Le poète

Le caractère anonyme des œuvres médiévales en français est un trait qui différencie nettement la littérature médiévale en langue française de la littérature en langue provençale : le moins qu’on puisse dire en effet est que les troubadours avaient développé un réel culte du moi et que le concept même d’anonymat leur semblait étranger.

Ainsi, non seulement les troubadours prenaient-ils souvent la peine de se nommer dans leurs poèmes :

Ieu sui Arnautz … (Arnaut Daniel)

Gays chans se perpara / D’Èn Guiraut Riquier (Guiraut Riquier)

Marcabrus, fills Marcabruna… (Marcabrun)

Amics Bernartz de Ventadorn, / Com vos podetz de chant sofrir ou Bernart de Ventadorn, del chan / Vos sui sai vengutz assalhir (Bernart de Ventadorn)

mais encore avons-nous conservé des vidas, biographies de troubadours composées par des troubadours quasi contemporains de ceux dont ils rapportent la vie : ces vidas furent en effet composées à la fin du XIIIe siècle ou au début du XIVe alors que la période d’activité des troubadours se centre essentiellement sur les XIIe et XIIIe siècles.

Ainsi, pour Guilhen de Peiteu (Guillaume d’Aquitaine) :

Lo coms de Peitieus si fo uns dels majors cortes del mon, e dels majors trichadors de dompnas, e bons cavaliers d’armas, e larcs de dompnejar. E saup ben trobar e cantar ; et anet lonc temps per lo mon per enganar las domnas. Et ac un fill que ac per moiller la duquessa de Normandia, don ac una filla que fo moiller del rei Enric d’Englaterra, maire des rei jove, e d’en Richart, et del comte Jaufre de Bretaingna.[1]
Chabaneau, Vidas, p. 6

Même si ces vidas sont le plus souvent peu crédibles et n’ont qu’un rapport très lointain avec la « vérité historique », la poésie des troubadours se déploie donc dans un contexte totalement différent de celle des trouvères.

Pourtant, si nous nous plaçons sur un plan strictement technique, nous pouvons observer que les fondements de la poésie en langue provençale ne sont pas sensiblement différents de ceux de la poésie en langue française.

Le terme provençal trobador est celui qui est uniment utilisé pour désigner les poètes de langue d’oc. Les poétesses sont, elles, désignées du nom de trobaritz en langue d’oc, qui a été transposé en trouveresse (formé sur trouveor) ou en troubadouresse (barbarisme[2] formé sur troubadour) en langue d’oïl – on n’a conservé qu’un petit nombre de leurs compositions.

Le nom des troubadours est à mettre en relation avec le verbe trobar, qui signifie ‘composer, inventer, deviser’ :

               Trobars es far noel dictat
            En romans fì, ben compassat[3]
Guilhem Molinier, Leys d’Amors, édition d’Anglade, II, p. 29[4]


[1]Trad. : Le comte de Poitiers fut un des hommes les plus courtois au monde, un des plus grands tricheurs de dames, et bon chevalier d’armes et généreux pour courtiser les dames. Et il sut bien trouver et chanter et alla longtemps par le monde pour duper les dames. Et il eut un fils, qui eut pour épouse la duchesse de Normandie, dont il eut une fille qui fut mariée au roi Henri d’Angleterre, et fut mère du jeune roi, de Richart et du comte Jaufré de Bretagne.

[2]Un barbarisme est un mot mal construit, en l’occurrence ici, un radical provençal doté d’un suffixe français.

[3]Trad. : Trobar, c’est faire une nouvelle composition, en roman pur et bien mesuré.

[4]Par défaut, l’édition citée pour les Leys d’Amors est celle d’Anglade. Lorsque l’édition citée sera celle de Gatien-Arnoult, ce sera toujours précisé.

Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

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