayant mis le frein & une selle

sus le dos, il lie le moyne dessus si bien qu’il ne pou-

voit cheoir. Puis luy ayant aussi attaché une lance

soubs l’aisselle, & mis des esperons aux talons, il con-

duit le poulain en la rue. Lequel se sentant piquer

aux flancs, prend le galop : & trouvant la grand’

porte de l’Abbaye ouverte, se jetta dedans. D’aven)

ture il y avoit quelques moyenes en la cour : lesquels

voyans ce cheval chargé du corps du Secretain,

equipé comme le boulanger avoit voulu, pensans

que ce fust quelque malin esprit qui le tint, s’enfui-

rent fermans leurs portes en grand’haste. Et le pou-

lain courant tousjours, vint rompre contre u

mur la lance attachee soubs l’aisselle du moyne.

Or l’Abbé desirant faire un puis au millieu de la

cour, avoit fait fouiller un trou si profond, que

desesperant d’y trouver de l’eau, il estoit resolu de

faire cesser l’ouvrage : duquel le poulain en gam-

badant approcha si pres, que la terre luy faillant

soubs les pieds, il trebuscha dedans avec sa char-

ge, en la presence d’aucuns moynes. Lesquels en

grande joye, firent sonner les cloches, pour re-

179

mercier Dieu, de ce qu’il les avoit delivrez de l’en-

nemi. Et commanderent par le bourg que chacun

vint aider à remplir le trou du puis : oublians la per-

te de leur frere & de leurs biens, pour la grande

frayeur qu’ils avoyent euë, pensans que ce fust l’a-

me du Secretain.

RENAULT D’AUDON. XC.

REnault d’Audon a faict une Sature contre tous estats.

GUIART. XCI.

GUiart a faict un art d’amours, auquel il instruit

un homme comme il se doit porter pour par-

venir à ses atteintes, & puis d’en desfaire. Entre au-

tres choses il a pris ces deux vers d’Ovide de Reme-

dio Amoris,

« Au matin va la voir ains qu’elle soit levee,

« Ne que de son fardet soit oingte ne fardee.

Car ce n’est pas d’aujourdhuy qu’elles s’en aident

en France.

GARIN. XCII.

GArin a faict un fabliau, intitulé le Chevalier

qui faisoit parles les devans & derrieres des

femmes. Il dit,

« Fabliaux sont or moult en corse :

« Maint deniers en ont en borse,

« Cil qui les content & les portent.

« Car grant confortement enportent,

« As 1envoisiez & as oiseux :

« Quant il n’i a gens trop noiseux.

« 2Neis à ceux qui sont plains d’ire,

« Quant ils oient bons fabliaux lire,

180

« Si lor fait moult grand alleiance,

« Et oublier deuil & pesence,

« Et mauvaistié & pensement,

« Ce ditGarin qui pas ne ment.

C’est un conte de lourde mensonge, & dont je fay

mention seulement pour monstrer à quoy de ce

temps-la on prenoit plaisir, & quelles iventions

estoyent estimees, & plus agreables.

ROIX DE CAMBRAY. XCIII.

ROix de Cambray, je pense que ce nom monstre qu’il

fut un Roy d’armes, ou Herault. Il a fait une sa-

tyre contre les ordres Monastiques, commençant,

« Se li Roix de Cambray vëist

« Le siegle si bon comme il fist.

Il a aussi un opuscule intitulé A.B.C. par tiltre,

commençant

« Je vous dy bien en parchemin. & à la fin,

« Cil qui a nom Roix de Cambray

« De tel sens & de si verai

« Com il puet en son cuer trouver,

« I voult son enfin esprouver.

GIRARDINS D’AMIENS. XCIIII.

GIrardins d’Amiens a fait un Romans, intitulé

Meliadius, qu’il ryma au recit d’une grand’ da-

me : laquelle luy donna le subject. Il dit de soy,

« Girardins d’Amiens qui plus n’a

« Oi de cet conte retraire,

« Ni voët pas mensonges atraire,

« Ne chose dont il fu repris.

« Ainsi com a la conte apris,

« L’a rymé au mieux qu’il avoit.

181

HUES PIANCELLES. XCV.

HUes Piancelles a fait le fabel de sire Hains &

dame Avieuse sa femme : qui se combatirent

à qui porteroit les braies. mais la dame fut contrain-

te les quicter, non par faulte de courage : ains pour-

ce qu’au combat en reculant elle tomba dans un

tonneau à gueule bee, la teste la premiere, ayant

les jambes en hault : de sorte qu’elle ne se peut rele-

ver. Estant par ceste infortune contrainte de se ren-

dre & confesser vaincue. L’autheur dit de soy,

« Hues Piancelles qui trova

« Cil fabel, par raison prova

« Que cil qui a femme 1rubeste

« Est garnis de mauvaise beste.

JEHAN BODEL. XCVI.

JEhans Bodel fut d’Arras, & a fait un petit œu-

vre en forme d’Adieux, auquel il nomme plusieurs

bourgeois & autres de ceste ville.

JEHAN DU CHASTELET. XCVII.

JEhan du Chastelet a mis les dits moraux de Caton

en vers assez bons. Il dit au commencement,

« Seignor vous qui mettez vos cures

« En fables & en adventures. &c.

« Ce dit Jehans du Chastelet

« Qui nous commence cest Romans

« De Caton & de ses commens.

HUES DE CAMBRAY. XCVIII.

HUes de Cambray a fait le fabliau, intitulé La ma-

le honte : qui est une moquerie faitte contre

Henry Roy d’Angleterre : & dit de son ouvrage,

« Hue de Cambray conte & dit

184

fait plus pour luy que luy pour elle, d’ainsi l’accor-

der. En la II. il demande au moyne d’Arras (ce peut

estre Moniot d’Arras nommé ci dessus) Si apres

avoir couché avec s’amie, on est moins surpris d’a-

mour que devant.

ADAM DE GUIENCI. CV.

ADam de Guienci demande à maistre Guil-

leaume le Viniers : Lequel vaut mieux avoir

joye qui doive bien tost faillir, ou haut espoir sans

jouissance. Ce jeu est renvoyé à Pierre de Corbie :

qui pourroit estre le viellars (c’est à dire le veil-

leur) de Corbie, nommé ci devant.

ANDRIEU. CVI.

ANdrieu fait une telledemande : Un faux amant

faulsement prie : une qui faulsement octroye :

lequel doit estre plus blasmé, ou il, ou elle.

Sire JEHAN BRETEL OU BRETIAUX.

CVII.

SIre Jehan Bretel, ou Bretiaux, fut grand maistre

de jeux partis : c’est à dire de damandes, lesquel-

les il est loysible de disputer probablement pour &

contre. Car encores disons nous communément,

Je vous fay ce parti. Ces demandes joyeuses ser-

voyent à faire passer le temps aux compaignies hon-

nestes : & je trouve que tel esbat a esté longuement

pratiqué en France. Car Raoul de Houdanc en fait

mention au Romans de Meraugis de Portesguez.

« Un gieu vous part que volez faire

« Se volez miex trancer que taire,

« Vez moy tot prest de tencier.

Ce Bretel a vescu du temps de S. Louis : & se trouvent

185

de luy plus de cnahsons en jeux partis, que de nul

autre que je sçache.

Par sa I. il demande à Vreivilier, S’il advenoit qu’il

fust en lieu secret avec s’amie à son gré, lequel luy

conviendroit mieux, d’aller vers elle & la baiser à

son gré une fois sans plus : ou bien qu’elle vint à luy,

les bras tendus pour le baiser, mais avantqu’elle

peust le joindre, il fallust qu’elle s’enfuist de là.

Par la II. il demande à Lambert Ferris : Lequel

vault mieux, planté de joye à son aise, dix fois l’an

seulement sans peine & sans ahan : ou en peril à

grand’peine, trois fois la sepmaine.

Par la III. il demande au mesme Ferris : Une dame

est bien aimee, & aime bien aussi : mais leur amour

en est venue là, qu’il faut que l’amant prenne fem-

me autre que s’amie : ou s’en voise en Pouille, à la

croisage preschee contre Manfroy : & de ces deux

partis, s’amie a le choix. Ce seul trait suffit pour

cognoistre non seulement le temps qu’a vescu

Bretel, mais encores tous ceux à qui il escrit, & fait

des demandes. Or Manfroy fut combatu & tué par

Charles duc d’Anjou frere de saint Louis, l’an

1264.

Par la IIII. il demande à un Gadifer : S’il avoit

mis son cœur à une jolie damoiselle, & il l’aimast

bien : lequel il voudroit mieux, qu’elle fust mariee,

ou trespassee.

Par la V. il demande à Cuveliers, S’il advenoit

qu’il aimast une dame belle & sage, & un autre l’ai-

mast autant que luy : lequel il voudroit, que tous

deux faillissent à son amour sans espoir de recou-

186

vrer : ou que l’un & l’autre en eust ce qu’il desireroit.

Par la VI. il propose ceste question à Ferris : Ils

snt deux loyaux amans, dont l’un jouit de sa dame,

& l’autre n’a aucun bien de la sienne. Or les dames

se son si mal portees, que l’une & l’autre s’est aban-

donnee à autruy. Lequel des deux amans, se doit le

plus plaindre : & des dames laquelle a le plus failli.

Par la VII. il demande à Ferris, S’il aimoit une da-

moyselle, & fust asseuré que jamais il ne jouiroit

d’elle : auroit il bien volonté qu’un de ses com-

paignons en jouist : & qu’elle se tint à cestuy-la.

Par la VIII. il demande à Greivillier, Laquelle est

miex asseuree, pour avoir le cœur joyeux, celle

qui a un ami hardi en amours : ou celle duquel l’ami

est loyal, mais douteux & craintif. Lequel vaut

mieux.

Par la IX. il demande au mesme : Deux dames ont

donné assignation à leurs amis, dont l’un est nou-

veau en amours & puceau : l’autre sçait assez du sie-

cle (c’est à dire du monde) lequel des deux amans

doit avoir plus grand’joye.

Par la X. il demande à Audrfroy, Si quelcun pou-

voit par droit raison conquester l’amour de s’a-

mie : s’il feroit bien ou mal, sens ou folie.

Par la XI. il demande au mesme : Il aime loyau-

ment, aussi est-il aimé de mesme : toutesfois il ne

peut trouver moyen de baiser, au faire d’avan-

taige, s’il ne se eut mesfaire. S’il passera outre.

Par la XII. il demande à Cuvelliers : Lequel doit

mieux avoir joye, ou celuy qui aime en bon e-

spoir, & tousjours prie d’avoir mercy, mais il est ni-

187

ce & peu celant : ou le sage peu parlant, & qui veut

que sa dame croye qu’il l’aime, parce qu’il est bien

celant. Il fait juges Gillot le Petit, & Baudescot li

Marchans.

Par la XIII. il demande au mesme, Lequel il ai-

meroit mieux, s’il avoit belle dame & sage, & il eust

conquise s’amour de son sens, sans autre pour-

voyance, à grand’ peine au bout d’un an : ou au

bout d’un mois.

Par la XIIII. il demande à Adam le Bossu : il mar-

chanda tant une dame, qu’à la fin elle luy octroya

qu’elle l’aimeroit : mais il n’y a en elle foy ne loyau-

té, pource que chacun la gaigne à son tour. Sçavoir

s’il a perdu ou gaigné.

Par la XV. il demande au Thresorier de l’Isle & à

Cuvelliers (qu’il dit estre de mesme mestier, que

luy & Lambert Ferris) Lequel a plus de jalousie &

drüerie en son cœur : ou dame qui son mary voit

aimer autre qu’elle : ou homme qui voit sa femme

accointer autre que luy. Il fait juges de ceste de-

mande Robert le Clerc & Pierre Wion.

Par la XVI. il demande à Greivillier : Lequel il vou-

droit mieux, estre aimé d’une dame sage & sei-

gneuriale : ou de deux sages & seigneuriales.

Par la XVII. il demande au mesme : Quand est-ce

que l’amant a plus de seigneurie (je croy contente-

ment) ou quand il se souvient du plaisir qu’il a eu,

ou à ce poinct qu’il prend son deduit.

Par la XVIII. il demande à Gadifer : S’il estoit bien

aimé, & aimast bien aussi, lequel il voudroit mieux

ouir dire du bien de s’amie, & lequel il n’y trouve-

188

roit mie : ou du mal qui n’y seroit pas.

Par la XIX. il demande à Greivillier : Lequel des

deux maris a plus de tourment, ou celuy qui pense

que sa femme aime, & ne sçait rien qu’elle soit ai-

mee : ou cil qui sçait que sa femme a aimé, mais son

ami apres en avoir faict sa volonté la forjuree : & est

seur que jamais n’y reviendra.

Par la xx. il demande 0 Cuveliers : Lequel fait plus à

priser : Celuy qui jamais n’aima par amours, ou cil

qui aime par tricherie, & tousjours a aimé sans foy

& sans loyauté. Il en fait juge la damoiselle Orude.

Par la XXI. adressee au mesme, il luy demande : Un

autre homme a prié d’amours sa damme, mais elle l’a

esconduit, & s’en defend bien : lequel fait elle mieux,

de celer cestre priere, ou la descouvrir à son ami.

Par la XXII. il demande au mesme : Pourquoy on

refuse en amour ceux qui ont de l’aage, & les jeu-

nes garçons sont aimez & conjouis des dames.

« Si que li bon, li sage, li celant,

« Sont mis arrier, & li novice avant.

Par la XXIII. il demande au mesme : Deux da-

mes avoyent un homme de foy : l’une, apres longue

priere luy octroya sa requeste, & l’autre aussi : mais

sans ennuy. Laquelle doit-il mieux servir.

Par la XXIIII. il demande au mesme : Lequel fait

plus à blasmer, ou celuy que lon oit vanter qu’il a

jouy de sa dame : ou le vanteur qui a failli à avoir

joye.

Par la XXV. il demande au mesme : S’il aimoit

loyaument, & on l’aimast aussi : lequel il voudroit

mieux que sa fame fust belle suffisamment & tres-

189

sage : ou belle desmesurément & sage raisonna-

blement.

Par la XXVI. illuy demande encores : S’il avoit

espousee femme qu’il aimast bien, & elle luy : s’il

voudroit encor avoir amie, de laquelle il fust bien

asseuré d’estre semblablement bien aimé.

Par la XXVII. il demande à Lambert Ferris : S’il

aimeroit mieux que s’amie (qu’il a à Abeville) fust

morte ou perie : ou qu’elle eust fait la folie avec une

vaillant homme, & elle s’en repentis.

Par la XXVIII. damande à Greivillier : Lequel a

plus d’advantage, celuy qui jouit de sa dame par

grandeur, dont tout le monde s’apperçoit : ou ce-

luy qui n’a que le devis, sans qu’on s’en apperçoive.

Par la XXIX. demande à Perrot de Nesle : S’il ai-

moit une dame, & elle le priast qu’il souffrist qu’el-

le peust aimer un autre l’espace d’un an, & luy jurast

que l’an passé il seroit aimé : s’il le souffriroit.

Par la XXX. demande à Greivillier : Deux Dames

sont d’une sens, d’une valleur, & beauté : l’une aime,

est aimee, & a aimé : l’autre n’a point d’amour : Ou a

plus belles 1maistrie, ou à conquerre celle qui bien

aime, & a ami : ou l’autre qui oncq ne sceut aimer.

Par la XXXI. demande à Jehan Simon : Lequel

fit mieux, celuy qui dés l’aage de quinze ans aima

jusques à cinquante, puis se lassa saint & haitiez : ou

celuy en ayant quarante & plus sans avoir aimé, ai-

ma tant qu’il peut.

Par la XXXII. demande à Greivillier : Lequel vaut

mieux qu’un ami pour eviter noise & bataille faille

 à sa joye, de peur qu’on s’apperçoive de la jouis-

190

sance de ses amours : ou qu’il jouisse, & que lon s’en

apperçoive, tant que sa dame en aye mechef.

Par la XXXIII. demande au mesme : Une dame

a esté si cruelle, qu’elle a tousjours esconduit son

amy. Et on tellement perseveré l’un à prier, & l’au-

tre refuser, que tous deux sont hors le temps de leur

jeunesse, & que nature leur defend d’aimer. Tou-

tefois la dame aimeroit bien maintenant, si l’amant

vouloit. Sçavoir s’il doit y entendre.

Par la XXXIIII. il demande à Robert du Castel,

à ceste heure qu’il est marié, lequel vaut mieux, Gran-

de planté d’amie (c’est à dire, jouir à toutes heures

comme peut faire le mary de sa femme) ou poi de

deduit avoir.

Par la XXXV. il demande à Ferris, Lequel doit a-

voir volonté de faire plus grand 1vasselage : ou celuy

qui sert en espoir d’avoir le souverain advantage

d’amour : ou celuy qui jouit.

Par la XXXVI. demande à Greivillier : Deux amans

prient souvent une dame : mais l’un est tousjours

esconduit sus l’heure : & à l’autre elle ne l’esconduit

ne luy octroye : mais quand ils reviennent, elle fait

meilleur visage à celuy qu’elle esconduit soudaint :

lequel doit avoir meilleure esperance.

Par la XXXVII. il demande au mesme : Deux da-

mes font semblant d’aimer deux amans : l’un veut

sans delay aller jouster à Gant, & sa dame luy defend.

L’autre prie le sien d’y aller : & combien qu’il n’en

aye volonté, toutefois il y va : lequel aime le plus

cordialement.

191

NAPOLIS. CVIII.

NApolis fut aussi un maistre de jeux partis : il de-

mande à Greivillier : Lequel il aimeroit mieux

jouir de s’amie en dormant, qu’un jour seul en sa

vie la tenir à son commandement. Il fait juge un

nommé Bercelains.

GOMARS DE VILLIERS. CIX.

GOmars, Gamars de Villiers, dit à Cuveliers

qu’il aime la femme à un Chevalier, & elle luy :

toutefois il est tellement son ami, qu’il ne voudroit

le fascher. S’il doit perdre l’amitié du Chevalier. Il

fait juge la dame de Foulenchamp, avec Guillart.

« De cui mesgnie estoit Gamart.

GREIVILLIER. CX.

GReivillier fut grand ami de Bretel, & fort son

familier : ainsi que nous avons veu par tant de

demandes qu’il luy a addressees. Cela me fait juger

qu’il s’en mesloit aussi, pour le moins avons nous

de luy cinq chansons de jeu party.

Par la I. il demande à Bretel : S’il tenoit sa dame en

lieu secret à sa jouissance : qui le grieveroit plus s’il

la voyoit triste, de ce qu’elle l’aimast tant : ou de ce

qu’elle regretast un ami qu’elle auroit autrefois eu.

Il fait juge Dragons & Audefroy.

Par la II. encores à luy addressee, il demande :

Quand est-ce que l’amant a plus de contentement : ou

au souvenir de son plaisir, ou durant le plaisir mesme.

Par la III. il luy demande : De deux amans l’un

est jaloux sans cause, & l’autre est deceu par sa da-

me : car pensant estre aimé, s’amie le trompe. Le-

quel aime le mieux.

192

Par la IIII. il demande au mesme : Il a aimé une

dame qui jamais ne tint compte de luy, mainte-

nant une autre le prie d’estre s’amie : s’il la doit pren-

dre, ou attendre que l’autre aye pitié de luy.

Par la V. & derniere addressee au mesme Bretel, il

luy demande : Lequel estat rend les amans plus gais

& jolis, ou quand il sont poursuyvans en esperan-

ce de jouir, ou quand ils jouissent.

ROBINS DE COMPIEGNE. CXI.

RObins de Compiegne, demande à Bretel : S’il

doit aimer une dame, que son compagnon

(qui est allé dehors) luy a baillee en garde : & s’il

doit souffrir le mal qu’il en endure, par faute de

luy decrouvrir.

PERROT DE NEESLE. CXII.

PErrot de Neesle demande à Bretel, lequel il ai-

meroit mieux, accomplir son desir de sa da-

me vestue d’une robe de drap d’or : ou estre dans

un lict avec elle nud à nud, couverts de deux sacs.

Damoiselle SAINTE DES PREZ. CXIII.

DAmoyselle Sainte des Prez, demande à la da-

me de la Chaucie : lequel pour son plus grand

honneur elle doit faire, ou esconduire celuy qui

la prie avant qu’il parle : ou le laisser dire tout ce

qu’il voudra.

GIRARD DE BOULOIGNE. CXIIII.

GIrard de Bouloigne demande à Bretel : Une da-

me que vous aimez bien, est en tel parti qu’il

luy convient mourir, ou partir de vous pour ai-

mer un autre : si vous l’endureriez, ou la lairriez

mourir.

193

HUE LI MARONNIERS. CXV.

HUe li Maronniers (qui peut estre celuy qu’on

appeloit le marinier d’Amours) demande à

Simon d’Athies, lequel employe mieux son temps,

celuy qui aime une belle & sage dame sans guer)

don, mais en espoir de l’avoir : ou celuy qui aime

une dame pauvre & nie, mais de laquelle il jouit.

Par la II. il demande au mesme d’Athies : Lequel

il aimeroit mieux, que sa femme sceust qu’il la fist

wihote, & elle en fust jalouse : ou elle le fist wihot,

& il n’en sceust rien. Ce mot de wihot duquel u-

sent encores les haults Picards, pour signifier Co-

cu : me fait penser que la plus part de ces au-

theurs de jeux partis, furent de ces quartiers,

ou voisins. Tant y a que tous ceux que j’ay nom-

mez depuis Thiebault Roy de Navarre, semblent

avoir eu la vogue depuis l’an M. CCXXX. jusques

en l’an M. CCLX. & quelque peu d’avantage. Car

les Chansons, les Fabliaux, & les Jeux partis d’A-

mours, font mention des seigneurs vivans de ce

temps-la. Et la III. demande de Bretel, parlant

de la Croisafe, preschee contre Manfroy (usurpa-

teur de Sicile, tué comme j’ay dit, l’an M. CCLXIIII)

monstre le temps que luy, Greivillier, Ferris, Cu-

veliers, Perrot de Neesle, Robert du Castel, & au-

tres cy dessus nommez, ont vescu. Mais il est bien

plus aisé de dire le temps de ceux qui suivent.

Li ROIX ADENEZ. CXXI.

LI Roix Adenez vesquit du temps de Philippes

III. Roy de France, fils de S. Louis. Car il dit

qu’il fut menestrel de Henry Duc de Braban, qui

194

mourut environ 1260. Lequel prince (ainsi que con-

fesse ledit Adenez) luy fit apprendre son mestier (je

croy de sonner des instruments) & rymer, auquel

il profita : mettant en ryme plusieurs faits & gestes

d’anciens chevaliers, renommez pour leur vaillance.

Car au commencement du Romans de Cleomadez, il dit :

« Je qui fis d’Ogier le Danois,

« Et de Berrain qui fut 1u bois,

« Et de Buenon de Commarchis,

« Ai un autre livre raemplis

« Moult merveilleux & moult divers.

Ce Romans de Cleomadez est bien poursuivi en

son recit : & se voit plein de belles comparaisons.

Aussi luy fut il compté ou dicté (ainsi qu’il dit) par

Marie Royne de France, fille dudit duc de Braban :

& femme en secondes nopces du dessusdit Roy Phi-

lippe, qui l’espousa l’an M. CCLXXII. Estant ceste

Royne aidee à dicter ce Romans, par une autre

grande dame nommee Blanche. Lesquelles Adenez

prtestant ne vouloir point nommer, descouvre

assez grossierement en un endroit où les lettres ca-

pitales de certains vers, sont celles de leurs noms.

On peult dire de luy, qu’il fut facile rymeur, au-

tant qu’autre de son temps : mais il est fascheux en

repetitions. Je n’ay veu de luy que le Romans de

Cleomadez, & la moitié de celuy de Bertain,

qui n’est tel queCleomadez ; Je croy que le nom

de Roy luy a esté donné, ou pource qu’il fut chef

de Menestriez, ou que possible il faut Heraut & Roy

d’armes, du duc son maistre. A la fin du Romans de

Cleomadez, il addresse & presente son livre au Conte

195

d’Artois, que je pense estre Robert tué à Courtray

l’an 1302. fils de celuy qui fut aussi tué à la Massourre

en Egypte.

GUILLAUME DE LA VILLENUEVE. CXVII.

GUillaume de la Villenueuve a faict les cris qui

de son temps se crioyent par les rues de Paris,

en bien plus petit nombre qu’aujourdhuy, & di-

vers : entre autres il dit, veez ci cresson orlenois, &c.

que lon appelle communément Alenois. Il monstre

qu’il y avoit plus d’ordres de mendians, car il dit :

« Du pain aus sacs, pain au Barrez,

« Aus pauvresprisons enserrez,

« A cels du val des scoliers,

« Les filles dieu sevent bien dire

« Dup ain por Dieu nostre sire.

Il se plaint de sa pauvreté, disant :

 « Un nouviau dit ici nos treuve

« Guilleaume de la Villenueve,

« Puis que pauvretez le justice. c’est à dire, me-

straye.

HUON LE ROY. CXVIII.

HUon le Roy a faict le Lai du vair pallefroy, qui

amena à un gentilhomme de Champagne nom

Guillaume s’amie fiancee à un autre contre son vouloir.

« En ce lai du vair pallefroi

« Oirrez le sens Huon le Roi,

« Il veut de ses dis desploier, &c. commence,

« Pour remembrer & por retrere

« Les biens qu’en puet de fame trere,

« Et la douçor & la franchise

196

« Est cete œuvre en escrit mise.

RICHART DE L’ISLE. CXIX.

RIchart de l’Isle a faict le fabel de Honte & de

Puterie, lesquelles ayans eu debat, & Honte ne

voulant suivre Puterie fut jettee par elle du grand

point de Paris (c’est celuy des Changeurs) en la rivie-

re de Seine, & noyee. L’autheur donc se plaint, à

Paris Que honte est & morte & noyee,

« Et puterie ert essauciee.

Il commence assez bien :

« Li cuers qui se veut consentir

« Par semblant de 1voir à mentir,

« Convient qu’il ait sens & matire

« A sa mensonge & à sa guille,

« Mes tant vos dit Richart de l’Isle, &c.

Maistre JEHAN DE BOUES. CXX.

MAistre Jehan de Bouës fut estimé bon trou-

veur de fabliaux, car au fabel des deux che-

vaux l’autheur le nomme comme grand maistre,

« D’un aure fabel s’entremet

« Qu’il ne cuida ja entreprendre,

« Ne por mestre Jehan reprendre

« De Bouës qui dit bien & bel.

ADAM LE BOÇU. CXXI.

ADam le Boçu fut d’Arras, & a composé un pe-

tit œuvre, intitulé le Jeu. Il semble qu’ayant

aimé les femmes, & se trouvant deveu d’une il se fit

clerc, car il dit :

« Seignor savez porquoy j’ai mon habit changié,

« J’ai esté ovoec fame, or revois au clergié.

Je croy qu’il se retira à Vaucelles. C’est à luy a qui

197

Jehan Bretel adresse la 14. chanson du Jeuparti. Il

dit en son Jeu comme par dialogue :

« Onques d’Arras bon clerc n’issi. Puis il respond :

« N’est mie Riquiers d’Amiens,

« Bon clers & soutiex en son livre.

GAULTIER DE BELLEPERCHE. CXXII.

GAultier de Belleperche Arbalstrier, ou Gaul-

tier Arbalestrier de Belleperche, commença

le Romans de Judas Machabee, qu’il poursuivit

jusques à sa mort.

PIEROS DU RIEZ. CXIII.

PIerre du Riez le continua jusques à la fin. car

il dit :

« Cit Romans que nos fit Gautiers

« De Belle perche arbalestriers.

« Que ce nos livres fin,

« Gautier ne le parfina. &c.

« Que se Gautier le commencha,

« Pieros du Riez des lors en cha,

« Remit au parfaire son us. &c.

« Mil deux cens & quatre vingts,

« De ce me face dtois devins,

« Fu lors pratrouvez cis Romans,

« Temoin les ekevins dormans.

Tous ces mots sentent leur Picard : toutesfois je

n’ose rien asseurer, n’ayant autres tesmoignages

que les escrits de ces autheurs.

JAQUEMARS GIELEE. CXXIIII.

JAquemars Gielee fut habitant de l’isle en Flan-

dres, & composa le Romans du nouveau Re-

gnard, qui est une satyre contre toutes sortes de

198

gens : Rois, Princes, & d’autres vocations : principal-

lement escclesiastiques. Il se nomme à la fin de son

livre, & dit,

« Jamais n’en y ert Renars mis jus :

« Se diex nel fet, qui 1maint la sus.

« Ce nos dit Jaquemars Gielee.

le temps de la composition du livre est apres escrit.

« La figure est fin de no livre :

« Veoir la poez à delivre,

« Plus n’en feray o mention.

« En lan de l’incarnation

« Mi & dos cens & quatre vings

« Et dix, du ci faite la fins

« De ceste branche, en une ville,

« Qu’on appelle en Flandres l’Isle,

« Et parfaite le jour saint Denis.

Ceste figure derniere : est une grande roue maniee

par Fortune. Sus le haut de laquelle siet maistre

Renard : adextré d’O[r]g[u]eil : & a senestre de dame

Guille : qui l’asseurent que jamais ne cherra, auant

pour conseillers deux sortes de gens de religion,

lors fort haïs & mal voulus, pour les entreprises

qu’ils faisoyent sus toutes sortes d’estats.

Maistre GUILLEAUME DE LORRIS. CXXV.

MAistre Guilleaume de Lorris eut peu estre mis

avant sept ou huit de ces derniers, n’eust

esté qu’il se trouve joint de composition, avec

maistre Jehan de Maung. Ce Guilleaume de Lorris

fut tresbon poete : & lequel amoureux d’une dame,

composa le livre intitulé le Romans de la Rose, con-

tenant en somme les commandemens d’Amour,

199

pour parvenir à jouissance : imitant Ovide (ainsi

que je croy) en l’art d’aimer : & duquel ces deux, ont

pris la plus part de leur matiere : y meslant de la Phi-

losophie morale. Il nomma son livre Romans de

la Rose : ainsi qu’il dit par ces vers,

« Et se nul ou nule demande,

« Comme je veuil que ce Romans

« Soit apellé que je commens :

« Ce est le Romans de la Rose,

« Où l’art d’amours est toute enclose.

Quant à sa dame, il ne la nomme point : ne le lieu

de sa nativité : mais il est croyable, qu’il la sur nom-

mee Rose : ainsi que luy mesme tesmoigne disant,

« C’est celle qui a tant de pris,

« Et tant est digne d’este amee :

« Qu’el doit estre Rose clamee.

Il fut du temps de saint Louis : & vesquit jusques

environ l’an M. CCLX. peu plus, ou moins : ainsi que

je monstrerau tantost. Et mourut laissant son livre

imparfait : comme il se peut clairement compren-

dre par ces vers de la harangue qu’Amour fait à ses

Barons : disant, Car pour ma grace deservir,

« Doit il commencer le Romans,

« Où seront mis tuit mi commens.

« Et jusques la le fournira,

« Où il à Belacoeuil dira. &c.

« Moult sui durement esmaiez,

« Que entroublié ne m’aiez :

« Si en ai deuil & deconfort

« Jamais n’iert rien qui me confort

« Si je pers vostre bien veillance

200

« Que je n’ay mes ailleurs fiance.

On ne peult à la verité, asseurer en quel temps il

nasquit ou mourut : & encores moins dire, de quel

estat il estoit. Sinon qu’il est croyable, qu’il fut estu-

diant en Droit, pour ce qu’en un endroit il a laissé

ses vers.

« Ainsi nos dit Justiniens

« Qui fit nos livres anciens.

Maistre JEHAN CLOPINEL dict DE
MEUNG. CXXVI.

IL est bien plus aisé à descouvrir le temps de mai-

stre Jeha, Clopinel (c’est à dire boiteux, & dont

vient esclopé, celuy qui en allant traine sa jambe)

dit de Meung, à cause qu’il nasquit en ceste villette

assize sus la riviere de Loire, quatre lieues sous Or-

leans. Au commencement du livre de la Consola-

tion, fait en Latin par Boece, & par luy mis en Fran-

« çois, il dit le temps qu’il a vescu : A ta Royale mage-

« sté, tresnoble Prince, par la grace de Dieu Roy des

« François, Philippes le quart, je Jehan de Meung, qui

« jadis au Romans de la Roze, puis que Jalousie ot

« mis en prison Belaccueil, enseigné la maniere du

« Chastel prendre, & de la Rose cueillir : & translaté

« De latin en François, le livre de Vegece de Cheva-

« lerie : & le livre des merveilles de Hirlande : & le

« livre des epistres de Pierre Abeillard & Helois sa

« femme : & le livre de Aelred, de spirituelle ami-

« tié : envoye ores Boece de Consolation, que j’ay

« translaté en François : jaçoit ce que entendez bien

« Latin. Ce qui monstre en partie, & le temps auquel

de Meung a vescu, & comme nos Rois on est écu-

Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

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