Le traitement des rimes

Les fluctuations dans les graphies médiévales peuvent également opacifier les rimes.

Il n’est pas rare pourtant que les copistes fassent rimer pour l’œil les vers que les poètes ont fait rimer pour l’oreille, alignant les graphies des mots à la rime et facilitant ainsi le travail de ceux qui cherchent à déterminer la texture des rimes.

Ces rimes pour l’œil ne sont toutefois pas systématiques et les multiples graphies qui coexistent pour rendre une même sonorité sont souvent déroutantes. Et si l’œil s’habitue rapidement à voir à la rime un mot en -eur et un mot en -or :

En toute l’abbaÿe n’a
Nonnain ne dame ne seigneur
Qui ne soit joyans de s’onnour
Jean Renart, Galeran de Bretagne, v. 7781-3

toutes les discordances graphiques ne sont pas si récurrentes, et conduisent parfois à se méprendre sur la texture de la rime :

Or a d’enfant geü ma fame ;
Mes chevaux ot brizié la jambe
            A une lice
Rutebeuf, La complainte Rutebuef de son oeul, v. 53-55

Qu’ele quidoit des ore mais
Qu’il sejornast od li en pais,
Si con preudom fait od sa feme.
Mais tant forment l’aime la dame
Gerbert de Montreuil, La continuation de Perceval, v. 6977-6980

On peut toutefois s’appuyer ici sur le fait que la rime la plus courante en poésie médiévale française est la rime dite léonine, c’est-à-dire celle qui couvre la pénultième voyelle et la dernière syllabe d’un vers masculin et les deux dernières syllabes d’un vers féminin. On peut donc partir du principe que toute rime est léonine par défaut et analyser les graphies discordantes dans cette perspective ; on se rendra vite compte que les graphies problématiques qui ne sont pas interprétables de la sorte sont assez peu nombreuses.

Les fluctuations graphiques peuvent également opacifier la disposition des rimes. À partir du moment où les mots qui riment ensemble ne riment pas pour l’œil, et où des graphies similaires ne dénoncent pas forcément des sonorités similaires, il peut en effet devenir délicat d’associer les vers qui riment ensemble. Lorsque les mots qui riment ne sont dans des vers consécutifs – rimes dites plates –, l’association est facilitée, mais dans les compositions strophiques qui mêlent rimes plates, croisées et embrassées, il y a parfois bien des pièges à déjouer. Ici, ni truc, ni astuce : seul une fréquentation assidue des textes permet d’éviter les pièges.

Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

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