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1527-Le chevalier sans paour et sans reprouche (Jacques de Mailles) (61-70)

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aux camps et deffist cinq cens suysses au lieu mesmes ou receut les coups de la mort icelluy seigneur de Conty. Quelques jours furent les suysses devant Milan, mais vivres leur faillirent, parquoy furent contrainctz venir a quelque appoinctement et eulx en retourner. Ledit appoinxtement se fist par leur cappitaine general et qui les avoit amenez que lon nommoit le baron de Casz avecques le duc de Nemours en ung lieu pres Milan dit sainct Ange. Lesditz suysses sen retourenerent, mais ceste descente fist gros dommage en la duche, car ilz bruslerent quinze ou ving gros villages. Peu apres sen alla ledit duc de Nemours par ce quil entendit que larmee despaigne approchoit Boulongne pour lassieger en ung village pres de Ferrare nomme le Fynal ou il assembla toute larmee et la logea la a lentour. Ainsi que ladicte armee marchoit droit a ce Fynal passa le noble duc de Nemours par une petite ville appellee Carpy avecques la pluspart des cappitaines, mesmement ceulx en qui plus se fioit et quil aymoit le mieulx.Il y sejourna deux jours, et y fut fort bien receu avecques sa compaignie du seigneur de la ville quon estimoit homme de grant scavoir, tant es lettres grecques que latines. Il estoit cousin germain de PIccus myrandula, et luy sappelloit Albertus myrandula conte de Carpy. Il souppa le soir de larrivee dudit duc de Nemours avecques luy et les cappitaines francois ou il y eut plusieurs devis, et entre autres dung astrologue que aucuns autres appelloient devyn lequel estoit en cest ville de Carpy, et que cestoit merveilles de ce quil disoit des choses passes sans en avoir jamais eu congnoissance Et encores qui plusfort estoit parloit des choses a venir. Il nest riens si certain que tous vrais chrestiens doivent tenir quil nya que dieu qui sache les choses et a tant de sortes de gens qui depuis sont advenues quil a mis beaucoup dem onde en resverie. Quant le gentil duc de Nemours en eut ouy parler, ainsi que jeunesgens appetent de veoir choses nouvelles pria au conte quil lenvoyast querir, ce qui fist, et vint incontinent. Il povoit estre de laage de soixante ans ou environ homme sec et de moyenne taille. Le duc de Nemours luy tendit la main, & en ytalien luy demanda comment il se portoit, il luy respondit treshonnestement. Plusieurs propos durent tenuz, et entre autres luy fut demande par le seigneur de Nemours si le visroy de Naples et les espaignolz attendroient la bataille. Il dist que ouy, et que sur sa vie elle seroit le vendredy sainct ou le jour de pasques & si seroit fort cruelle. Il luy fut demande qui la gaigneroit. Il respondit ses propres motz. Le camp demourera aux francois, et y feront les espaignolz la plus grosse & lourde perte quilz firent cent ans a, mais les francois ny gaigneront gueres, car ilz perdront beaucoup de gens de bien et dhonneur dont ce sera dommage. Il dist merveilles. Le seigneur de la Palisse luy demanda sil demoureroit point a ceste bataille. Il dist que nenny quil vivroit encores douze ans pour le moins, mais quil

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mourroit en une autre bataille. Autant en dist il au seigneur Dimbercourt et au cappitaine Richebourg quil seroit en grant dangier destre tue de fouldre. Brief il ny eut gueres de gens en la compaignie quilz ne senquissent de leur affaire. Le bon chevalier sans paour et sans reprouche estoit present qui sen yroit et le gentil duc de Nemours luy dist. Monseigneur de Bayart mon amy je vous prie demandez ung peu a nostre maistre que ce sera de vous. Il ne fault point respondit il que je le demande, car je suis asseure que ce ne sera jamais grant chose, mais puis quil vous plaist je le vueil bien, et commenca a dire lastrologue. Monsieur nostre maistre je vous prie dictes moy si je seray une fois grant riche homme. Il respondit. Tu seras riche dhonneur et de vertu autant que cappitaine fut jamais en france, mais des biens de fortune tu nen auras gueres, aussi ne les cherches tu pas, et si te veulx bien adviser que tu serviras ung autre roy de france apres cestuy cy qui regne et que tu sers lequel taymera & estimera beaucoup, mais les envieux tempescheront quil ne te fera jamais de grans biens ne ne te mettra pas aux honneurs que tu auras meritez, toutesfois croy que la faulte ne procedera pas de luy. Et de ceste bataille que disctes estre si cruelle en eschapperay je. Ouy dist il, mais tu mourrasen guerre dedans douze ans pour le plustard et seras tue dartillerie, car autrement ny finerois tu pas tes jours par ce que tu es trop ayme de ceulx qui sont soubz ta charge que pour mourir ne te laisseroient en peril. Brief ce fut une droicte farce des propos que chascun luy demanda. Il voyoit quentre tous les cappitaines le duc de Nemours faisoit grande privaulte au seigneur de la Palisse et au bon chevalier. Il les tira tous deux a part et leur dist en son langaige. Masseigneurs je voy bien que vous aymez fort ce gentil prince icy lequel est vostre chief aussi le merite il bien Car sa face a merveilles demonstre sa onne nature. Donnez vous garde de luy le jour de la bataille, car il est pour y demourer. Sil en eschappe ce sera ung des grans et eslevez personnages qui jamais sortist de france Mais je trouve grosse difficulte quil en puisse eschapper, et pource pensez y bien, car je veulx que vous me trenchez la teste si jamais homme fut en si grant hazart de mort quil sera. Helas mauldit soit lheure dequoy il dist si bien verite. Le bon prince de Nemours leur demanda en soubzriant. Quesse quil vous dit messeigneurs. Le bon chevalier respondit quil changea de propos. Monseigneur, cest monseigneur de la Palisse qui luy fait une question scavoir mon sil est autant ayme de reffuge que vivrolz, il luy dit que non, dont il nest ps fort content. De ce joyeulx propos se print a rire monseigneur de Nemours qui ny pensa autrement. Sur ces entrefaictes arriva ung adventurier en la compaignie quon disoit estre gentil compaignon, mais assez vicieux quon appelloit Jacquyn caumont & portoit quelque enseigne es bendes du cappitaine Molart.Il se voulut faire de feste comme les autres et vint a lastrologue quil tira a part, et commenca a luy

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dire. Vienca bougre dy moy ma bonneadventure. Lautre se sentit injourie et respondit en homme courrouce. Va va je ne te diray riens, et si as menty de ce que tu me dis. Il y avoit beaucoup de gentilz hommes en presence, lesquelz dirent a Jacquyn. Cappitaine vous avez tort, vous voulez tirer du passetemps de luy & luy dictes injure. Alors il revint peu a peu & parla beaucoup plus doulcement en luy disant. Maistre mon amy si jay dit quelque folle parolle je te prie pardonne moy, et fist tant quil le rapaisa et puis muy monstra sa main, car ledit astrologue regardoit le visaige et les mains. Quant il eut veue celle de Jacquyn il luy dist en son langaige, je te prie ne me demandes riens, car je ne te diroye chose qui vaille Toute la compaignie qui estoit la se print a rire, et Jacquyn bien marry de ce que les autre ryoient dist encores a lastrologue, cest tout ung dis moy que cest, je scay bien que je ne suis pas cocu, car je nay point de femme. Quant il se veit ainsi presse il luy dist. Veulx tu scavoir de ton affaire. Ouy dist Jacquyn. Or pense doncques a ton ame de bonne heure dist lastrologue : car devant quil soit trois moys tu seras pendu et estrangle, et de rire par les escoutans de plus belle, lesquelz neussent jamais pense que le cas adviensist : car il ny avoit nulle apparence : pource quil estoit en credit parmy les gens de pied, et aussi quilz pensoient que le maistre leust dut pource que Jacquyn lavoit du commencement injurie : mais il ne fut riens si vray. Et comme on dit en ung commun proverbe qui a pendre ne peult noyer. Je vous diray ce qui advint de luy. Deux ou trois jours apres que le duc de Nemours fut arrive au Fynal qui est ung gros village au meillieu duquel passe ung canal qui va cheoir au Pau assez parfond, et y avoit ung pont de boys pour aller dung coste a lautre. De jour en jour en ce canal arrivoient plus de cent barques qui venoient de Ferrare et apportoient toutes maniers de victuailles aux Francois. Ung jour par adventure que Jacquyn eut bien souppe vint environ neuf heures de nuyt a force torches & tabourins de Suysses au logis de monseigneur de Moulart son cappitaine arme de toutes pieces et monte sur ung fort beau coursier en ordre comme ung sainct George : car de sa soulde ou de pollage il estoit fort bien vestu : et avoit trois ou quatre grans chevaulx, esperant que apres la guerre faillie se mettroit des ordonnances. Quant monseigneur de Molart le veit en ceste sorte, et veu lheure que cestoit se print a rire, congnoissant bien que la malvesye luy avoit quelque peu trouble le cerveau. Si luy dist. Comment cappitaine Jacquyn voulez vous laisser la picque. Nenny non dist il monseigneur, mais je vous supplie menez moy au logis de monseigneur de Nemours, et que devant luy il me voye rompre ceste lance que je tiens, affin quil ait congnoissance si ung saultebuysson ne courra pas ung boys aussi bien que ung haridelle. Le cappitaine Molart congneut bien que la matiere valloit bien venir jusques a la fin, et que les eigneur duc deNemours et toute la compaignie sen pourroit resjouyr. Si mena Jacquyn

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qui passa tout a cheval par dessus ce pont de boys qui traversoit le canal : car les gens de pied estoient logez dung coste & les gens de cheval de lautre. Or venu quil feust devant le logis du prince duc de Nemours qui desja en estoit adverty et descendu de sondit logis ensemble la compaignie qui estoit avecques luy pour en avoir leur passetemps : quant ilz furent sur la rue Jacquyn mieulx garny de vin que dautres choses avecques force torches en sorte quon y voyoit comme en plein midy se mist sur les rencs. Lors le duc de Nemours luy escrie. Cappitaine Jacquyn esse pour lamour de vostre dame ou pour lamour de moy que voulez rompre veste lance. Il respondit en parlant de dieu a la mode des aventueriers, que cestoit pour lamour de luy, et quil estoit homme pour servir le roy a pied et a cheval. Si baissa la veue et fist sa course tellement quellement, mais il ne sceut rompre sa lance. Il recourut encores ung coup : mais il en fist autant, et puis la tierce et quarte fois. Quant on veit quil ne faisoit autre chose il fascha la compaignie et le laissa on la. Bien ou mal fait pour luy se mist au retour a son logis le beau pas. Il avoit fort eschauffe son cehval, et de sorte quil alloit tousjours saultelant, joinct aussi quil ne le menoit gueres bien luy donnant de lespron sans propos : de facon que quant il fut sur ce pont de boys le chatoilloit tousjours Il avoit ung peu pluvyne, de sorte que en faisant par le cheval dedans le canal, ou pour le moins y avoit demy lance deaue. Ceulx qui estoient de sa compaignie sescrierent : a layde a layde. Denhault ne luy povoit on donner secours : car ce canal estoit fait comme ung fosse a fons de cuve, & sans le grant nombre des barques qui estoient la, on nen eust veu jamais pied ne main. Le cheval se deffist de son homme & nagea plus de demy quart dheure avant quil sceust trouver moyen deschapper. En fin il se trouva a ung lieu quon avoit baisse pour abreuver les chevaulx et se saulva. Le cappitaine Jacquyn le vaillant homme darmes grenoilla en leaue longuement : mais en fin comme par miracle fut saulve et pesche par ceulx qui estoient es barques : mais plus mort que vif. Incontinent fut desarme et pendu par les pieds, ou en peu de temps gecta par la bouche deux ou trois seaulxdeaue, & fut plus de six heures sans parler Toutesfois les medicins de monseigneur de Nemours le vindrent veoir, & fut si bien secouru que dedans deux jours fut aussi sain & gaillart que jamais. Il ne fault pas demander si de ces compaignons aventuriers fut mocque a double carillon : car lung luy disoit. He cappitaine Jacquyn vous souviendra il une autresfois de courir la lance a neuf heures de nuyt en yver. Lautre luy disoit. Il vault encores trop mieulx estre saultebuysson que haridelle, on ne tumbe pas de si hault. Bref il fut mene comme il luy appartenoit : mais cela ne me fait pour tant esmerveiller comme de ce quil se saulva de dedans ce canal et arme de toutes pieces : et cest ce qui ma fait mettre cest incident en ceste histoi

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re a propos de lastrologue de carpy qui luy avoit dit quil seroit pendu & estrangle : comme il fut le mardy dapres pasques ensuyvant quavoit este la furieuse journee de Ravenne, comme vous orrez. Estant ce gentil duc de Nemours au fynal attendant tousjours quelques nouvelles des ennemus se partit une journee entre les autres et alla visiter le duc & la duchesse de Ferrare en leur ville, lesquelz silz luy avoient fiat bonne chiere par le passe, encores la luy firent ilz meilleure. Il y demoura cinq ou six jours en joyeulx & honnestes passetemps et en rapporta les couleurs de la duchesse qui estoient de gris et noir, et puis sen retourna en son camp ou il eut certaines nouvelles que sans secourir la ville de Boulogne elle et ceulx qui estoient dedans sen alloient perduz, parquoy assembla tous les cappitaines pour y adviser. Si fut conclud quon yroit lever le siege. Il faisoit assez mauvais chevaucher, comme en la fin du moys de Janvier : toutesfois il partit du fynal et print son chemin droit a Boulongne, ou durant son voyage advint ung gros inconvenient : car la ville de Bresse fut reprinse par les Veniciens comme vous entendrez.

¶Comment messire Andre grit providadour de la seigneurie de Venise par le moyen du conte Loys adnogadre reprint la ville deBresse.

¶Chapitre .xlviiie.

Les veniciens taschoient tous les jours entre autres choses de trouver le moyen a remettre la ville de Bresse entre les mains de sa seigneurie qui est une des belles citez de Leurope des plus fortes et garnye de tous vivres que lon scauroit souhaiter pour nature substanter. Dedans icelle sourdent tant de belles fontaines que cest ung droit paradis terrestre. Il y a trois vallees qui viennent des Alamignes et les deux autres dentre le Fryol et Venize, et sappellent la val camonegue, la val troppe, et la val zobye : et par lune de ces trois se peult tousjours donner secours a la ville, laquelle estoit garnye des gens du roy deFrance, & en estoit pour lors gouverneur le seigneur du Ludde, & cappitaine du chasteau ung gentil homme du pays de Bascoz nomme Hergoye. La grande voulente quavoient les Veniciens de reprendre Bresse nestoit pas fondee sans raison : car par la affamoient ceulx qui estoient dedans Veronne, & faisoient barbe a ceulx qui vouldroient partir de Milan pour leur en faire porter : mais ilz ne povoient trouver moyen de la ravoir, ny aussi surprendre ceulx qui la gardoient sans avoir intelligence dedans a quelque gros personnage, & combien que les habitans feussent bons a sainct Marc person

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ne ne sosoit aventurer par ce que le feu seigneur de Conty et le bon chevalier pour une surprise qui leur cuyda estre faicte. Peu de temps devant avoient fait coupper la teste a ung des plus apparens de la ville & de la plus grosse maison nomme le conte Jehan marie de martinango qui en estoit le chef et plusieurs autres furent confinez en France : toutesfois le dyable ennemy de tout repos humain voulut user de sa science et va semer une discention en ladicte ville entre deux grosses maisons, lune de Gambre et lautre Adnogadre : mais celle de gambre estoit beaucoup plus favorisee des francois. Ung jour sesmeut ung debat entre deux des enfans du comte de Gambre et du conte Loys adnogadre, de sorte que celluy Gambre qui estoit bien acompaigne blessa oultrageusement lautre. Ledit comte Loys adnogadre ne sen feust sceu venger : car la force nstoit pas sienne en la ville : si sen estoit venu a Milan. Aucun temps avoit este devers le duc de Nemours pour en avoir la justice & reparation. Le bon prince le vouloit et en commanda commissions pour en faire linformation affin de rendre a chascun son droit. Je ne scay comment il alla : mais en fin nen eut autre chose, parquoy comme femme injurie a tort sans en povoir avoir raison se desespera & delibera de retourner a son naturel, & faisant semblant daller huyt ou dix jours a une sienne possession sen va jusques a Venize devers le duc et la seigneurie les induyre a regaigner & remettre entre leurs mains la bonne ville de Bresse et de ce leur bailla les moyens quil falloit tenir, qui pour lheure sortirent a bon effect. Sil fut le bien venu ne fault pas demander : car ladicte ville de Bresse estoit la fillole de Santmarco. Il fut festoye trois ou quatre jours comme ung roy : durant lequel temps prindrent conclusion en leur affaire, et luy fut promis au jour par eulx prins & assigne quil ny auroit nulle faulte que messire Andre grit ne se trouvast devant la ville avecques sept ou huyt mille hommes de guerre sans les villains des montaignes qui descendroient : & que ce pendant il allast gaigner gens en la ville et faire ses preparatifz. Il sen vint et secretement gaigna & tira a sa cordelle la plus part des habitans. Leseigneur du Ludde ne se fioit pas trop en eulx & faisoit chascun jour bon guet, mais il estoit bien mal acompaigne pour se deffendre contre la commune silz eussent eu mauvais vouloir, comme tous eurent ou la plus part, car cinq ou six jours apres a ung matin au point du jour vindrent les Veniciens a une des portes quilz trouverent garnye de gens pour la deffendre : si firent sonner lalarme. Le seigneur du Lude se mist incontinent en ordre pour la y cuyder donner : mais en mausant les francois a la porte partie des ennemys rompirent certaines grilles de fer par ou sortoient les immundices de la ville, et commencerent a entrer dedans criant Marco marco. Quant et quant le conte Loys adnogadre se mist sus et tous ceulx de sa faction, de sorte quon eust veu toute la ville en armes. Quant le povre seigneur du Lude veit quil estoit trahy feist sonner la retraicte a ses gens,

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et au mieulx quil luy fut possible avecques eulx se retira au chasteau : mais tous les chevaulx, harnois & habillemens y demourerent. La contesse de Gambre qui estoit francoise et tous ceulx qui tenoient le party du roy de France si saulverent. Sur ces entrefaictes furent les portes ouvertes et mis le seigneur messire Andre grit dedans. Une grosse pitie fut, car tous les francois qui furent trouvez dedans sans en prendre unf a mercy furent mis en pieces : mais ilz le comparurent apres comme vous verrez. La premiere chose que fist faire le comte Loys adnogadre quant il veit sa aforce : ce fut daller aux maisons de ceulx de Gambre, lesquelles il fist toutes ruyner et desmolir. Le providadour messire Andre grit congneut bien que ce nestoit pas le plus fort davoir eu la ville sil navoit le chasteau : car par la pourroit estre aiseement reprinse. Si lenvoya par une trompette sommer incontinent : mais il pedit sa peine, car trop estoit garny de gaillarde chevalerie Toutesfois au peuple qui y estoit entre les vivres neussent gueres dure Et davantage le providadour fist canonner la place a merveilles et y eut grosse berche faicte. Davantage fist soubdainement dresser deux engins en maniere de grues pour approcher de la place, lesquelz portoient bien chascun cent hommes de front. Bref ilz firent tout ce que possible estoit de faire pour prendre le chasteau. Le seigneur du Lude & le cappitaine Herigoye bien estonnez de ceste trahison descpecherent ung homme devers le duc de Nemours qui estoit alle avecques toute sa puissance a Boulongne en ladvertissant de leur inconvenient Et davantage que silz nestoient secouruz dedans huyt jours ilz estoient perduz. Le messagier combien que tous les passages feussent gardez eschappa : et fist si bonne diligence quil arriva devant boulongne. Le jour mesmes que le gentil duc avoit leve le siege & refreschy la ville de gens et de vivres les lettres luy furent presentees, que le bon prince ouvrit et leut. Il fut bien esbahy quant il entendit linconvenient de Bresse : car cestoit apres le chasteau de Milan la place que les Francois eussent en ytalie de plus grosse importance. Les cappitaines furent assemblez & conclurent tous ensemble que a toute diligence falloit retourner et la reprendre sil estoit possible Ce quilz pensoient asise a executer, pourveu que le chasteau ne se perdist point. Apres cest conclusion ny eut plus de proces : mais chascun fist troussr son cas et se misrent a chemin.

¶De la grande diligence que fist le gntil duc de Nemours pour reprendre Bresse : et comment il deffist le cappitaine general des Veniciens en chemin et cinq ou six mille hommes.

¶Chapite .xlie.

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QUant messsire Andre grit fut maistre et seigneur de la ville de Bresse et quil eut assiege le chasteau comme avez entendu ne se tint pas a tant, mais bien congnoissant que des ce que le duc de Nemours qui estoit alle lever le siege de boulongne en seroit adverty soubdain retourneroit, parquoy sil ne se trouvoit fort dedans la ville et aussi puissant que pour combatre aux champs seroit en dangier destre perdu. Il escripvit une lettre a la seigneurie quil envoya en extreme diligence, et en icelle leur faisoit entendre quil estoit plus que necessaire pour conserver la ville de Bresse par luy prise ilz envoyassent secours si puissant que ce feust pour se deffendre et a ung besoing donner la bataille au camp des francois, et par le moyen de Bresse recouvroient toutes leurs terres. Sa demande fut trouvee raisonnable et de grosse importance. Si fut incontinent mande a messire Jehan paule baillon lors cappitaine general de ceste seigneurie de venise quil eust jour et nuyt a marcher acompaigne de quatre cens hommes darmes et quatre mille hommes de pied et quil sen allast gecter dedans Bresse. Quant il eu le vouloir de la seigneurie entendu il se mist en son debvoir et a chemin au plustost quil peut. De lautre coste marchoit le duc de Nemours si diligemment que ung chevaucheur sur ung courrault de cent escus neust sceu faire plus de pays quil en faisoit en ung jour avecques toute son armee, et tant fist quil arriva aupres dung chasteau appelle Valege qui tenoit pour le roy de france et lequel cuydoit prendre le cappitaine Jehan paule baillon en passant. Et ce quil si amusa luy porta grant dommage, car le duc de Nemours en fut adverty, lequel fist faire ce jour la a son armee en fin cueur dyver comme a la my Fevrier trente mille de pays, et de facon quil se trouva plus pres de Bresse que ledit cappitaine Baillon qui en ung passage fut encontre des francois. Il avoit cinq ou six pieces dartillerie lesquelles il fist deslacher dont de lune fut tue le porte enseigne du seigneur de Theligny cappitaine moult a louer, lequel menoit avecques le bon chevalier les premiers couriers. Toute la nuyt le bon chevalier avoit eu la fiebvre et nestoit point arme, ains estoit en une robbe de veloux noir a chevaucher, mais quant il veit quil falloit combatre emprunta ung halecret dung adventurier quil mist sur sadicte robbe et monta sur ung gaillart coursier. Puis avecques son compaignon le seigneur de Theligny marcha droit aux ennemys. La grosse troppe de lavantgarde des francois estoit encores bien loing, toutesfois ilz ne laisserent point de charger, et y eut dure et aspre rencontre qui dura tousjours combatant ung quart dheure. Ce pendant en vindrent nouvelles au camp. SI furent les francois refreschis de gens, mais quant le cappitaine de la seigneurie les veit approcher tourna le doz se retirant de la la ou il estoit venu. Il fut chasse longuement, mais jamais ne peut estre pris. Ses gens de pied y demourerent, son ar

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tillerie et la pluspart de ses gens de cheval. Ce fut une gorgiase deffaicte et prouffitable aux francois, car silz feussent entrez dedans Bresse jamais neust este reprise. De ceste tant bonne rencontre fut marry et joyeulx le duc de Nemours, joyeulx de ce quil estoit victorieux, & marry de ce quil ne si estoit trouve Ces nouvelles furent incontinent sceues au chasteau de Bresse ou ilz firent feu de joye en ciq ou six lieux, car par la se trouvoient asseurez destre secourus dedans deux jours, mais silz en avoient joye au chasteau ilz en eurent bien autant de melencolie en la ville congnoissans que cestoit leur destruction, et se feussent voulentiers retournez les habitans, lesquelz vindrent supplier a messire Andre grit quile se retirast, mais il nen voulut riens faire dont mal luy en print Le noble prince duc de Nemours sen vint apres la deffaicte de Jehan paule baillon loger a vingt mille de Bresse, et lendemain au pied du chasteau. En marchant il se trouva quelque nombre de vilains assemblez en ung petit village, lesquelz voulurent tenir fort, mais en fin furent tous mis en pieces. Quant larmee des francois fut arrivee, incontinent monterent au chasteau quelques cappitaines pour reconforter les seigneur du Lude et cappitaine Herigoye, ensemble ceulx qui esoient dedans, et y fut porte force vivres, dont de joye tirerent dixhuyt ou vingt coups dartillerie en la ville qui de telle feste se feussent bien passez les habitans. Le lendemain monta le seigneur de Nemours au chasteau aussi dirent les cappitaines et toute larme ou il fut conclud de donner lassault a la ville qui fut aspre, dur et curel.

¶Comment le duc de Nemours reprist la ville de Bresse sur les veniciens ou le bon chevalier sans apour et sans reprouche acquist grant honneur, et comment il fut blesse quasi a mort.

¶Chapitre .le.

LE duc de Nemours qui ne voulut point songer en ses affaires apres quil fut monte au chasteau assembla tous ses cappitaines pour scavoir quil estoit de faire, car dedans la ville y avoit gros nombre de gens, comme huyt mille hommes de guerre et douze ou quatorze mille vilains du pays qui sestoient avecques eulx assemblez, et si estoit la ville forte a merveilles. ung bien y avoit quon descendoit du chasteau en la citadelle sans trouver fosse qui gueres donnast empeschement. Bien avoient fait ung bon rampart. Or en toute larmee du roy de france nestoient point alors plus de douze mille combatans, car une grosse partie estoit demouree a Boulongne Toutesfois au peu de nombre qui y estoit ny avoit que redire, car cestoit toute fleur de chevalerie, et croy que cent ans paravant navoit este veu pour le nombre plus

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gaillarde compaignie, et davantage avecques le bon vouloir que chascun avoit de servir son bon maistre le roy de france. Ce gentil duc de Nemours avoit tant gaigne le cueur des gentilz hommes et des adventuriers quilz feussent tous mors pour luy. Eulx assemblez au conseil fut demande par ledit seigneur a tous les cappitaines leur advis que chascun dist au mieulx quil sceut Et pour conclusion fut ordonne quon donneroit lassault sur les huit ou neuf heures lendemain matin, et telle fut lordonnance. Cest que le seigneur de Molart avecques ses gens de pied conduyroit la premiere pointe, mais devant luy yroit le cappitaine Herigoye et ses gens escarmoucher. Apres en une troppe marcheroient ce cappitaine Jacob que lempereur Maximilian avoit devant Padoue en la bende du prince de Hanno, mais par moyens fut gaigne au service du roy de france, & avoit alors deux mille lansquenetz. Les cappitaines Bonnet, Maugiron, le bastard de Cleves et autres jusques au nombre de sept mille hommes Et le duc de Nemours les gentilz hommes que conduysoit le grant seneschal de normandie avecques la plus grosse force de la gendarmerie a pid marcheroient a leur coste larmet en teste & la cuyrasse sur le doz, et monseigneur Dalegre seroit a cheval a la porte sainct Jehan qui estoit la seulle porte que les ennemus tenoient ouverte, car ilz avoient mure les autres avecques trois cens hommes darmes pour garder que nul ne sortist le vertueux cappitaine seigneur de la Palisse ne fut point a lassault, car le soir de devant il avoit este blesse en la teste dung esclat par ung coup de canon quon avoit tire de la ville au chasteau. Ceste ordonnance faicte schacun la trouva bonne, excepte le bon chevalier qui dist apres ce que le duc de Nemours selon son ordre eut parle a luy. Monseigneur saufve vostre reverence et de tous messeigneurs, il me semble quil fault faire une chose dont nous ne parlons point. Il luy fut demande par ledit seigneur de Nemours que cestoit. Cest dist il que vous envoyez monseigneur de Molart faire la premiere pointe, de luy je suis plus que asseure quil ne recullera pas ne beaucoup de gens de bien quil a avecques luy Mais si les ennemus ont point de gens destoffe et bien congnoissans la guerre avecques eulx, comme je croy que ouy sachez quilz les mettront a la pointe, et apreillement leurs hacquebutiers. Or en telz affaires sil est possible ne fault jamais reculler, et si davanture ilz repoussoient lesditz gens de pied & ilz ne feussent soustenuz de gendarmerie il y pourroit avoir gros desordre, parquoy je suis dadvis que avecques mondit seigneur de Molart on mecte cent ou cent cinquante hommes darmes qui seront pour beaucoup mieulx soustenir le fes que les gens de pied qui ne sont pas ainsi armez. Lors dist le duc de Nemours. Vous dictes vray monseigneur de Bayart, mais qui est le cappitaine qui se vouldra mettre a la mercy de leurs hacquebutes. Ce sera moy sil vous plaist monseigneur respondit le bon chevalier, et croyez que la compaignie dont jay la charge sera au jourdhuy de lhon

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neur au roy et a vous, et tel service que vous en apperceverez. Quant il eut parle ny eut cappitaine qui ne regardast lung lautre, car sans point de faulte le faict estoit tresdangereux. Toutesfois il demanda la charge, et elle luy demoura. Quant tout fut conclud, encores dist le duc de Nemours. Messeigneurs il fault que selon dieu nous regardions a une chose, vous voyez bien que si ceste ville se prent dassault elle sera ruynee et pillee et tous ceulx de deans mors qui seroit une grosse pitie. Il fault encores scavoir deulx avant quilz en essayent la fortune silz se vouldroient point rendre. Cela fut trouve bon, et le matin y fut envoye une des trompettes qui sonna des ce quil partir du chasteau & marcha jusques au premier rampart des ennemys ou estoient le providadour messire Andre grit et tous les cappitaines. Quant la trompette fut arrivee demanda a entrer en la ville on luy dist quil nentroit point, mais quil dist ce quil vouldroit & que sestoient ceulx qui avoient puissance de luy respondre. Lors fist son message tel que vous avez entendu cy dessus, et que silz vouloient rendre la ville on les laisseroit alleurs leurs vies sauves, sinon et ou elle se prendroit dassault quilz povoient estre tous asseurez de mourir. Il luy fut respondu quil sen povoit bien retourner & que la ville estoit de la seigneurie quelle y demoureroit, et davantage quilz garderoient bien que jamais francois ny mettroit le pied. Helas les povres habitans se feussent voulentiers renduz, mais ilz ne furent pas les maistres. La trompette revint qui fist sa response, laquelle ouye ny eut autre delay sinon que le gentilduc de Nemours qui desja avoit ses gens en bataille commenca a dire Or messeigneurs il nya plus que bien faire et nous monstrer gentilz compaignons, marchos ou nom de dieu et de monseigneur sainct Denys. Les parolles ne furent pas si tost proferees que tabourins, trompettes et clerons ne sonnassent lassault et lalarme si impetueusement que aux couars les cheveulx dressoient en la teste, et aux hardiz le cueur leur croissoit ou ventre. Les ennemys oyans ce bruit deslacherent plusieurs coups dartillerie, dont entre les autres ung coup de canon vint droit donner au beau meilliei de la troppe du duc de Nemours sans tuer ne blelsse personne qui fut quasi chose miraculeuse considere comme ilz marchoient serrez. Alors se mist a marcher avant le seigneur de Molart et le cappitaine Herigoye avecques leurs gens, et sur leur esle quant et quant le gentil et bon chevalier sans paour et sans reprouche a pied avecques toute sa compaignie qui estoient gens esleuz, car la pluspart de ses gensdarmes avoient en leur temps este cappitaines, mais ilz aymoient mieulx estre de sa compaignie a moins de bien fait la moictie que dune autre tant se faisoit aymer par ses vertus. Ilz approcherent pres du premier rampart, derriere lequel estoient les ennemys qui commencerent a tirer artillerie & leurs hacquebutes aussi dru comme mouches. Il avoit ung peu pluvyne, le chasteau estoit en montaigne, et pour descendre en la ville on couloit ung peu, mais le duc de nemours en monstrant quil ne vouloit

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pas de mourer des derreniers osta ses souliers et se mist en eschapins de chausses. A son exemple le firent plusieurs autres : car a vray dire ilz sen soustenoient mieulx. Le bon chevalier et le seigneur de Molart combatirent a ce rampart furieusement : aussi fut il merveilleusement bien deffendu. Les francois cryoient France france : ceulx de la compaignie du bon chevalier cryoient Bayart bayart, les ennemys cryoient Marco marco. Bref ilz faisoient tant de bruyt que les hacquebutes ne povoient estre ouyes. Messire Andre grit donnoit merveilleux courage a ses gens, & en son langage ytalien leur distoi. Tenons bon mes amys, les francois seront tantost lassez : ilz non que la premiere pointe Et si ce Bayart estoit deffaict jamais les autres napprocheroient. Il estoit bien abuse, car sil avoit grant cueur de deffendre, les francois lavoient cent fois plus grant pour entrer dedans : et vont livrer ung assault merveilleux par lequel ilz repousserent ung peu les veniciens. Quoy voyant par le bon chevalier commencea a dire, dedans dedans compaignons ils sont nostres, marchez tout est deffaict. Luy mesmes entre le premier & passa le rampart : et apres luy plus de mille, de sorte quilz gaignerent le premier fort : qui ne fut pas sans ce bien battre et y en demoura de tous les costez : mais peu des francois. Le bon chevalier eut ung coup de picque dedans le hault de la cuysse, et entra si avant que le bout rompit, et demoura le fer & ung bout du fust dedans. Bien cuyda estre frappe a mort de la douleur quil sentit. Si commencea a dire au seigneur de Molart Compaignon faictes marcher vos gens le ville est gaignee de moy : je ne scaurois tirer oultre : car je suis mort. Le sang luy sortoit en habondance, si luy fut force ou la mourir sans confession se retirer hors de la foulle avecques deux de ses archiers lesquelz luy estancherent au mieulx quilz peurent sa playe avecques leurs chemises quilz descirerent et rompirent pour ce faire. Le povre seigneur de Molart qui ploroit amerement la perte de so namy et voisin : car tous deux estoient de lescarlate des gentilz hommes, comme ung lyon furieux delibere le venger commencea rudement a pousser Et le bon duc de Nemours & sa flote apres, qui entendit en passant avoir le premier fort este gaigne par le bon chevalier, mais quil y avoit este blesse a mort. Si luy mesmes eust eu le coup neust pas eu plus de douleur, & commencea a dire. He messeigneurs mes amys ne vengerons nous point sur ses villains la mort du plus acomply chevalier qui feust au monde Je vous prie que chascun pense de bien faire. A sa venue furent Veniciens mal traictez & querpirent la cytadelle faisans myne se vouloir retirer vers la ville et lever le pont : catr trop eussent eu affaire les francois par ce moyen : mais ilz furent poursuyvis si vivement quilz passerent le palais & entrerent pesle mesle en la grant place en laquelle estoit toute leur force, la gendarmerie et chevaulx legiers bien a cheval avecques les gens de pied en bataille bien ordonne selon leur fortune. la se monstrerent les lansquenetz et a

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venturiers francois gentilz compaignons. Le cappitaine Bonnet y fist de grans appertises darmes Et sortant de sa troppe la longueur dune picque marcha droit aux ennemys & fut aussi tresbien seivy. Le combat dura demye heure ou plus. Les cytadins & femmes de la ville gectoient des ffenestres gros carreaux & pierres avecques eaue chaulde qui dommagea plus les francois que les gens de guerre. Ce nonobstant en fin furent Veniciens deffaictz, & en y demoura sur ceste grant place de si bien endormis quilz ne se resveilleront de cent ans sept ou huyt mille. Les autres voyans quil ny faisoit pas trop seur chercherent leur eschappatoire qui les tuoient comme pourceaulx. Messire Andre grit, le conte Loys adnogadre et autres cappitaines estoient a cheval : lesquelz quant ilz veirent la rotte entierement sur eulx voulurent essayer le moyen de se saulver, et sen allerent droit a ceste porte sainct Jehan cuydans sortir. Si firent abaisser le pont et cryoient Marco marco, ytalie ytalie : mais cestoit en voix de gens bien effrayez. Le pont ne fut jamais si tost baisse que le seigneur Dalegre gentil cappitaine et diligent nentrast dedans la ville avecques la gendarmerie quil avoit, et en escriant France france charge sur les Veniciens, lesquelz tous ou la plus grant part porta par terre Et entre autres le conte Loys adnogadre qui estoit monte sur une jument coursiere pour courir cinquante mille sans repaistre. Le providadour messire Andre grit veit bien quil estoit perdu sans remede si plus attendoit : parquoy apres avoir couru de rue en rue pour eschapper la fureur descendit de son cheval et se gecta en une maison seulement avecques ung de ses gens, ou il se mist en deffense quelque peu Mais doubtant plus gros iconvenient fist en fin ouvrir le logis ou il fut prins prisonnier. Bref nul nen eschappa qui ne feust mort ou prins Et sut ung des plus cruelz asaulx quon eust jamais veu : car des mors tant des gens de guerre de la seigneurie que de ceulx de la ville y eut nombre de plus de vingt mille Et des francois ne sen perdit jamais cinquant, qui fut grosse fortune. Or quant plus ny eut a qui combatre chascun se mist au pillage parmy les maisons, et y eut de grosses pitiez Car comme povez entendre en telz affaires il sen trouve tousjours queleques ungs meschans lesquelz entrerent dedans monasteres, firent beaucoup de dissolutions : car ilz pillerent et desroberent en beaucoup de facons, de sorte quon estimoit le butin de la ville a trois millions descuz. Il nest riens si certain que la prinse de Bresse fut en ytalie la ruyne des francois : car ilz avoient tant gaigne en ceste ville de Bresse que la plus part sen retourna & laissa la guerre : et ilz eussient fait bon mestier a la journee de Ravenne que vous entendrez cy apres. Il fault scavoir que devint le bon chevalier sans paour et sans reprouche apres quil eut gaigne le premier fort et quon leut si lourdement blesse que contrainct avoit este a son grant regret de demourer avecques deux de ses archiers. Quant ilz vei

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rent la cytadelle gaignee, en la premiere maison quilz trouverent desmonterent uns huys sur lequel ilz le chargerent, & le plus doulcement quilz peurent avecques quelque ayde quilz trouverent le porterent en une maison la plus apparente quilz veirent la a lentour : cestoit le logis dung fort riche gentil homme, mais il sen estoit fuy en ung monastere, & sa femme estoit demouree au logis en la garde de nostre seigneur avecques deux belles filles quelle avoit lesquelles estoient cachees en ung grenier dessoubz du foing. Quant on vint heurter a sa porte comme constante dattendre la misericorde de dieu la va ouvrir. Si veit le bon chevalier que on apportoit ainsi blesse, lequel fist incontinent serrer la porte, et mist deux archiers a lhuys : ausquelz il dist. Gardez sur vostre vie que personne nentre ceans si ce ne sont de mes gens. Je suis asseure que quant on scaura que cest mon logis personne ne sefforcera dy entrer. Et pource que pour me secourir je suis cause dont perdez agaigner quelque chose : ne vous souciez vous ny perdrez riens Les archiers firent son commandement, et luy fut porte en une fort belle chambre en laquelle la dame du logis le mena elle mesmes Et se gectant a genoulx devant luy parla en ceste maniere rapportant son langage au francois. Noble seigneur je vous presente ceste maison & tout ce qui est dedans : car je scay bien quelle est vostre part le debvoir de la guerre : mais que vostre plaisir soit de me saulver lhonner et la vie, et de deux jeunes filles que mon mary et moy avons qui sont prestes a marier. Le bon chevalier qui oncques ne pensa meschansete luy respondit. Madame je ne scay si je pourray eschapper de la playe que jay : mais tant que je vivray a vous ne a voz filles ne sera fait desplaisir non plus que a ma personne : gardez les seulement en vos chambres quelles ne se voyent point Et je vous asseure quil ny a homme en ma maison qui se ingere dentrer en lieu que ne le vueillez bien, vous asseurant au surplus que vous avez ceans ung gentil homme qui ne vous pillera point : mais vous feray toute la courtoysie que je pourray. Quant la bonne dame louyt si vertueusement parler fut toute asseuree. Apres il luy pria quelle enseignast quelque bon cirurgien & qui peust hastivement le venir habiller Ce quelle fist, et lalla querir elles mesmes avecques ung des archiers : car il ny avoit que deux maisons de la sienne. Luy arrive visita la playe du bon chevalier qui estoit grande et profonde : toutesfois il lasseura quil ny avoit nul dangier de mort. Au second appareil le vint veoir le cirurgien du duc de Nemours appelle maistre Claude qui depuis le pensa, et en fist tresbien son debvoir : de sorte quen moins dung moys fut prest a monter a cheval. Le bon chevalier habille demanda a son hostesse ou estoit son mary. La povre dame toute esploree luy dist. Sur ma foy monseigneur je ne scay sil est mort ou vif. Bien me doubte sil est en vie quil sera dedans ung monastere ou il a grosse congnoissance. Dame dist le bon chevalier faictes le chercher et je lenvoyeray querir en sorte quil naura point de mal. Elle se fist enquerir ou il estoit

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et le trouva : puis fut envoye querir par le maistre dhostel du bon chevalier, et par deux archiers qui lamenerent seurement Et a son arrivve eut de bon hoste le bon chevalier joyeuse chere Et luy dist quil ne se donnast point de melencolie et quil navoit loge que de ses amys. Apres la belle & glorieuse prinse de la ville de Bresse par les francois et que la fureur fut passee se logea le victorieux duc de Nemours qui nestoit pas lefigie du dieu mars, mais luy mesmes. Et avant que boyre ne manger assembla son conseil ou furent tous les cappitaines affin dordonner ce qui estoit necessaire de faire. Premier envoya chasser toutes manieres de gens de guerre qui estoient es religions & eglises, et fist retourner les dames aux logis avecques leurs maris silz nestoient plus prisonniers et peu a peu les asseura. Il convint diligenter a vuyder les corps mors de la ville par peur de linfection, ou on fut trois jours entiers sans autre chose faire, et en trouva lon vingt et deux mille et plus. Il donna les offices qui estoient vaccans a gens quil pensoit bien qui les sceussent faire. Le proces du conte Loys adnodagre fut fait, lequel avoit este cause de la trahison pour reprendre Bresse, et eut la teste trenche et mis apres en quatre quartiers, et deux autres de sa faction dont lung sappelloit Thomas delduc, et lautre Hieronyme de ryve. Sept ou huyt jours fut a Bresse ce gentil duc de Nemours ou une fois le jour pour le moins alloit visiter le bon chevalier, lequel il reconfortoit le mieulx quil pouvoit, et souvent luy disoit. He monseigneur de Bayart mon amy pensez de vous guerir, car je scay bien quil fauldra que nous donnions une bataille aux espaignolz entre cy et ung moys, et si ainsi estoit aymerois mieulx avoir perdu tout mon vaillant que ny feussiez tant jay grant fiance en vous. Le bon chevalier respondit. Croyez monseigneur que sil est ainsi quil y ait bataille, tant pour le service du roy mon maistre que pour lamour de vous et pour mon honneur qui va devant je my feroye plustost porter en lictiere que je ny feusse. Le duc de Nemours luy fist force presens selon sa puissance, et pour ung jour luy envoya cinq cens escus, lesquelz il donna aux deux archiers qui estoient demourez avecques luy quant il fut blesse. Quant le roy de france Loys douziesme fut advertu de la prinse de Bresse et de la belle victoire de son nepveu croyez quil en fut tresfort joyeulx. Toutesfois il congnoissoit assez que tant que ses espaignolz seroient rouans en la lombardie son estat de Milan ne seroit jamais asseure. Si en escripvoit chascun jour a sondit nepveu le noble duc de Nemours le priant tant affectueusement que possible luy estoit quil luy gectast la guerre de Lombardie, et quil mist peine den chasser les Espaignolz, car il luy ennuyoit de soustenir les fraiz quil convenoit faire aux gens de pied qui lavoit : et ne les povoit plus porter sans trop fouller son peupe, qui estoit la chose en ce monde quil faisoit a plus grant regret. Davantage quil scavoit bien que le roy Dangleterre luy brassoit dung brouet pour descendre en France Et

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pareillement les suysses, et que si cela advenoit luy seroit besoing de sayder de ses gens de guerre quil avoit en ytalie. Et en fin cestoit en toutes ses lettres la conclusion de donner la bataille aux espaignolz, ou les exterminer si loing quilz ne retournassent plus. Ce duc de Nemours avoit si grande amour au roy son oncle quen toutes choses se vouloit garder de le courroucer. Et davantage il scavoit certainement que ses lettres ne luy venoient point sans grande raison Si se mist en totalle deliberation dacomplir voluntairement le commadement qui luy estoit fait touchant mettre fin a la guerre. Si assembla tous es cappitaines gens de cheval & de pied, et a belles petites journees marcha droit a Boulongne, ou la aupres arriva en son camp le duc de Ferrare auquel il bailla son avantgarde a conduyre avecques le seigneur de la Palisse. Et tant alla quil trouva larmee du rou despaigne et du pape a quinze mille de Boulongne en ung lieu dit castel sainct Pedro. Cestoit une des belles armees et des mieulx asquipees pour le nombre quilz estoient quon eust jamais veu. Domp Raymon de cardonne visroy de Naples en estoit le chief, et avoit en sa compaignie douze ou quatorze cens hommes darmes dont les huyt cens estoient bardez. Ce nestoit que or et azur, et les mieulx montez de coursiers et chevaulx despaigne que gens de guerre quon sceut veoir.Davantage il y avoit deux ans quilz ne faisoient que aller et venir parmy ceste rommaigne qui est ung bon et gras pays et ou ilz avoient leurs vivres a souhait. Il y avoit douze mille hommes de pied seullement, deux mille ytaliens soubz la charge dung cappitaine ramassot, et dix mille espaignolz biscayns & navarres que conduysoit cappitaine general. il avoit autresfois mene ses gens en barbarye contre les mores, et avecques eulx avoit gaigne deux ou trois batailles. Brief cestoient tous gens aguerriz & qui scavoient les armes a merveilles. Quant le gentil duc de Nemours les eut approchez commencerent espaignolz tousjours a eulx retirer le long de la montaigne, et les francois tenoient la plaine. Si furent bien trois sepmaines ou ung moys quilz estoient les ungs des autres a six ou sept mille, mais bien se logeoient tousjours les espaignolz en lieu fort, et souvent sescarmouychoient ensemble, en facon que prisonniers se prenoient dung coste et dautre quasi tous les jours Tant ya que tous les prisonniers francois rapportoient que cestoit une triumphe de veoir larmee des espaignolz. Toutesfois le gentil duc de Nemours ne tous es cappitaines et gens de guerre ne desiroient autre chose que a les combatre, mais quon les trouvast en lieu marchant. Ceste finesse avoient que tousjours se tenoient en fort, et encores les y alla lon querir le jour de la bataille de Ravenne comme vous orrez, mais premier parleray comment le bon chevalier sans paour et sans reprouche partit de Bresse pour sen aller apres le duc de Nemours, et de la grande courtoysie quil fist a son hostesse.

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¶Comment le bon chevalier sans paour etsans reprouche partit de Bresse pour aller apres le duc de Nemours, et larmee du roy de france. De la grande courtoysie quil fist a son hostesse au partir, et comment il arriva devant la ville de Ravenne.

¶Chapitre .lie.

ENviron uing moys ou cinq sepmaines fut malade le bon chevalier sans paour et sans reporuche de sa playe en la ville de Bresse sans partir du lict dont bien luy ennoyoit, car chascun jour avoit nouvelles du camp des francois comment ilz approchoient les espaignolz & esperoit lon de jour en jour la bataille qui a son grant regret eust este donnee sans luy. Si se voulut lever ung jour & marcha parmy la chambre pour scavoir sil se pourroit soustenir. Ung peu se trouva foible, mais le grant cueur quil avoit ne luy donnoit pas le loysir dy longuement songer. Il envoya querir le cyrurgien qui le pensoit alors, et luy dist. Mon amy je vous prie dictes moy sil ya point de dangier de me mettre a chemin, il me semble que je suis guery ou peu sen fault, et vous prometz ma foy que a mon jugement le demourer doresnavant me pourra plus nuyre que amender, car je me fasche merveilleussement. Les serviteurs du bon chevalier avoient desja dit au cyrurgien le grant desir quil avoit destre a la bataille et que tous les jours ne regretoit autre chose, parquoy ce sachant et aussi congnoissant sa complexion luy dist en son langaige. Monseigneur vostre plaue nest pas encores close, toutesfois par dedans elle est toute guerie. Vostre barbier vous verra habiller encores ceste fois, et mais que tous les jours au matin et au soir il y mette une petite tente et une amplastre dont je luy bailleray loignement il ne vous empirera point, et si ny a nil dangier : car le grant mal de la playe est au dessus & ne touchera point a la selle de vostre cheval. Qui eust donne dix mille escus au bon chevalier il neust pas este si ayse. Son cyrurgien fut plus que bien contente, et se delibera de partir dedans deux jours commandant a ses gens qui durant ce temps ilz meissent en ordre tout son cas. La dame de son logis qui se tenoit tousjours sa prisonniere, ensemble son mary et ses enfans, et que les biens meubles quelle avoit estoient siens, car ainsi en avoient fait les francois aux autres maisons comme elle scavoit bin (eut plusieurs ymaginacions) considerant en soy mesmes que si son hoste la vouloit traicter a la rigueur et son mary il en tireroit dix ou douze mille escus : car ilz en avoient deux mille de rente. Si se delibera luy faire quelque honneste present et quelle lavoit congneu si homme de bien et de si gentil cueur que a son oppinion se contenteroit gracieusement. Le matin dont le bon chevalier devoit desloger apres disner, son hostesse avecques ung de ses serviteurs portant une petite boete dacier entra en sa chambre ou elle trouva quil se reposoit en une chair apres soy estre fort pour

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mene pour tousjours peu a peu essayer sa jambe elle se gecta a deux genoulx,, mais incontinent la releva, et ne voulut jamais souffrir quelle fist une parolle que premier ne fust assise aupres de luy, et puis commenca son propos en ceste maniere. Monseigneur la grace que dieu me fist a la prise de ceste ville de vous adresser en ceste vostre maison ne me fut pas moindre que davoir sauve la vie de mon mary, la myenne, et de mes deux filles acques leur honneur quelles doivent avoir plus cher. Et davantage depuis que y arrivastes ne ma este fait ne au moindre de mes gens une seulle injure, mais toute courtoysie, & nont pris vos gens des biens quilz y ont trouvez la valleur dung quatrin sans payer. Mon seigneur je suis assez advertye que mon maru, moy, mes enfans & tous ceulx de la maison sommes voz prisonniers pour en faire & disposer a vostre bon plaisir ensemble des biens qui sont ceans Mais congnoissant la noblesse de vostre cueur a qui nul autre ne pourroit attaindre suis venue pour vous suplier treshumblement quil vous plaise avoir pitie de nous en eslargissant vostre acoustumee liberalite, vecy ung petit present que nous vous faisons, il vous plaira le prendre en gre. Alors prist la boete que le serviteur tenoit et louvrit devant le bon chevalier qui la veit plaine de beaulx ducatz. Le gentil seigneur qui oncques en sa vie ne fist cas dargent se prist a rire, & puis dist. Madame combien de ducatz ya il en ceste boete. La povre femme eut paour qui feust courrouce den veoir si peu luy dist. Monseigneur il nya que deux mille cinq cens ducatz, mais si vous nestes content vous en trouverrons plus largement. Arlos il dist. Par ma foy madame quant vous me donneriez cent mille escus ne mauriez pas tant fait de bien que de la bonne chere que jay eue ceans et de la bonnes visitation que mavez faicte, vous asseurant quen quelque lieu que je me trouve aurez tant que dieu me donnera vie ung gentil homme a vostre commandement. De voz ducatz je nen vueil point, et vous remercye, reprenez les. Toute ma vie ay tousjours plus ayme beaucoup les gens que les escuz, et ne pensez aucunement que ne menvoyse aussi vontent de vous que si ceste ville estoit en vostre disposition et me leussiez donnee. La bonne dame fut bien estonnee de se veoir esconduyte. Si se remiste encores a genoulx, mais gueres ne luy laissa le bon chevalier. Et relevee quelle fut dist. Monseigneur je me sentirois a jamais la plus malheureuse femme du monde si vous nemportiez si peu de presnet que je vous fais qui nest riens au pris de la courtoysie que mavez cy devant faicte et faictes encores a present par vostre grande bonte. Quant le bon chevalier la veit ainsi ferme et quelle faisoit le present dung si hardy courage, luy dist. Bien doncques madame je le prens pour lamour de vous, mais allez moy querir vos deux filles, car je leur vueil dire adieu. La povre femme qui cuydoit estre en paradis dequoy son present avoit en fin este accepte alla querir ses filles lesquelles estoient fort belles, bonnes et bien enseignees, & avoient beaucoup donne de passetemps au bon chevalier

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durant sa maladie par ce quelles scavoient fort bien chanter, jouer du Luz et de Lespinete, et fort bien besongner a lesguille. Si furent amenees devant le bon chevalier qui ce pendant quelles sacoustroient avoit fait mettre les ducatz en trois parties, es deux acahscune mille ducatz, et a lautre cinq cens. Elles arrivees se vont gecter a genoulx, mais incontinent furent relevees. Puis la plus aisnee des deux commenca a dire. Monseigneur ses deux povres pucelles a qui avez tant fait dhonneur que de les garder de toute injure viennent prendre conge de vous en remerciant treshumblement vostre seigneurie de la grace quelles ont receue dont a jmais pour navoir autre puissance seront tenues a prier dieu pour vous. Le bon chevalier quasi larmoyant en voyant tant de doulceur & dhumilite en ses deux belles filles respondit. Mes damoyselles vous faictes ce que je devrois faire, cest de vous remercier de la bonne compaignie que mavez faicte dont je men sens fort tenu & oblige. Vous scavez que gens de guerre ne sont pas voulentiers chargez de belles besongnes pour presenter aux dames. De ma part me desplaist bien fort que nen suis bien garny pour vous en faire present comme je suis tenu. Vecy vostre dame de mere qui ma donne deux mille cinq cens ducatz que vous voyez sur ceste table, je vous en donne a chascune mille pour vous ayder a marier, et pour ma recompense vous prierez sil vous plaist dieu pour moy autre chose ne vous demande. Si leur mist les ducatz en leurs tabliers voulsissent ou non, puis sadressa a son hostesse a laquelle il dist. Madame je prendray ces cinq cens ducatz a mon prouffit pour les departir aux povres religions de dames qui ont este pillees et vous en donne la charge, car mieulx entendrez ou sera la necessite que toute autre, et sur cele je prens conge de vous. SI leur toucha a toutes en la main a la mode dytalie, lesquelles se misrent a genoulx plorans si tresfort quilz sembloit quon les voulsist mener a la mort. Si dist la dame. Fleur de chevalerie a qui nul ne se doit comparer, le benoist sauveur et redempteur Jesuchrist qui souffrit mort & passion pour tous les pecheurs le vous vueille remunerer en ce monde icy & en lautre. Apres sen retirerent en leurs chambres. Il fut temps de disner. Le bon chevalier fist appeler son maistre dhostel, auquel il dist que tout feust prest pour monter a cheval sur le midy. Le gentil homme du logis qui ja avoit entendu par sa femme la grande courtoysie de son hoste vint en sa chambre, et le genoil en terre le remercia cent mille fois en luy offrant sa personne et tous ses biens desquelz il luy dist quil povoit disposer comme siens a ses plaisir & voulente, dont le bon chevalier le remercia & le fist disner avecques luy. Et apres ne demoura gueres quil le demandast les chevaulx, car ja luy tardoit beaucoup quil nestoit avecques la compaignie par luy tant desiree ayant belle paour que la bataille se donnast devant quil y feust. Ainsi quil sortoit de sa chambre pour monter les deux belles filles du logis descendirent & luy firent chascune ung present quelles avoient ouvre durant sa maladie, lung estoit deux jolis et mignonns braceletz faiz

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de beaulx cheveulx de fil dor et dargent tant proprement que merveilles. Latre estoit une bource sur satin cramoisy ouvree moult subtilement. grandement les remercia & dist que le present venoit de si bonne main quil estimoit dix mille escuz Et pour plus les honnorer se fist mettre les braceletz au bras et la bource mist en sa manche les asseurant que tant quilz dureroient les porteroit pour lamour delles. Sur ces parolles monta a cheval le bon chevalier lequel fut acompaigne de son grant compaignon et farfaict amy le seigneur Daubigny que le duc d Nemours avoit laisse pour la garde de la ville & de plusieurs autres gentilz hommes deux ou trois mille : puis se dirent a dieu, les ungs retournerent a Bresse & les autres au camp des francois ou arriva le bon chevalier le mercredy au soir .viie. davril devant pasques. Sil fut receu du seigneur de Nemours ensemble de tous les cappitaines ne fault pas demander, et hommes darmes et aventuriers en demenoient telle joye quil sembloit pour sa venue que larmee en feust renforcee de dix mille hommes. Le camp estoit arrive ce soir la devant Ravenne, et les ennemys en estoient a six mille : mais le lendemain qui fut le jeudy sainct sapprocherent a deux mille.

¶Comment le siege fut mis par le noble duc de Nemours devant Ravenne, et comment plusieurs assaulx y furent donnez le vendredy sainct ou les francois furent repoussez.

Chapitre .liie.

QUant le gentil duc de Nemours fut arrive devant Ravenne assembla tous les cappitaines scavoir quil estoit de faire, car le camp des francois commencoit fort a souffrir par faulte de vivres qui y venoient a moult grant peine, et y avoit desja faulte de pain et de vin, par ce que les Veniciens avoient couppe les vivres dung coste, & larmee des espaignolz tenoit toute la coste de la rommaigne, de sorte quil failloit aux aventuriers manger chair et fromage par contraincte. Il y avoit encores ung gros inconvenient dont le duc de Nemours ne nul des cappitaines nestoit adverty Cest que lempereur avoit mande aux cappitaines des Lansquenetz que sur leur vie eussent a leur retirer incontinent sa lettre veue : et quilz neussent a combatre les espaignolz. Entre autres cappitaines Almans y en avoit deux principaulx, lung sappelloit Philippes de fribourg, et lautre jacob qui si gentil compaignon estoit, et de fait tous deux estoient vaillans hommes & duytz aux armes. Ceste lettre de lempereur estoit tumbee es mains du cappitaineJacob. Il estoit alle veoir le roy de France quelque fois en son royaulme depuis quil estoit a son service, ou il luy fut fait quelque present, de facon que son cueur fut tout francois. Pareillement ce duc de Nemours avoit tant gaigne les gens quetous ceulx quil avoit

Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

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