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1542- Histoyre du grand geant Gargantua (François Rabelais) (101-150)

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Au court baston

Au pirevollet

A cline musette

Au picquet

A la blancque

Au furon

A la seguette

Au chastelet

A la rengée

A la foussette

Au ronflart

A la trompe

Au moyne

Au tenbry

A l’esbahy

A la soulle

A la navette

A fessart

Au ballay

A sainct Cosme je te viens adorer

Au chesne forchu

Au chevau fondu

A la queue au loup

A pet en gueulle

A guillemin baille my ma lance

A la brandelle

Au treseau

Au bouleau

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A la mousche

A la migne bœuf

Aux propos

A neuf mains

Au chapifol

Au pontz cheuz

A colon bridé

A la grolle

Au cocquantin

A Colin Maillard

A myrelimoufle

Au mouschart

Au crapault

A la crosse

Au piston

Au bille boucquet

Aux roynes

Aux mestiers

A teste a teste bechevel

A laver la coiffe ma Dame

Au belusteau

A semer l’avoyne

A briffault

Au molinet

A defendo

A la virevouste

A la bacule

Au laboureur

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A la cheveche

Aux escoublettes enragées

A la beste morte

A montemonte l’eschellete

Au pourceau mory

A cul salé

Au pigonnet

Au tiers

A la bourrée

Au sault du buysson

A croyser

A la cutte cache

A la maille bourse en cul

Au nide de la bondrée

Au passavant

A la figue

Aux petarrades

A pillemoustarde

A cambos

A la recheute

Au picandeau

A crocqueteste

A la grolle

A la grue

A taillecoup

Aux nasardes

Aux allouettes

Aux chnquenaudes

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Apres avoir bien joué, & beluté temps, convenoit boyre quelcque peu, c’estoyent unze peguadz pour homme : é soubdain apres bancqueter, c’estoit sus ung beau banc, ou en beau plein lict s’estendre, & dormir deux, ou troys heures sans mal penser, ny mal dire. Luy esveillé secouoit ung peu les oreilles : ce pendant estoit apporté vin fraiz : là beuvoit mieulx, que jamais.

Ponocrates luy remonstroit, que c’estoit maulvaise diete, ainsi boyre apres dormir. C’est (respondit Gargantua) la vraye vie des peres. Car de ma nature je dors salé : & le dormir m’a valu aultant de jambon. Puis commençoit à estudier quelcque peu, & Patenostres en avant, pour lesquelles mieulx en forme expedier, montoit sus une vieille mulle, laquelle avoit servy neuf Roys, ainsi marmotant de la bouche, & dodelinant de la teste, alloit veoir prendre quelcque connil aux fillés.

Au retour se transportoit en la cuysine pour sçavoir, quel rost estoit en broche. Et souppoit tresbien par ma conscience, & vouluntiers convioyt quelcques beuveurs de ses voysins, avecq lesquelz beuvant

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d’aultant, comptoyent des vieulx jusques aux nouveaulx. Entre aultres avoit pour domesticques, les Seigneurs du Fou de Gourville, de Grignault, & de Marigny.

Apres soupper venoyent en place les beaulx Evangiles de boys, c'est à dire force tabliers, ou le beau flux, ung, deux, troys : ou à toutes restes pour abreger, ou bien alloyent veoir les garses d’entour, & petiz bancquetz parmu, collations, & arriere collations. Puis dormoit sans desbrider, jusques au lendemain huict heures.

*

Comment Gargantua fut institué par Ponocrates en telle discipline, quin ne perdoit heure du jour. Chapitre xxi.

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[illustration]

Quand Ponocrates congneut la vitieuse manière de vivre de Gargantua, delibera aultrement le instituer en lettres : mais pour les premiers jours le tolera, considerant, que nature ne endure poinct mutations soubdaines, sans grande violence.

Pour doncq mieulx son œuvre commencer, supplia ung sçavant medecin de celluy temps, nommé maistre Theodore, à ce qu’il considerast, si possible estoit remettre Gargantua en meilleure voye. Lequel le purgea canoniquement avecq Elebore d’Anticyre, & par ce medicament luy nettoya toute l’alteration, & perverse habitude du cerveau. Par ce moyen aussi Ponocrates

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luy feist oublier tout ce, qu’il avoit appris soubz ses antiques precepteurs, qui avoyent esté instruictz soubz aultres musiciens.

Pour mieulx ce faire, l’introduysoit es compaignies des gents sçavants, qui là estoyent, à lemulation desquelz luy creut l’esperit, é le desir d’estudier aultrement, &  se faire valoir. Apres en tel train d’estude le mist, qu’il ne perdoit heure cuelconque du jour, ains tout son temps consommoit en lettres, é honneste sçavoir.

Se esveilloit doncq Gargantua environ quatre heures du matin. Ce pendant qu’on le frotoit, luy estoit leve quelcque pagine de la divine escripture haultement, & clerement avecq prononciation competente à la matire : & à ce estoit commis ung jeune paige natif de Basche, nommé Anagnostes. Selon le propos, & argument de ceste leçon, souventesfoys se addonnoit à reverer, adorer, prier, & supplier le bon Dieu, duquel la lecture monstroit la majesté, & jugements merveilleux. Puis alloit es lieux secretz faire excretion des digestions naturelles. Là son precepteur repetoit ce, qui avoit esté leu : luy exposant les poinctz plus obscurs, & difficiles.

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Eulx retournants consideroient l’estat du ciel, si tel estoit, comme l’avoient noté au soir precedent : & quelz signes entroit le Soleil, aussi la Lune pour icelle journée.

Ce faict estoit habillé, peigné, restonné, accoustré, & parfumé, durant lequel temps on luy repetoit les leçons du jour devant. Luy mesmes les disoit par cueur : & y fondoit quelcques cas practicques, & concernants l’estat humain, lesquelz ilz estendoient aulcunesfoys jusques deux, ou troys heures : mais ordinairement cesssoient lors, qu’il estoit du tout habillé.

Puis par troys bonnes heures luy estoit faicte lecture : ce faict yssoient hors, tousjours conferants des propos de la lecture : & se desportoient en Bracque, ou es prés, & jouoyent à la balle, ou à la paulme galantement s’exerçants les corps, comme ilz avoient les ames au paravant.

Tout leur jeu n’estoit qu’en liberté :: car ilz layssoient la partie, quand leur plaisoit, & cessoient ordinairement lors, qu’ilz suoyent parmy le corps, ou estoient aultrement las.

Adoncq’ estoient tresbien essuyés, & frottés, changeoient de chemise : & doulcement se pourmenants alloient veoir, si le

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disner estoit prest. Là attendants recitoyent clerement, & eloquamment quelques sentences retenues de la leçon.

Ce pendant monsieur l’appetit venoit : & par bonne opportunité s’asseoient à table.

Au commencement du repas estoit leve quelcque hystoire plaisante des anciennes prouesses : jusques à ce, qu’il eust prins son vin. Lors (si bon sembloit) on continuoit la lecture, ou commençoyent à deviser joyeusement ensemble, parlants pour les premiers mes de la vertu, proprieté, efficace, & nature, de tout ce, qui leur estoit servy à table. Du pain, du vin, de l’eaue, du sel, des viandes, poissons, fruictz, herbes, racines, & de l’apprest d’icelles. Ce que faisant aprint en peu de temps touts les passaiges à ce competants, en Pline, Athene, Dioscorides, Heliodore, ARistoteles, Aelian, & aultres. Iceulx propos tenus faisoient souvent, pour plus estre asseurés, apporter les livres susdictz à table. Et si bien, & entierement retint en sa mémoire les choses dictes, que pour lors n’estoit Medecin, qui en sceust à la moytie tant, comme il faisoit.

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Par apres devisoient des leçons leues au matin, & parachevant leur repas par quelcque confection de cotoniat, s’escuroit les dents avecq’ung trou de Lentisce, se lavoit les mains, & les yeulx de belle eaue fraische : & rendoient graces à Dieu par quelcques beaulx cantiques faictz à la louenge de la munificence, & benignité divine. Ce faict, on apportoit des chartes, non pour jouer : mais pour y apprendre mille petites gentillesses, inventions nouvelles. Lesquelles toutes yssoient  d’Arithmeticque.

En ce moyen entra en affection d’icelle science numerale, & touts les jours apres disner, & soupper y passoit temps aussi plaisamment, qu’il souloit es dés, ou es chartes. A tant sceut d’icelle & theoricque, & practicque : si bien, que Tunstal Anglous, qui en avoit amplement escript, confessa, que vrauement en comapraison de luy, il n’y entendoit, que le hault Alemant. Et non seulement d’icelles : mais des aultres sciences mathematicques, comme Geometrie, Astronomie, & Musicque. Car attendants la concoction, & digestion de son past, ilz faisoient mille joyeux instrumens, & figures Geometriques, & de mesmes practiquoient les canons Astronomicques. Apres s’esbau

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dissoient à chanter musicalement à quatre & cinq parties, ou sus ung theme à plaisir de gorge.

Et au regard des instruments de musicque, il aprint à jouer du luc, de l’espinette, de la harpe, de la fleutte d’Alemant, & à neuf trouz, de la viole, & de la sacqueboutte. Ceste heure ainsi employée, la digestion parachevée, se purgeoit des excrements naturelz : puis se remettoit à son estude principal par troys heures, ou d’avantaige : tant à repeter la lecture matutunale, qu’ poursuyvre le livre entreprins, qu’aussi à escripre, & bien traire, & former les antiques, & Romaines letres.

Ce faict, yssoient hors leur hostel avecq’ eulx ung jeune gentilhomme de Touraine nommé l’escuyer Gymnaste, lequel luy monstroit l’art de chevalerie. Changeant doncq’ de vestements montoit sus un coursier, sus ung roussin, sus ung genet, sus ung cheval legier : & luy donnoit cent quarrieres, le faisoit voltiger en l’aer, franchir le fossé, saulter le palys, court tourner en ung cercle, tant à dextre, comme à senestre.

Laà rompoit non la lance. Car c’est la plus grande resverie du monde, dire : J’ay

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rompu dix lances en tournoy, ou en bataille : ung Charpentier le feroit bien. Mais louable gloire est d’une lance avoir rompu dix de ses ennemys. De sa lance doncq’ asserée, verde, & royde, rompoit ung huys, enfonçoit ung harnoys, aculloyt ung arbre, enclavoiyt ung aneau, eslevoit une selle d’armes, ung aubert, ung gantelet.

Le tout faisoit armé de pied en cap. Au regard de fanfarer, & faire les petits popismes sus ung cheval, nul ne le feit mieulx, que luy. Le voltiger de Ferrare n’estoit qu’ung singe en comparaison. Singulierement estoit aprins à saulter hastivement d’ung Cheval sus l’aultre sans prendre terre. Et nommoit on ces chevaulx, desultoyres, & de chascun costé la lance ou poingt montrer sans estrivieres, & sans bride guider le cheval à son plaisir. Car telles choses servent à la discipline militaire.

Ung aultre jour s’exerçoit à la hasche. Laquelle tant bien coulloyt, tant verdement de touts pics reserroit, tant soupplement avalloit en taille ronde, qu’il fut passé chevalier d’armes en campaigne, & en touts essays.

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Puis bransloit la picque, sacquoit de l’espée à deux mains, de l’espée bastarde, de l’espagnole, de la dague, & du poignard, armé, non armé, au bouclier, à la cappe, à la rondelle.

Couroit le cerf, le chevreuil, l’ours, le dain, le sanglier, le levre, la perdrys, le phaisant, l’otarde. Jouoit à la grosse balle, & la faisoit bondir en l’aer aultant du pied, que du poing.

Luictoit, couroit, saultoit, non à troys pas ung sault, non à cloche pied, non au sault d’alemant. Car (disoit Gymnaste) telz saults sont inutiles, & de nul bien en guerre : mais d’ung sault persoit ung fossé : volloyt sus une haye, montoit six pas encontre une muraille, & rampoit six pas encontre une muraille, & rampoit en ceste façon à une fenestre de la haulteur d’une lance.

Nageoit en profonde eaue, à l’endroict, à l’envers, de costé, de tout le corps, des seulz pieds, une main en l’aer, en laquelle tenant ung livre transpassoit toute la riviere de Saine sans icelluy mouiller, & tyrant par les dents son manteau, comme faisoit Jules Cesart : puis d’une main entroit par grand’force en basteau : d’icelluy se jectoit de rechief en l’eaue la teste premie

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re, fondoit le profond, creusoyt les rochiers, plongeoit es abysmes, & gouffres. Puis icelluy basteau tournoit, gouvernoit, menoit hastivement, lentement, à fil d’eaue, contre cours, le retenoit en pleine escluse, d’une main le guidoit, de l’aultre s’escrimoit avec ung grand aviron, tendoit la voile, montoit au maz par les traictz, couroit sus les brancquars, adjustoit la boussole, contreventoit les boulines, bendoit le gouvernail.

Issant de l’eaue roydement montoit encontre la montaige, & devalloit aussi franchement : gravoit es arbres, commes ung chat, saultoit de l’ung en l’autre, comme ung escurieux : abbatoit les gros rameaulx comme ung aultre Milo : avec deux poignards asserés, & deux poinsons esprouvés, montoit au hault d’une maison, comme ung rat, descendoit puis du hault en bas, en telle composition des membres, que de la cheutte n’estoit aulcunement grevé. Jectoit le dart, la barre, la pierre, la javeline, l’espieu, la halebarde, enfonçoit l’arc, bendoit es reins les fortes arbalestes de passe, visoit de l’harquebouse à l’œil, affeustoit le canon, tyroit à la butte, au papaguay, du bas en mont, d’amont en val,

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devant, de costé, en arriere, comme les Parthes.

On luy attachoit ung cable, en quelque haulte tour pendant en terre : par icelluy avecq’ deux mains montoit, puis devalloit si roydement, & si asseurément, que plus ne pourriez parmy ung pré bien egallé.

On luy mettoit une grosse perche appuyée à deux arbres, à icelle se pendoit par les mains, & d’icelle alloit, & venoit sans des pieds à rien toucher, qu’a grande course on ne l’eust peu aconcepvoir. Et pour s’exercer le thorax, & pulmon cryoit, comme touts les diables. Je l’ouys une foys appellant Eudemon, depuis la porte sainct Victor jusques à Mont martre. Stentor n’eut oncques telle voix à la bataille de Troye.

Et pour galentir les nerfz, on luy avoit faict deux grosses saulmones de plomb, chascune du poys de huyct mille sept cents quintaulx : lesquelles il nommoit alteres. Icelles prenoit de terre an chascune main, & les eslevoit en l’aer au dessus de la teste, & les tenoit ainsi sans soy remuer troys quarts d’heure, & d’avantaige, qui estoit une force inimitable.

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Jouoit aux barres avecq’ les plus fortz. Et quand le poinct advenoit, se tenoit sus ses pieds tant roydement, qu’il s’abandonnoit es plus adventureux en cas, qu’ilz le feissent mouvoir de sa place. Comme jadis faisoit Milo. A l’imitation duquel aussi tenoit une Pomme de grenade en sa main, & la donnoit, à qui luy pourroit oster.

Le temps ainsi employé, luy frotté, nettoyé, & refraischy d’habillements, tout doulcement retournoit, & passants par quelcques prés, ou aultres lieux herbus visitoyent les arbres, & plantes, les conferants avec les livres des anciens, qui en ont escript, comme Theophraste, Dioscorides, Marinus, Pline, Nicander, Macer, & Galien, & en emportoyent leurs pleines main au logis : desquelles avoit la charge ung jeune page nommé Rhizotome, ensemble des marrochons, des pioches, cerfouettes, beches, tranches, & aultres instruments requis à bien arborizer.

Eulx arrivés au logis ce pendant, qu’on apprestoit le soupper, repetoient quelques passaiges de ce, qu’avoit esté leu, & s’asseoient à table.

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Notez icy, que son disner estoit sobre, & frugal : car tant seullement mangeoit pour refrener les aboys de l’estomach : mais le soupper estoit copieux, & large. Car tant en prenoit, que luy estoit de besoing à soy entretenir, & nourrir. Ce qui est la vraye diete prescripte par l’art de bonne, & seure medicine, quoy qu’ung tas de badaulx Medecins herselés en l’officine des Arabes, conseillent le contraire.

Durant icelluy repas estoit continuée la leçon du disner, tant que bon sembloit : le reste estoit consommé en bons propos toutes lettrés, & utiles.

Apres graces rendues s’addonnoient à chanter musicalement : à jouer d’instruments harmonieux, ou de ces petits passetemps, qu’on faict es chartes, es dés, & gobeletz, & là demouroient faisants grand’chere, & s’esbaudissants aulcunesfoys jusques à l’heure de dormir, quelcques foys alloient visiter les compaignies des gents lettrés : ou de gents, qui eussent veu paus estranges.

En pleine nuyct devant, que soy retirer, alloient au lieu de leur logis le plus descouvert veoir la face du ciel : & là notoient

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les cometes, si aulcunes estoient : les figures, situations, aspectz, oppositions, & conjunctions des astres.

Puis avec son precepteur recapituloit briefvement à la mode des Pythagoricques tout ce, qu’il avoit leu, veu, sceu, faict, & entendu au decours de toute la journée.

Si prioyent Dieu le createur en l’adorant, & ratifiant leur foy envers luy, & le glorifiant de sa bonté immense : & luy rendant grace de tout le temps passé, se recommendoient à sa divine clemence pour l’advenir. Ce faict, entroient en leur repos.

Comment Gargantua employoit le temps, quand l’aer estoit pluvieux. Chapitre xxii.

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SIl advenoit, que l’air fust pluvieux, & inte(mperé, tout le temps devant disner estoit employé comme de coustume, excepté qu’il faisoit allumer ung beau, & clair feu, pour corriger l’intemperie de l’air. Mais apres disner en lieu des exercitations, ilz demeuroient en la maison, & estudioyent en l’art de paincture, & sculpture : ou revocquoyent en usage l’antique jeu des tables, ainsi qu’en a escript Leonicus, & comme y joue nostre bon amy Lascaris.

En y jouant recoloyent les passaiges des auteurs anciens, es quelz est faicte mention, ou prinse quelque metaphore sus icelluy jeu : ou alloient veoir, comment on tiroit

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les metaulx, ou comment on fondoit l’artillerie, ou alloyent veoir les lapidaires, orfevres, & tailleurs de pierreries, ou les Alchymistes, & monoyeurs, ou les haultelissiers, les tissotiers, les veloutiers, les horologiers, mirailliers, Imprimeurs, organistes, tinturiers, & aultres telles sortes d’ouvriers, & par tout donnants le vin, apprenoient, & consideroient l’industrie, & invention des mestiers.

Alloyent ouyr les leçons publicques, les actes sollennelz, les repetitions, les declamations, les paidoyés des gentilz advocatz, les concions des prescheurs evangelicques. Passoit par les salles, & lieux ordonnés pour l’escrime : & là contre les maistres essayoit de touts bastons, & leur monstroit par evidence, que aultant, voire plus en scavoit, que iceulx.

Et eu lieu d’arboriser, visitoient les bouticques des drogueurs, herbiers, & apothycaires, & songneusement consideroyent les fruictz, racines, fueilles, gommes, semences, axunges peregrines, ensemble aussi comment on les adulteroit.

Alloit veoir les basteleur, trejectaires, & thiacleurs, & consideroit leurs gestes, leurs ruses, leurs soubressaulx, & beau

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parler : singulierement de ceulx de Chaunys en Picardie : car ilz sont de nature grands jaseurs, & beaulx bailleurs de balivernes.

Eulc retournés pour soupper, mangeoyent plus sobrement, que es aultres jours, & viandes plus dessicatives, & extenuantes : affin que l’intemperie humide de l’air, communicquée au corps par necessaire confinité, fust par ce moyen corrigée, & ne leur fust incommode par ne soy estre exercités, comme avoient de coustume.

Ainsi fut gouverné Gargantua, & continuoit ce proces de jour en jour, en proffitant comme entendez, que peult faire ung jeunes homme de bon sens, en tel exercice, ainsi continué. Lequel combien, que semblast pour le commencement difficile, en la continuation tant doulx fut, legier, & delectable, que mieulx ressembloyt ung passetemps de Roy, que l’estude d’ung escholier.

Toutesfoys : Pononcrates pour le sejourner de ceste vehemente intention des espritz, advisoit une foys le moys, quelcque jour bien clair, & serain, auquel bougeoyent au matin de la ville, & alloient ou à Gen

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tily, ou à Bologne, ou à Montrouge, ou au pont Charanton, ou à Vanves, ou à sainct Clou. Et là passoyent toute la journée à faire la plus grand’ chere, dont ilz se pouvoient adviser : raillants, gaudissants, beuvants d’aultant : jouants, chantants, dansants, se veaultrants en quelcque beau pré : denichants des passereaulx : prenants des cailles, peschants aux grenoilles, & escrevisses.

Mais encores, que icelle journée fust passée sans livres, & lectures, poinct elle n’estoit passée sans proffit. Car en beau pré ilz recoloyent par cueur quelques plaisants vers de l’agriculture de Virgile : de Hesiode : du Risticque de Politian : descripvoient quelcques plaisants epigrammes en Latin : puis les mettoient par rondeaulx, & balades en langue Francoyse. En blancquetant du vin aisgu separoient l’eau : comme l’enseigne Cato de re rust : & Pline, avecq’ung gobelet de Lyerre : lavoyent le vin en plein bassin d’eau : puis le retiroient avec ung embut : faisoient aller l’eau d’ung voyrre en aultre : baptisoient plusieurs petits engins automates : c'est à dire : soy mouvants eulx mesmes.

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Comment fut meu entre les fouaciers de Lerne, & ceulx du pays de Gargantua le grand debat, dont furent faictes grosses guerres. Chapitre xxiii.

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EN cestuy temps, qui fut la saison de vendanges, au commencement de autonne, les bergiers de la contrée estoient à garder les vignes, & empescher, que les estourneaulx ne mangeassent les raisins. Auquel temps les fouaciers de Lerne passoient le grand charroy menants dix, ou douze charges de fouaces à la ville.

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Lesdictz bergiers les requirent courtoisement leur en bailler pour leur argent, au pris du marché.

Car notez, que c’est viande celeste, manger a desjuner des raisins avec la fouace fraiche, mesmement des pineaulx, des fiers, des muscadeaulx, de la bicane, & des foyrars pour ceulx, qui sont constipés du ventre. Car ilz les font aller long comme ung vouge : & souvent cuidants peter ilz se conchient, dont sont nommés les cuideurs de vendanges.

A leur requeste ne furent aulcunement enclinés les fouaciers, mais (qui pis est) les oultragearent grandement en les appelant, Trop diteulx, Breschedens, Plaisans rousseaulx, Galliers, Chienlictz, Limessourdes, Faictneans, Friandeaulx, Bustarins, Talvassiers, Riennevaulx, Rustres, Challans, Hapelopins, Trainneguainnes, gentilz Flocquetz, Copieux, Landores, Malotruz, Dendins, Baugears, Tezez, Gaubredgeux, Gogueluz, Claquedens, Boyers detrons, Bergiers de merde : & aultres telz epithetes diffamatoires, adjoustants, que point à eulx n’appartinoit manger de ces belles fouaces : mais qu’ilz se debvoient contenter de gros pain balló & de tourte.

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Auquel oultrage ung d’entreulx nommé Frogier, bien honneste homme de sa personne, & notable bachelier respondit doulcettement. Depuis quand avez vous prins les cornes, qu’estes tant rogues devenuz ? Dea vous nous en soulliez voluntiers bailler : & maintenant y refusez ? Ce n’est faict de bons voisins, & ainsi ne vous faisons nous, quand vous venez icy achepter nostre beau froument : dont vous faictes voz gasteaux, & fouaces : encores par le marché, vous eussions nous donné de noz raisins : mais par ceste ame vous vous en pourrez repentir, & aurez quelcque jour affaire de nous, lors nous ferons envers vous à la pareille : & vous en soubvienne.

Adoncq Marque grand bastonnier de la cofnrarie des fouaciers luy dist. Vrayement tu es bien acresté à ce matin ; tu mangeas hersoir trop de mil. Vien ça, vien ça, je te donneray de ma fouace. Lors Forgier en toute simplesse approcha tirant ung unzain de son baudrier, pensant que Marquet luy deust depescher de ses fouaces : mais il luy bailla de son fouet à travers les jambes si rudement, que les noudz y apparoissoient : puis voulut gaigner à la fuyte : mais Forgier s’escrya, au meurtre, & à la

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force tant qu’il peult, ensemble luy getta ung gros tribard, qu’il portoit soubz son escelle, & le attainct par la joincture coronale de la teste, sus l’artere crotaphicque, du costé dextre : en telle sorte, que Marquet tombit de dessus sa jument, mieulx semblant ung homme mort, que vif.

Ce pendant les mestaiers, qui là aupres eschalloient les noix, accoururent avec leurs grandes gaulles, & frapparent sus ces fouaciers comme sus seigle verd. Les aultres bergiers, & bergieres, oyants le cry de Forgier, y vindrent avec leurs frondes, & brasiers, & les suyvirent à grands coups de pierres tant menuz, qu’il sembloit, que ce fust  gresle. Finablement les acconceurent, & ostarent de leurs fouaces environ quatre, ou cinq douzeines, toutesfoys ilz les payarent au pris accoustumé, & leurs donnarent ung cent de quecac, & troys panerées de Francs aubiers. Puis les fouaciers aydarent à monter Marquet, qui estoit villainement blessé, & retournarent à Lerne sans poursuyvre le chemin de Pareille, menassants fort, & ferme les bouviers, bergiers, & mestaiers de Seville, & de Synays.

Ce faict, & bergiers, & bergieres firent

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chere lye avecq’ ces fouaces, & beaulx raisins, & se rigollarent ensemble au son de la belle bouzine : se mocquants de ces beaulx fouaciers glorieux, qui avoyent trouvé malencontre, par faulte de s’estre signés de la bonne main au matin. Et avec gros raisins chenins estuvarent les jambes de Forgier mignonnement, si bien, qu’il fut tantost guery.

Comment les habitans de Lerne par le commandement de Picrochole leur Roy assaillirent au despourveu les bergiers de Gargantua. Chapitre. cciiii.

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[illustration]

LEs  Fouaciers retournés à Lerne soubdain devant boire, ny manger, se transportarent au capitole, & là devant leur Roy nommé Picrochole, tiers de ce nom, proposarent leur complaincte, monstrants leurs paniers rompus, leurs bonnetz foupiz, leursrobbes descirées, leurs fouaces destroussées, & singulierement Marque blessé enormément, disants le tout avoir esté faict par les bergiers, & mestaiers de Grandgosier, pres le grand charroy par dela Seville.

Lequel incontinent entra en courroux furieux, & sans plus oultre se interroguer quoy ne comment, dist cryer par son pays ban, & arriere ban, & que ung chascun sur

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peine de la hart, convint en armes en la grand’place, devant le chasteau, à heure de midy.

Pour mieulx confermer son entreprise, envoya sonner le tabourin à l’entour de la ville : luy mesmes ce pendant qu’on apprestoit son disner, alla faire affuster son artillerie, & desployer son enseigne, & oriflant, & charger force munitions, tant de harboys d’armes, que de  gueulles.

En disnant nailla les commissions, & fut par son edict constitué le seigneur Grippeminaud sus l’avantgarde, en laquelle furent comptés seize mille hacquebutiers, trente cinq mille advanturiers.

A l’artillerie fut commis le grand escuyer Toucquedaillon, en laquelle furent comptées neuf cents quatorze grosses pieces de bronze, en canons, doubles canons, naselicz, sepentines, couleuvrines, bombardes, faulcons, passevolants, spiroles, & aultres pieces. L’arriere garde fut baillée au duc Raquedenare. En la bataille se tint le roy, & les Princes de son royaulme.

Ainsi sommairement accoustrés devant que se mettre en voye, envoyarent troys cents chevaulx legiers soubz la conduicte du capitaine Engoulevent, pour descouvrir

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le pays, & sçavoir, s’il y avoit nulle embusche par la contrée. Mais apres avoir diligemment recherché, trouvarent tout le pays à l’environ en paix, & silence, sans assmeblée quelconque.

Ce que entendant Picrochole commanda, qu’ung chascun marchast soubz son enseigne hastivement. Adoncques sans ordre, & mesure prindrent les champs les ungs parmy les aultres, gastants, & dissipants tout par ou ilz passoyent, sans espargner ny paoure, ny riche, ny lieu sacré, ny prophane, emmenoyent boeufz, vaches, thaureaux, veaulx, genisses, brebis, moutons, chievres, & boucqs : poulles, chappons, poulletz, oysons, jards, oyes, porcs, troyes, guoretz : abastants les noix, vendangeants les vignes, emportants les seps, croullants toutes les fruictz des arbres. C’estoit ung desordre incomparable de ce, qu’ilz faisoient. Et ne trouvarent personne, qui leur resistast : mais ung chascun se mettoit à leur mercy, les suppliant estre traictes plus humainement, en consideration de ce, quilz avoyent de touts temps esté bons, & amyables voysins, & que jamais envers eulx ne commirent exces, ne oultraige pour ainsi soubdainement estre par iceulx mal vexés, & que

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Dieu les en puniroit de brief. Aux quelles remonstrances rien plus ne repsondoyent sinon u’ila leur, vouloyent apprendre à manger de la fouace.

Comment ung moyne de Seville saulva le clos de l’Abbaye du sac des ennemys. Chap. xxv.

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TAnt feirent, & tracassarent en pillant, & larronant, qu’ilz arrivarent à Seville, & detroussarent hommes, & femmes, & prindrent ce, qu’ilz peurent : rien ne leur fut ny trop chault, ny trop pesant. Combien, que la peste y fust par la plus grande part des maisons, ilz entroyent par tout, & ravissoyent tout ce,

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qui estoit dedans, & jamais nul n’en prin dangier. Qui est cas assez merveilleux : car les curés, vicaires, prescheurs, medecins, chirurgiens, & apothicaires, qui alloyent visiter, penser, guerir, prescher, & admonnester les malades, estoyent touts morts de l’infection : & ces diables pilleurs, & meutriers oncques n’y prindrent mal. Dont bient cela messieurs ? pensez y je vous pry.

Le bourg ainsi pillé, se trnsportarent en l’abbaye avec horrible tumulte : mais la trouvarent bien reserrée, & fermée : dont l’armée principale marcha oultre vers le gué de Vede, exceptés sept enseignes de gents de pied, & deux cents lances, qui là restarent, & rompirent les murailles du clos, affin de gaster toute la vendange.

Les paouvres diables de moyenes ne sçavoyent, auquel de leurs sainctz se vouer, à toutes adventures feirent sonner ad capitulum capitulantes : là fut decreté, qu’ilz feroyent une belle procession, renforcée de beaulx preschants, & letanies contra hostium insidias, & beaulx respondz propace. En l’abbaye estoit pour lors ung moyne clostrier nommé frere Jean des entommeures jeune, galland, frisque, dehayt, bien à dextre, hardy, adventureux, deliberé,

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hault, maigre, bien fendu de gueule, bien advantaigé en nés, beau despescheur d’heures, beau desbrideur de messes, beau descroteur de vigiles : pour tout dire, ung vray moyne, si oncques en feut depuis, que le monde moynant moyna de moynerie. Au reste, clerc jusques aux dents en matiere de breviaire. Icelluy entendant le bruyt, que faisoyent les ennemys par le clos de leur vigne, sortit hors pour veoir ce, qu’ilz faisoyent. Et advisant, qu’ilz vendangeoyent leur clos, auquel estoit leur boyte de tout l’an fondée, retourne au cueur de l’eglise, ou estoyent les aultres moyenes touts estonnés comme fondeurs de cloches, lesquelz voyant chanter, Im, im, pe, e, e, e, e, e, tum, um, in, i, ni, i, mi, co, o, o, o, o, o, rum, um, C’est, dist il, bien chié chanté. Vertu Dieu : que ne chantez vous : A Dieu paniers, vendanges sont faictes ? Je me donne au diable, s’ilz ne sont en nostre clos, & tant bien couppent & sepes, & raisins, qu’il n’y aura par le corps Dieu de quatre années, que halleboter dedans. Ventre sainct Jacques, que boyrons nous ce pendant, nous aultres pauvres diables ? Seigneur Dieu da mihi potum.

Lors dist le prieur clostral, Que fera cest yvroigne ycy ? Qu’on me le meine en

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prison, troubler ainsi le service divin ? Mais (ist le Moyne) le service du vin : faisons tant, qu’il ne soit troublé, car vous mesmes monsieur le prieur, aymez à boyre du meilleur : si faict tout homme de bien. Lamais honne noble ne hayst le bon vin. Mais ces responds, que chantez icy, ne sont par Dieu poinct de saison. Pour quoy sont noz heures en temps de moissons, & vendanges courtes, & en l’Advent, & tout Hyver tant longues ?

Feu de bonne memoyre frere Mace Pelosse, vray zelateur, ou ne me donne au diable, de nostre religion me dist, il m’en souvient, que la raison estoit, affin qu’en ceste saison nous facions bien serrer, & faire le vin, & qu’en Hyver nous le humions.

Escoutez messieurs vous aultres, qui aymez le vin, le corps bieu si me suyvez. Car hardiment, que sainct Antoine me arde, si ceulx tastent du piot, qui n’auront secouru la vigne. Ventre bieu, les biens de l’Eglise ? ha non, non. Diable sainct Thomas l’Angloys voulut bien pour iceulx mourir : si je y mouroys, ne seroys je pas sainct de mesmes ?

Je n’y mourray ja pourtant, car c’est moy, qui le fays aux aultres. Ce, disant mist bas

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son grand habit, é se saisit du baston de la Croix, qui estoit de cueur de Cormier, long comme une lance, rond à plein poing, & quelcque peu semé de fleurs de lys toutes presque affacées. Ainsi sortit en beau sayon, & mist son froc en escharpe. Et de son baston de la Croix, chargea brusquement sus les ennemys, qui sans ordre, ny enseigne, ny trompette, ny tabourin, parmy le clos vendangeoyent. Car les porteguydonx, & portenseignes avoyent mys leurs guydons, & enseignes l’orée des meurs, les tabourineurs avoyent defoncé leurs tabourins d’ung costé, pour les emplir de raysons, les trompettes estoyent chargées de moussines, shcaun estoit desrayé. Il chocqua doncques si roydement sus eulx sans dire gare, qu’il les renversoyt comme porcz, frappant à tors, & à travers à vieille escrime. Es ungs escarbouilloit la cervelle, aux aultres rompoit bras, & jambes, aux aultres deslochoit les spondilles du col, aux aultres demoulloit les reins, avalloit le nés, pschoyt les yeulx, fendoit les mandibules, enfonçoit les dents en la gueule, descroulloit les omoplates, sphaceloit les greves, desgondoit les ichies, debezilloit les faucilles.

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Si quelcqu’ung se vouloit cacher entre les sepes plus espés, à icelluy froissoit toute la reste du doz, & l’ephrenoit comme ung chien.

Si aulcun saulver se vouloit en fuyant, à icelluy faisoit voler la teste en pieces par la commissure lambdoide.

Si quelqu’ung gravoit en ung ardre pensant y estre en seureté, icelluy de son baston empaloyt par le fondement.

Si quelqu’ung de sa vieille congnoissance luy crioyt. Ha frere Jean mon amy, frere Jean je me rends. Il t’est (disoit il) bien force. Mais ensemble tu rendras l’ame à touts les diables. Et soubdain luy donnoit dronos. Et si personne tant fust esprins de temerité, qu’il luy voulust resister en face, là monstroit il la force de ses muscles. Car il leur transperçoit la poictrine par le mediastine, & par le cueur : à d’aultres donnant sus la faulte des costes, leur subvertissoit l’estomach, & mouroyent soubdainement : aux aultres tant fierement frappoit par le nombril, qu’ilz leur faisoit sortir les trippes : aux aultres parmy les couillons perçoit le boyau cullier. Croyez, que c’estoyt le plus horrible spectacle, qu’on veit oncques.

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Les ungs crioyent saincte Barbe.

Les autres sainct George.

Les aultres saincte N’y touche.

Les aultres nostre Dame de Cunault,

De Lorette.

De bonnes nouvelles.

De la Lenou.

De Riviere.

Les ungs se vouoyent à sainct Jacques

Les aultres au sainct Suaire de Chambery : mais il brusla troys moys apres si bien, qu’on n’en peult saulver ung seul brin,

Les aultres à Cadouyn.

Les aultres à sainct Jean d’Angely.

Les aultres à sainct Eutrope de Xainctes, à sainct Mesmes de Chinon, à sainct Martin de Candes, à sainct Clouaud de Sinays, aux reliques de Jaurezay, & mille aultres bons petits sainctz.

Les ungs mouroyent sans parler.

Les aultres ciroyent à haulte voix, Confession, Confession, Confiteor. Miserere. In manus.

Tant fut grand le cry des navrés, que le prieur de l’Abbaye avec toutes ses moynes sortirent. Lesquelz quand apperceurent ces paouvres gents ainsi rués parmu la vigne, & blessés à mort, en confessarent

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quelcques ungs. Mais ce pendant, que les Prebstres se amusoyent à confesser, les petitz moynetons coururent au lieu, ou estoit frere Jean, & luy demandarent, en quoy il vouloit qu’ilz luy aydassent.

A quoy respondit, qu’ilz esgorgetassent ceulx, qui estoyent portés par terre. Adoncques laissants leurs grandes cappes sus une treilel au plus pres, ocmmençarent esgorgeter, & achever ceulx, qu’il avoit desja meurtriz. Sçavez vous de quelz ferrements ? A beaulx gouetz, qui sont petits demy cousteaulx, dont les petitz enfants de nostre pays cernent les noix.

Puis à tout son baston de croix, gaigna la bresche, qu’avoyent faicte les ennemys. Aulcuns des moynetons emportarent les enseignes, & guydons en leurs chambres pour en faire des jartiers. Mais quand ceulx qui s’estoyent confessés, voulurent sortir par icelle bresche, le moyne les assommoit de coups, disant ceulx cy sont confés, & repentants, & ont gaigné les pardons : ilz s’en vont en Paradis aussi droict comme une faucille, & comme est le chemin de Faye. Ainsi par sa prouesse furent desconfiz touts ceulx de l’armée ; qui estoyent entrés dedans le clos jusques au nombre de treize

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mille six cents, vingt, & deux.

Jamais Maugis hermite ne se porta si vaillamment à tout son bourdon contre les Sarrasins, desquelz est escript es gestes des quatre filz Aymon, comme feist le moyne à l’encontre des ennemys avec le baston de la croix.

Comment Picrochole print d’assault la roche Clermauld, & le regret, & difficulté, que feit Grandgosier d’entreprendre guerre. Chapi. xxvi.

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CEpendant, que le moyne s’escarmouchoit, comme avons dict contre ceulx, qui estoient entrés au clos, Picrochole

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à grande hastiveté passa le gué de Vede avec ses gents, & assaillit la roche Clermauld : auquel lieu ne luy fut faicte resistance quelconques, & par ce, qu’il estoit ja nuict, delibera en icelle ville se heberger soy, & ses gents, & rafraischir de sa cholere pungitive. Au matin print d’assault les boullevars, & chasteau, & le rempara tresbien : & le proveut de munitions requises, pensant là faire sa retraicte, si d’ailleurs estoit assailly. Car le lieu estoit fort & par art, & par nature, à cause de la situation, & assiete.

Or laissons les là, & retournons à nostre bon Gargantua, qui est à Paris bien instant à l’estude de bonnes letres, & exercitations athleticques : & le viel bon homme Grandgosier sont père, qui apres soupper se chauffe les couilles à ung beau clair, & grand feu, & attendant graisler des chastaines, escript au foyer avec ung baston bruslé d’ung bout, dont on escharbotte le feu : faisant à sa femme, & famille de beaulx comptes du temps jadis. Ung des bergiers, qui gardoient les vignes, nommé Pillot, se transporta devers luy en icelle heure, & racompta entierment les exces, & pillages, qui faisoit Picrochole Roy de Lerne, en

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ses terres, & dommaines : & comment il avoit pillé, gasté, saccagé tout le pays, excepté le clos de Seville, que frere Jehan des entommeures avoit saulvé à son honneur : & de present estoit ledict Roy en la roche Clermauld : ou à grande instance se remparoit, luy, & ses gents.

Holos, holos, dit Grandgosier, qu’est cecy bonnes gents ? Songé je, ou si vray est ce, qu’on me dict ? Picrochole mon amy ancien, de tout temps, de toute race, & alliance, me vient il assaillir ? Qui le meut ? qui le poinct ? qui le conduict ? qui l’a ainsi conseillé ? Ho, ho, ho, ho, ho. Mon Dieu, mon saulveur, ayde moy, inspire moy, conseille moy à ce, qui est de faire.

Je proteste, je jure devant toy : ainsi me soys tu favorable, si jamais à luy desplaisir, n’a ses gents dommaige, n’en ses terres je feis pillerie : mais bien au contraire, je l’ay secouru de gents, d’argent, de faveur, & de conseil, en touts cas, qu’ay peu congnoistre son advantaige. Qu’il m’ayt doncq’ en ce poinct oultragé, ce ne peult estre, que par l’esprit maling. Bon Dieu tu congnoys mon couraige, car à toy rien ne peult estre celé. Si par cas il estoit devenu furieux, & que pour luy rehabilliter son cerveau, tu

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me l’eusse icy envoyé : donne moy é pouvoir, & scavoir le rendre au joug de ton sainct vouloir par bonne discipline.

Ho, ho, ho, Mes bonnes gents, mes amys, & mes feaulx serviteurs, fauldra il, que je vous empesche à m’y ayder ? Las, ma vieillesse ne requeroit doresnavant, que repos, & toute ma vie n’ay rien tant procuré, que paix. Mais il fault, je le voy bien, que maintenant de harnoys je charge mes paouvres espaulles lasses, & foybles, & en ma main tremblante je prenne la lance, & la masse, pour secourir, & guarantir mes paouvres subjectz. La raison le veult ainsi, car de leur labeur je suis entretenu, & de leur sueur je suis nourry moy, mes enfants, & ma famille.

Ce non obstant, je n’entreprendray poinct guerre, que je n’aye essayé touts les arts, & moyens de paix : là je me resuls. Adoncq’ feit convocquer son conseil, & proposa l’affaire tel, comme il estoit.

Et fut conclud, qu’on envoyeroit quelque homme prudent devers Picrochole, scavoir pourquoy ainsi soubdainement estoit party de son repos, & envahy les tertes, esquelles n’avoit droict quelconques. D’advantaige, qu’on envoyast que

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rir Gargantua, & ses gents, affin de maintenir le pays, & defendre à ce besoing. Le tout pleut à Grandgosier, & commanda qu’ainsi fust faict. Dont sus l’heure envoya le Basque son laquays querir à toute diligence Gargantua. Et luy escripvit, comme s’ensuyt.

La teneur des lettres, que Grandgosier escripvoit à Gargantua. Chapitre xxvii.

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LA ferveur detes estudes requeroit, que de long temps ne te revocasse de cestuy philosophicque repos, si la con

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fiance de noz amys, & anciens confederés n’eust de present frustré la seureté de ma vieillesse. Mais puis, que telle est ceste fatale destinée, que par iceulx soys inquieté, esquelz plus je me repousoys, force m’est te rappeller au subside des gents, & biens, qui te sont par droict naturel affiés.

Car ainsi comme debiles sont les armes au dehors, si le conseil n’est en la maison : aussi vaine est l’estude, & le conseil inutile, qui en temps opportun par vertu n’est executé, & à son effect reduict.

Ma deliberation n’est de provocquer, ains d’appaiser : d’assaillir, mais deffendre : de conquester, mais de garder mes feaulx subjectz, & terres hereditaires. Esquelles est hostilement entré Picrochole, sans cause, ny occasion, & de jour en jour poursuyt sa furieuse entreprinse, avec exces non tollerables à personnes liberes. Je me suis en debvoir mis pour moderer sa cholere tyrannicque, luy offrant tout ce, que je pensoys luy pouvoir estre en contetement, & par plusieurs foys ay envoyé amiablement devers luy, pour entendre, en quoy, par qui, & comment il se sentoit oultragé : mais de luy n’ay eu responce, que de voluntaire deffiance, & qu’en mes terres

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pretendoit seulement droict de bien seance. Dont j’ay congneu, que Dieu eternel l’a laissé au gouvernail de son franc arbitre, & propre sens, qui ne peult estre, que meschant, si par grace divine n’est continuellement guidé : & pour le contenir en office, & reduire à congnoissance me l’a icy envoyé à molestes enseignes. Pourtant mon filz bien aymé le plus tost, que faire pourras, ces letres veues retourne à diligence secourir non tant moy (ce que toutesfoys par pitié naturellement tu doibs) que les tiens, lesquelz par raison tu peulx saulver, & garder. L’exploict sera faict à moindre effusion de sang, qu’il sera possible ; Et si possible est par engins plus expedients, cautelles, & ruzs de guerre nous saulverons toutes les ames : & les envoyerons joyeulx à leurs domiciles. Treschier filz la paix de Christ nostre redempteur soyt avec toy. Salve Ponocrates, Gymnaste, & Eudemon de par moy. Du vingtiesme de Septembre. Ton père

GRANDGOSIER.

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Comment Ulrich Gallet fut envoyé devers Picrochole. Chapi. xxviii.

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LEs letres dictées, & sign »es, grandgosier ordonna, que Ulrich Galler, maistre de ses requestes homme saige, & discret, duquel en divers, & contentieux affaires il avoit esprouvé la vertu, & bon advis, allast devers Picrochole, pour luy remonstrer ce, que par eulx avoit esté decreté. En celle heure partit le bon homme Gallet, & passé le gué demanda au meusnier, de l’estat de Picrochole : lequel luy feit responce, que ses gents ne luy avoient

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laissé ny cocq, ny geline, & qu’ilz s’estoient enserrés en laroche Clermauld, & qu’il ne luy conseilloit poinct de proceder oultre de peur du guet, car leur fureur estoit enorme. Ce que facillement il creut, & pour celle nuict herbergea avecq’ le meusnir.

Au lendemain matin, se transporta avec la trompette à la porte du chasteau, & requist es gardes, qu’ilz le feissent parler au Roy pour son proffit. Les parolles annoncées au  Roy ne consentit aulcunement, qu’on luy ouvrist la porte : mais se transporta sus le boulevard, & dist à l’Ambassadeur : Qui a il de nouveau ? que voulez vous dire ? Adoncq’ l’Ambassadeur proposa, comme s’ensuyt.

La harangue faicte par Galler, à Picrochole. Chap. xxix.

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PLus juste cause de douleur naystre ne peult entre les humains, que si du lieu, dont par droicture esperoient frace, & benevolence, ilz reçoyvent ennuy, & dommaige. Et non sans cause (combien, que sans raison) plusieurs venuz en tel accident, ont ceste indignité moins estimé tolerable, que leur vie propre : & en cas, que par force, ny aultre engin ne l’ont peu corriger, se sont eulx mesmes privés de ceste lumiere.

Doncq’ merveille n’est, si le Roy Grandgosier mon maistre est à ta furieuse, & hostile venue saisy de grand desplaisir, & perturbé en son entendement : merveille seroit, si ne l’avoient esmeu les exces incom

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parables, qui en ses terres, & subjectz ont esté par toy, & tes gens commis : esquelz n’a esté obmis exemple, aulcun d’inhumanité. Ce que luy est tant grief de soy par la cordiale affection, de laquelle tousjours a chery ses subjectz, que à mortel homme plus estre ne scauroit : toutesfoys sur l’estimation humaine plus grief luy est, en tant que par toy, & les tiens ont esté ces griefz, & torts faictz.

Qui de toute mémoire, & ancienneté aviez toy, & tes Peres une amutie avecq’ luy, & touts ces encestres conceue, laquelle jusques à present comme sacrée ensemble aviez inviolablement maintenue, gardée, & entretenue, si bien, que nonn luy seullement, ny les siens, mais les nations Barbares, POictevins, Bretons, Manseaulx, & ceulx, qui habitent oultre les isles de Canarre, & Isabella, ont estimé aussi facile demollir le firmament, & les abymes eriger au dessus des nues, que d’esemparer vostre alliance : & tant l’ont redoubtée en leurs entreprinses, qu’il n’ont jamais osé provocquer, irriter, n’y endommaiger l’ung, par craincte de l’aultre.

Plus y a. Ceste sacrée amytie tant a emply ce ciel, que peu de gens sont aujour

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dhuy habitans par tout le continent, & isles de l’Ocean, qui n’ayent ambitieusement aspiré estre receuz en icelle à pactes par vous mesmes conditionnés : aultant estimant vostre confederation, que leurs propres terres, & dommaines. En sorte, que de toute mémoire n’as esté prince, ny ligue tant efferéen ou superbe, qui ayt osé courir sus, je ne dis poinct voz terres, mais celles de voz confederés.

Et si par conseil precipité ont encontre eulx attempté quelcque cas de nouvelleté, le nom, & tiltre de vostre alliance entendu, ont soubdain desisté de leurs entreprinses.

Quelle furie doncq’ t’esmeut maintenant, toute alliance brisée, toute maytié conculquée, tout droict trespassé, envahir hostilement ses terres, sans en rien avoir esté par luy, ny les siens endommaigé, irrité, ny provocquée ? Ou est foy ? ou est loy ? ou est raison ? ou est humanité ? ou est craincte de Dieu ?

Cuyde tu ces oultrages estre recellés es espritz eternelz, & au Dieu souverain, qui est juste retributeur de noz entreprinses ? Si le cuydes, tu te trompes, car toutes choses viendront à son jugement. Sont ce

Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

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