ghf

1296-Le regime dou corps (Aldebrandin de Sienne) (texte et traduction)

d'après l'édition de Louis Landouzy et Roger Pépin

Capiteles d'ewe

  Chapitre de l'eau (p. 117)
Li eve, si com li philosophe dient, naturelment si est froide et moiste, et ne doune point de norrissement, mais ele a vertu d'amenuisier le nourrisement, qu'il voise plus legierement par tous les menbres, et a vertu d'aidier et de refroidier tous ciaus qui sont de caude complexion plus ke n'a li vins.   L'eau, comme l'affirment les savants, est, par nature, froide et humide. Elle ne fournit pas de nourriture. Mais elle permet d'alléger la nourriture, de sorte qu'elle circule plus facilement à travers tous les parties du corps. Elle a pour qualité d'aider et de refroidir tous ceux qui sont de complexion chaude, bien plus que n'a le vin.
Et l'ewe ki est plus legiere doit on eslire [f° 44a] et ki legierement s'escaufe et se refroide, et ki tient .i. pau de saveur douce. Tele ewe doit on boire.   C'est l'eau qui est plus claire que l'on doit préférer, celle qui s'échauffe et se refroidit facilement, et qui a un petit goût doux. C'est cette eau qu'on doit boire.
De tourbles, et de salees, et d'autres manieres assés se doit on garder, se ce n'est por maladies removoir ; et se user les estuet, si les amendent selonc les ensegnements ke nous feismes en le premiere partie, car por les ensegnemens que nous feismes la, nous en passerons briefment.   Des eaux troubles et salées, et d'autres sortes encore, on doit s'en garder, sinon pour chasser les maladies. Et s'il faut en consommer, qu'on les prépare selon les prescriptions que nous avons formulées dans la 1re partie : du fait des prescriptions que nous avons données là, nous passons brièvement sur le sujet.

Capiteles de vin aigre

  Chapitre du vinaigre (p. 120)
Vins aigres est, de se nature, frois et caus mellés, si com dist Avicennes, mais il tient plus de froidure, et a nature de sechier, et de partir, et de passer. Et vaut plus à user pour maladies removoir que por santé garder. Et le puet on plus faire en ceste maniere : prendés boin vin et le metés en .i. vasel, mais qu'il ne soit plains, et le laissiés descouvert, et ensi devenra aigres, et le poés metre ou solel .iij. jors ou .iiij. ; et se plus tost le volés faire, prendés .i. fier caut, ou .i. piere de wason de riviere escaufé [f° 45b] et le boutés dedens, si sera aigres. Et se vous volés savoir s'il est boins, si en gietés sor le tere, et s'il bout et eskume, sachiés qu'il est boins, et s'il ne bout, il est malvais.   Le vinaigre est, par nature, froid et chaud à la fois, comme dit Avicennes. Mais il tient davantage du froid, et a la qualité de sécher, de partir, de passer. Il vaut mieux le consommer pour chasser les maladies que pour rester en bonne santé. On peut le faire surtout de la manière suivante. Prenez du bon vin et mettez-le dans un vase, sans qu'il soit rempli. Laissez à découvert. Ainsi il deviendra aigre. Vous pouvez le mettre au soleil 3 ou 4 jours. Si vous voulez le faire plus rapidement, prenez un fer chaud ou une pierre des berges d'une rivière chauffée et mettez cela dans le vin : il deviendra aigre. Et si vous voulez savoir s'il est bon, versez-en sur la terre : s'il bouillonne et fait de l'écume, sachez qu'il est bon ; s'il ne bouillonne pas, il est mauvais.
Tels vins est boins pour user pour restraindre le ventrail et escaufer, et le vomir estanchier, et est boins à user en totes caudes maladies ; especiaument vaut quant li tans est corrunpus pour trop grant caleur. Et sachiés qu'il a une caleur, si com li auteur de phisique dient, que s'il trueve l'estomac plain, il le fait aller a cambre, et s'il le trueve wit, si le restraint.   Cette sorte de vin est bonne à consommer pour resserrer et échauffer les entrailles, pour apaiser les nausées. Il est bon à consommer dans toutes les maladies chaudes. Il est particulièrement indiqué quant le temps est corrompu par une très forte chaleur. Sachez qu'il présente une chaleur, comme les maîtres de médecine l'affirment, telle que s'il trouve l'estomac plein, il le fait aller à la selle ; et s'il le trouve vide, il le resserre.
Mourés c'on fait de meures se tient a le nature des meures dont il est fais, et le nature des meures sarés vous el capitre des fruis.   Le vin moiré que l'on fait avec des mûres tient de la nature des mûres dont il est fait — vous connaîtrez les qualités des mûres au chapitre des fruits.
Des autres buverages, si come d'oximiel, de syrop, de vin de pumes gernates, et de vins qui se cuisent, et de date, por ce c'on ne l'use mie por santé garder, si les entrelaisserons a dire por plus briefment parler.   Des autres boissons, comme l'oximiel, du sirop, du vin de grenades, et des vins qui se cuisent, et [du vin] de dattes, parce qu'on ne les consomme pas pour rester en bonne santé, nous les laissons tomber, pour abréger notre propos.
Mais vous dirons encore de vin saugé, [f° 45c], et de rosé, et de mouré, et d'autres buverages co'n fait de herbes, ki trestout tienent le nature de herbes dont il sont fait, si com d'escaufer et de refroidier, et de l'estomac conforter et enforcier.   Je vous parlerai toutefois du vin de sauge, de rose et de mûre, et d'autres boissons qu'on fait à partir d'herbes, qui dans tous les cas tiennent leur qualités des herbes à partir desquels ils sont préparés, comme échauffer ou refroidir, calmer et consolider l'estomac.

Li capiteles de totes chars

  Le chapitre de toutes les viandes (p. 121)
Vous devés savoir ke sour totes coses qui norrissement dounent, doune li chars plus de norrissement au cors de l'homme, et l'encraisse, et l'enforce ; et por ce, ci<l> ki l'usera moult a mengier et buvera boin vin avoec, si se doit faire sainnier souvent, por ce qu'ele raemplist les vainnes et tot le cors sor totes autres coses. Et por ce qu'ele est si convengnable a le nature de l'homme, si vous dirons le nature de cascune char qu'il convient user a cascun homme.   Vous devez savoir que parmi toutes les choses qui sont nourrissantes, c'est la viande qui nourrit le plus le corps de l'homme, l'engraisse et le renforce. Pour cette raison, celui qui en consommera beaucoup aux repas et boira du bon vin avec, doit se faire saigner souvent, parce qu'elle se répand dans les veines et dans tout le corps, plus que toute autre chose. Et parce qu'elle est si conforme à la nature de l'homme, nous vous dirons les qualités de chaque viande qu'il convient que tout homme consomme.
Or, devés savoir que totes chars qu'on use, ou eles sont domesces ou eles sont sauvegines, ou eles sont malles ou eles sont fumieles. Et sachiés que totes sauvegines sont plus caudes et plus seches que les domesces et se cuisent plus a envis a le forciele, et por ce, dounent mains de norrissement et plus malvais ; et ensi devés entendre que totes chars qui sont malles sont plus cau[f° 45d]des que les fumieles, mais eles dounent melleur norrissement et se cuisent plus legierement en le fourciele.   Vous devez donc savoir que toutes les viandes qu'on consomme, elles sont domestiques ou elles sont sauvages, elles sont mâles, ou elles sont femelles. Sachez que toutes les viandes de gibier sont plus chaudes et plus sèches que les viandes animaux domestiques et sont plus difficilement cuites par l'estomac. Pour cela, elles procurent moins d'énergie et de plus mauvaise qualité. Vous devez savoir aussi que toutes les viandes qui sont mâles sont plus chaudes que les femelles, mais qu'elles procurent une meilleure énergie et sont plus facilement cuites par l'estomac.
Chars de biestes castrees si tienent le nature de malles et des femieles.   Les viandes d'animaux châtrés présentent les qualités des mâles et des femelles.
Et devés savoir que totes chars de vielles bestes, et de nouvieles qui sont traites de ventres de meres sont del tout mauvaises, et por che, s'en doit cascuns garder.   Vous devez savoir que toutes les viandes de vieilles bêtes, et celles des nouveau-nés qui sont tirées des ventre des mères sont tout à fait mauvaises. Pour cela, tout le monde doit s'en abstenir.
Ch'est generaument ce que vous devés savoir de totes chars. Or, parlerons especiaument de chascune char, et premierement de celi de porch.   C'est ce que vous devez savoir d'une manière générale de toutes les viandes. Maintenant, nous vous parlerons en particulier de chaque viande, à commencer par celle du porc.

Char de tous oisiax volans

  Viande de toutes les volailles (p. 128)
Vous devés savoir que les chars des oisiaus volans ou eles sont sauvegines ou eles sont domesces, et totes domesces sont miex temprees et miex nourissent que les sauvegines. Or vous dirons premierement des domesces.   Vous devez savoir que les viandes des volailles sont soit de la sauvagine, soit domestiques. Toutes les volailles domestiques sont mieux équilibrés et nourrissent mieux que les sauvagines. Nous vous parlerons donc tout d'abord des domestiques.
Sachiés [f° 48a] ke poucin ont char plus tempree, et ki plus legierement se cuist, et qui milleur sanc engenre de tous oisiaus demesces, et plus conforte, et plus est convengnable a nature d'oume. Et por ce, les fait boin a user a ciaus qui sont magre et ki ont foible fourciele et a ciaus qui se lievent de maladies, et por ce, les doivent user au vert jus et a .i. pau de caniele, por ce qu'il conforte l'estomac et doune appetit de mengier.   Sachez que les poussins ont la viande la plus équilibrée et qui se se digère le plus aisément, qui génère le meilleur sang parmi tous les oiseaux domestiques, et consolide le plus, et est le plus conforme à la nature de l'homme. Pour cette raison, il est bon d'en consommer pour ceux qui relèvent de maladies. Pour cela, ils doivent les consommer au verjus et avec un peu de cannelle, parce que cela renforce l'estomac et donne envie de manger.
Si devés savoir que li cos, quant il coumenche a canter, vaut miex que li femiele, por ce ke se chars n'est pas si wischeuse, ains est plus moiste, et plus caude, et plus tempree.   Vous devez savoir encore que le coq, quand il commence à chanter, vaux mieux que la poule, parce que sa viande n'est pas si visqueuse, au contraire elle est plus moite, plus chaude et plus équilibrée.
Chars de geline est moins moiste de celi de poucin, si se cuist mains tost a le fourciele, et quant ele s'i cuist bien, si doune assés de boin norrissement ; et entendés que geline qui n'a puns est cele qui miex vaut, car se chars est plus tempree et engenre milleur sanc, et conforte le nature de l'homme a user le femme.   La viande de poule est moins moite que celle du poussin, aussi cuit-elle moins rapidement dans l'estomac. Et quand elle s'y cuit bien, elle donne procure assez bien de force. Comprenez que la poule qui n'a pas pondu est celle qui vaut le mieux, car sa chair est plus équilibrée et engendre un meilleur sang. Elle augmente l'envie de l'homme à coucher avec une femme.
Chars de cok, tant com il sont viel, valent pis a user por ce ke leurs chars est dure et doune malvais nourrissement, et plus vaut as maladies removoir que a santé garder. Si vous dirai comment, car qui prent [f° 48b] .i. cok bien viel, et le wide dedens, et le remplisse de polipode et d'anis, et le faice cuire en ewe, et quant il sera bien cuis, si boive l'ewe : tele ewe vaut a chiaus ki ont deleurs de flans, et a ciaus qui ne puent aller a cambre, et a ciaus qui tranblent et a tous ciaus qui ont maladies de froidure.   La viande de coqs, une fois qu'ils sont vieux, gagne moins à être consommée, parce que leur viande est dure et constitue une mauvaise nourriture et convient plus à chasser les maladies qu'à préserver la santé. Je vais vous expliquer comment : qui prend un coq bien vieux, qu'il le vide de ses abats, le remplisse de polypode, d'anis, qu'il le face cuire dans de l'eau. Quand il sera bien cuit, qu'il boive l'eau de cuisson : cette eau convient aussi à ceux qui ont des douleurs aux flancs, à ceux qui ne peuvent aller à la selle, à ceux qui tremblent et à tous ceux qui ont pris froid.
Et entendés encore : prendés le cok et le partés, et le metés deseur mors de venimeuse beste, si en traira le venin, et de tant que li cos est plus viex, de tant vaut il miex as coses que dit vous avons.   Sachez encore : prenez le coq et coupez-le ; mettez-le sur la morsure d'un animal venimeux : il en extraira le venin. Et plus il est vieux, mieux cela vaut pour les choses que nous venons de dire.

Char de coulon

  Chapitre du pigeon
Chars de coulon est caude et seche, especiaument de colons viex ki ont le char dure, et por ce, se cuisent il mal a le fourciele et dounent mauvais norrissement.   La viande de pigeon est chaude et sèche, particulièrement [celle] de vieux pigeons qui ont la chair dure. Pour cette raison, il se cuisent mal dans l'estomac et fournissent une mauvaise énergie.
Mais cil qui sont jovene et ne puent voler sont caut et moiste et norrissent bien, mais li sans qui est engenrés d'aus est gros et wischeus ; mais cil qui commencent a voler norrissent miex et enge[n]rent plus cler sanc, mais ne les fait pas boin user a ciaus qui ont caude nature et seche et ki pour caleur devienent legierement malade.   Mais ceux qui sont jeunes et ne volent pas encore sont chauds et moites et très nourrissants. Mais le sang qu'ils engendrent est épais et visqueux. Mais ceux qui commencent à voler nourrissent mieux et engendrent du sang plus clair. Mais il n'est pas bon de les faire consommer à ceux qui ont une nature chaude et sèche et qui, du fait de la chaleur, deviennent facilement malades.

Des pumes gernates

  Des grenades (p. 148)
Pumes gernates sont de diverses manieres, si com douches et aigres.   Les grenades connaissent plusieurs variétés, comme les douces et les aigres.
<Les douces ne sont pas si froides com les aigres>, et de lor nature, font le ventre enfler et dounent soief. Mais il valent a le sekeresche de la gorge et du pis oster.   Les douces ne sont pas si froides que les aigres. par leur nature, elles font gonfler le ventre et donnent soif. Mais elles sont bonnes pour la sécheresse de la gorge et de la poitrine.
Les aigres sont plus froides et valent a chaus qui ont l'estomac <et le fie> escaufé, et qui ont fievre de cole rouge, et vomissent volentiers, mais eles ne sont preus a chaus qui ont le pis estroit et sec et ki toussent volentiers, et ne parlons por cho briefment qu'eles valent miex a maladies removoir ke a santé garder.   Les aigres sont plus froides et conviennent à ceux qui ont l'estomac et le foie échauffé, qui ont une fièvre de bile rouge, vomissent facilement. Mais elles ne sont pas favorables à ceux qui ont la poitrine maigre et sèche, et qui toussent facilement. Nous en parlons brièvement parce qu'elles conviennent mieux pour chasser les maladies que pour préserver la santé.

Des nois

  Des noix (p. 153)
Nois sont de .ij. manieres, vers et seches.   Les noix sont de 2 sortes : vertes et sèches.
Les sekes sont caudes ou tierc degré et sekes ou commencement du secon<t>. Et entendés qu'eles devienent sekes quant eles sont vieses, et tex nois sont malvaises a l'estomac, et donnent malvais norrissement, mais <s'>il <se> cuisent, <si norrissent> molt, et ne les doit nus user, fors cil qui ont le forcele caude, et jasoit ce cose qu'eles se convertent legierement en caudes humeurs, ensi le dist Avicennes, mais Ysaac dist qu'eles valent miex a user a chaus qui ont l'estomac tempré, entre caut et moiste ; et tant come eles sont plus vieses, tant valent pis por norir ; et tant com eles se tienent a nature de noveles si valent miex, car les verdes ne sont pas si malvaises a le forcele, ains norrissent bien et donent appetit de mengier s'eles sont mengies au sel, et sont mains caudes et mains sekes que les vieses.   Les sèches sont chaudes au 3e degré et sèches au début du 2nd. Comprendez qu'elles deviennent sèches quand elles sont vieilles et que de telles noix sont mauvaises pour l'estomac, fournissent une mauvaise énergie. Mais si elles sont digérées, elles nourrissent bien. Personne ne doit les consommer, sinon ceux qui ont l'estomac chaud, quoi qu'elles tendent facilement à se transformer en humeurs chauds, à ce que dit Avicennes, mais Ysaac dit qu'elles conviennent mieux à la consommation de ceux qui ont l'estomac équilibré, entre chaud et moite. Plus elles sont vieilles, plus mauvaises elles sont dans l'alimentation ; plus elles sont fraîches, mieux elles valent : en effet, les vertes ne sont pas si mauvaises pour l'estomac, au contraire elles nourrissent bien, donnent envie de manger si elles sont mangées au sel, et sont moins chaudes et moinssèches que les vieilles.
Et entendés que totes manieres de nois sont triacle qui les use contre venin ; especiaument, broiés les nois [f° 56c] avec sel et avoec oignons, et en faistes enplaistre, et le metés desor le morsure de chien esragié ou d'autre venimeuse beste, et il i a<i>dera moult.   Comprenez que toutes les sortes de noix constituent un thériaque pour qui les utilise contre le venin. Plus particulièrement : broyez les noix avec du sel et avec des oignons, faites-en un emplâtre et mettez-le sur la morsure d'un chien enragé ou d'une autre bête venimeuse, et cela favorisera grandement la guérison.
Et li oiles qu'on en fait est moult caus, et ne le fait pas boin user si com celi d'olive, car il se tient a le nature de nois dont il est fais.   L'huile qu'on en fait est très chaude et n'est pas si bonne à consommer que l'huile d'olives, car elle garde la nature de la noix dont elle est faite.

D'amandes

  Des amandes (p. 154)
Amandes sont de .ij. manieres, ameres et douces.   Les amandes sont de 2 sortes : amères et douces.
Les douces sont caudes et moistes tempreement ou premier degré, et de leur nature, norrissent a le maniere de nois. Mais les nois se cuisent plus [f° 56d] legierement et se convertissent plus tost en humeurs coloriques caudes que ne font les amandes, car sachiés que les amandes sont pesans a l'estomac et demeurent moult, mais ne font pas tant mal a l'estomac com font les nois, et s'eles sont mengies quant eles sont verdes, a tote l'escorce, si confortent les gencives et refroident le cervele ; et quant eles sont meures, et l'escorce commence à endurcir, si valent miex a user a chaus qui ont caude cervele, et qui sont malade de fievres, et jasoit ce cose qu'eles norissent pau, cho qu'eles norrissent est boen ; et li oiles qui en est fais est boens et plus legiers que ne sont les amandes.   Les douce sont chaudes et moites moyennement au premier degré, et par leur nature elles nourrissent à la manière des noix. Mais les noix se digèrent plus difficilement et se transforment plus vite en humeurs bilieuses et chaudes que ne font les amandes. Sachez en effet que les amandes sont lourdes pour l'estomac et y restent longtemps, mais ne font pas tant de dégâts dans l'estomac que ne font les noix. Si elles sont mangées quand elles sont vertes, avec l'écorce, elles renforcent les gencives et refroidissent la tête. Quand elles sont mûres, que l'écorce commence à durcir, elles conviennent mieux à la consommation de ceux qui ont la tête froide, qui sont malade de fièvres, quoi qu'elles nourrissent peu. Ce qu'elles donnent comme énergie est bon. L'huile qui en est tirée en bonne et plus légères que ne sont les amandes.
Amande<s> ameres sont caudes et sekes plus que ne sont les douces, car eles sont caudes et sekes en le fin du secont degré, et valent miex por le cors delivrer de maladies que por norrir, car de leur nature eles netoient le visage de lentilles et d'autres ordures qui puent avenir, et ne laissent enivrer qui les mangue a enjun, et confortent le ventre et [f° 57a] valent a chaus qui sont malade du viés tous, s'eles sont broiés a ewe d'orge, et de lor nature font bien oriner, et d'ouvrir les voies du fie et des rains, et destruissent le ventosité du ventrail ; et user les en vin destremprees, si valent en fievres longhes cotidiaines <et> quartaines.   Les amandes amères sont plus chaudes et sèches que ne sont les douces ; en effet, elles sont chaudes et sèches à la fin du 2nd degré et conviennent mieux pour délivrer le corps de maladies que pour nourrir, en effet par nature elles nettoient le visage des taches de rousseur et autres taches qui peuvent apparaître. Elles empêchent de s'enivrer celui qui les mange à jeun, renforcent le ventre, conviennent à ceux qui souffrent d'une ancienne toux, si elles sont broyées avec de l'eau orge. Par leur nature, elle font bien uriner, ouvrent les voies du foie et des reins, dégagent les vents des intestins. Les consommer détrempées dans du vin, alors elles conviennent pour les longues fièvres, quotidiennes ou quartes.

Capiteles d'espinaces

  Chapitre des épinards (p. 164)
Les espinaces sont froides et moistes en le fin du premier degré, et ont lor nature d'amortir le cole amere, <et> de <refroidier> le forcele caude, et d'amolir le ventre, et valent miex por norrir que les esraces, et sont bones a user a chaus qui ont le pis sec et le poumon caut.   Les épinards sont froids et moites à la fin du 1er degré. Elles ont pour nature d'assécher la bile amère, de refroidir l'estomac chaud, d'amollir le ventre. Ils conviennent mieux pour nourrir que les [arraces]. Ils sont bons à consommer pour ceux qui ont la poitrine sèche et le poumon chaud.

Capiteles du persin

  Chapitre du persil (p. 167)
Persins est caus et sés ou tierc de[f° 61b]gré, et de se nature, norrist pau. Mais il fait bone orine et destruit enflures et ventuosité, et done talent d'user femme, et fait suer legierement, et vaut a longes fievres, et a ydropisie, et a dolors de rains et de le vessie.   Le persil est chaud et sec au 3e degré et, par nature, nourrit peu. Mais il provoque une bonne urine, détruit les enflures et les gaz et donne envie de coucher avec une femme. Il fait facilement suer, vaut pour les longues fièvres, l'hydropisie, les douleurs de reins et de la vessie.

De gyngembre

  Du gingembre (p. 184)
Gingembres est caus ou tierc degré et moistes, jasoit ce qu'il ne <le> samble mie, et a nature de conforter l'estomac froit et d'amolir le ventrail, et fait bien cuire le viande ; et le doit on estlire qu'il soit blans, durs et noviaux.   Le gingembre est chaud au 3e degré et moite, bien qu'il ne le semble pas. Il a pour nature de consolider l'estomac froid et d'amollir les intestins. Il fait bien digérer la viande. On doit préférer qu'il soit blanc, dur et frais.

De canele

  De la cannelle (p. 184)
Canele est caude et seke ou secont degré, et en est .ij. manieres, grosse et delie.   La cannelle est chaude et sèche au 2nd degré. Il en est de 2 sortes, grosse et fine.
Li grosse<s> n'est pas si caude, et est escorce d'arbres qui naissent en Ynde, et le doit on eslire qu'ele soit aussi com rouge, et ne soit ne blance ne noire ; et le doit on assaier a le bouce, et s'ele point et ele n'est douce, ele est bone. et le puet on garder par .xx. ans, mais qu'ele ne demeurt en liu trop cler, et trop caut, ne trop sech.   La grosse n'est pas si chaude. C'est l'écorce d'arbres qui poussent en Inde. On doit préférer qu'elle soit comme rouge, qu'elle ne soit ni blanche ni noire. On doit la goûter : si elle pique et qu'elle n'est pas douce, elle est bonne et on peut la garder pendant 20 ans, pourvu qu'elle ne demeure pas dans un lieu très éclairé, très chaud ni très sec.
Et a, de se nature, de conforter le vertu du fie [f° 67f] et de l'estomac, et s'il <i> a maladies qui soient par froides humeurs et qui ne puissent bien cuire le viande, si le fait bon user poure de canele a poure de caroi, et si le fait bon user en sauses de persin, et de sauge, et de vin aigre, car tels sause done talent de mengier, et conforte le cervele, et fait bone alaine.   Elle a dans sa nature de consolider les qualités du foie et de l'estomac. S'il y a des maladies qui proviennent de froides humeurs et qui empêchent de digérer la viande, il est bon de consommer de la poudre de cannelle avec de la poudre e carvi [ ?]. Il est bon à consommer dans des sauces au persil, à la sauge, au vinaigre : ces sauces donnent envie de manger, renforcent la tête et donnent une bonne haleine.
Li canele qui est grosse n'est pas si bone ne si profitable as coses que dit vous avons, com soutiex.   La cannelle qui est grosse n'est pas si bonne ni si profitable pour les choses que nous vous avons dites, comme la fine.

De saffrain

  Du safran (p. 187)
Saffrans est caus et moistes ou premier degré, et sont de .ij. manieres : l'une si est de celui qui naist es gardins et l'autre si est orienta<l>. Et sont fleurs d'une herbe dont il a assés en Lonbardie, et doit on eslire celui ki est rouges et qui n'est pas mellés d'autre cose gaune, [f° 68d] et est purs et nés de totes autres ordures. Tel saffran puet on garder par .v. ans, mais qu'il soit tenus estroitement en .i. saket de cuir, et li lius ou il demora ne soit trop clers ne trop moistes.   Le safran est chaud et moite au 1er degré. Il y en a 2 variétés : l'une est de celle qui naît dans les jardins, l'autre est l'orientale. Ce sont les fleurs d'une plante dont il y a abondance en Lombardie. On doit préférer celui qui est rouge et qui n'est pas mélangé à des choses jaunes, qui est net et pur de toute saleté. Ce safran, on peut le garder pendant 5 ans, pourvu qu'il soit conservé dans un sachet de cuir bien fermé et que le lieu où il restera ne soit pas très éclairé ni très humide.
Tels saffrans a vertu de conforter le foiblece du cuer et de l'estomac, especiaument quant il est sekiés sor .i. tiule caude, et apriés broiés avoec brouet de ghelines, ou de char, ou d'autres coses com on le vaura user. Et ne le fait pas bon prendre trop, ne trop user, qu'il fait abomination et done talent de vomir.   Ce safran a la vertu de renforcer la faiblesse du cœur et de l'estomac, particulièrement quant il est séché sur une toile chaude et après broyé avec du brouet de poules, ou de viande, d'autres aliments que l'on voudra consommer. Il n'est pas bon d'en prendre beaucoup, ni d'en consommer beaucoup, car il donne la nausée et donne envie de vomir.
Encore, a chax qui ont les iex rouges et sanglens, prendés poure de saffran oriental, mais qu'il soit sekiés si com dit vous avons, et le mellés avoec moiel d'oés, et apriés moilliés .i. pau de coton et le metés sor les iex, car ce fait le maladie trespasser.   Par ailleurs, pour ceux qui ont les yeux rouges et injectés de sang, prenez de la poudre de safran oriental, pourvu qu'il soit séché comme nous vous avons indiqué ; mêlez-le avec du jaune d'œuf, après mouillez un peu de coton et mettez-le sur les yeux, en effet, ça met fin à la maladie.

Du sel

  Du sel (p. 190)
Sels est caus ou premier degré et ses ou secont, et est de maintes manieres, mais nous n'en [f° 69d] usons que de .ij. manieres, si com celui c'on fait de l'ewe de le mer et se cuit a le caleur du solel, et autre c'on fait de puis et de grans estans, <et> qu'on fait bolir en caudieres de plom et de metal, et ce sel apelent li François sel delié, qui en autres païs est apelés salines.   Le sel est chaud au 1er degré et sec au 2nd. Il y en a de nombreuses variétés, mais nous n'en consommons que de 2 variétés, comme celui que l'on fait à partir de l'eau de la mer qui s'évapore à la chaleur du soleil, et un autre qu'on tire de puits et de grands marais, qu'on fait bouillir dans des chaudrons de plomb ou de métal — les Français appellent ce sel « fin », qui est appelé « salin » dans d'autres régions.
Et li uns et li autres est clers et blans, et nés de pierres et d'autres coses, et done nature de conforter et talent de mangier, et oste l'abomination. Mais qui l'use a outrage, si engenre roigne et malvais sanc.   L'un et l'autre sont clairs et blancs, nets de pierres et autres impuretés. Il a la nature de renforcer et donne envie de manger, supprime les nausées. Chez qui en fait trop grande consommation, il engendre la gale et le mauvais sang.

Éditions

  • Le régime du corps de maître Aldebrandin de Sienne. Texte français du XIIIe siècle.  Édition de Louis Landouzy et Roger Pépin. Paris : Champion, 1911.
  • "Comment on doit garder l'enfant quant il est nés", Albert Henry (éd.), Chrestomathie de la littérature en ancien français, Berne, Francke, 1953.

 

Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

ulb ltc

L’utilisation du genre masculin dans les pages du présent site a pour simple but d’alléger le style. Elle ne marque aucune discrimination à l’égard des femmes.