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1542- Histoyre du grand geant Gargantua (François Rabelais) (1-50)

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La Plaisante, & joyeuse histoyre du grand Geant Gargantua.

Prochainement reveue, & de beaucoup augmentée par l’Autheur mesme.

[illusration]

A LYON,

Chés Estienne Dolet.

1542.

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La VIe inestimable du grant Gardantua, Pere de Pantagruel, jadis composée par l’Abstracteur de quinte exxence.

Livre plein de Pantagrueslisme.

Aux Lecteurs.

Amys Lecteurs, qui ce livre lisez,

Despouillez vous de toute affection :

Et le lisant ne vous scandaliser.

Il ne contient mal, ny infection.

Vray est, qu’icy peu de perfection

Vous apprendrez, sinon en cas de rire :

Aultre argument ne peult mon cueur eslire.

Voyant le dueil, qui nous mine, & consomme,

Mieulx est de ris, que de larmes escripre :

Pource, que rire est le propre de l’homme.

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[illustration]

BEUVEURS tresillustres, & vous Verolés tres precieux (car à vous, non à aultres, sont dediés mes escriptz) Alcibiades au dialogue de Platon, intitulé Le bancquet, jouant son precepteur Socrates (sans controverse prince des Philosophes) entre aultres parolles le dict estre semblable es Silenes. Silenes estoyent jadis petites boytes telles, que voyons de present es boutiques des Apoticaires painctes au dessus de figures joyeuses, & frivoles, comme de Harpies, Satyres, oysons bridés, lievres cornuz, canes bastées, boucqs volants, cerfz lymonniers, & aultres telles painctures contrefaictes à plaisir pour exciter le monde a

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rire : Quel fut Silene maistre du bon Bacchus : mais au dedans lon reservoit les fines drogues, comme Baulme, Ambre gris, Amomon, Mucq, Ziuette, pierreries : & aultres choses precieuses. Tel disoit estre Socrates : par, que le voyant au dehors, & lestimant par lexterieure apparence, n’en eussiez donné ung coupeau d’oignon : tant laid il estoit de corps, & ridicule en son maintien, le nés pointu, le regard d’un thaureau, le visaige d’ung fol, simple en meurs, rusticq en vestements, paouvre de fortune, infortuné en femmes, inepte à touts offices de la Republicque, tousjours riant, tousjours beuvant d’aultant à ung chascun, tousjours se guabelant, tousjours dissimulant son divin sçavoir. Mais ouvrant ceste boyte, eussiez au deda(n s trouvé une celeste & impreciable drogue, entendement plus que humain, vertu merveilleuse, couraige invincible, sobrieté non pareille, contentement certain, asseurance parfaicte, eprisement incroyable de tout ce, pourquoy les humains tant ueillent, corent, travaillent, navigue(n t, & bataillent. A quel propos, en vostre advis, tend ce prelude, & coup d’essay ? Pour aultant, que vous mes bons disciples, & quelques aultres filz de sejour, li

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sants les joyeulx tiltres d’aulcuns livres de nostre inve(n tion, comme Gargantua, Pantagruel, Fessepinte, la dignité des Braguettes, Des poix au lard cum comment, &c. jugez trop facilement nestre au dedans traicté, que mocqueries, folateries, & menteries joyeuses : veu que l’enseigne exterieure (c’est le tiltre) sans plus avant enquerir, est communement receue à derision, & gaudisserie. Mais par telle legiereté ne convient estimer les œuvres des humains. Car vous mesmes dictes, que l’habit ne faict pas le moyne, & tel est vestu d’ahbit monachal, qui au dedans n’est rien moins, que moyne· & tel est vestu de cappe Hespagnole, que en son couraige nullement naffiert à Hespagne. C’est, pour quoy fault ouvrir le livre, & soigneusement penser ce, que y est deduict. Lors congnoistrez, que la drogue dedans contenue est bien d’aultre valeur, que ne promettoit la boyte. C'est à dire, que les matieres icy traictées ne sont tant follastres, comme le tiltre au dessus pretendoit. Et posé le cas, qu’au sens literal vous trouviez matieres assez joyeuses, & bien correspondantes au nom, toutesfoys par demourer là ne fault, comme au chant des Sirenes : ains à plus hault sens interpreter ce, que par adventure cuydiez dict en gayeté de cueur.

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Crochetastes vous oncques bouteilles ? Caisgne. Reduisez à memoyre la contenence, qu’aviez. Mais veistes vous oncques chien rencontrant quelque os medulaire ? C’est comme dit Platon .l.ij. de rep. la beste du monde plus Philosophe. Si l’avez veu, vous avez peu noter, de quelle devotion il le guette, de quel soing il le garde, de quel’ ferveur il le tient, de quelle prudence il l’entame, de quelle affection il le brise, & de quelle diligence il le succe. Qui l’induict à ce faire ? Quel est l’espour de son estude ? quel bien pretend il ? Rien  plus qu’ung peu de mouelle. Vray est, que ce peu, plus est delicieux, que le beaucoup de toutes aultres : pource, que la mouelle est aliment elabouré à perfection de nature, comme dict Galien .iij. fac. natur. & .xi. de usu parti. A l’exemple d’icelluy nous convient estre saiges pour fleurer, sentir, & estimer ces beaulx livres de haulte gresse, legiers au prochas, & hardis à la rencontre. Puis par curieuse leçon, & meditation frequente rompre l’os, & succer la substantificque mouelle. C'est à dire, ce que j’entends par ces symboles Pythagoricques, avecques espoir certain d’estre faictz escorts, & preux à ladicte lecture. Car en icelle bien aultre goust trouverez, & doctrine plus absconse, qui vous revelera de tres

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haultz sacrements, & mysteres horrificques, tant en ce, que concerne nostre religion, que aussi l’estat politicq, & vie œconomicque. Croyez vous en vostre foy, qu’oncques Homere escripvant l’Ilyade, & Odyssée, pensast es allegories, lesquelles de luy ont beluté Plutarche, Heraclides Poncticq, Eustatie, & Phornute : & ce que d’iceulx Politian a desrobé ? Si le croyez, vous n’aprochez ne de piedz, ny de mains à mon opinion, que decrete icelles aussi peu avoir este songées d’Homere, que d’Ovide en ses Metamorphoses les sacrements de l’Evangile, lesquelz ung frere Lubin vray croquelardon s’est efforcé de monstrer, si d’aventure il rencontroit gens aussi folz, que luy, & (comme dict le proverbe) couvercle digne du chauderon. Si ne le croyez, quelle cause est, pourquoy aultant n’en ferez de ces joyeuses, & nouvelles chronicques ? Combien, que les dictant ny pensasse en plus, que vous, qui paradventure beuviez comme moy. Car à la composition de ce livre seigneurial je ne perdiz, ny emploiay oncques plus, ny aultres temps, que celluy qui estoit estably à prendre ma refection corporelle, sçavoir est, beuvant & mangeant. Aussi est ce la juste heure d’escrire ces haultes matieres, & sciences profondes. Comme bien faire sçavoit Homere parangon de touts

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Philologes, & Ennie pere des Poëtes Latins, ainsi que tesmoigne Horace, quoy qu’ung malautru ayt dict, que ses carmes sentoyent plus le vin, que l’huyle. Aultant en dict ung Tirelupin de mes livres, mais bien pour luy. L’odeur du vin ô combien plus est friant, riant, priant, plus celeste, & delicieux que d’huyle ! Et prendray aultant à gloire, qu’on die de moy, que plus en vin aye despendu, que en huyle, que feit Demosthenes, quand de luy on disoit, que plus en huyle, qu’en vin despondoit. A moy n’est que honneur & gloyre, destre dict, & repute bon gaultier, & bon compaignon : & en ce nom suis bien venu en toutes bonnes compaignies de Pantagruelistes. A Demosthenes fut reproché par ung chagrin, que ses oraisons sentoyent comme la serpielliere d’ung ord, & sale huylier ; Pourtant interpretez touts mes faictz, & mesdictz en la perfectissime partie, ayez en reverence le cerveau caseiforme, qui vous paist de ces belles billes vezées, & à vostre poivoir tenez moy tousjours joyeulx. Or esbaudissez vous mes amours, & gayement lisez le reste tout à laise du corps, & au profit des reins. Mais escoutez vietzdazess, que le maulubec vous trousque, vous soubvienne de boyre amy pour la pareille, & je vous plegeray tout ares metys.

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De la Genealogie, & antiquité de Gargantua.        Chapitre I.

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JE vous remectz à la grande chronicque Pantagrueline à congnoistre la genealogie, & antiquité, dont nous est venu Gargantua. En icelle vous entendrez plus au long, comment les Grandz nasquirent en ce monde, & comment d’iceulx par lignes directes yssit Gargantua pere de Pantagruel : & ne vous faschera, si pour le present je m’en deporte. Combien, que la chose soit telle, que tant plus seroit remenbrée, tant plus elle paliroit à voz seigneuries : comme vous avez l’autho

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rité de Platon in Philebo, & Gorgialt de Flacce, qui dict estre aulcuns propos telz, que ceulx cy, qui plus sont delectables, quant plus souvent sont redictz. PLeust à Dieu, qu’ung chascun sceust aussi certainement sa genealogie, depuis l’arche de Noë, jusques à cest eage.

Je pense, que plusieurs sont ajourd’huy Empereurs, Roys, Ducz, Princes, & Papes en la terre, lesquelz sont descenduz de quelques porteurs de rogatons, & de costretz.

Comme au rebours plusieurs sont gueux de l’hostiere, souffreteux, & miserables, lesquelz sont descenduz de sang, & ligne de grandz Roys, & Empereurs.

Attendu l’admirable transport des regnes & empires

Des Assyriens, es Medes.

Des medes, es Perses.

Des Perses, es Macedones.

Des Macedones, es Romains.

Des Romains, es Grecz.

Des Grecz, en Françoys.

Et pour vous donner à entendre de moy, qui parle, je cuyde, que soys descendu de quelque riche Roy, ou Prince au temps jadis.

Car oncques ne veistes homme, qui eust plus grande affection d’estre Roy, & riche

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que moy, affin de faire plus grand’ chere, & pas ne travailler, & bien enrichir mes amys, & touts gens de bien, & de sçavoir.

Mais en ce je me reconforte, que en l’aultre monde je le seray, voyre plus grand, que de present ne l’oseroys soubhaitter.

Vous en telle, ou meilleure pensée reconfortez vostre malheur, & beuvez fraiz, si faire se peult.

Retournant à noz moutons, je vous dy que par ung don souverain nous a esté reservée l’antiquité, & genealogie de Gargantua, plus entiere, que nulle aultre, dont je ne parle : car il ne m’appartient : aussi les diables (ce sont les calumniateurs, & capharts) s’y opposent. Et fut trouvée par Jean Audeau, en ung pré, qu’il avoit prés l’arceau galeau au dessoubz de l’Olive, tirant à Narsay. Du quel faisant lever les fosses, toucharent les piocheurs de leur marres ung grand tombeau de bronse, long sans mesure, car oncques n’en trouvarent le bout, par ce, qu’il entroit trop avant les excluses de Vienne. Icelluy ouvrants en certain lieu signé au dessus d’ung gobelet, à l’entour du quel estoit escript en lattres Etrusques,

HIC BIBITUR, trouvarent neuf flacons en tel ordre, qu’on assied les quilles en

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Gascongne. Desquelz celluy, qui au mylieu estoit, couvroit ung gros, gras, grand, gris, joly, petit, moisy, livret, plus, mais non mieulx sentant, que roses.

En icelluy fut la dicte genealogie trouvée escripte au long, de lettres concelleresques, non en papier, non en parchemin, non en cyr : mais en escorce d’Ulmeau, tant toutesfoys usées par vestuté, qu’a peine en pouvoit on troys recongnoistre de ranc.

Je (combien qu’indigne) y fus appellé : & à grand renfort de bezicles practicant l’art, dont on peult lire lettres non apparentes, comme enseigne Aristotel la translatay, ains que veoir pourrez es Pantagruelisants, c’est a dire, beuvants à gré, & lisants les gestes horrificques de Pantagruel. A la fin du livre estoit ung petit traicté intitulé, Les Fanfreluches antidotées.

Les Ratz, & Blattes, ou (affin que je ne mente) aultres malignes bestes avoyent brousté le commencement : le reste j’ay cy dessoubz adjousté, par reverence de l’antiquaille.

Les Fanfreluches antidotées trouvées en ung monument antique. Chapi. II

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[illustration]

[…] ’enule grand dompteur des Cimbres

[…]sant par l’aer, de peur de la rousée,

[…] sa venue on a remply les Timbres

[…] beure fraiz, tombant par une housée

[…] uquel quand fut la grand’mer arrousé.

Cria tout hault, hers par grace peschez le :

Car sa barbe est presque toute embousée :

Ou pour le moins, tenez luy une eschelle.

Aulcuns disoient, que leicher sa pantoufle

Estoit meilleur, que gaigner les pardons :

Mais il survint ung affeté Marroufle,

Sorty du creux, ou lon peche au gardons,

Qui dit, Seigneurs, pour Dieu nous en gardons.

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L’anguille y est, & en cest estau musse.

Là trouverez (si de pres regardons)

Une grand’tare au fond de son aumusse.

Quand fut au poinct de lire le chapire,

On n’y trouva, que les cornes d’ung veau.

Je (disoit il) sens le fond de ma mitre

Sifroid, que autour me morfond le cerveau.

On l’eschauffa d’ung parfum de naveau :

Et fut content de soy tenir es atres,

Pourveu, qu’on fait ung limonnier nouveau

A tant de gents, qui sont acariatres.

Leur propos fut du trou de sainct Patrice

De Gilbatha, & de mille aultres trous :

S’on les pourroit reduire à cicatrice,

Par tel moyen, que plus n’eussent la toux :

Veu, qu’il sembloit impertinent à touts,

Les veoir ainsi à chascun vent baisser.

Si d’adventure ilz estoient à ping clous,

On les pourroit pour ostage bailler.

En cest arrest le Corbeau fut pelé

Par Hercules, qui venoit de Libye

Quoy ? dit Minos, que n’y suis je appellé ?

Excepté moy tout le monde on convie.

Et puis lon veult, que passe mon envie,

A les fournir d’huytres, & de grenoilles.

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Je donne au diable en cas, que de ma vie

Prenne à mercy leur ventre de quenoilles.

Pour les matter survint. Q.B. qui clope,

Au saufconduit des mistes Sansonnetz.

Le tamiseur, cousin du grand Cyclope,

Les massacra. Chascun mouche son nés,

En ce gueret peu de bougrins sont nays,

Qu’on n’ayt berné sus le moulin a tan.

Courez y touts : & à l’arme sonnez,

Plus y aurez, que n’y eustes antan.

Bien peu apres, l’oyseau de Jupiter

Delibera pariser pour le pire.

Mais les voyant tat fort se despiter,

Craignit,q u’on mist ras, jus, bas, mat, l’empire :

Et mieulx ayma le feu du ciel empire

Au tronc ravir, ou lon vend les soretz,

Que l’ar serain, contre qui lon conspire,

Assubjectir es dictz des Massoretz.

Le tout conclud fut à poincte affilée,

Maulgré Até, la cuisse heronniere,

Que là s’assist, voyant Pentasilée

Sus ses vieux ans prinse pour cressonniere.

Chascun crioyt, vilainne charbonniere

T’appartient il toy trouver par chemin ?

Tu la tolluz la Romaine banniere,

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Qu’on avoit faicte au traict du parchemin.

Ne fust Juno, que dessoubz l’arc celeste

Avec son duc tendoit à la pipée,

On luy eust faict ung tour se tresmolestre,

Que de tous poincts elle eust esté frippée.

L’accord fut tel, que d’icelle lippée

Elle en auroit deux oeufz de Proserpine :

Et si jamais elle u estoit grippée,

On la lieroit au mont de L’albespine.

Sept moys apres, ostez en vingt, & deux,

Cil, qui jadis anichila Carthage,

Courtoysement se mist en mylieu d’eaulx

Les requerant d’avoir son heritage :

Ou bien, qu’on feit justement le partage

Selon la loy, que lon tire au rivet,

Distribuant ung tati du potage

A ses facquins, qui feirent le brevet.

Mais l’an viendra signé d’ung arc tourquoys

De cinq fuseaux, & troys culz de marmite,

Auquel le dos d’ung Roy trop peu courtoys

Paouvre sera soubz ung habit d’hermite.

O la pitié ! Pour une chattemite

Laisserez vous engouffrer tant d’arpents ?

Cessez, cessez, ce masque nul n’imite.

Retirez vous au frere des Serpents.

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C’est an passé cil, qui est, regnera

Paisiblement avec ses bons amys.

Ny brus, ny Smach lors ne dominera :

Tout bon vouloir aura son compromis.

Et le soulas, qui jadis fut promis

Es gents du ciel, viendra en son beffroy.

Lors les haratz, qui estoient estommis,

Triumpheront en royal palefroy.

Et durera ce temps de passe passe

Jusques à tans, que Mars ayt les empas.

Puis en viendra ung, qui touts aultres passe,

Deliteux, plaisant, beau, sans compas.

Levez voz cueurs : tendez à ce repas

Toutes mes feaulx. Car tel est trespassé,

Qui pour tout bien ne retourneroit pas

Tant sera lors clamé le temps passé.

Finablement celluy, qui fut de cire,

Sera logé au gond du Jacquemart.

Plus ne sera reclamé, Cyre, Cyre,

Le brimbaleur, qui tient le cocquemart.

Heu, qui pourroit saisir son bracquemart !

Tost seroient netz les tintouins cabus :

Et pourroit on à fil de poulemart

Tout baffouer le maguazin d’abus.

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Comment Gargantua fut unze moys porté au ventre de sa mere.             Chapi. III

[illustration]

Grandgosier estoit bon raillard en son temps, aymant à boyre net aultan, que homme, qui pour lors fut au monde, & mangeoit vouluntiers salé. A ceste fi navoit ordinairement bonne munition de jambons de Magence, & de Baionne, force langues de bœuf fumées, abondance d’andouilles en la saison, & bœuf salé à la moustarde. Renfort de boutargues, provision de saulcisses, non de Bouloigne (car il craignoit li bouconi de Lombard) mais de Bigorre, de Lonquaulnay, de la Brene,

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& de Rouargue. En son eage virile espousa Gargamelle fille du Roy des Parpaillos, belle gouge, & de bonne troigne. Et faisoient eux deux souvent ensemble la beste à deux doz, joyeusement se frotants leur lard, tant qu’elle engroissa d’ung beau fils, & le porta jusques à l’unziesme moys. Car aultant, voyre d’advantage, peuvent les femmes ventre porter, mesmement, quand c’est quelcque chief d’œuvre, & personnage, qui doibve en son temps faire grandes prouesses. Comme dict Homere, que l’enfant (duquel Neptune engroissa la nymphe) nasquit l’an apres revolu : ce fut le douziesme moys. Car domme dict A. Gelle lib. iij. ce long temps convenoit à la majesté de Neptune, affin qu’en icelluy l’enfant fust formé à perfection. A pareille raison Jupiter feit durer .xlviij. heures la nuyct, qu’il coucha avecq’ Alcmene : car en moins detemps n’eust il peu forger Hercules, qui nettoya le monde de monstres, & tyrants. Messieurs les anciens Pantagruelistes ont conformé ce, que je dis, & ont declairé l’enfant nay de femme l’unziesme moys apres la mort de son mary. Hippo. li. de alimento. Pline li. vij. cap. v. Plaute in Cistellaria.

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Marcus Varro en la satyre inscripte

Le testament, allequant l’authorité d’Aristoteles à ce propos.

Censorinus lib. de die natali.

Aristoteles libr. vij. capi. iij. & iiij. de nat. animalium.

Gellius lib. iij. ca. xvi.

Et mille aultres folz. Le nombre desquelz a esté par les Legistes acreu. ff. de suis, & legit .l. interstato. §. fi.

Et in autent. de restitut. & es. quæ parit. in xi. mense.

D’abondant en ont chaffourré leur robidilardicque loy.

Gallus ff. de lib. & posthu. & .l. septimo. ff. de stat. homi. & quelcques aultres, que pour le present dire n’ose.

Moyennant lesquelles loix, les femmes vesvues peuvent franchement jouer du serre corpiere à touts enviz, & toutes restes, deux moys apres le trespas de leurs marys. Je vous prie par grace vous aultres mes bons averlants ; si d’icelles en trouvez, quivaillent le desbraguetter, montez dessus, & me les amenez. Car si au troysiesme moys elles engroissent, leur fruict sera heritier du deffunct. Et la groisse congneue, poulsent hardyment oultre, & vo

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gue la Galée, puis que la panse est pleine. Comme Julie fille de l’Empereur Octavien ne s’abandonnoit à ses taboureurs, sinon quand elle se sentoit grosse, à la forme, que la navire ne reçoit son pilot, que premierement ne soit calladatée, & chargé. Et si personne les blasme de soy faire ratacomniculer ainsi sur leur groisse, veu que les bestes sus leur ventrées n’endurent jamais le masle masculant : elles erespondront, que ce sont bestes, mais elles sont femmes : bien entendantes les beaulx, & joyeux menuz droictz de superfetation : comme jadis respondit Populie selon le rapport de Macrobe lb. ij. Saturnal. Si le diavol ne veult, qu’elles engroissent, il fauldra tortre le douzil, & bouche close.

Comment Gargamelle estant grosse de Gargantua, mengea grand’planté de tripes.

Chapitre IIII.

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[illustration]

L’occasion, & maniere comment Gargamelle enfanta, fut telle. Et si ne le croyez, le fondement vous escappe. Le fondement luy escappoit une apres disnée le .iij. jour de Febvrier, par trop avoir mangé de gaudebillaux. Gaudebillaux sont grasses tripes de coiraux. Coiraux sont beoufz engressés à la creche, & prés guilaumx. Prés guimaulx sont, qui portent herbe deux foys l’an. D’iceulx gras beoufz avoient faict tuer troys cents soixente sept mille, & quatorze, pour estre à mardy gras sallés : affin qu’en la prime vere ilz eussent beouf de saison à tas, pour au commencement des repas faire commemoration de salures, & mieulx entrer en vin. Les tripes

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furent copieuses, comme entendez : & tant friandes estoyent, que chascun en leschoit ses doigtz. Mais la grand’dyablerie à quatre personnaiges estoit bien en ce, que possible nestoit longuement les reserver. Car elles fussent pourries. Ce que sembloit indeent. Dont fut conclud, quilz les bauffreroient sans rien y perdre. A ce faire conviarent toutes les citadins de Sainnais, de Suille, de la Rocheclermaud, de Vaugaudry, sans laisser arrier Coudray, Montpensier, le Guedevede, & aultres voisins : touts bons beuveurs, bons compaignons, & beaulx joueurs de quillela. Le bon homme grandogiser y prenaoit plaisir bien grand : & commendoit, que tout allast par escuelles. Disoit toutesfoys à sa femme, quelle en mangeast le moins, veu qu’elle approchoit de son terme, & que ceste tripaille n’estoit viande moult louable. Celluy (disoit il) a grand’envie de mascher merde, qui d’icelle le sac mange. Non obstant ces remonstrances, elle en mangea seze muiz, deux bussars, & six tupins : o belle matiere fecale, que debvoit boursougler en elle ! Apres disner touts allarent (pelle melle) à la saulsaye, & la sur l’herbe drue dançarent au son des joyeux flageolletz, & doulces cornemuses : tant baudement, que c’estoit passe

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temps celeste les veoir ainsi soy rigouller. Puis entrarent e npropos de ressiner au propre lieu. Lors flacons d’aller : jambons de troter, gobeletz devoler, breusses de tinter. Tire, baille, tourne, brouille. Boute à moy, sans eaue, ainsi mon amy : fouette moy ce voirre gualentement, produis moy du clairet, verre pleurant. Treves de soif. Ha faulse fiebvre, ne t’en iras tu pas ? Par ma foy ma commere je ne peuz entrer en bette. Vous estes morfondue mamye. Voire. Ventre sainct Quenet parlons de boire. Ceste main vous guaste le nés. O quand aultres y entreront, avant que cestuy cy en sorte. Boire à si petit gué : c’est pour rompre son poictral. Cecy s’appelle pipée à flacons. Quelle différence est entre bouteille, & flaccon ? grande, car bouteille est fermée à bouchon, & flaccon à vitz. Nos Peres beurent bien & vuidarent les potz. C’est bien chié, touts beuvons. Voulez vous rien mander à la riviere ? cestuy cy va laver les tripes. Je boycomme ung templier, & je tamquam sponsus, & moy sicut terra sine aqua. Ung synonyme de jambon ? c’est ung poulain. Par le poulain on descend le vin en cave, par le jambon, en lestomach. Or ça à boire, à boire ça, Il ny

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a poinct charge. Respice personam : pone pro duos : bus non est in usu. Si je montois aussi bien, comme j’avalle, je fusse pieça hault en l’aër. Mais si ma couille pissoit telle urine, la vouldriez vous bien succer ? Je retiens apres, paige baille, je t’insinue ma continuation en mon tour. Hume Guillot, encores y en à il ung pot. Remede contre la soif ? Il est contraire à celluy, qui est contre morsure de chien. Courez tousjours apres le chien, jamais ne vous ordera : beuvez tousjours avant la soif, & jamais ne nous adviendra. Du blanc. verse tout vers de par le dyable, verse. de ça, tout plain. la langue me pele. Lans tringue, à toy compaing de hayt, de hayt. la, la, la. c’est morfiaillé cela. O lachryma Christi : c’est de la Deviniere. c’est vin pineau. O le gentil vin blanc, & par mo name ce n’est, que vin de tafetas. Hen hen, il est à une oreille, bien drappé, & de bonne laine ; Mon compaignon couraige ; Pour ce jeu nous ne volerons pas, car j’ay faict ung levé. Ex hoc in hoc. Il n’y a poinct d’enchantement. Chascun de vous la veu. Je y suis maistre passé de passé. Abrum à brum, je suis prestre Mace. O les beuveurs, O les alterés. Paige mon amy, emplis icy, & couronne le

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vin, je te pry. A la cardinale. Natura abhorret vacuum. Diriez vous, qu’une mouche y eust beu ? A la mode de Bretaigne. Net, net, à ce puot. Avallez, ce sont herbes.

Comment Gargantua nasquit en facon bien estrange.  Chapitre. v.

[illustration]

EUlx tenants ces menuz propos de beuverie, Gargamelle commença à se porter mal du bas.

Dont Grand gosier se leva dessus l’herbe, & la reconfortoit honnestement, pensant que ce fust mal d’enfant, & luy disant, qu’elle s’estoit la herbée soubz la saulsaye, & qu’en brief elle feroit pied neuf :

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par ce luy convenoit prendre couraige nouveau au nouvel advenement de son poupon, & encores, que la douleur luy fust quelcque peu en fascherie : toutesfoys, que ycelle seroit briefve, & la joye, qui tost succederoit, luy tolliroit tout cest ennuy : en sorte, que seullement ne luy en resteroit la soubvenance. Je le prouve (disoit il) Nostre saulveur dit en l’evangile, Ioannis xvi. La femme, qui est à l’heure de son enfantement, a tristesse : mais lors qu’elle a enfanté, elle n’a soubvenir aulcun de son angoisse. Ha (dist elle) nous dictes bien, & ayme beaulcoup mieulx ouyr telz propos de l’evangile, & mieulx m’en trouve, que de ouyr la vie saincte Marguerite, ou quelcque aultre capharderie. Maus pleust à Dieu, que vous l’eussiez couppé. Quoy ? dist Grandgosier. Ha (dist elle) que vous estes bon homme ! vous l’entendez bien. Mon membre (dist il) ? Sang de les cabres, s’il vous semble bon, faictes apporter ung cousteau. Ha (dist elle) ja Dieu ne plaise, Dieu me le pardoynt, je ne le dis de bon cueur : & pour ma parolle n’en faictes ne plus, ne moins.

Mais je auray prou d’affaires ajourdhuy, si Dieu ne me ayde : & tout par vo

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stre membre, que vous fussiez bien ayse.

Couraige, couraige (dist il) ne vous souviez au reste, & laissez faire au quatre boeufz de devant. Je men voys boire encores quelcque vegade. Si ce pendant vous survenoit quelcque mal, je me tiendray pres, huschant en paulme je me rendray à vous.

Peu de temps apres elle commença à souspirer, lamenter, & crier. Soubdain vindrant à tas saiges femmes de touts coustes. Et la tastant par le bas, trouvarent quelcques pellauderies, assés de maulvaus goust, & pensoyent, que ce fust l’enfant : mais c’estoit le fondement, qui luy escappoit, a la mollification du droict intestin, lequel vous appellez le boyau cullier, par trop avoir mangé des tripes, comme avons declairé cy dessus.

Dont une horde vieille de la compaginie, laquelle avoit reputation d’estre grande medicine, & là estoit venue de Brizepaille d’aupres Sainct Genou d’avant soixante ans, kuy feist ung restrinctif si horrible, que touts ses larrys tant durent oppilés, & reserrés, que à grand’peine avecques les dentz vous le eussiez eslargiz : qui est chose bien hoorible à penser.

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Mesmement, que le dyable à la messe de Sainct Martin escripvant le quaquet de deux galoises, à belles dentz alongea son parchemin. Par cest inconvenient furent au dessus relaschés les cotyledons de la matrice, par lesquelz sursaulta l’enfant, & entre en la vene creuse, & gravant par le dyaphragme jusques au dessus des espaules (ou ladicte vene se part en deux) print son chemin à gauche, & sortit par loreille senestre.

Soubdain, qu’il fut né, ne cria comme les aultres enfants, mies, mies, mies. Mais à haulte voix s’escrioit, à boire, à boire, à boire, comme invitant tout le monde à boire : si bien qu’il fut ouy de tout le pays de Beusse, & de Bibaroys.

Je me doubte, que ne croyez asseur »ment ceste estrange nativité. Si ne le croyez, je ne m’en soucie : mais ung homme de bien, ung homme de bon sens croyt tousjours ce, qu’on luy dict, & qu’il trouve par escript.

Ne dict Salomon proverbiorum. xiiij ? Innoccens credit omni verbo, &c. Et sainct Paul, priame Corinthiorum. xiij. Charitas omnia credit. Pourquoy ne le croiriez nous ?

Pource (dictes vous) qu’il n’y a nulle

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apparence. Je vous dy, que pour ceste seulle cause vous le debvez croire en foy parfaicte. Car les Sorbonistes disent, que foy est argument des choses de nulle apparence ; Est ce contre nostre luy, nostre foy, contre raison, contre la saincte escripture ? De ma part je ne toruve rien escript es bibles sainctes, qui soit contre cela. Mais si le vouloir de Dieu tel eust esté, diriez vous, qu’il ne l’eust peu faire ? Ha pour grace, n’emburelucocquez jamais vos espritz de ces veines pensées. Car je vous dis, que à Dieu rien n’est impossible. Et s’il vouloit, les femmes auroient doresnavant ainsi leurs enfants par l’oreille.

Bacchus ne fut il pas engendré par la cuisse de Jupiter ?

Rocquetaillade nasquit il pas du talon de sa Mere ?

Crocquemouche de la pantoufle de sa nourrice ?

Minerve nasquit elle pas du cerveau par l’oreille de Jupiter ?

Mais vous seriez bien d’avantaige esbahy, & estonnés, si je vous exposoys presentement tout le chapitre de Pline, auquel parle des enfantements estranges, & contre nature. Et toutesfoys je ne suis poinct

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menteur tant asseuré, comme il a esté. Lisez le septiesme de sa naturelle histoire, capi. iij. & ne m’en t’abustez plus l’entendement.

Comment le nom fut imposé à Gargantua, & comment il humoit le piot. Chapitre. VI.

[illustration]

LE bon homme Grandgosier beuvant & se rigollant avecques les aultres entendit le cry horrible, que son filz avoit faict entrant en la lumiere de ce monde, quand il brasmoit demandant à boire, à boire, à boire : dont il dist, que grand tu

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supple le gosier. Ce que oyants les asistans, dirent que vrayement il debvoit avoir par ce le nom Gargantua, puis que telle évoit esté la premiere parolle de son Pere à sa naissance, à l’imitation, & exemple des anciens Hebreux. A quoy fut condescendu par icelluy, & pleut tresbien a sa Mere. Et pour l’appaiser, luy donnarent à boyre à tyre larigot, & fut porté sur les fonts, & là baptisé, commee st la coutume des bons chrestiens. Et luy furent ordonnées dix, & sept mille neuf cents vaches de Pautille, & de Brehemond,pour l’alaicter ordinairement, car de trouver nourrice suffisante n’estoit possible en tout le pays, consideré la grand’quantite de laict requis pour icelluy alimenter. Combien qu’aulcuns docteurs Scotistes ayent affermé, que sa Mere l’alaicta, & qu’elle pouvoit traire de ses mammelles quatorze cents pippes de laict pour chascune foys. Ce que n’est vray semblable. Et a esté la proposition declairée par Sorbone scandaleuse, des pitoyables oreilles affensive, & sentant de loing heresie. En cest estat passa jusques à ung an, & dix moys : auquel temps par le conseil des medecins on commença le porter, & fut faicte une belle charrette à boeufz par l’in

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vention de Jehan Denyau : & là dedans on le pourmenoit par cy, par là joyeusement, & le faisoit bon veoir : car il portoit bonne trongne, & avoit presque dix, & huyt mentons, & ne cryoit, que bien peu : mais il se couchoit à toutes heures, car il estoit merveilleusement phlegmaticque des fesses, tant de sa complexion naturelle, que de la disposition accidentable, qui luy estoit advenue par trop humer de purée Septempbrale. Et n’en humoyt goute sans cause. Car s’il advenoit, qu’il fust despit, courouce, fasché, ou marry, s’il trepignoyt, s’il pleuroit, s’il cryoit, luy apportant à boyre, lon le remettoit en nature, & soubdain demouroit quoy, & joyeulx. Une de ses gouvernantes m’a dict, que de ce faire il estoit tant coustumier, qu’au seul son des pinthes, & flaccons, il entroit en ecstase, comme s’il goustoit les joyes de paradis. En sorte, que elles considerans ceste complexion divine pour le resjouyr au matin faisoyent devant luy sonner des verres avecques ung cousteau, ou des flaccons avecq leur toupon, ou des pinthes, avecq leur couvercle. Auquel son il s’esgayoit, il tressailloit, & luy mesme se berssoit en dodelinant de la teste, monichordisant des doigtz, & barytonant du cul.

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Comment on vestit Gargantua. Chap. VII.

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LUy estant en cest eage, son Pere ordonna ; qu’on luy feist des habillements à sa livrée, laquelle estoit de blanc, & bleu ? De faict on y besongna, & furent faictz, taillés, & cousuz à la mode, qui pour lors couroit. Par les anciennse Pantarches, qui sont en la chambre des comptes à Monsoreau, je trouve, qu’il fut vestu en la façon, qui snsuyt.

Pour la chesmie, furent levées neuf cents aulnes de toille de Chsteleraud : & deux cents, pour les coussons en sorte de carreaulx, lesquelz on mist soubz les esselles.

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Et n’estoit poinct froncée, car la fronsure des chemises n’a esté inventée, sinon depuis, que les Lingieres, lors que la poincte de leur aguille estoit rompur, ont commencé à besongner du cul.

Pour son pourpoinct furent levées huict cents treize aulnes de satin blanc, & pour les agueillettes, quinze cents neuf peaulx, & demye, de chiens. Lors commença le monde attacher les chausses au poirpoinct, et non le pourpoinct aux chausses, car c’est chose contre nature, comme amplement a declairé Olkam sus les exponibles de M. Haultechaussade.

Pour ses chausses furent levées unze cents cinq aulnes, & ung tiers d’estamet blanc : & furent deschicquettées en forme de colomnes striées, & crenelées par le derriere, affin de neschauffer les reins. Et flocquoit par dedans la deschicqueture de Damas bleu, tant que besoing estoit. Et notez, qu’il avoit tres belles grefves, & bien proportionnées au reste de sa stature.

Pour la Braguette, furent levées seize aulnes ung quartier d’icelluy mesme drap, & sur la forme d’icelle comme d’ung arc boutant, bien estachée joieusement à deux belles boucles d’or, qui prenoyent deux

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crochetz d’esmail, en ung chascun desquelz estoit enchassée une grosse esmeraude de la grosseur d’une pomme d’orenge. Car (ainsi, que dict Orpheus, libro de lapidus, & Pline libro ultimo) elle a vertu erective, & confortative du membre naturel. L’exiture de la Braguette estoit à la longueur d’une canne, deschicquettée comme les chausses, avecq le dams bleu flottant comme devant. Mais voyant la belle brodure de cane tille, & les plaisants entrelaz d’orfebvrerie, garniz de fins Diamans, fins Rubiz, fines Turquoyses, fines Esmeraudes, & unions Persicques, vous l’eussiez comparée à une belle corne d’abondance, telles que voyez es antiquailles, & telle, que donna Rhea es deux nymphes Adrastea, & Ida nourrices de Juppiter. Tousjours galante, succulente, refudante, tousjours verdoyante, tousjours fleurissante, tousjours fructifiante, pleine d’humeurs, pleine de fleurs, pleine de fruictz, pleine de toutes delices. Je advoue Dieu s’il ne la faisoit bon veoir. Mais je vous en exposeray bien d’advantaige au livre, que j’ay faict de la dignité des Braguettes. D’ung cas vous advertis, que si elle estoit bien longue, & bien ample, si estoit elle bien gar

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nie au dedans, & bien avitaillée, en rien ne ressemblant les hypocriticques braguettes d’ung tas de muguetz, qui ne sont pleines, que devent, au grant interest du sexe femenin.

Pour ses osuleirs furent lev »es quatre cents six aulnes de velours bleu cramoysi, & furent deschicquetés à barbe d’escrevisse bien mignonnement ; Pour la quarreleure d’iceulx furent employés unze cents peaulx de vache brune, tailléé à queues de merluz.

Pour son saye furent levées dix, & huict cents aulnes de velours bleu tainct en greine, brodé à l’entour de belles vignettes, & par le mylieu de pintges d’argent de canetille, enchevestrées de verges d’or avecq force perles, par ce denotant, qu’il seroit ung bon fessepinthe en son temps.

Sa ceinture fut de troys cents aulnes & demye de sarge de soye, moytie blanche, & moytie belue, ou je suis bien abusé.

Son espée ne vut Valentienne, ny son poignard Sarragossoys, car son pere hayssoit touts ces Indalgos Bourrachous marranisés comme diables : mais il eut la belle espée de boys, & le poignard de cuyr bouilly, painctz, & d dorés, comme ung

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chascun soubhaitteroit.

Sa bourse fut faicte de la couille d’ung Oriflant, que luy donna Her Pracontal, Proconsul de Libye.

Pour sa robbe furent levées neuf mille six cents aulnes moins deux tiers de velours bleu, comme dessus, tout porfilé d’or en figure diagonale : dont par juste perspective yssoit une couleur innommée, telle que voyez es coulz des tourterelles, qui resjouyssoit merveilleusement les yeulx des spectateurs.

Pour son bonnet durent levées troys cents deux aulnes ung quart de velours blanc, & fut la forme d’icelluy large, & ronde à la capacité du chief. Car son pere disoit, que ces bonnet à la Marrabeise faictz comme une croste de pasté, porteroyent quelque jour mal encontre à leurs tonduz.

Pour son plumart portoit une belle grande plume bleue prinse d’une Onocrotal du pays de Hircanie la saulvaige, bien mignonnement pendant sus l’oreille droicte.

Pour son image avoit en une plataine d’or pesant soixante, & huict marcz, une figure d’esmail competant : en la quelle estoit pourtraict ung corps humain ayant deux

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testes, l’une virée vers l’aultre, quatre bras, quare pidz, & deux culz telz, que dict Platon in symposio, avoir esté l’humaine nature à son commencement mysticq, & au tour estoit escript en lettres Ionicques,

ΑΓΑΓΗ ΟΥ ΖΗΤΕΙ ΤΑ ΕΑΥΤΗΣ.

Pour porter au col, eut une chaine d’or pesante vingt, & cinq millz soicante, & troys marcz d’or, faicte en forme de grosses basses : entre lesquelles estoyent en œuvre gros Jaspes verds, engravés, & taillés en Dracons touts environnés de rayes, & estincelles, comme les portoit jadis le roy Necepsos. Et descendoit jusque à la boucque du petit ventre. Dont tout sa vie en eut l’emolument tel, quel sçavent les medecins Gregoys.

Pour ses gands furent mises en œuvre seize peaulx de lutins, & troys de loups garoux pour la brodure d’iceulx. Et de telle matiere luy furent faictz par l’ordonnance des Cabalistes de Sainlouand.

Pour ses anneaulx (lesquelz voulut son pere qu’il portast pour renouveller le signe antique de noblesse) il eu au doigt indice de sa main gaulche une escarboucle

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grosse comme ung œuf d’Austruche, enchassée en or de seraph bien mignonnement. Au doigt medical d’icelle eut un anneau faict des quatre metaulx ensemble, en la plus merveilleuse façon, que jamais fut veue, sans que l’assier foirssast l’or, sans que l’argent foullast le cuyvre. Le tout fut faict par le cpaitaine Chappuys, & Alcofibras son bon facteur. Au doigt medical de la dextre eu ung anneau faict en forme spirale, auquel estoyent enchassés ung balay en perfection, ung diamant en poincte, & une esmeraude de Physon, de pris inestimable. Car Hans Caruel grand lapidaire du Roy de Melinde les estimoit à la valeur de soixante neuf millions, huict cents nonante, & quatre mille moutons à la grad’laine : aultant l’estimerent les Fourques de Auxbourg.

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Les couleurs, & livrée de Gargantua. Chap. VIII.

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LEs couleurs de Gargantua furent blanc & bleu, comme cy dessus avez peu lire. Et par icelles vouloit son pere qu’on entendist, que ce luy estoit une joye celeste. Car le blanc luy signifiot joye, plaisir, delices, & resjouyssance : & le bleu, choses celestes. J’entends bien, que lisant ces motz, vous vous mocquez du vieil beuveur, & reputez l’exposition des couleurs par trop indague, & abhorrente : & dictes, que blanc signifie foy : & bleu, fermeté ; Mais sans vous mouvoir, courroucer, eschauffer, ny alterer (car le temps est dfangereux) re

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spondez moy, si bon vous semble. D’aultre contraincte ne useray envers vous, ny aultres, quelz qu’ilz soyent. Seulement vous diray ung mot de la bouteille. Qui vous meut ? qui vous poinct ? qui vous dict, que blanc signifie foy, & bleu fermeté ? Ung (dictes vous) livre trepelu, qui se vend par les bisouarts, & porteballes au tiltre, Le blason des couleurs. Qui l’a faict ? Quiconques il soit, en ce a este prudent, qu’il n’y a poinct mis son nom. Mais au reste, je ne sçay, quoy premier en luy je doibve admirer, ou son oultrecuydance, ou sa besterie. Son oultrecuydance, qui sans raison, sans cause, & sans apparence, a osé prescripre de son authorité privée, quelles choses seroyent denotées par les couleurs : ce qui est l’usance des tyrants, qui veulent leur arbitre tenir lieu de raison, non des saiges, & sçavants, qui par raisons manifestes contentent les Lecteurs. Sa besterie, qui a estime, que sans aultres demonstrations, & arguments vallables le monde reigleroit ses devises par ses impositions badaudes. De faict (comme dict le proverbe, à cul de foyard, tousjours abonde merde) il a trouvé quelcque reste de nyays du temps des haultz bonnets : lesquelz ont eu foy à

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ses escripts. Et celon iceulx ont taillé leurs apophthegmes, & dictés : en ont enchevestré leurs Muletz : vestu leurs Pages, escartelé leurs chausses, brodé leurs gands : frangé leurs lictz : painct leurs enseignes : composé chansons : & (qui pis est) faict impostures, & lasches tours clandestinement entre les pudicque matrones. En pareilles tenebres sont comprins ces glorieux de court, & transporteurs de noms : lesquelz voulants en leurs devises signifier espoir, font protraire une Sphere : des pennes d’oyseaulx, pour peines : de l’Ancholie, pour melancholie : la Lune bicorne, pour vivre en croyssant : ung banc rompu, pour bancque roupte : non, & ung halcret, pour non durhabit : ung lict sans ciel, pour ung licentié. Qui sont homonymies tant ineptes, tant fades, tant rusticques, & barbares, que lon debvroit attacher une queue de Renard au collet, & faire une masque d’une bouze de Vache à ung chascun d’iceulx, qui en vouldroit doresnavant user en France. Par mesmes raisons (si raisons les doibs nommer, & non resveries) feroys je paindre ung panier : denotant, qu’on me faict pener. Et ung pot à moustarde, que c’est mon

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cueur, à qui moult tarde. Et ung pot à pisser, c’est ung official. Et le fond de mes chausses, c’est ung vaisseau de petz, & ma braguette, c’est le greffe des arrestz. Et ung estront de chien, c’est ung tronc de ceans, ou gist l’amour de mamye. Bien aultrement faisoient au temps jadis les saiges d’Egypte, quand ilz escripvoient par lettres, qu’ilz appelloient hieroglyphiques. Lesquelles nul n’entendoit, qui n’entendist : & ung chascun entendoit, qui entendist la vertu, proprieté, & nature des choses par icelles figures. Desquelles Orus Apollon a en Grec composé deux livres : & Polyphile au songe d’amours en a d’avantaige exposé. En France vous en avez quelcque transon en la devise de monsieur l’Admiral : laquelle premier porta Octovian Auguste. Mais plus oultre ne fera voyle mon esquif entre ces gouffres, & guez mal plaisants. Je retourne faire scalle au port, dont suis yssu. Bien ay je espour d’en escrire quelcque jour plus amplement : & monstrer tant par raisons Philosophicques, que par authorités receues, & approuvées de toute ancienneté, quelles, & quantes couleurs sont en nature : en quoy par une chascune peult estre desi

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gné, si le dieu me saulve le moulle du bonnet, c’est le pot au vin, comme disoit ma mere grand.

De ce, qu’est signifié par les couleurs blanc, & bleu. Chapi. IX

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LE blanc doncq signifie joye, soulas, & lyesse : & non à tort le signifie, mais à bon droict, & juste tiltre. Ce que pourrez verifier, si arriere mises voz affections voulez entendre ce, que presentement je vous exposeray. Aristitele dict, que supposant deux choses contraires en leur espece : comme bien, & mal : vertu, &

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vice : froid, & chaud : blanc, & noir : volupté, & douleur : joye, & dueil : & ainsi des aultres : si vous les coublez en telle façon, qu’ung contraire d’une espece convienne raisonnablement à l’ung contraire d’une aultre, il est consequent, que l’aultre contraire compete avecq l’aultre residu. Exemple. Vertu, & vice sont contraires en une espece : aussi sont bien, & mal. Si l’ung des contraires de la premiere espece convient à l’ung de la seconde : comme vertu, & bien : car il est sceu, que vertu est bonne : ainsi feront les deux residuz, qui sont mal, & vice : car vice est maulvais. Ceste reigle logicale entendue, prenez ces deux contraires : joye, & tristesse : puis ces deux, blanc, & noir. Car ilz sont contraires physicalement. Si ainsi doncq est, que noir signifie dueil, à bon droict blanc signifiera joye. Et n’est poinct ceste signifiance par imposition humaine instituée, mais receue par consentement de tout le monde, que les Philosophes nomment jus gentium, droict universel valable par toutes contrées. Comme assez scavez, que touts peuples, toutes nations (j’excepte les antiques Syracusants, & quelcques Argives : qui avoient l’ame de travers) toutes lan

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gues voulants exterieurement demonstrer leur tristesse portent habit de noir : & tout dueil est faict par noir. Lequel consentement universel n’est faict, que nature n’en donne quelcque argument, & raison : laquelle ung chascun peult soubdain par soy comprendre sans aultrement estre instruict de personne, laquelle nous appellons droict naturel. Par le blanc à mesmes induction de nature, tout le monde a entendu joye, lyesse, soulas, plaisir, & delectation. Au temps passé les Thraces, & Cretes signoient les jours bien fortunés, & joyeux, de pierres blanches : les tirstes, & defortunés, de noires. La nuyct n’est elle funeste, rriste, & melancholieuse ? Elle est noire, & obscure par privation. La clarté n’esjouyt elle toute nature ? Elle est blanche plus, que chose, qui soit. A quoy, prouver je vous pourroys renvoyer au livre de Laurent Valle contre Bartole : mais le tesmoignage Evangelicque vous contentera. Matth. xvij. est dict, que à la transfiguration de nostre Seigneur : vestumentacius facta sunt alba sicut lux, ses vestements furent faictz blancs comme la lumiere. Par laquelle blancheur lumineuse donnoit entendre à ses troys Apostres

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l’idée, & figure des joyes eternelles. Car par la clarté sont touts humains esjouys. Comme vous avez le dict d’une vieille, qui n’avoit dents en gueulle, encores disoit elle, Bona lux. Et Thobie, cap. v. quand il eut perdu la veue, lors que Raphael le salua, respondit. Quelle joye pourray je avoir, qui poinct ne voy la lumiere du ciel ? En telle couleur tesmoignarent les Anges la joye de tout l’univers à la resurrection du saulveur, Ioan. xx. & à son Ascension, Act. i. De semblable parure veit sainct Jehan evangeliste, Apocal. iiij. & .vij. les fideles vestuz en la celeste, & beatifiée Hierusalem. Lisez les histoyres antiques tant Grecques, que Romaines, vous trouverez, que la ville d’Albe (premier patron de Romme) fut & construicte, & appellée à l’invention d’une truye blanche. Vous trouverez, que si à aulcun, apres avoir eu des ennemys victoyre, estoit decreté, qu’il entrast à Romme en estat triumphant, il y entroit sur ung char tiré par chevaulx blancs. Aultant celluy, qui y entroit en ovation. Car par signe, ny couleur ne pouvoyent plus certainement exprimer la joye de leur venue, que par la blancheur. Vous trouverez, que Pericles Duc des Athe

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niens voulut celle part de ses gents d’armes, esquelz par sort estoient advenues les febves blanches, passer toute la journée en joye, soulas, & repos : ce pendant, que ceulx de l’aultre part batailloyent. Mille aultres exemples, & lieux à ce propos vous pourroys je exposer, mais ce n’est icy le lieu. Moyennant laquelle intelligence pouvez  resouldre ung probleme, lequel Alexandre Aphrodise a reputé insoluble. Pourquoy le Lyon, qui de son seul cry, & rugissement espouvant touts animaulx, seullement craint, & revere le coq blanc ? Car (ainsi que dict Proclus lid ; de sacridicio, & magia) c’est par ce, que la presence de la vertu du Soleil, qui est l’organe, & promptuaire de toute lumiere terrestre, & syderale, plus est symbolisant, & competante au coq blanc (tant pour icelle couleur, que pour sa proprieté, & ordre specificque) qu’au Lyon. Plus dict, qu’en forme Leonine ont esté diables souvent veuz, lesquelz à la presence d’ung coq blanc soubdainement sont disparuz. Ce est la cause, pourquoy Galli (ce sont les Francoys ainsi appelés par ce, qu’ilz sont blancs naturellement comme laict, q[u]e les Grecz nomment Gala, voulentiers portent

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plumes blanches sus leurs bonnetz. Car par nature ilz sont joyeulx, candides, gratieux, & bien aymés : & pour leur sembole, & enseigne ont la fleur plus, que nulle aultre blanche, c’est le lys. Si demandez, comment par couleur blanche Nature nous induict entendre joye, & lyesse : je vous responds, que l’analogie, & conformité est telle. Car comme le blanc exterieurement disgrege, & espart la veue, dissolvant manifestement les espritz visifz, selon l’opinion d’Aristoteles en ses problemes, & des perspectifz, & le voyez par experience : quand vous passez les montz couverts de neige : en sorte, que vous plaignez de ne pouvoir bien regarder, ainsi que Xenophon escript estre advenu à ses gents : & comme Galien expose amplement lib. x. de usu partium : tout ainsi le cueur par joye excellente est interieurement espars, & patist manifeste resolution des espritz vitaulx. Laquelle tant peult estre acreue, que le cueur demoureroit spolié de son entretien, & par consequent seroit la vie estaincte, par ceste parichardie : comme dict Galien lib. xij. Methodi lib. v. de locis affectis, & lib. ij. de symptomaton causis. Et comme estre au temps

Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

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