La rime

Pour en finir avec les éléments de poétique médiévale française, intéressons-nous brièvement à la rime, l’une des deux caractéristiques du vers français avec celle de numérisme, et à certaines des spécifications qu’elle reçoit.

Reprenons les quelques vers du Guillaume d’Angleterre attribué, à tort ou à raison, à Chrétien de Troyes où la rime est dite tantôt consonant tantôt lionime :

            Crestiens se veut entremetre,
            Sans nient oster et sans nient metre,
            De conter un conte par rime,
4          U consonant u lionime
Guillaume d’Angleterre, v. 1-4

Dans les traités de seconde rhétorique, la caractérisation de consonant peut prendre deux sens différents. Sont dits consonants deux mots qui riment ensemble dans des vers consécutifs – c’est ce que nous appelons la rime plate, appellation parfois utilisée par les poéticiens médiévaux également ; c’est la disposition de rimes privilégiée dans les romans médiévaux – la seule que pratique Chrétien de Troyes dans ses romans :

            Ce fu au tans qu’arbre foillissent,
            Que glai et bois et pre verdissent,
            Et cil oisel en lor latin
72         Cantent doucement au matin
Chrétien de Troyes, Le Roman de Perceval ou le conte du graal, v. 69-72

Mais les rimes peuvent également être dites consonantes lorsque les mots à la rime ont leur seule voyelle finale en commun – ce qui dans la terminologie adoptée dans le cadre de ce cours relève de la rime minimale[1] :

            Por poi li cuers ne me creva.
624      La Virge la me raporta
Rutebeuf, Miracle de Théophile, v. 623-624

Remarque
Le mot consonantes n’est donc pas à rapprocher ici du moderne consonne, mais doit être compris étymologiquement : deux vers sonnent l’un avec l’autre (sens 1) ou deux voyelles sonnent l’une avec l’autre (sens 2).

Les rimes minimales sont assez mal vues à la fin du Moyen Âge : elles sont dites, de manière dépréciative, rimes de goret, rimes boutchouques ou rimes rurales – elles sont toutefois caractéristiques des plus anciens textes :

            De cez paroles que vos avez ci dit,
            En quel mesure en purrai estre fiz ? »
148      – « Voet par hostages », ço dist li Sarrazins,
            « Dunt vos avrez u dis u quinze u vint.
            Par num de ocire i metrai un mien filz,
            E si’n avrez, ço quid, de plus gentilz.
La chanson de Roland, laisse X, v. 146-151

Lorsque les mots à la rime ont en commun leur voyelle finale et les consonnes qui suivent, la rime est dite léonine :

            Ains ferrai si tot le plus fort
            D’un des gavelos que je port
Chrétien de Troyes, Le Roman de Perceval ou le conte du graal, v. 121-122

Il faut se souvenir que jusqu’à la fin du XIIe siècle au moins, toutes les consonnes finales se prononcent, de sorte que la différence entre les rimes qui ne portent que sur une voyelle (dites consonantiques) et les rimes qui portent sur la voyelle et toutes les consonnes qui la suivent (dites léonines) est plus substantielle qu’il n’y parait si on adopte le point de vue moderne.

La définition médiévale de la rime léonine prévoit un statut particulier aux rimes féminines. Dans le cas des vers féminins, il faut en effet, pour que la rime puisse être dite léonine, que les mots à la rime aient en commun la dernière syllabe (la syllabe féminine) ainsi que la voyelle qui la précède :

            De la gaste forest soutaine
            Se leva, et ne li fu paine
Chrétien de Troyes, Le Roman de Perceval ou le conte du graal, v. 75-76

C’est sans doute ce qui explique qu’à l’époque moderne, une rime est dite léonine lorsqu’elle repose sur les deux dernières voyelles comptées – c’est le cas dans les vers féminins médiévaux.

Voilà pour les fondements de la poésie médiévale en langue française.


[1]Rime pauvre et assonance dans la terminologie traditionnelle.

Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

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