Transcription de l'édition de Lyon, Thomas Soubron, 1596.
1
REMONSTRANCE AUX HABITANS DE MARSEILLE.
***
Servant d'instruction salutaire aux François, qu'il n'y a rien de meilleur, & plus profitable, que de se conserver souz l'obeyssance de leurs Roysnaturels :
Faicte le vingt-troisieme jour de Decembre 1596.
A LYON,POUR THOMAS SOUBRON
3
[frontispice] REMONSTRANCE AUX HABITANS DE MARSEILLE, FAICTE le vingt-troisiesme jour de Decembre1596.
JE ne vous scaurois exprimer, Messieurs, les diverses pensees, qui me vindrent en l'esprit, quand à mon arrivee je jettay le premier œil sur la face de vostre ville. Car comme la memoire des grands dangers se rafraischissent aisement par l'object de ceux qui en ont couru la fortune : Je me representay aussi tost le peril & la ruine où vous vous estes veus precipitez, & quasi abysmez. Et tornant la veüe sur ce beau & celebre port, & y faict affluer l'opulence & la richesse : je m'imaginois d'y voir encore les galleres
4
d'Espagne arborees de leurs croix rouges, & les regimens d'Espagnols en battaille sur vos quays : comme quand ils pensoyent s'emparer de vos personnes, de vos biens, & de vostre liberté. Je disois à part moy, combien s'en a-il fallu, que ceste brave & magnifique Cité, l'un des yeux de la France, ne soit demeuree captive sous le joug insolent de ses plus cruels ennemis : que ses citoyens n'ayent esté enlevez aux Indes, pour repeupler les contrees que la cruauté desEspagnols y ont miserablement desertees : que leurs femmes & leurs filles, leurs biens & leurs maisons n'ayent esté distribuez à une colonie de Castillans ?Mais à ceste triste pensee succeda aussitost l'aggreable souvenance de ceste heureuse journee plus reluisante des merveilles de Dieu que des rayons du Soleil : en laquelle sous les heureux auspices du Roy nostre juste & legitime Prince, sous les heureux auspices du nom fatal de liberté, Marseille fut reduite à l'obeissance de son Roy : rendu à la France, & delivré de la servitude Espagnole. Ceste seconde imagination effaça bien tost la pre
5
miere, & estouffa incontinent par la joye ce que j'avois conceu de frayeur & d'estonnement. Mesmes quand approchant de plus pres de vos portes, jevous vis sortir en foulle, & tesmoigner par vos voix, par vos visages, par vos gestes, l'alegresse & le contentement que vous aviez de la grace quevous faict leRoy vostre souverain Seigneur, vous envoyant & deposant en vostre ville sa Justice souveraine, le plus riche & precieux fleuron de sa Coronne. Une seule apprehention me demeura de toutes ces diverses cogitations, qui fut que je me representay à l'instant l'inconstance des affaires humains, & me resouvins d'un des plus celebres & judicieux historiens de l'antiquité, qui s'estonne avec raison du naturel des peuples : & dit que c'est grand cas, que les plus stupides bestes qui soyent au monde estans une fois eschappees du piege, se furent & n'y retornent plus quelque appast que lon leur donne : & les plus subtils & advisez peuples se laissent tant de fois remener aux mesmes dangers dont ils sont sortis : pourveu seulement que l'on leu en change les pretextes. Chose estrange que l'ex
6
perience mesmes des choses passees, qui est une rude & trop chere maistresse ne les peut rendres sages. Ceste consideration joincete à l'affection que j'ay voüee au bien & salut de ceste ville, troubla derechef ma joye de ceste crainte ; qu'un jour quelque fascheux accident ne vous rejettast aux malheurs dont vous estes si miraculeusement sortis ; & tourna lors toutes mes pensees à rechercher les moyens pour vous en garentir. Apres y avoir bandé mon esprit avec tout l'effort qu'il m'a esté possible, je ne me suis en fin peu adviser de rien qui vous y peust servir davantage, que de vous faire promptement entendre ce que le Roy mon maistre m'a chargé de vous dire de sa part : me persuadant que l'authorité de ses commandemens adjoustee aux sages advertissemens qu'il vous donne, sont les plus fermes bases & solides fondemens, sur lesquels vous scauriez poser & asseoir le repos & bon heur de vostre ville. Messieurs, les cogitations que le Roy a de ce qui vous concerne, ne sont pas dressees à son bien ny à sa grandeur, mais à vostre feurté & prosperité. Les Edicts & mandemens qu'il vous en
7
voye ne tendent pas à tirer de l'ayde & du secours de vous, pour subvenir à la necessité de ses affaires, mais seulement à affermir vostre repos & promouvoir vostre felicité. Le seul tribut qu'il exige de vous, c'est que vous vueilez estre heureux. Et pource, Messieurs, sa Majesté m'envoyant vers vous, la principalecharge qu'il m'a donnee, c'est de procurer de tou mon pouvoir l'amitié & la concorde parmy vous, vous la commander & recommander de sa part. Ce sont les vrayes marques des Chrestiens ; & quiconque se dict tel, & ne les a point, n'en a rien que le nom Ce sont celles qui concilient aux peuplus les benedictions de Dieu, desquelles puis apres derivent toutes sortes de biens. Ce sont les meres nourrices de la richesse, de l'opulence, de la force. Bref ce sont les vrais liens & les seules chaines, par lesquelles vous pouvez tenir la bonne fortune attachee à vostre ville. Au contraire ladivision & la dissension sont le poison mortel des citez, qui infecte le cœur des hommes, de haine & rancune, destruict cest esprit d'union qui est comme la forme que donne l'estre à la societé civile.
8
Car comme celuy qui prendroit un corps bien sain & animé, & le mettroit en deux ou en plusieurs pieces, rendroit non seulement le corps, mais mesmes les membres morts & inutiles. Ainsi la division qui separe les citoyens d'une ville en faict plusieurs ; non seulement ruyne le corps de la cité, mais aussi toutes les familles particulieres. Doncques Messieurs, d'autant que vous desirez vostre bien & celuy de vos enfans & de vostre pays, au salut duquel vous devez referer toutes vos actions, fuyez de tout vostre pouvoir le pestilent venin de dissension. Et ne croyez pas les dangereuses passions, qui vous en donnent le goust, & vous en veulent faire venir l'envie. Je n'ignore pas que la condition du calamiteux estat où nous avons vescu, n'ait entamé bien avant la fortune de plusieurs d'entre vous, & ne leur ait laissé de douloureux ressentimens des injures & des pertes passees. Si les afaires du monde se gouvernoyent par souhaits, je souhaiterois & vous tous, comme je croy, que cela ne fust jamais advenu. Mis puis que cela ne se peut, il ne reste qu'un seul remede, qui est que l'ou-
9
bliance en estouffe la memoire, ou pour le moins que le silence la couvre. C'est l'emplastre que les plus sages hommes du monde on appliqué à semblables palyes en tous les Estats qui ont esté blecez de pareils accidens. Je ne vous veux point ennuyer par le recit des exemples que l'histoire des siecles passez en a laissé à la posterité. Mais pource que la fortune que vous avez couru en ces dures & dernieres annes a esté fort conforme à celle des Atheniens, lors que les trente tyrans s'emparerent de leur Estat ; je desire fort que vous vous souveniez du mal qui leur arriva, & de la façon dont ils s'en garentirent. Apres qu'ils eurent chassé & exterminé les trente tyrans par sage conduite & genereuse resolution de Thrasibule l'un de leurs concitoyens, ils r'appellerent les meilleurs & plus notables bourgeois qui avoyent esté chassez, pillez, & outragez par les tyrans, & par le menu peuple qui au commencement leur adheroit. Mais ceux de dedans & de dehors ne furent pas si tost r'assemblez, que voila la division & dissension parmy eux, pires tyrans que ceux qu'ils avoyent chassez. Qui deman-
10
doit reparation de ses injures, qui raison de ses offences, qui proces, plainctes, reproches : la ville estoit tout pleine de rumeur, & de tumulte, toute preste de retumber au calamiteux estat, dont elle ne faisoit que sortir. En fin recognoissant leur mal, & en prevoyant encor un plus grand qui les menaçoit : il s'assemblerent à la priere de Thrasibule qui les avoit delivrez, & jurerent sans aucune considerationtion de leur interest particulier, de prendre l'advis qui se trouveroit le plus expedient pour le repas & salut commun de leur ville. Que firent-ils donques ? Ils publierent entre eux ceste celebre loy D'oùbliance, par laquelle apres avoir condamné les trente tyrans, & seulement ddix ou douze des principaux ministres de leurs cruautes, ils firent jurer par tous les autres une oubliance perpetuelle de toutes les injures passees. Ceste loy fust si salutaire à la ville d'Athenes, que jamais les histoires n'en ont faict mention que avec grands eloges d'honneurs : & jamais les grands Estats ne se sont trouvez en semblables accidens, qu'ils n'ayent recouru à cest exemple, comme au vray
11
antidote de ceste poison mortelle des citez, le tumulte & la sedition. Que si comme disent les Medecins & Philosophes naturels, les semples et remedes qui naissent sous nostre climat & en nostre region, nous sont plus propres & mieux proportionnez à nostre honneur, que les autres estrangers : cest exemple qui vous est comme domestique doit donner plus d'impression à vos esprits, & vous servir plus utilement, que pas un de ceux qui l'on imité & practiqué. Car vous ressouvenant, Messieurs, que cesste belle & magnifique ville-cy a tiré son origine de la Grece, vous devez vous imaginer de voir autour de vous vos braves ancestres si renommez de ce grand los de sagesse, lesquels vous sollicitent d'embrasser l'union, la paix & la concorde, dans le doux sein desquels on verra bien tost reflorir l'ancienne opulence de vostre ville : & vous excitent & conjurent de deposer toutes ces fascheuses & barbares passions d'aigreur, de querelle, & de vengeance. Que si leur exemple peut moins sur vous qu'il ne doit, venez aumoins au discours & à la raison qui est commune à tous les
12
hommes du monde : & luy donner place pour un peu en vous pour vostre bien, & vous trouverez qu'elle vous persuadera cela mesmes. La division, Messieurs, qui a esté cy devant entre vous, n'a pas esté d'un vontre tous, ou de peu contre beaucoup. Ceste faveur avoit tellement partagé les esprits des hommes, que non seulement les Provinces, mais les villes : non seulement les villes, mais les citoyens : non seulement les citoyens, mais les familles, le mary & la femme, le père & les enfans estoyent divisez d'affection & volonte entre eux. Et comme si les hommes eussent renoncé à l'humanité, tous liens d'honneur, de respect & charité estoyent levez & retranchez parmy les peuples. En ceste furieuse, & j'ose quasi dire fatale confusion, qui est celuy qui se vueille pretendre si heureux, si hors de la condition commune des autres, que d'avoir deu estre exempt d'injure & d'offence, & d'avoir deu estre en seurté, lors qu'il sembloit que les fondemens du monde fussent esbranlez pour l'ensevelir en sa propre ruyne : Croyez moy, Messieurs, qu'il arrive en ces accidens la ; le semblable qu'aux
13
alarmes & combats qui se donnent de nuict : l'on frappe quelques fois sur ceux que lon aime le plus : & tel à la fin pleure celuy que luy mesmes a blecé. C'est un secret jugement de Dieu qui vient en son temps sur les hommes, & leur oste toute cognoissance, à fin qu'ils servent à la juste peine des uns des autres : dont puis apres pour dernier supplice ils en emportent une honte en eux-mesmes & un regret eternel. C'est la vengeance qui doit suffire à ceux qui ont esté offencez par les desordres du temps : & ceux qui en garderont ne leur cœur, ou par leurs actions en recercheront une autre, trouveront qu'ils en porteront eux-mesmes la peine. Car, Messieurs, j'estime qu'il n'y a personne de vous si peu entendu és affaires du monde, ou tant aveuglé de sa passion, qui ne juge bien que la fortune particuliere est enclose en la publicque : & que la cité ne peut estre ruynee, que les ruynes n'accablent les citoyens : & qu'il ne voye bien que rien ne peust si tost precipiter ceste ville à son malheur, que les seditions & les tumultes : ny rien si tost exciter les tumultes & seditions, que les recerches des
14
injures passees. Il est en tous temps dangereux de mettre beaucoup de gens en peine, les r'allier par la similitude d'une fascheuse condition, leur aigrir le courage par l'infamie, les desesperer par les condamnations : & rendant leurs vies fascheuses & ennuyeuses, leur faire desirer le changement de l'Estat. Plus l'est-il en ceste saison & en l'esta où est vostre ville. Marseille est une corps macilent & langoureux, qui doit fort craindre les recheutes : car elles luy seroyent mortelles. Davantage vous voyez de tous costes les estrangers qui vous marchandent, enragez que ceste proye leur soit eschappee des mains : & ne souhaittent autre chose : que de voir la discorde & division parmy vous, comme de fausses clefs qui seules le peuvent ouvrir vos portes. Serez-vous si conjurez contre vostre salut, que vous vouliez ne flattant vos passions, exaucer les veuz de vos ennemis, & accomplir leurs souhaits ? Souvenez-vous, souvenez-vous, Messieurs, en quel estat vous estiez il y a dix ou douze mois. Qu'eussiez-vous voulu donner lors pour estre où vous estes maintenant ? y a-il injure que vous n'eussiez
15
voulu remettre & oublier ? y a-il perte que vous n'eussiez voulu souffrir ? Si Dieu vous a preservez contre vostre propre esperance, mis ceux qui estoyent dedans en liberté, r'amené ceux qui estoyent dehors en leurs maisons : serez-vous si infidelles à vos vœus, si injustes à vous-mesmes, si imprudens à vos affaires, que vous ne vouliez rien donner à la charité & concorde que Dieu vous commande, rien donner au salut de vostre ville, rien donner à vostre propre & particulier bien & repos ? Quand toutes ces raisons, Messieurs ne seroyent point suffisantes pour vous persuader ceste saincte & salutaire Oubliancece, vous avez l'exemple & l'authorité de vostre Prince, qui le seroyent. Son exemple, en ce que vous voyez que pour le bien & soulagement de son peuple au grand cours de son bon heur, au fort de ses victoires, il n'a pas seulement pardonné à ceux qui l'ont offencé, mais les a chery, embrassé & honoré, voulant dresser ses derniers & plus glorieux trophees, non des armes de ses ennemis despouillez, mais des cœurs de ses subjects reconquis. Son authorité : car il vousa par son Edict com
16
mandé ceste oubliance, il luy a donné le nom & la force de loy, pour estre parmy vous comme l'ame de vostre societé, qui se puisse composer par l'harmonie de l'union & la concorde le corps de vostre ville, & en manier les membres avec la douceur & facilité requise, pour vostre bien & salut. Ce n'est pas pour cela qu'il entende dissimuler, ny laisser impuny les crimes : s'il s'en trouve qui doyvent estre chastiez, en quelque party qu'ils ayent esté commis, & qui ne soyent point comprins en l'Edict qui en a esté publié. Au contraire noussommes icy principalement pour en faire le chastiment, & de tous ceux qui se commettront cy apres, avec telle severité, que nous esperons que ceux qui ne peuvent estre contenus par la regle des loix, le seront pour la rigueur des jugemens. Apres cela, Messieurs, sa Majesté m'a chargé de vous advertir & admonnester d'user de prudence & consideration des privileges & libertez qu'il vous a accordé & confirmé, vous en serve pour vostre bien & salut, & ne les pas convertir à vostre propre ruyne, comme vous avez faict autrefois. Il se trouve
17
tousjours parmy les peuples, des hommes pernicieux & desesperez, qui ayans dessein de bastir leur fortune de la ruyne de leurs paus, vont flattant l'ignorant populaire, & luy chatouïllant les aureilles de ce doux nom de liberté ; Le vulgaire imprudent charmé de ce doux nom authorise les factieux & seditieux, & les assiste pour renverser la puissance legitime du Prince, & s'emparer du commandement. Tant qu'estans fortifiez par le sang & le pillage de leurs meilleurs citoyens, ils descendent aux mediocres, & des mediocres aux plus petits, & apres avoir tout pillé & ravagé vendent en fin les villes au plus offrant : comme avoit fait Loys d'Aix & Casau. Soyez, Messieurs, tousjours en garde contre telles gens : Veillez, veillez soigneusement sur ses empoisonneurs de peuples, qui succrant de ceste venimeuse douceur d'apparente liberté le poison d'une tyrannique servitude, le leur font avaller sans qu'ils le sentent, & les endorment tellement sur le mal, qu'ils se cognoissent aussi tost morts que malades. Vous estes maintenant sur l'eslection de vos officiers de ville, de laquelle depend
18
principalement vostre repos & seureté. Le Roy bien adverty des divisions qui sont parmy vous, vous eust bien peu nommer des officiers : c'est de son authorité. Et je ne doute aucunement que vous ne luy soyez si bons & loyaux serviteurs, que vous n'eussiez receu ce qu'il en eust ordonné que pour vostre bien & repos. Mais comme il est bon & indulgent à ceux qu'il estime qu'ils l'ayment & ly sont fidelles, il a bien voulu que le choix de ceux qui vous doyvent gouverner se fist par vous mesmes. Et m'a toutesfois commandé d'estre present à toutes vos eslections, pour moyenner que ceux qui doyvent entrer aux charges, soyent tels qu'ils puissent nourrir la paix & la concorde parmy vous, & contenter l'esprit de sa Majesté de la seureté de vostre ville. Et m'a donné tresexpresse charge, puissance & authorité d'empescher qu'il ne se fist rien au contraire. Et pource, Messieurs, & ceux à qui il permet la nomination, & ceux à qui il laisse la balotte & le suffrage, resoluez vous de mettre à part vos passions, s'il vous en reste aucune, & de ne songer qu'au bien & salut de vostre ville, & sans
19
autre consideration particuliere contentez la volonté du Roy inseparablement unie à vostre bien & repos. Faictes donc qu'il ne se fasse choix de personne, qui ne soit propre pour maintenir l'amitié & la concorde entre vous, & qui n'ait pour tout but vostre bien, & le salut de tout l'Estat ; qui n'ayt par sa vie passee donné bon tesmoignage de son integrité en la conduite de sa famille & mesnage, preuve de sa prudence : & que outre cela n'ayt des biens & des enfans qui puissent servir de gages de sa fidelité. Apres cela, Messieurs, quand vous les aurez esleuz, faictes leur bien entendre que vous ne les authorisez que pour bien servir le Roy, obeyr à ses commandemens, & de sa justice : & que dés l'heure qu'ils feront autrement,vous les desavoüez & desgradez de leur charge. Car Messieurs, si vous desirez demeurer, & libres & heureux, vous devez avoir tousjours en la pensee, qu'il n'y a point plus douce liberté au monde, que le service d'un bon Prince, ny plus grand heur que son obeyssance. Le Prince est en l'Estat, ce que l'ame est au corps de l'homme. C'est luy qui entretient la societé ci
20
vile, qui regle par Justice les actions de hommes, qui faict que les membres se servent les uns aux autres, & se rapportent tous a la conservation du tout. C'est l'esprit vital que respirent insensiblement les subjects, & par lequel ils attirent les benedictions de Dieu qui s'influent d'enhautavec l'obeyssance. Et pource quand l'Apostre saint Paul vous commande rendre l'obeyssance à vostre Prnce, il adjouste ceste raison : A fin que vous puissiez vivre une vie heureuse & paisible. Comme s'il disoit, tout le bon heur des peuples consiste en l'obeissance qu'ils rendent à leur Prince : & au contraire leur malheur en la desobeissance. Car du jour que l'obeissance du Prince est violee, la paix, le repos, & la concorde se pert : tout s'en va en uyne, & se dissipe par morceaux, les modestes deviennent esclaves des violens : les bons, la prove de meschans. Si ceste obeyssance est deüe à toutes sortes de Princes de quelque façon que Dieu les ait establys, à combien plus forte raison par les François à leur Roy ? Considerant les graces speciales avec lesquelles Dieu a establi ceste Monarchie, laquelle il a ren
21
due par un cours continuel de succession de sang, comme une image de son Royaumme, & gouvernement eternel. Si ceste obeyssance a esté deüe par tous les François à leur Roy, combien plus à celuy qui regne aujourd'huy sur nous, orné de tant de grances recommandables, de tant de vertus ? Vous voyez oculairement comme Dieu l'as suscité en nos jours pour restaurer cest Estat François, & le relever d'une ruyne qui sembloit comme fatale. Vous voyez comme il y a liberalement employé son sang & sa vie. Il n'y a sorte de peine où il ne se soit exposé. Ses jours ont esté autant de combats : ses combats, autant de victoires : ses victoires, autant de pardons : bref le seul poinct de tous ses labeurs, c'est d'avoir rendu heureux ceux qu'il a vaincu tellement que lon peut dire avec verité, qu'il a plus combatu pour ses ennemis que contre eux, tant sa debonnaireté & clemence a esté victorieuse par dessus ses victoires mesmes. Encores aujourd'huy tout son soing & toutes ses veilles font comment il affleurera l'heur & le repos de ses peuples, non seulement du
22
rant sa vie (car son courage & sa vaillance semblent aisement pouvoir pourveoir à cela) mais aussi pour les sectes advenir. C'est pour cela que vous avez veu comme il a retiré pres de soy Monsieur le Prince de Condé son nepveu, a prins le soing de le faire instruire en la Religion Catholique, Apostolique & Romaine, à fin que en attendant que selon les vœux de tous ses subjects, Dieu nous donne des enfans de luy, qui puissent succeder à son Estat & à sa vertu, il ne demeure aucun doute en la legitime succession de la Couronne, qui puisse nourrir & fomenter les desseins de ceux qui voudroyent troubler le repos public. C'est pour cela qu'il a assemblé pres De luy maintenant les plus celebres personnages de tous les Ordres de Son Royaume, à fin d'establir par leur advis une milice bien reglee, qui avec le soulagement du pauvre peuple, puisse suffisamment s'opposer aux desseins ambitieux de ses ennemis estrangers, & par bonnes loix & constitutions affermir le repos au dedans du Royaume. Bien que ce soing luy soit general pour tout son Estat, je vous puis asseurer qu'il l'a particulierement avec
23
plus d'ardeur & d'affection pour ceste ville, que pour aucune autre de son Royaume, avec un extreme regret de ce que les fascheuses & necessaires occupations qui le detiennent, & luy lient comme les pieds & les mains, ne luy donnent moyen de vous en faire ressentir de plus favorables tesmoignanges. Si son corps pouvoit estre par tout où va son affection, vous l'auriez continuellement pres de vous. La condition de son humanité & de ses affaires ne se pouvant ployer à ce sien desir, il est contraint de faire comme le Soleil, lequel envoye ses rayons où il ne peut envoyer son corps. Il vous envoye sa Justice souveraine, c'est à dire, la plus chere & pretieuse partie de son authorité. Vous l'avés desiree, il vous l'a deposee : c'est à vous à faire paroistre que vous la scavez honnorer & reverer, & par là vous monstrer dignes de recevoir le fruict qu'elle vous doit apporter, qui est de nourrir la paix parmy vous, y establir la seureté ; faire en fin que vos biens soyent à vous, vos femmes, vos enfans : que la violece qui auroit accoustumé d'opprimer les infirmes, soit elle mesme opprimee. Bref que vostre ville reflorisse à la
24
bry de la Justice, redevienne riche & opulente plus qu'elle n'a jamais esté. Nous y apporterons de nostre part tout ce que vous devez attendre de nous, la sincerité, l'amour de vostre bien, le courage, la diligence. Nous nous promettons que nous serons assistez & fortifiez par ce brave & genereux Prince que le Roy vous à donné pour gouverneur. Il est nay avec tant de bonté & valeur, & a si heureusement avancé le repos & restauration de ceste Province : & tellement tesmoigné n'avoir autre souhait, desir, ny dessein que le bien, du service du Roy, que vous devez attendre de luy tout ce qui pourra servir à vostre bien & prosperité. Nous esperons aussi que vous nous presterez tous vos volontez & affections, & monstrerez autant de bien-vueillance à nous maintenir icy, tant que le Roy jugera que nous y serons necessaires, que vous en avez faict paroistre à nous y desirer. Nous nous asseurons particulierement, que monsieur le Viguier, qui a si valeureusement & si glorieusement exposé sa vie pour la conservation des vostres & vous delivrer d captivité, fera tousjours davantage reluire ceste mes
25
me vertu ; & tesmoignera de plus en plus par ses actions, son affection au service de son Prince, & bien de son pays. Je vous dy franchement, Messieurs, & vous le dy, pource que le Roy me l'a commandé, qu'il faut que vous l'honoriez tous, & le reveriez comme vostre propre pere : car rien ne peut apporter plus de malheur à ceste ville, que si vous oubliez l'insigne miracle, par lequel Dieu vous a delivrez, & que vous manquiez d'honnorer & reverer celuy des mains duquel il s'est servi pour vous sauver. Aux autres villes on a dressé des statutes à ceux qui se son signalez de tels actes : il faut quevous luy en dressiez une, non en vostre place publique, ains en vos cœurs, non de bronze ou de marbre, subjecte à la roüille, & à l'air ; ains daffection & bien-vueillance eternelle. Mais aussi dis-je franchement en vostre presence, que la gloire qu'il s'est acquise par ce bel acte, luy est une rigoureuse loy d'honneur, qui oblige de continuer à bien faire obeir plus soigneusement qu'aucun de ses concitoyens, aux commandens de son Roy & de sa Justice, & procurer le bien & repos de sa ville. Car de ses actions à l'ad
26
venir on jugera quelles ont esté ses intentions par le passé. Apres que ce grand Thimoleon eut delivré la ville de Corinthe de la tyrannie de son propre frere, les Corinthiens luy mirent en main leur armee pour aller à l'entreprise de Sicile ; & luy delivrant la commission, ils luy dirent : nous verrons par ce que tu feras, si tu as exterminé le Tyran ou ten ennemu. Aussi fautil Monsieur le Viguier, que vous pensiezque quand le Roy vous continue aujourd'huy en la charge de Viguier, & que ce peuple vous y reçoit : qu'ils vous disent sans parler : Nous verrons quel dessein vous avez eu en ceste signalée action, qui vous a acquis tant de gloire, & si vous vous estes proposé le service de vostre Prince & salut de vostre ville, ou seulement vostre bien & advancement particulier : mais je ne doute nullement que vous ne vous soyez seulement proposé ceste gloire immortelle qui vous devoit revenir de ceste belle & genereuse action, que vous ne receviez les biens & les honneurs qui vous sont faicts par le Roy vostre souverain seigneur comme une dependance & suite non pourpensee de vostre vertu & generosité ; &
27
que vous ne dressiez toutes vos intentions qu'à ce qui sera du service de sa Majesté, & manutention de sa Justice, & de cela je m'en veux rendre moy-mesme garent à vos concitoyens, & à tous ceux ausquels est parvenu le bruit de la gloire que vous aves cy devant meritee. DOncques, Messieurs, voyant toutes choses conspirer au bien & repos de ceste ville, & y apportant Ce que restoit à y desirer pour le comble & consommation de vostre bon heur, qui est la Justice souverainne que le Roy vous envoye ; je prens certain augure que nous la verrons florir plus que jamais, & que les benedictions qu'apporte avec soy la Justice quand elle est honnoree & reveree comme il appartient, rempliront vos maisons marticulieres de toutes sortes de biens & de prosperitez.*
FIN.
28
PERMISSION.
IL est permis à Thomas Soubron marchant libraire de Lyon, Imprimer la presente Remonstrance : & deffense à tous autres de l'imprimer, à peine d'amende arbitraire, & de confiscation de l'impression : faict le 8. Janvier 1597.
DE-LANGES.