La strophe

En poésie provençale, la strophe est désignée sous le noms de cobla, un concept beaucoup plus significatif en poésie provençale qu’en poésie française à la même époque – le mot français couplet, qui demeure assez peu usité, est en fait une transposition du mot cobla.

Les vers des troubadours s’organisent en coblas ; la plus petite cobla est une cobla de 5-vers ; la cobla la plus longue compte un maximum de 16-vers – les vers coupés (c’est-à-dire les vers qui comptent moins de syllabes que le vers de base de la cobla) ne sont pas comptabilisés pour déterminer la longueur de la cobla.

Les coblas sont aussi variées que les rimes – celles-ci tirent d’ailleurs leur nom de celles-là comme en poésie française : la terminologie adoptée pour désigner les coblas recoupe celle qui est utilisée pour désigner les rims, à ceci près que dans une cobla, plusieurs types de rimes peuvent se combiner, et les adjectifs qui désignent les différents types de rimes se combinent alors aussi pour caractériser la cobla. Mais les coblas disposent également d’une terminologie qui leur est propre et qui essaie de rendre compte, de manière parfois très imagée, de toutes les combinaisons de types de rimes et de dispositions de rimes. D’où une quantité impressionnante de désignation des strophes… et une virtuosité poétique dont nous avons du mal à nous faire une idée.

Dans le manuscrit de référence du Leys d’Amors (celui publié par Anglade), on peut dénombrer une quarantaine de variétés de rims faisant l’objet chacune d’un chapitre à part entière (mais sous un même chapitre plusieurs variétés de rimes peuvent être regroupées) et plus de soixante-dix variétés de coblas. Si on veut faire le compte de toutes les combinaisons possibles, on se trouve face à des chiffres impressionnants.

De nombreux poèmes provençaux se caractérisent par le fait qu’ils intègrent une tornada (littéralement ‘tornade’), demi-strophe de clôture, qui reprend le schéma de la seconde moitié de la strophe qui la précède. Au plan du contenu, cette tornada contient des informations sur le (ou, plus souvent, la) dédicataire du poème, même si celui-ci (celle-ci) n’est pas nommé(e) autrement que sous un pseudonyme (les troubadours dissimulent souvent l’identité de leur protecteur), dédicataire auquel le poème est envoyé (symboliquement ou réellement). Dans les poésies les plus anciennes, la tornada ne contient pas d’envoi, elle répète en termes à peu près identiques une pensée exprimée dans un des couplets précédents (c’est le cas chez Guilhen de Peiteu ou Jaufré Rudel).

Une grande partie des poèmes des troubadours que nous avons conservés sont constitués de trois coblas et d’une tornada, mais les poèmes provençaux peuvent compter jusqu’à dix coblas et deux tornadas.

À l’intérieur d’un poème, le modèle strophique peut se répéter d’une strophe à l’autre (on parle dans ce cas de coblas unissonans, prisées notamment par Bernart de Ventadorn) ou encore changer d’une strophe à l’autre (on parle dans ce cas de coblas singulars, prisées surtout par Guilhen de Peiteu et Marcabrun).

Encore une fois, on peut difficilement imaginer le nombre de combinaisons possibles de dispositions de rimes potentielles, même en ne prenant en considération qu’un court poème de trois strophes (mais beaucoup en comptent bien davantage). L’étude formelle de la poésie des troubadours est quasiment inépuisable. Rares sont ceux qu’elle n’a pas découragés (Dominique Billy, qui leur consacra sa thèse de doctorat et avant lui, Isvan Frank et Alfred Jeanroy, auteurs de répertoires, sont les quelques rares spécialistes de ces questions).

Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

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