Identification des problèmes

La source de ces difficultés est dans la langue elle-même, et plus précisément dans le lien qu’entretiennent son système phonétique et son système graphique.

Les principales difficultés qu’opposent les poèmes médiévaux en langue française relèvent essentiellement de ce que les principes de base de la technique poétique reposent sur la phonétique. Or notre savoir en matière de phonétique des états médiévaux du français repose tout entier sur des textes, surtout poétiques, dont les graphies sont fluctuantes :

  • d’une part, une même séquence de graphèmes ne renvoie pas forcément à une unique séquence de phonèmes ;
  • d’autre part, une même séquence de graphèmes peut correspondre à un ou à plusieurs phonèmes ;
  • enfin, un graphème peut ne renvoyer à aucun phonème, les graphies ayant conservé la trace de phonèmes amüis et certains graphèmes ayant d’emblée joué un rôle strictement graphique.[1]

Vu par le biais de la phonétique, ces fluctuations du système graphique du français font qu’un même phonème peut être transcrit de différentes manières et avec une nombre variable de graphèmes.

De telles particularités graphiques ont un impact à différents niveaux de l’analyse poétique :

  • ne démarquant pas les cas de synérèse (deux graphèmes vocaliques[2] contigus constituent une syllabe phonétique) et de diérèse (deux graphèmes vocaliques contigus constituent deux syllabes phonétiques), les graphies de l’ancienne langue brouillent le comptage des syllabes, un dénombrement compliqué encore par le fait que les élisions peuvent ou non être marquées à l’écrit ;
  • une même sonorité pouvant être rendue de différentes manières, les graphies de l’ancienne langue masquent parfois les caractéristiques de la rime (souvenons-nous à cet égard des observations faites précédemment sur les rimes du Lucis creator optime).

Or, le nombre de syllabes et la rime sont le fondement du vers français.

Ces difficultés sont partiellement prises en charge dans les éditions critiques modernes, notamment par l’usage du tréma pour signaler les diérèses. Mais ces trémas ne sont pas posés systématiquement et le décryptage de l’usage qu’en font les philologues suppose que l’on ait une connaissance suffisante à la fois de la versification classique du français et de la langue médiévale – deux conditions rarement réunies –, de sorte que les pratiques des philologues ne sont pas d’une grande aide en la matière.

Les conventions éditoriales de la philologie moderne ne sont pas pour autant à négliger, car elles nous fourniront des indices qui permettront d’éliminer certaines hypothèses.

Remarque
Les poèmes provençaux sont moins problématiques en ce sens que d’une part les enclises et les élisions sont systématiquement marquées, quand il y a lieu, au niveau de la langue par les poètes ou les copistes (c’est-à-dire que les formes sont adaptées à leur prononciation dans le vers) et que d’autre part les conventions éditoriales modernes font clairement la part entre les cas d’enclise (marqués d’un point médian ou bas) et les cas d’élision (marqués de l’apostrophe). Il en résulte des formes graphiques moins ambigües et des vers plus faciles à décrypter.


[1]Sur cette question, se reporter à notre manuel de phonétique historique, Englebert (2015).

[2]Ce que nous appelons ici « graphème vocalique » est un signe graphique généralement associé à un phonème vocalique, les concepts de voyelle et de consonne n’ayant pas de réelle pertinence à l’écrit dans le cas d’une langue comme le français, qui n’applique pas l’équivalence 1 phonème = 1 graphème.

Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

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