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1542- Histoyre du grand geant Gargantua (François Rabelais) (251-284)

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Comment Garnatua fist bastier pour le Moyne l’abbaye de Theleme. Chapitre. l.

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REstoit seulement le Moyne à pourvoir. Lequel Gargantua vouloit faire abbe de Seville : mais il le refusa. Il luy voulut donner l’abbaye de Bourgueil, ou de sainct Florent, laquelle myeukx luy duiroit, ou toutes deux, s’il les prenoit à gré. Mais le moyne luy fist responce peremptoire, que de Moynes il ne vouloit charge, ny gouvernement : car comment (disoit il) pourroys je gouverner aultruy, qui moymesmes gouverner ne scaurois ?

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S’il vous semble, que je vous aye faict, & que puisse à l’advenir faire service aggreable, oultroyez moy de fonder une abbaye à mon devis. La demande pleut à Gargantua, & offrit tout son pays de Theleme jouste la riviere de Loyre, à deux lieues de la grand’ forest du port Huault. Et requist Gargantua, qu’il instituast sa religion au contraire de toutes aultres.

Premierement doncq’ (dist Gargantua) il n’y fauldra ja bastir murailles au circuit : car toutes aultres abbayes sont fierement murées. Voyre, dist le moyne. Et non sans cause, ou mur y a, & devant, & derriere, y a force murmur, envye, & conspiration mutue.

D’avantaige, veu qu’en certains convents de ce monde est en usance, que si femme aulcune y entre (j’entends des prudes, & pudicques) on nettoye la place, par laquelle elles ont passé, fut ordonné, que si religieux, ou religieuse y entroit par cas fortuit, on nettoiroit curieusement touts les lieux, par lesquelz auroient passé.

Et par ce, que es religions de ce monde tout est compassé, limité, & reiglé par heures, fut decreté, que là ne seroit horologe, ny quadrant aulcun.

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Mais selon les occasion, & opportunités seroient toutes les œuvres dispensées.

Car (disoit Gargantua) la plus vraye perte du temps, qu’il sceust, estoit de compter les heures. Quel bien en vient il ? & la plus grande resverie du monde estoit soy gouverner au son d’une cloche, & non au dicté de bon sens, & entendement.

Item par ce, qu’en icelluy temps on ne mettoit en religion des femmes si non celles, qui estoient borgnes, boyteuses, bossues, laydes, defaictes, folles, insensées, malefices, & tarées : ny les hommes sinon catarrhés, mal nés, niays, & empesche de maison.

A propos (dist le moyne) une femme, qui n’est ny belle, ny bonne, à quoy vault elle ? A mettre en religion, distGargantua. Voyre, dist le moyne, & à faire des chemises. Fut ordonné, que là ne seroient receues sinon les belles, bien formées, & bien naturées : & les beaulx bien formés, & bien naturés. Item par ce, que es couvents des femmes n’etroient les hommes sinon à l’emblée, & clandestinement : fut decreté, que ja ne seroyent là les femmes, au cas que n’y fussent les hommes : ny les hommes, en cas que n’y fussent les femmes. Item par

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cen que tant hommes, que femmes une foys repceues en religion apres l’an de probation estoyent forcés, & astrainctz y demeurer perpetuellement leur vie durante, fut estably, que tant hommes, que femmes là repceuz, sortiroient, quand bon leur sembleroit franchement, & entierement. Item par ce, que ordinairement les religieux faisoient troys voeuz : sçavoir est de chasteté, pauvreté, & obedience, fut constitué, que là honorablement on peulst estre marié, que chasun fust riche, & vesquist en liberté. Au regard de l’eage legitime, les femmes y estoient repceues depuis dix jusques à quinze ans : les hommes depuis douze jusques à dix, & huyct.

Comment fut bastye, & dotée l’abbaye de Thelemite. Chapitre. li.

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[illustration]

Pour le bastiment, & assortiment de l’abbaye Gargantua fist livrer de content vingt, & sept cents mille huyt cents trente, & ung mouton à la grand’ laine, & par chascun an jusques à ce, que le tout fust parfaict, assigna sur la recepte de la Dive seize cents soixante, & neuf mille escuz au soleil, & autant à l’estoille poussiniere.

Pour la fondation, & entretenement d’icelle donna à perpetuité vingt trois cent soixante neuf mille cinq cents quatorze nobles, à la rose de rente fonciere indemnés, amortyz, & solvables par chascun an à la porte de l’abbaye. Et de ce leur passa belles lettres. Le bastiment fut en figure

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exagone en telle façon, que à chascun angle estoit bastie une grosse tour ronde : à la capacité de soixante pas en diametre. Et estoient toutes pareilles en grosseur, & protraict. La riviere de Loyre decoulloit sus l’aspect de Septentrion. Au pied d’icelle estoit une des tours assise, nommée Artice. Et tirant vers Orient estoit une aultre nommée Calaër. L’aultre ensuyvant Anatole. L’aultre apres Mesembrine : l’aultre apres hesperie. La derniere, Cryere. Entre chascune tour estoit espace de troys cent douze pas. Le tout basty à six estages, comprenant les eaues soubs terre pour ung. Le second estoit voulté à la forme d’une anse de panier. Le reste estoit embrunché de guy de Flandres à forme de culz de lampe. Le dessus couvert d’ardoize fine : avec l’endoussure de plomb à figures de petitz manequins, & animaulx bien assortiz, & dorés avec les goutieres, qui yssoient fors la muraille entre les croyzées, poinctes en figure diagonale d’or, & azur, jusques en terre, ou finissoient en grands eschenaulx, qui touts conduisoient en la riviere par dessoubz le logis. Ledict bastiment estoyt cent foys plus magnificque, que n’est Bonivet. Car en celluy estoient neuf mille

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troys cents trente, & deux chambres : chascune garnie de arriere chambre, cabinet, garderobbe, chapelle, & yssue en ung grande salle. Entre chascune tour au millieu dudict corps de logis estoit une viz brizée dedans celluy mesmes corps.

De laquelle les marches estoyent part de Porphyre, part de pierre Numidicque, par de Marbre Serpentin : longues de vingt, & deux piedz : l’espesseur estoit de troys doigtz : assiegées par nombre de douze entre chascun repos. En chascun repos estoyent deux beaulx arceaux d’antique, par lesquelz estoit receue la clarté : & par iceulx on entroit en ung cabinet faict à clere voys de largeur de ladicte viz : & montoit jusques au dessus la couverture, & là finoit en pavillon. Par icelle viz on entroit de chascun costé en une grande salle, & des selles aux chambres.

Depuis la tour Artice jusques à Cryere estoyent les belles grandes librairies en Grec, Latin, Hebrieu, Francoys, Tuscan, & Hespaignol : disparties par les divers estaiges selon iceulx langaiges.

Au millieu estoit une merveilleuse viz, de laquelle l’entrée estoit par le dehors du logis en ung arceau large de six toyses.

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Icelle estoit faicte en telle symmetrie, & capacité, que six hommes d’armes la lance sus la cuisse pouvoyent de fronc ensemble monter jusques au dessus de tout le bastiment.

Depuis la tour Anatole jusques à Mesembrine estoyent belles grendes galeries toutes painctes des antiques prouesses, histoyres, & descriptions de la terre. Au millieu estoit une pareille montée, & porte comme avons dict du costé de la riviere. Sus icelle porte estoit escript en grosses lettres antiques ce, qui sensuyt.

Inscription mise sus la grande porte de Theleme. Chapitre lii.

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CY n’entrez pas Hypocrites bigotz,

Vieulx Matagotz, marmiteuxn borsouflés,

Tordcoulx, badaults plus, que n’estoyent les Gotz,

Ny Ostrogotz, precurseurs des Magotz,

Haires, cagotz, capharts empantouflés.

Gueux mytouflés, frapparts escorniglés,

Befflés, enflés, fagoteurs de tabus :

Tirez ailleurs pour vendre vos abus.

Vos abuz meschants

Rempliroyent mes champs

De meschanceté.

Et par faulseté

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Troubleroyent mes chants,

Vos abus meschants.

Cy n’entrez pas mascheseins practiciens

Clercs, basauchiens mangeurs du populaire.

Officiaulx, scribes, & pharisiens

Juges, anciens, qui les bons parociens

Ainsi que chiens, mettez au capulaire.

Vostre salaire est au patibulaire.

Allez y braire : icy n’est faict exces,

Dont en voz cours on deust mouvoir proces.

Proces, & debatz

Peu font cy d’esbatz,

Ou lon vient s’esbatre.

A vous pour debatre

Soyen en pleins cabatz

Proces, & debatz.

Cy n’entrz pas vous usuriers chichars,

Briffaulx, leschars, qui tousjours amassez.

Grippeminaulx, avalleurs de frimars,

Courbés, camardz, qui ne voz concquemars

De mille marcz jan auriez assez.

Poinct esgassés n’estes, quand cabassez,

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Et entassez poiltrons à chicheface.

La male mort en ce pas vous deface.

Face non humaine

De telz gents, qu’on meine

Raire ailleurs : ceans

Ne seroit feans.

Vuidez ce dommaine

Face non humaine.

Cy n’entrez pas vous rassotés mastins

Soirs, ny matisn, vieulx chagrins, & jaloux.

Ny vous aussi seditieux mutins,

Larvés, lutins, de dangier palatins ;

Grecz, ou Latins : plus à craindre, que Loups :

Ny vous galloux, verollés jusque à l’ouz,

Portez voz loups ailleurs paistre en bonheur :

Croust elevés remplis de deshonneur.

Honneur, los, deduict

Ceans est desduict

Par joyeulx accords.

Touts sont sains au corps.

Par ce bien leur duict

Honneur, los, deduict.

Cy entrez vous, & bien soyez venuz,

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Et parvenuz touts nobles Chevaliers.

Cy est le lieu, ou sont les evenuz

Bien advenuz : affin que entretenuz

Granz, & menuz touts soyez à milliers.

Mes familiers serez, & peculiers

Frisques, galliers, joyeulx, plaisants mignons.

En general touts gentilz compaignons.

Compaignons gentilz

Serains, & subtilz

Hors de vilité :

De civilité

Cy sont les houstilz

Compaignons gentilz

Cy entrez vous, qui le sainct Evangile

En sens agille annoncez, quoy, qu’on gronde.

Ceans aurez ung refuge, & bastille

Contre l’hostille erreur, qui tant postille,

Par son faulx stille empoysonner le monde :

Entrez, qu’on fonde icy la Foy profonde.

Puys, qu’on confonde & par voix, & par rolle

Les ennemys de la saincte parolle.

La parolle saincte.

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Ja ne soit estaincte

En ce lieu tressainct.

Chascun en soit ceinct :

Chascune ayt enceincte

La parolle saincte.

Cy entrez vous Dames de hault paraige

En franc couraige. Entrez y en bon heur.

Fleurs de beaulté à celeste visaige,

A droict corsaige, à maintien prude, & saige.

En ce passaige est le sejour d’honneur.

Le hault Seigneur, qui du lieu fut donner,

Et guerdonneur, pour vous l’a ordonné,

Et pour frayer à tout prou or donné.

Ordonné pardon

Ordonne par don

A cil, qui le donne.

Et tresbien guerdonne

Tout mortel preu d’hom

Or donne par don.

Comment estoit le manoir des Thelemites. Chapitre liii.

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AU millieu de la basse court estoit une fontaine magnificque de beau Alabastre. Au dessus les troys Graces avecques cornes d’abondance. Et gettoyent l’eaue par les mammelles, bouche, oreilles, yeulx, & aultres ouvertures du corps.

Le dedans du logis sus ladicte basse court estoit sus gros polliers de Cassidoine, & Porphyre, à beaulx arcs d’antique. Au dedans de desquelz estoyent belles galeries longues, & amples, aornées de painctures, de cornes de cerfz, & aultres choses spectables. Le logis des Dames comprenoit depuis la tour Artice, jusques à la porte Mesembrine. Les hommes occu

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poyent le reste.

Devant ledict logis des Dames, affin qu’elles eussent l’esbatement, entre les deux premieres tours au dehors estoyent les lices, l’hippodrome, le theatre, & natatoyres, avecq les baings mirificques à triple folier, bien garniz de touts assortiments, & foyson d’eaue de Myrte. Jouxte la riviere estoit le veau Jardin de plaisance. Au millieu d’icelluy le beau Labirynthe. Entre les deux aultres tours estoyent les jeuz de paulme, & de grosse balle. Du costé de la tour Cryere estoit le vergier plein de touts arbres fructiers, toutes ordonnées en ordre quincunce. Au bout estoit le grand parc foysonnant en toute beste saulvaigine.

Entre les tierces tours estoyent les buttes pour l’arquebuze, l’arc, & l’arbaleste. Les offices hors la tour Hesperie à simple estaige. L’escurye au dela des offices.

La faulconnerie au devant d’icelles, gouvernée par asturciers bien experts en l’art.

Et estoyent annuellement fournies par les Candiens, Venitiens, & Sarmates de toutes sortes d’oyseaulx parangons.

Aigles,

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Gerfaulx,

Autours,

Sacres,

Laniers,

Faulcons,

Esparviers,

Esmerillons, & aultres : tant bien faictz, et domesticqués, que partants du chasteau pour s’esbatre es champs prenoient tout ce, que recontroyent. La venerie estoyt ung peu plus loing tyrant vers le parc. Toutes les salles, chambres, & cabinetz estoient tapissés en diverses sortes selon les saisons de l’année.

Tout le pavé estoit couvert de drap verd. Les lictz estoient de broderie.

En chascune arriere chambre estoit ung mirouoir de cristallin enchassé en or fin, au tour garny de perles, & estoit de telle grandeur, qu’il pouvoit vertiablement representer toute la personne.

A l’yssue des salles du logis des dames estoient les parfumeurs, & testoneurs : par les mains desquelz passoient les hommes, quand ilz visitoient les dames. Iceulx fournissoient par chscun matin les chambres des dames, d’eaue rose, d’eau de naphe, & d’eaue d’ange : & à chascune la precieuse

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cassollette vaporante de toutes drogues aromatiques.

Comment estoient vestuz les Religieux, & Religieuses  de Theleme. Chapitre liiii.

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LEs Dames au commencement de la fondation se habilloient à leur plaisir, & arbitre. Depuis furent refor

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mées par leur franc vouloir en la façon, qui s’ensuyt. Elles portoient chausses d’escarlatte, ou de migraine, & passoient lesdictes chausses le genoil au dessus par troys doigtz, justement. Et ceste liziere estoit de quelcques belles broderies, & descoupeures. Les jartieres estoient de la couleur de leurs bracelletz, & comprenoient le genoil au dessus, & dessoubz.

Les souliers, escarpins, & pantoufles de velours carmoyzi rouge, ou violet, deschiquettées à barbe d’escrevisse. Au dessus de la chemise vestoient la belle Vasquine de quelcque veau camelot de soye. Su icelle vestoient la Verdugalle de tafetas blanc, rouge, tanné, grys &c. Au dessus, la cotte de tafetas d’argent faict à broderies de fin or, & a l’egueille entortillé, ou selon que bon leur sembloit, & corrspondant à la disposition de l’aer, de satin, damas, velours, orangé, tanné, verd, cendré, bleu, tanné clair, rouge cramoyzi, blanc, drap d’or, toille d’argent, de canetille, de brodure selon les festes.

Les robbes selon la saison, de toille d’or a frizure d’argent, de satin rouge couvert de canteille d’or, de tafetas blanc, bleu, noir, tanné, sarge de soye, camelot de soye,

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velours, drap d’argent, toille d’argent, or traict, velours, ou satin profilé d’or en diverses protraictures.

En esté quelcques jours en lieu de robbes, portoient belles Marlottes de parures susdictes, ou quelcques bernes à la Moresque de velours violet à frizure d’or sus canetille d’argent, ou à cardelieres d’or garnies aux rencontres de peites perles Indicques.

En hyver robbes de tafetas des couleurs, comme dessus : fourrées de loups cerviers, genettes noires, martres de Calabre zibelines, & aultres fourrures precieues : les patenostre, anneaulx, jazerants, carcants estoient de fines pierries, escarboucles, rubys, balays, diamants, saphis, esmeraudes, turquoyzes, grenatz, agathes, berilles, perles, & unions d’excellence. L’accoustrement de la teste estoit selon le temps. En hyver à la mode Françoyse. Au prin temps à l’Espagnole. En esté à la Turque. Exceptés les festes, & dimenches, esquelz portoient accoustrement Francoys : par ce, qu’il est plus honnorable, & mieulx sent sa pudicité matronale.

Les hommes estoient habillés à leur mode, chausses pour les bas d’estamer, ou

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sarge drappée, d’escarlatte, de mograine, blanc ou noir.

Les haultz de velours d’icelles couleurs, ou bien pres approchantes : brodées, & deschicquettées selon leu invention.

Le pourpoinct de drap d’or, d’argent, de velours, satin, damas, tafetas, de esmes couleurs, deschicquetés, brodés, & accoustrés en parangon.

Les agueillettes de soye de mesmes couleurs, les fers d’or bien esmaillés.

Les sayes, & chamarres de drap d’or, toille d’or, drap d’argent, velours porfilé à plaisir.

Les robbes aultant precieuses, comme des Dames.

Les ceinctures de soye des couleurs du pourpoinct, chascun la belle espée au costé, la poignée dorée, le fourreau de velours de la couleur des chausses, le bout d’or, & d’orfevrerie. Le poignart de mesmes.

Le bonnet de velours noir, garny de force bagues, & boutons d’or.

La plume blanche par-dessus mignonnement partie à paillettes d’or : au bout desquellespendoient en papillettes beaulx ru

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bys, esmeraudes, &c. Mais telle sympathie estoit entre les hommes, & les femmes, que par chascun jour ilz estoient vestuz de semblable parure.

Et pour à ce ne faillir estoient certains gentilz hommes ordonnées, pour dire es hommes par chascun matin, quelle livrée les Dames vouloient en icelle journée porter. Car le tout estoit faict selon l’arbitre des Dames. En ces vestements tant propres, & accoustrements tant riches ne pensez, qu’eulx, ny elles perdissent temps aulcun, car les maistres des garderobbes avoient toute la vesture tant preste par chascun matin : & les dames de chambre tant bien estoient aprinses, que nung moment elles estoient prestes, & habillées de pied en cap.

Et pour iceulx accoustrements avoir en meilleure opportunité, au tour du boys de Theleme estoit ung grand corps de maison long de demy lieue, bien claire, & assorty : en laquelle demouroient les orfevres, lapidaires, brodeus, tailleurs, tireurs d’or, veloutiers, tapissiers, & haultelissiers, & là oeuvroient chascun de son mestier : & le tout pour les susdictz Religieux, & Religieuses.

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Iceulx estoient fourniz de matiere, & estoffe par les mains du Seigneur Nausiclete, lequel par chascun an leur rendoit sept navires des Isles de Perlas, & Canibabes, chargées de lingotz d’or, de soye crure : de perles, & pierreries.

Si quelcques unions tendoient à vetusté, & changeoient de naifve blancheur, icelles par leur art renouveloient en les donnant à manger à quelcques beaulx coqs, comme on baille cure es faulcons.

Comment esoient reiglés les Thelemites à leur manière de vivre. Chapitre lv.

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TOute leur vie estoit employé non par loix,statutz, ou reigles : mais selon leur vouloir, & franc arbitre Se levoient du lict, quand bon leur sembloit : beuvoient, mangeoient, travailloient, dormoient, quand le desir leur venoit. Nul ne les esveilloit, nul ne les parforçoit ny à boyre, ny à manger, ny à faire chose aultre quelconques. Ainsi l’avoit estably Gargantua. En leur reigle n’estoit, que cest clause. FAIS CE, QUE VOULDRAS. Par ce, que gents liberes, bien nayz, bien instruictz, conversants en compaignies honnestes ont par nature ung instinct, & aguillon, qui tousjours les poulse à faictz vertueux, & retire de vice : lequel

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ilz nommoient honneur. Iceulx, quand par vile subjection, & contraincte sont deprimés, & asserviz, detournent la nobme affection, par laquelle à vertu franchement tendoient, à deposer, & enfraindre ce joug de servitude. Car nous entreprenons tousjours choses defendues : & convoytons ce, qui nous est denié. Par ceste liberté entrarent en louable emulation de faire tout ce, qu’a ung seul voyoient plaire. Si quelq’ung, ou quelcune disoit beuvons, touts beuvoient. S’il disoit, jouons, tous jouoient. Si disoit, allons à l’esbar es champs, touts y alloient. S’il c’estoit pour voller, ou chasser, les Dames montées sus belles hacquenées avecq’ leur palefroy gorrier, sus le poing mignonnement engantelé portoient chascun ou ung Esparvir, ou ung Laneret, ou ung Esmerillon : les hommes portoient les aultres oyseaux. Tant noblement estoient aprins, qu’il n’estoit entre eulx celluy, ne celle, qui ne sceust lire, escripre, chanter, jouer d’instruments harmonieux, parler de cinq, & six langaiges, & en icelles composer tant en carme, qu’en oraison folue. Jamais ne furent veuz chevaliers tant preux, tant galants, tant dextres à pied, & à cheval, plus verts, mieulx re

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muants, mieulx maniants touts bastons, que là estoient. Jamais ne furent veues dames tant propres, tant mignonnes, moins fascheuses, plus doctes à la main, à l’agueille, à tout acte muliebre honneste, & libere, que là estoient. Par ceste raison, quand le temps venu estoit, qu’aulcun d’icelle abbaye, ou à la requeste de ses parents, ou pour aultres causes voulust yssir hors, avecq’ foy il emmenoit une des dames, celle laquelle l’auroit prins pour son devot, & estoient ensemble mariés. Et si bien avoient vescu à Theleme en devotion, & amytié : encores mieulx la continuoient ilz ne mariage : & aultant s’entreaymoient ilz à la fin de leurs jours, comme le premier de leurs nopces.

Je ne veulx oublier vous descripre ung enigme, qui fut rouvé au fondements de l’abbaye en une grande lame de bronze.

Tel estoit, comme il s’ensuyt.

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Enigme trouvé es fondements de l’abbaye des Thelemites. Chapitre. lvi.

[illustration]

PAuvres humains, qui bon heur attendez,

Levez voz cueurs, & mes dictz entendez.

S’il est permis de croyre fermement

Que par les corps, qui sont au firmament,

Humain esprit de soy puisse advenir

A prononcer les choses à venir :

Ou si l’on peult par divine puissance

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Du sort futur avoir la congnoissance,

Sans, que lon juge en asseuré decours

Des ans loingtains la destinée, & cours,

Je foys scavoir, à qui le veult entendre,

Que cest Hyver prochain sans plus attendre :

Voyre plus tost en ce lieu, ou nous sommes

Il sortira ne manière d’hommes,

Las de repoz, & faschés de sejour,

Qui franchement iront, & de plein jour

Suborner gens de toutes qualités

A differentz, & partialités.

Et qui vouldra les croyre, & escouter,

Quoy qu’il en doibve advenir, & couster,

Ilz feront mettre en debatz apparentz

Amys entre eulx, & les proches parents :

Le filz hardy ne craindra l’impropere

De se bander contre son propre père :

Mesmes les grands de noble lieu sailliz

De leurs subjectz se voyrront assailliz.

Et le debvoir d’honneur, & reverence

Perdra pour lors toute ordre, & difference,

Car ilz diront, que chascun en son tour

Doibt aller hault, & puis faire retour.

Et sur ce poinct tant seront de meslées,

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Tant de discordz, venues, & allées

Que nulle hystoire, ou sont les grands merveilles,

Ne faict recit d’esmotions pareilles.

Lors se voyrra maint homme de valeur

Par l’esguillon de jeunesse, & chaleur,

Et croyre trop ce fervent appetit

Mourir en fleur, & vivre bien petit :

Et ne pourra nul laisser c’est ouvraige,

Si une foys il y mect le couraige :

Qui n’ayt emply par noyses, & debatz

Le ciel de bruit, & la terre de pas.

Alors auront non moindre autorité

Hommes sans foy, que gens de verité :

Car touts suyvront la creance, & estude

De l’ignorance, & sotte multitude.

Dont le plus lourd sera receu pour juge.

O dommaigeable, & penible deluge !

Deluge dy je, & à bonne raison,

Car ce travail ne perdra sa saison,

Ny n’en sera delivrée la terre

Jusques à tant, qu’il ne sorte à grand erre

Soubdaines eaux : dont les plus attrempés

En combatant seront prins, & trempés,

Et à bon droict : car leur ceur addonné

A ce combat, n’aura point pardonné

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Mesme aux trouppeaux des innocentes bestes,

Que de leurs nerfz, & boyaulx deshonnestes

Il ne soit faict, non aux dieux sacrifice,

Mais au mortelz ordinaire service.

Or maintenant je vous laisse penser,

Comment le tout se pourra dispenser :

Et quelz repos en noise si profonde

Aura le corps de la machine ronde.

Les plus heureux, qui plus d’elle tiendront,

Moins de la perdre, & gaster s’abstiendront,

Et tascheront en plus d’une manière

A l’asservir, & rendre prisonniere :

En tel endroict, que la pauvre deffaicte

N’aura recours, que à celluy, qui l’a faicte :

Et pour le pis de son triste accident,

Le clair Soleil, ains qu’estre en Occirdent,

Layrra espandre obscurité sur elle

Plus, que d’eclipse, ou de nuyct naturelle.

Dont en ung coup perdra sa liberte,

Et du hault ciel la faveur, & clarté.

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Ou pour le moins demeurera deserte.

Mais elle avant ceste ruyne, & perte,

Aura longtemps monstré sensiblement

Ung violent, & si grant tremplement,

Que lors Ethna ne fust tant agittée,

Quand sur ung filz de Titan fut jectée :

Ne plus soubdain ne doibt estre estimé

Le mouvement, que fist Inarimé,

Quand Tiphoeus si fort se despita,

Que dans la mer les montz precipita.

Ainsi sera en peu d’heure rengée

A triste estat, & si souvent changée,

Que mesme ceulx, qui tenue l’auront,

En disputant la pauvreté lairront.

Lors sera pres le temps bon, & propice

De mettre fin à ce lon exercice :

Car les grands eaulx, dont oyez deviser,

Feront chascun la retraicte adviser.

Et toutesfoys devant le partement

On pourra veoir en l’air apertement

L’aspre chaleur d’une grand’ flamme esprise,

Pour mettre à fin les eaulx, & l’entreprise.

Reste en apres, qu’yceulx trop obligés,

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Penés, lassés, travaillés, affligés,

Par ce sainct vueil de l’eternel seigneur

De ces travaulx soyent refaictz en bon heur :

Là voyrra par certaine science

Le bien, & fruict, qui sort de patience :

Car cil, qui plus de peine aura souffert

Au paravant, du lot pour lors offert

Plus recepvra. O qu’est à reverer

Cil, qui pourra en fin perseverer !

La lecture de cestuy monument parachevée. Gargantua souspira profondement, & dist es assistants.

Ce n’est de maintenant, que les gens reduictz à la creance evangelicque sont persecutés.

Mais bien heureux est celluy, qui ne sera scandalizé, & qui tousjours tendra ua but, & au blanc, que Dieu par son cher filz nous à prefix, sans par ses affections charnelles estre distraict, ny divertu. Le Moyne dist. Que pensez vous en vostre entendement estre par cest enigme designé, & signifié ? Quoy ? dist Gargantua, le decours, & maintien de verité divine. Par sainct Goderan (dist le Moyne) je pense, que soit la description du jeu de paulme : & que

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la machine ronde est l’esteuf : & ces nerfz, & boyaulx de bestes innocentes, sont les racquettes : & ces gentz eschauffés, & debatants, sont leurs joueurs.

La fin est, que apres avoir bien travaillé, ilz vont repaistre, & grand chiere.

Fin de la plaisante, & joyeuse histoire du noble prince Gargantua.

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Cest Œuvre fut imprimé l’an de grace Mil cinq cents quarente, & deux. A lyon chés Estienne Dolet demeurant pour lors en la Rue Merciere à l’enseigne de la Dolouere D’or.

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DOLET, Preserve moy, ò Seigneur, des calumnies des hommes

Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

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