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1573-Maniere de faire des vers (Jacques de la Taille)

Né en 1542, auteur (précoce) de tragédies dont certains considèrent la versification comme audacieuse, Jacques de la Taille consigna ses vues en matière d'art poétique dans ce petit ouvrage et se proposait de mettre ses préceptes en pratique lorsque la mort l'emporta, dans sa 20e année.

Dans certains passages du texte, on trouve dans les graphies des traces de la réforme orthographique pronée par Louis Meigret (p. e. ę pour æ), auquel Jacques de la Taille fait par ailleurs référence, tout comme à Estienne Dolet. Mais les traits de cette orthographe réformée ne sont pas constants, non plus que les choix lexicaux (Grecs alterne avec Gregeois), ce qui permet de supposer l'intervention de deux typographes différents dans la composition de cet opuscule, publié après la mort de l'auteur.

Source du document : Gallica

Transcription d'après l'édition de Paris, Federic Morel, 1573.

[1r]

LA MANIERE DE FAIRE DES VERS EN FRANCOIS, COMME en Grec & en Latin.

PAR

Feu Jaques de la Taille, du pays de Beauce

[illustration]

A PARIS

De l’imprimerie de Federic Morel

Imprimeur du Roy.

M. D. Lxxiii.

Avec Privilege dudict  Seigneur.

[2r]

[frise]

AU LECTEUR

LE deuil & le juste dépit (lecteur) que j’ay eu de voir nostre poësie toute souillee & abastardie par un tas d’esclaves imitateurs qui se sont impudemment fourrez entre les plus sçavans d’aujourd’huy, m’a tellement dégousté de nostre ryme, pour la voir aussi commune aux indoctes qu’aux doctes, & ceux la autant authorisez en icelle que ceux cy, que je me suis proposé une nouvelle voye pour aller en Parnasse, non encore frayee que des Grecs & des Latins, & qui pour son industrie & trop plus grande difficulté que celle de la ryme, sera comme j’espere, inaccessible à nos rymasseurs d’aujourdhuy : où s’ils s’en veullent mesler, ils seront contrains de se ronger les ongles, & de mettre plus de peine à se limer, qu’ils n’ont fait jusques icy. Et combien que de ma part je me fusse tousjours mis à escrire comme les autres

[2v]

en vers rymez, jusques à y parfaire des comedies, Tragedies, & autres œuvres poetiques qui mesmes ont bien cest heur (pour n’en dire autres choses) de plaire aux grands Seigneurs & Dames de ce temps : combien que par iceux, di-je, j’eusse, possible merité de n’estre pas du tout mis au dernier ranc des Poetes, si je les voulois mettre en lumiere. Toutesfois faisant comme ce grand Romain, qui mieus ayma n’avoir point de statue à Corinthe, que de l’avoir à la foulle de tant d’autres Capitaines & gendarmes inconnus, j’ay mieus aymé laisser mes livres aux tenebres où ils sont (si possible je ne me ravise cy apres) que de les voir offusquez (ce qui soit dit sans arrogance) par la multitude de tant d’autres escrivains qui fourmillent en ceste université de Paris, & qui ne servent d’autres choses que de faire r’encherir l’ancre & le papier. Quant à ceux qui m’allegueront que nostre parler vulgaire n’est pas propre ny capable à recevoir des nombres & des piedz, Je leur respondray (comme a desja fait le poete Angevin) que c’est sottie de croire que telles choses procedent de la nature des langues plustost que de la diligence & du labeur de ceux qui s’y veullent employer, en quelque langue que ce soit : & certes si nos ayeux se fussent mes

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lez aussi bien d’admettre des quantitez à nos syllabes comme ils ont fait des rymes, nous ne trouverions pas aujourd(huy cela si estrange qu’il semble à d’aucuns. Mais qui nous engardera d’en faire autant que les Hebreus, qui ont en leur langue (à ce que dit Josephe) premiers que les Grecs & les Latins, mesuré leurs syllabes & inventé les vers Heroiques ? Nostre langue vous semblet-elle plus impropre & rude que la leur ? Quant à ceux qui disent, qu’on se doit contenter de la ryme : Je dy au contraire, qu’on ne doit point sçavoir mauvais gré à celuy, qui pour enrichir nostre vulgaire veut user de ce nouveau genre de poesie : auquel j’aymerois mieux estre un Achille qu’un Diomede entre les rymeurs, encor que j ne vueille blamer la ryme, ny destourner ceux qui ont en icelle commencé quelque grand œuvre. Mais aussi à ceux qui en sontsouls & dégoustez pour la raison que j’au ditte, j’ay bien voulu dédier ce petit  Traitté, non tant pour les enseigner que pour les encourager : petit, je dis, car je ne l’ay fait que pour estre une preface à quelques miens opuscules composez en ceste maniere de vers lesquelz je te monstrerau bien tost, si je voy par cecy que la façon d’iceux te plaise.

[3v]

MUSAE GALLICAE

Quae modò reptabas humilis, non culta, tuísque

Spreta, tibi dedimus, patria Musa, pedes.

I nunc, ecce tibi spaciosos visere campos

Graiugenum tandem, Romulidumque datur.

Quin tibi cum pedibus qui des quoque fortifitan alas

Quois super astra voles, Daedalus alter erit.

[4r]

[frise]

NOUVELLE MANIERE DE FAIRE DES VERS, COMME LES GRECS ET les Latins.

L’ORDRE que nous suyvrons en cest’Epitome, ce sera en premier lieu d’escrire sommairement de la quantité & mesure de nos syllabes, puis des pieds, & des vers, dont nous pourrons user, & finalement des figures & licences que nous pourrons prendre en iceux. Or quant à la definition de Pied, de Carme, de Lettre, quelles sont liquides, quelles sont miettes, de syllabe, des voix, & de leurs differences, de quantité, quant à leurs accidens, & tant d’autres menus enseignemens, Je r’envoye ceux qui les voudront voir à ces Grammairiens qui les ont si curieusement (que je ne dis superstitieusement) epluchez en leur Prosodie. Mon principal but est de montrer que nostre quantité n’est ni malaisee à discerner qu’aucuns pensent ny mesmes stant que celle des Grecs & des Latins. Mais avant que d’en deduire

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les raisons, nous commancerons à mesurer nos syllabes par les reigles plus generalles, & qui nous sont communes avec les Grecs & Latins. Au reste nous maruerons les longues ainsi ˉ, & les brevez en ce point ˘, & les communes de tous les deux.ˉ/˘

De la Regle que les Latins nomment Position.

Toute syllabe en laquelle une voyelle precende deux consones, est longue, comme Ānge, hō/ŏmme & c. ou ces deux lettres doubles X & Z, encore que nous n’usions nullement de la premiers, sinon aux mots qui viennent du latin, ausquels mesmes aucuns des nostres ont voulu mettre deux SS en lieu de l’X, à la mode des Italiens, & dire Alessandre, Polyssene, essemble & c. Quant au Z, elle est propre & naturelle à nostre prononciation, & ne se doit pas seulement escrire à la fin des noms & verbes pluriers, mais aussi en la place de l’S qui est entre deux voyelles comme tresbien nous ont enseigné ceux qui ont reformé nostre Ortographe. Et combient que moy-mesmes je ne l’aye observee pour m’accommoder à l’ignorance des lecteurs, si est-ce qu’on la doit bien garder principallement en ceste premiere regle, car nous escrivons souvent par deux consonantes les sillabes qui non seulement n’en doyvent avoir qu’une, mais aussi qui de leur nature sont breves, comme la premiere de ces mots Dĕbvoir, Nĕpveu, Rĕgnard. Et la derniere

[5r]

des tierces personnes des verbes pluriers, Aymĕnt, donnĕnt, donnerĕnt, & c. Nous noterons aussi les verbes infinitifs en ELER & ETER, ausquels sans raison nous mettons deux consonantes escrivant, achĕpter, rejĕcter, appĕller, renouvĕller, veu que la penultiéme est bréve. Il est bien vray que si en la derniere sillabe de ces verbes : il y a un E feminin, il faudra allonger la penultiéme par addition d’une consone jumelle & dire Achette, Rejette, appelle, renouvelle : Mais si la dernier sillabe est masculine, il ne faudra point adjouter de consone à la precedente. Il reste à noter pour ceste regle, que si les deux consonantes qui suyvent la voyelle sont en une sillabe, & que la derniere d’icelles soit une R ou une L (que les Latins appellent Liquides) alors nonostant la position, la sillabe precedente peut estre breve, comme la premiere de ces mots : Dĕgré, rĕgret, & la secondre de consăcrer, horrĭbler, & c. Quelquefois communes comme Tenĕ/ēbres, ă/ātlant, nom propre.

Quelle quantité a la Voyelle devant une autre.

Toute voyelle qui precede une autre voyelle, est breve, comme hăir, tŭer, fĕal, & c. Tu pour

[5v]

ras excepter quelques noms propres, comme Israēl, Licāon : lesquels (selon que leur accent le monstrera) retiendront la mesme quantité en François qu’ils ont en Latin. Tu dois aussi excepter les voyelles qui sont devant l’E feminin, car elles sont tousjours longues comme, vīe, honorēe, vaincūe. Mais sur tout tu prendras garde aux diftongues qui se font quand deux voyelles ne sont qu’en une sillabe, comme en ces mots : miē, ciēus, riēn, & autres, dont nous allons parler.

Des Diftongues.

Les Diftongues sont longues, mais elles ne sont toutes d’une sorte : les unes se font quand en deux voyelles il y a un tiers son, ne tenant ny de l’une ny de l’autre, comme en ces quatre cy AI, AU, EU, OU, émāil, aūteur, hēurēux, loūer. Il y a trois autres diftongues où les deux voyelles retiennent leur son EI, OI, OE, pēindre, loyāl, Françōes, encor que nostre ortographe depravee n’use point de la derniere, escrivant tousjours, OI pour OE. A ces trois dernieres

[6r]

diftongues nous adjousterons les deux voyelles qui ne font qu’une syllabe (comme nous avons desja dit) encor’ qu’elles se doivent prononcer plus distinctement que les trois autres, & quasi comme estant en deux syllabes. Ce les sont icy, AY, payant, essayer.

IE Pierre, siecle, miel, piés : il se fait en tous les noms terminez en IER, & aux substantifs en IEN, excepté Lien, Fien, & c. Item il se fait en la penultieme des mots finissans en IECE, IEGE, IEME, IETTE ? IERGE, IEVE, & des verbes en IENNE, comme Vienne, tienne & c. Finablement ceste diftongue se fait aux secondes personnes des verbes pluriers en IEZ (pourveu que l’infinitif ne soit en YER) comme AYmiez, Aymassiez, alliez, allassiez.

IO diftongue se fait en toutes les premieres personnes des verbes pluriers en IONS, venions, aymions, aymassions. Il fault excepter les verbes qui en la premiere personne de l’indicatif singulier se terminent en IE, comme sacrifie, deslie.

U voyelle devant I fait tousjours diftongue en tous mots que ce soit, si ce n’est possible aux verbes en UIR, comme fuir, circuir & c. Il y a quelques autres diftongues bien rares, comme en IA diable. En EA eage, deà, qui est interjection.

Il ne fault pas oublier les Triftongues, desquelles les plus frequentes sont en EAU & en YEU, comme beauté, chasteau, lyeu, myeus, Ayeul exc. Il y en a quequ’unes en AOU, comme saōuller, Aōust, d’où vient Aōuster, qui aux

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champs signifie meurir. En YEI, vīeil : En VEI, vēil, suēil : En OUI, ōuy, adverbe.

Quant à l’AE & l’OE des Latins, il nous les faults oster de nostre langue, & les changer en un E simple qui soit long. je dy mesmes aux noms propres Ēnee, Phēbus, Cēsar, & c.

Des Syllabes feminines.

LES syllabes qui ont un E feminin sont tousjours breves, non seullement à la fin des vocables comme, dirĕ, fairĕ : mais aussi au commencement & au milieu, comme dĕmander, chĕval, pauvrĕment, rĕcĕvoir. Or l’E feminin ne peut estre prononcé a une mesme sillabe que devant S & T : & fault encor que ce soit à la fin des mots, s’ils ne sont composez de la preposition DES, car lors l’S doit estre conjointe a l’E feminin en la premiere sillabe, comme Dĕsespoir, dĕshonorer : autrement cest E imparfait ne se joindra à l’S s’elle n’estoit finalle, comme en ces mo[ts] Justĕs, Princĕs, Faitĕs. Au reste il ne se joint avec le T qu’à la tierce personne des verbes pluriers

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Aymĕnt, aymerĕnt, aymassĕnt, ausquels (comme nous avons ja dit) nous adjoustons à tort une N devant le T, & faisons une position en la sillabe qui de sa nature est breve.

Des Syllabes qui precedent les feminines.

Les Syllabes feminines, qui ont un E feminin.

SI un mot de deux syllabes a la derniere feminine, il faudra que la premiere soit longue, comme, Dīre, chōse, vīce. En cest endroit nous avertissons le lecteur de ne juger point de la quantité des sillabes par les conferer aux autres, car combien qu’il y en ayt de plus longues, les unes que les autres, comme Pâme, grâce, prêche, au regard de Dame, Place, & peche, & c. Toutesfois nous tiendrons generalement pour longues, toutes celles qui precedent la sillabe feminine aux mots dissillabes, voire aux trissillabes, qui ont la premiere longue, comme Usāge, Prodīge, Augūre. Aussi voyons nous clairemnt que nous ne sçaurions comment prononcer un Dactile en un mot feminin, tel qu’est utile, fertile, & sommes contrains d’allonger la penultiéme, qui toutefois seroit breve si l’E feminin estoit mangé par apostrophe : par laquelle aussi les autres mots reprendront leur quantité s’elle est breve de nature : Tellement que, Vie, prie, tue, auront la premiere bréve, s’il y eschet Apostrophe, par la regle que nous avons donnee à la voyelle qui est devant

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une autre voyelle. Mais puis que nous sommes tombez sur l’apostrophe, nous en parlerons un peu.

De l’Apostrophe.

L’Apostrophe ne se fait donc en nostre langue qu’à l’endroit de l’E feminin (qu’on appelle autrement bref, imparfait, ou clos) & apres l’article LA quand elle est devant un mot commençant par une voyelle, comme l’Amour, l’Ire. Au regard de nos autres voyelles, elles ne connoissent point de sinalephe, comme les Latins & les Grecs, sinon en quelques monosillabes, comme noustraitterons sur le propos des figures. Or pource que l’Aspiration a plus d’energie é d’efficace en François, qu’en autre langue, nous ne faisons point d’Apostrophe devant les mots aspirez qui sont purement François, telz que Hayr, Hardy, Honte, Herault, & c. Quant à ceux qui sont descendus du Latin & du Grec, ils sont tous Apostrophe, & à fin que le Lecteur les puisse discerner, j’ay bien voulu en mettre icy la plus grand part : asçavoir Homme, Humain, Haleine, Habit, Haim ou Hameçon, Hebene, Heure, Herbe, Histoire, Heritier & hoir, Honneste, Hospital, Humble, Humeur, Hostie, Hostel & Hostie, Horreur, Herisson, Hennir, Helas ! Hier, Habile, Habiter, Hesiter, Heorique, & tous les mots qui en sont derivez. Voicy ceux du Grec qui font aussi Apostrophe, Hymne, Hypocras, Hissope, Hipothequer, Hydropique, Hor

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loge, Hemorrhoïde, Harmonie, Hiacinte, Hypocrote, Heretique : & tous les noms propres. Il y a toutesfois quelques vocables purs François, qui ne laissent pas d’apostropher, comme Hereux, Huytre, huit, Huis, Huile : comme au contraire Henry, & Harem, ne font point d’Apostrophe, combien qu’ils ayent un H en Latin. Venons aux autres Rgles, & premierement à la composition.

Des Mots composez.

Tous vocables composez de ces prepositions entieres Sur, Par, En, Re, Des, ont la premiere breve, s’il n’y a position. Quant à ceux qui sont composez de DE, ils varient selon la pronciation : car s’ils sont prononcez masculinement, comme Dé“pester, Dé“poser, Dé“loyal, Dé“choir, DE sera long : mais il sera court estant proncé femininement, comme Dĕlaisser, dĕmander, dĕbat, &c. A & E en composition sont longs comme Āverer, ācorder, ēlever, ēprouver, &c. On exceptera Ăvancer qui est composé d’Ăvant : Item Ăvorter pource qu’il est formé de Ab preposition des Latins qui disent Abortare. Car il faut entendre que tous les mots composez des prepositions inconnues aux François, telles que Ad, Ab, Prŏ, Prĕ,

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ĭn, pĕr & c. retiennent la mesme quantité en nostre langage qu’ils ont en celuy duquel ils sont descendus. J’en veux estre autant entendu des prepositions Grecques, desquelles sont composez ces mots, Prophete, Anatomie, Paralitique, Antipodes, Epitaphe, Epigramme, Sinople, Ypocrite, Amphitheatre, Apostre, Cataracte, Dialectique, Metamorphose, & la plus grande partie des noms des Sciences, ARtz, & Figures. Mesmes nous usons quelque fois de la Grecque presposition a qui signifie privation : Exemple, Atheiste, Amethiste, Abysme, & c. Qui voudra doncques sçavoir la quantité de ces prepositions estrangeres, si les voise chercher en Grec, comme en Latin celle de nos mots composez de deux corrompus, comme Magnifique, Multiplier & autres. De fait nous n’avons point ou bien peu de vocables composez en ceste sorte, qui soient nayvement François. Quant aux composez de deux entieres (comme on les appelle en Grammaire) ils ne changent point la quantité qu’ils ont estans simples, comme Āigrĕdous, mālheur. Quant à ceux qui sont d’un entier, & d’un corrompu (car il y a trois sortes de composez) il ne fait ja de régles à part pour apprendre leur quantité ; nous dirons bien en passant que My corrompu en composition pour Demy est bref : My( cheval, my(-courbe.

Des Mots issus du Latin.

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Ce que j’ay dit des prepositions Grecques & Latines, il en fault autant dire de tous les vocables qui sont descendus, ou qui approchent du Latin en mesme signification, de maniere que Sepulchre, impotent, miserable, sedition, & cent mille autres auront, mesme quantité que Sepulchrum, Impotens, miserabilis, Seditio. Aumoyen dequoy je te r’envoye aux Grammairiens Latins, en tant que nostre langue est conforme à la leur, pour apprendre la quantité de la plus grand part de nos sillabes, pourveu que tu ne contreviennes aux Regles que nous venons d’ordonner.

De la Derivaison.

DOncques la connoissance des langues Latine & Grecque sera necessaire à nostre poëte s’il veult sçavoir la derivaison de nos vocables, & par consequence la quantité d’iceux : car elle sera telle au derivatif qu’au primitif.

Ainsi Făçon & văleureus auront la premiere courte pour estre issus de Facio & de Valor. Quant aux autres derivaisons, diminutions, & denominaisons qui sont en nostre langue : il ne fault de receptes particuliers pour sçavoir leur breveté ou longueur, veu qu’elle depend de leur original. Je ne parleray point aussi de ce que les Latins appellent increment (qui est accroissement d’une sillabe aux mots qu’on decline) car nos noms ne connoissent point de Declinaison : & quant aux

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Verbes, il n’y a que les Actifs qui se conjuguent. Encore leur conjugaison n’est si diverse, & inconstante que celle des Latins, & l’increment d’icelle trop plus aysé à connoistre. Car qui est celuy qui ne voye bien qu’aymâtes, aymêrent, entendîtes, entendîrent, ont la pénultiéme longue, & aymeront breve, par les regles susdittes, ou pour le moins par l’accent ?

De l’Accent.

Je te dy que l’accent te pourra monstrer la quantité en la penultiéme des polysillabes, car si elle a un ton circumflexe (que les autres appellent declinant) elle sera longue, mais on l’abbregera si en l’antepenultieme il y a un accent eslevé, comme énrăger, íncĭter, endómmăger. Si tu veus plus amplement sçavoir des accens, je te renvoye au livre qu’en a fait Est. Dolet, & à la Grammaire Françoise de Loys Meigret.

Voyla doncques Lecteur, sept ou huit Regles des plus notables pour mesurer les sillabes, qui sont au commencement, & au milieu de nos mots. Quant aux finalles, jaçoit que leur quantité depende de l’authorité & discretion des Escrivains, toutefois pour ce qu’il est necessaire de la sçavoir j’en traitteray tout d’un train, apres t’avoir adverty, qu’en tous les mots, ausquels nous escrivons une S superflue, la syllabe est lon

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gue, encore qu’il n’y aye point de posicion, comme Ēscrire, Tempēster, Arrēst, & c. Tu en escepteras quelques uns comme cĕst, pronom, & autres. Pour certain il n’est possible d’esclaircir exactement la Prosodie Françoise, sans l’observation des Accens & de l’Ortographe reformee. Mais j’atten que le temps abolisse cest usage corrompu, & qui ne sert que de tesmoignage à nostre ignorance. Venons au point.

La quantité des terminaisons.

A. E. I. O. U.

Il faut excepter la voyelle feminine.

Tous mots terminez en voyelles ont la derniere longue, Aymā, aymē, amy“, vaincū. Il ne s’en trouve point en O, si ce n’estoient noms propres. Je m’en rapporte à ceux qui voudront accourcir les adverbes en A : à sçavoir, de-ja, pieça, & c. Pour le moins tu variras ceux cy, ainsĭ/ī, icy“/y(, aussĭ/ī, cecy“/y(, nenny“/y(, quasĭ/ī. Qua(n-t à La Article, & les Pronoms Ma, Ta, Sa, ils sont brefs, comme aussi sont quelques autres monosillabes.

B. C. F. Q. L. R. T. P. G. D

TU abregeras toutes les syllabes finissantes en l’une des Consonantes qui s’ensuyvent, pour

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veu qu’il n’y ayt point de position, ou diftongue. En B, en D, en G, & en Q, s’il y en a : En C, comme almanăc, avĕca, spĭc, estŏc, Dŭc, & c. En F comme nef natif, & c. En L, comme Principăl, Eternĕl, subtĭl, fŏl, nŭl, & c. En P, comme Hanăp, Drăp, sirŏp, trŏp, sĕp. En R, amĕr, chăr, desĭr, encŏr, obscŭr, & tous les verbes infinitifs. En T, comme Abbăt, promĕt, sĕt, lĭt, marmŏt, tribŭt.

M.

M Est longue comme Renōm, surnōm, Plōm, Coulom, & les noms propres Adām, Priām, Jerusalēm, Mahōm : Encor qu’il semblast qu’on la deust accourcir, attendu que les Latins la mangent, & que devant ils l’abbregeoient.

N.

N Est aussi incertaine en François comme en Latin, toutesfois que je serois bien d’advis d’allonger les terminaisons en An, comme Pan, Ocean, Itan, An, van, & c. Item les noms patronimiques en IEN, Parisien, Delien, Troyen, Tirinthien, & c. Itel les noms Verbaus en ION, qui en Lation finent en IO, comme, opinion Religion, invention, & c. Item les verbes impera

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tifs en On Allon, faison, dison, & c. Le reste des terminez en N se pourra ccourcir selon le jugement des autheurs.

S & Z.

S est longue comme repās, regré“s, logīs, repōs, abŭs. Tu excepteras les noms propres qu’on ne peut traduire, tels que Phebŭs, Jesŭs, Pallăs, Atlăs, & c. Item les secondes personnes des verbes singuliers en IS, comme choisĭs, predĭs, Entendĭs. Item les pronoms, Mĕs, tĕs, sĕs, & l’article, Lĕs. Item és seonde personne du verbe Je suĭs. Păs adverbe est bref. Je te laisse à juger du reste. QUant à Z, elle est toujours longue comme aymēz, lettrēz, & c.

C’est assez parlé des Quantitez, il est temps de venir aux Vers, pour lesquels elles sont faittes, mais pource qu’iceux consistent en certain nombre de pieds, nous en parlerons premierement.

DES PIEDS.

LE pied est un certain bastiment de Syllabes mesurees, par lequel, ainsi comme avecq des pieds nous allons par tout le vers. De là nous disons

[11v]

Scander les Carmes, quand nous serparons & nommons leurs pieds.

Voicy les noms de tous les pieds.

Les dissillabes

(Le

Pirriche

˘˘

cruel

Spondee

ˉˉ

seigneur

Iambe

˘ˉ

devoir

Trochee

ˉ˘

homme

Les trissilabes

(Le

Molosse

ˉˉˉ

bienheureux

Tribracque

˘˘˘

animal

Dactile

ˉ˘˘

inciter

Anapeste

˘˘ˉ

diligent

Amfibracque

˘ˉ˘

[ba]lance

Cretique

ˉ˘ˉ

verité

Bacche

˘ˉˉ

triomphant

Contrebacche

ˉˉ˘

nature.

Les polysillabes.

(Le

Proceleumatique

˘˘˘˘

crucifier

Dispondre

ˉˉˉˉ

incessamment

Choriambe

ˉ˘˘ˉ

ambicieus

Antispaste

˘ˉˉ˘

debonnaire

Doubliambe

˘ˉ˘ˉ

honnestement

Ditrochee

ˉ˘ˉ˘

alliance

Ionique premier

ˉˉ˘˘

encourager

Ionique second

˘˘ˉˉ

imitateur.

Epitrite I

˘ˉˉˉ

malencontreux

Epitrite 2

ˉ˘ˉˉ

elegamment

[12r]

Epitrite 3

ˉˉ˘ˉ

authorité

Epitrite 4

ˉˉˉ˘

inconstance

Pæon 1

˘˘˘ˉ

malicieus

Pæon 2

ˉ˘˘˘

difficile

Pæon 3

˘˘ˉ˘

miserable

Pæon 4

˘ˉ˘ˉ

remercier

OR qui a esté l’inventeur de ces pieds, & d’où c’est qu’ils sont dits, tu l’apprendras des Commentateurs de Dispautere. Tant y a que pour les vers que nous declayrerons cy apres nous n’userons que du SPondee, du Dactile, de l’Iambe, du Troche, de l’Anapeste, & rarement du Tribraque, du Proceleumatique, & du Cretique, aumoins selon que nous les scanderons : car je n’ignore pas qu’aucuns les scandent autrement que nous, & partant ils changent de pieds.

Des Vers.

Ce seroit chose superflue de dire toutes les manieres de vers, dont tu pourrois user a l’imitation des poëtes Grecs & Latins, & principallement Liriques. Il suffira de dechiffrer ceux qui nous doyvent estre plus usitez : & (quand tout est dit) je serois d’advis de n’user que d’iceux. [Si] tu ne voulois inventer toymesmes quele [nou]velle mode de carmes qui ne contentast [mieux] l’oreille que le son des autres. Nous voyons qu’Horace en a bien inventé de nouveaux, & tous ceux qui ont escrit des Odes.

[12v]

DE LA DERNIERE SYLLABE DES VERS.

Avant que de commencer les vers nous t’avertissons, que la derniere sillabe d’iceux n’est subjette à la loy des quantitez, ains tu la feras longue ou breve à ton plaisir. Mais aussi garde toy bien qu’elle ne soit feminine, si tu ne voulois imiter les vers Hypermetres de Virgile, esquels une syllabe redone, comme en cestuicy. Ærea cui gradibus surgebam limina nex æque Ære trabes : adonc il faudroit que le vers suivant commença par une voyelle qui turoit l’E feminin, auquel pour ceste cause il ne faudra point adjouster d’S ny de T : outre que le sens ne devra estre parfait au vers precedent.

Le vers Heroïque.

LE Vers Heroique à six pieds, desquels les quatre premiers sont Dactiles ou Spondees ainsi qu’on voudra. Le cinquiéme doit estre Dactile, & le sixiéme Spondée ; Exemple : Dessur tous animaux Dieu forma l’homme malheureux. Voicu comme on le scande : Dessus ˉˉ tous ani ˉ˘˘ maus Dieu ˉˉ forma ˉˉ l’homme malˉ˘˘ heureuxˉˉ.

Il faut bien prendre garde que non seulement aux Heroiques, mais en toute sorte de Vers la Cesure ne tombe point sur une syllabe feminine, si on s’en peut garder. Quant aux licences que les Grecs & les Latins ont pris en ce vers icy, tu les pourras prendre, pourveu que tu ne per

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des le sont que doit avoir un tel vers. Pourtant tu t’efforceras que le troisiéme pied commence par une Cesure.

L’Elegiaque.

LE Vers Elegiaque est basti de quatre pieds & de deux Cesures longues & masculines, l’une au milieu, l’autre à la fin. Les deux premiers pieds sont indifferemment Dactiles ou SPondees, & les derniers necessairement Dactiles. En voicy la maniere.

Il nous faut abolir toute superstition.

Il nous (Spondee) faut abo (Dactile) lir (Cesure) toute su (Dactile) persiti (Dactile) on (Cesure). On n’use point de ce vers icy sinon alternativement apres l’Heroique. Voyon les autres.

Le Sapphique.

Le Sapphique ainsi que le Phaleuce est appellé en Grec Hendecasyllabe pour n’avoir qu’onze syllabes. Il a cinq pieds dont le premier & les deux derniers sont Trochees : le second est Spondee ou Trochee par licence : & le troisiéme est tousjours Dactile, lequel encor doit commencer par une Cesure si nous voulons que ce vers sonne bien en nosre langue. Et si les Latins n’ont observé ceste Loy, aussi voyons nous que en Horace ce Capphique,

Quem virum aut Heroa lyra vel acri,

Et, Mercuri facunde nepos Atlantis

[13v]

& tous ceux qui sont tels ne satisfont si bien à nos oreilles que,

Qui feros cultus hominum recentum

Voce formasti carus & decoræ, & c.

Or on a de coustume (si ce n’est aux Tragedies) apres trois Sapphiques d’entremesler un Vers Adonique formé des deux derniers pieds d’un Heroique. Exemple en ces vers pris de ma LYRE CHRESTIENNE.

O le seul autheur de ce monde parfait

Père, qui aux Cieux ta demeure choisis,

Fay que ton Nom tant venerable par tout

Sanctifié soit.

Vous scandez le vers Sapphique en ce point,

O le ˉ˘ seul au ˉˉ theur de ce ˉ˘˘ monde ˉ˘ parfait ˉ˘ l’Adonique, sanctifi ˉ˘˘ é soit ˉˉ

Le Phaleuce.

LE vers Phaleuce a pour le premier pied un SPondee, quelquefois un iambe ou un Trochee : pour le second un Dactile, & trois Trochees pour les trois derniers. Il est tel,

O déloyal amour Tyran de mon cueur.

O dé ˉˉ loyal a ˉ˘˘ mour Ty ˉ˘ ran de ˉ˘ mon cueur ˉ˘. Car, comme nous avons dit, la dernière syllabe est libre.

L’Asclepiade.

L’Asclepiade est construit d’un Spondee pour le premier pied, & de trois Dactiles avec une Cesure apres le premier. Exemple en ce vers de

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mes Odes,

Charle en France fera naistre le siecle d’or.

Il se scande Charl’en (spondee) France fe (dactile) ra (cesure) naistre le (dactile) siecle d’or (dactile). Il y a le demy Asclepiade qui est tel : O Seigneur que je sen de mal. Ō Sēi, gnēur quĕ jĕ, sēn dĕ măl.

Des Vers Iambiques.

LEs vieux poetes estrangers ont inventé plusieurs sortes d’Iambiques, mais tu n’en useras pour le plus que de trois sortes, à sçavoir, du Senaire, du Dimetre, & du Scazonte. L’Iambique Senaire est dit pour estre de six pieds, dont le dernier est Iambe, & les cinq premiers reçoyvent, outre l’Iambe, l’Anapeste & le Tribracque, & quelque fois le Dactile au premier pied seulement, encor qu’on mette plus souvent & plus elegamment un Spondee au premier, troiseme, & cinquieme piedz, & non point aux trois autres. L’exemple du Senaire, Je veux desormais publier le nom de Dieu. Je veux ˘ˉ desor ˘ˉ mais pub ˉˉ  lier ˘ˉ le nom ˘ˉ de Dieu ˘ˉ Le scazonte est semblable, sinon que le dernier pied est tousjours spondée & le penultiéme Iambe. Exemple, Celuy perira qui se confie en son bien. Cĕlūy, pĕrī, rā qūi, sĕ cōnfĭ’ ēn sōn bīen. Le demy Iambique (que on appelle Dimetre) est formé des quatre derniers pieds du Senaire, mais le plus elegant est

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celuy où le Spondee & l’Iambe est alternatif, comme cestuy-ci : Adieu l’Amour, Adieu Venus, ˉˉ˘ ˘ˉˉ ˉˉ˘ ˘ˉ.

En quoy les vers susdits s’employent.

LE Carme Heroique seul est fait non seulement pour le long œuvre, mais aussi pour des Satyres, pour les Epistres serieuses, pour les Hymnes philosophiques, & pour les Inscriptons des grands Seigneurs : Quand il est joint à l’Elegiaque, il sert aux Elegies, au Epistres amoureuses & toutes autres inventions poetiques. Le Saphique est pour les Odes & les Hymnes communs Tous les autres vers sont faits aussi pour les Odes, pour les Chansons, pour les Epigrammes, pour les Epitaphes, Estrenes, bref pour tout ce que nous escrivons en nos Vers depuis les Quatrins jusque aux Decasyllabes. Il est vray que le vers Iambique Senaire, est proprement dedié aux Tragedies & Comedies, car il suffit que le dernier pié du Senaire soit [I]ambe, les cinq premiers admettront sans égard l’Iambe, le Spondee, le Dactile, l’Anapeste, le Tribracque, & par fois (à l’imitation de Plaite & de Terence) le Proœleumatique & le Cretique ; Mais pour reprendre nostre propos, je dy que pour metrifier nos Vers à la mode des Grecs & des Romains, nous ne perdrons nulle des poësies que nous employons à la ryme, veu que desja les Moralitez, Ballades, Farces, Chants royaulx, Lays, Vi

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relays, Rondeaux, Coqs à l’Ane, & toutes telles rymasseries sont ja pieça decriees du regne des Muses. Quant au Sonnet, il est desormais temps de le r’envoyer en Italie, attendu qu’il a eu desja tout l’honneur qu’il meritoit en France, en laquelle il est venu au point de sa perfection : avec ce que l’Amour qui est sa propre matiere, s’en va estre las de tormenter nos poetes, de sortes que les oreilles des miserables Lecteurs auront treve cy apres d’ouir les plaintes & langueurs de tant d’amoureux transis. Ainsi doncques ce ne sera pas grande perte au Sonnet, attendu que le suget d’iceluy peut estre employé aux Vers que nous venons d’eplucher. Reste pour accomplir ma promesse de monstrer les figures & licences desquelles nous pouvons user en iceux.

De la lettre I au commencement des noms propres.

LA lettre I an commencement des noms Grecs est tousjours voyelle, comme ïarbe, ïapet, ïole, ïambe, ïon, ïule, ïonie, ïocaste. Il y en a toutesfois qui prennent l’I pour consonante en ce dernier, comme aussi en Jason et autres. Quant aux noms Latins l’I est tousjours consone au comencement d’iceux, ainsi qu’en ceux-cy, Julles, Junon, Juppiter, Janus, & c. Autant en est il de tous les noms Hebrieux, Ieru,  Joab, Jumdas, Jesus, Josué, & c. Pareillement aux noms peurement François, Jan, Jacques, Joachim, & c. En tous lesquels la premiere lettre n’est seulement consonante, mais aussi longue de nature.

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Des figures dont nous userons à l’exemple des Grecs & Latins.

LA figure est prise pour une nouvelle maniere de parler. Elle a trois especes dont les deux premieres, pour estre aussi communes à l’Orateur qu’au Poete ne seront icy mises. Quant à la derniere espece que les Rethoriciens appellent Metaplasme, pour estre propre à la poesie, & pour n’évoir encor esté expliquee en François que je sache, j’en diray ce qu’il m’en semble. Metaplsme donc est une figure qui ne se fait que sus les mots ausquels pour changer la quantité nous changeons, diminuons, & adjoutons, quelque chose, de sorte que ce seroit presque un Barbarisme s’elle avoit lieu en prose. Ses especes sont Prostéze, Diplasiasme, Epectase, Parenthese, Paragoge, Aphærese, Syncope, Apocope, Diærese, Ellipse, Parellipse, Synęrese, Snyalęphe, Ectlipse, Metathese, Sistole ou Antithese, Paremptose, Anadiplose.

Prostéze.

Prostéze est l’addition d’une syllabe ou d’une lettre au commencement ds mots. Par ceste figure les Grecs disent θαμἁ pour ἅμα, ensemble : ἱὠραον pour ὥραον, δικλήσκω pour κλήσκω, & les Latins Gnate pour Nate, Estat pour Stat. Aussi dirons nous comme nos vieux François Itel pour Tel, Asseur pour Seur Aorner pour Orner, Tante pour Ante. Par ceste mesme figure nous ad

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joustons L ou T à ces mots On & Il quand il y a interrogation, disant Aymet-il, Pense l’on que je soye ? & c. pour Ayme-il, & Pense-on.

Diplasiasme ou Epenthese.

Par Epenthese on ajoute une consone Jumelle apres la premiere syllave, ainsi on dit en Grec ὃττι pour ὃτι, car : & en Latin Relliquæ, rettulit, pour Reliquæ, retulit. En François on dira, relligion, pour religion, abborder, pour aborder.

Epectase.

Par Epectase ajoutant une syllabe au milieu du mot. Le Grec dit ἐυτυχεον, τυπτοίατο, ἀδελϕειός, pour ἐυτυχον, ἀδελϕεὁς, & τὐπτοιτο : Le Latin Mauors, Alituum, imduperator, pour Mars, alitum, imperator : Le François dit esperit, soupeçon, larrecin, pour esprit, soupçon, larcin : Mesmes Guillaume de Lorris dit Paroler pour parler.

Parenthese.

Par Parenthese, c’est à dire Addition d’une voyelle à une autre, nous ferons diftongue où il n’y en a point, disant foul, aproucher, pour fol & approcher, comme en Grec on dit, νοῢσος, ξεῒνος, & μέλαις pour νόσος, ξένος, & μέλας. [mal host noir] En cet endroit nous sommes plus heureux que les Latin qui n’ont peu user de ceste figure, comme de beaucoup d’autres que nous verrons cy apres.

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Paragoge ou proschematisme.

Par Paragoge qui est une addition à la fin du mot nous disons occire pour occir, nully pour nul, je pensoye, je disoye, pour je pensoy, je disoy. Par ceste figure les Pariciens prononcent Oue & quie, pour Ou & qui. Les Grecs disent ὀυρανίαφι, προσώπατα, ἐγών, pour ὀυράνια, προσώπα, ἐγώ. [ciel, les persones, moy] Les Latins, dicier, legier, huiusce, potestur.

Aphærese.

VOicy les figures contraires aux cinq sus nommees, & premierement l’Aphęrese par laquelle nous ostons la premiere sillabe des composer. Les Grecs disent τύϕϑω, βλἦζω, pour τετύϕϑω, βεβλἦζω : Les Latins temno, paret, pour contempno & apparet : Les François hardir & paroistre, pour enhardir & apparoistre.

Parellipse.

LA Parellipse oste une consone jumelle en ces mots Grecs κάλιον, ϑᾶτον, pour κάλλιον & ϑᾶττον. [plus beau & plus tost.] Ainsi dirons nous home, honeste, pour homme & honneste.

Ellipse.

L’Ellipse deffait la diftongue en raclant une voyelle, comme en ces vocables coronne, doleur, fit, pour couronne, douleur, feit. Le Grec

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dit par ceste figure, ἀμύξαι βώκολος, μῶσα pour ἀιμύξαι βόυκολος, μόυσα. Le Latin prehendo & preustus pour præhendo & præstus.

Syncope.

Par Syncope les Grecs disent κάμμορος, δάςκιον, [malheureux, ombrageux] pour κάκόμορος, δάσυκιον. Les Latins, dextra & Amasset, pour dextera & amauisset : Nous disons aussi librement qu’à eux, Gramment, hideument, [Le Picard dit epanter pour epouanter], traison, vaincresse, Amerra, Donra, & emprise, pour Grandement, Hideusement, trahison, Vainqueuresse, Amenera, donnera & entreprise. Il y en a encor qui disent povoir, courcer, pour pouvoir & courroucer. Je m’en rapporte à ceux qui par Syncope voudront dire Gru’s, Nu’s Oy’s pour Grues, Nues, Oyes.

Apocope.

Apocope mange la derniere Syllabe ou une lettre pour le moins : Exemple en Grec : δῶ pour δῶμα, ἕρὶ pour ἕρὶον, κρὶ pour κρὶμνὸν : En Latin Achilli pour Achillis, Tuguri pour Tugurii. En François je supplué, je reny, pour je supplie, je renie. Par Apocope, François Villon dit com & hom pour comme & homme : Aussi dirons nous laquell’, eternel’ pour laquelle, eternelle, encor qu’il ne s’ensuyve point de voyelle.

Diærese.

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Par Diærese nous divisions une sillabe en deux, disant Ăīdēr, mĭĕl, Dĭēu, vāissĕāu, ăāgē (comme Villon) Ainsi Homere d[i]t κόιλον, πάις, [creux, enfant] pour κõιλον, παίς : Et Virgile Aulaï, Horace Silüa, Catulle, Gaüdet.

Sinærese.

LA Sinærese au contraire met deux syllabes en une, disant fūir, pōete, & oūir, se[l]on Jan de Meun. Les Grecs escrivent par Sinerese νηρἣδιες pour νηρηίδιες. [Nereides.] Les Latins Theseus, Omnia, ferrei, semianimis.

Sinalephe.

Comme les Grecs disent par Sinalephe, ἐπ ἐμὲ pour ἐπὶ ἐμὲ, τ’ἀμὰ pour τὰ ἀμὰ, [contre moy les choses miennes] nous dirons s’ainsi, si ainsi = m’ame pour mon ame. Et comme iceux disent ἐμουποδύνει pour ἐμοι[…]ποδύνει, ὥ πίλος pour ὁ εύπόλος, & les Latins Viden’ pour videsne : nous dirons Au’ous pour avez-vous, sça’ous pour sçavez vous, p’lamour, pour pour l’amour, ainsi m’aid’ieu pour m’ayde dieu.

Metathese.

MEtathese est une transposition de lettre, comme qui diroit dissouder & mordre,

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pour dissoudre & mordre, ainsi que les Gregeoirs disent καρδία pour κραδία, κάρτος pour κράτος : [cueur, force] & Virgille, Timbre & Evandre, pour TImber & Evander.

SIstole ou Antithese, ou Metalepse.

La Sistole se fait au changement d’une voyelle, à sçavoir quand on dit en Grec φυσίζοος, pour φυσέζοος, ξερόν pour ξηρὸν, φιλάσω, pour φιλήσω, [alme, fer.] en Latin Siracosius, Upilio, pour Opilio & Siracusius : nous n’avons point encore exemple de cette figure, sinon au verbe de Sumer que nos vieux poëtes ont di pour Semer.

Les autres figures.

Il y a d’autres especes de Pateplasme envers les Grecs, lesquelles n’ont point esté reçeues des Latins comme est l’Anadiplose, laquelle se fait quant on double la premiere au moyenne sillabe par mesmes consonantes Exemple […],[…] pour […] , […]. [ils eussent laboré ils fussent adevnu] Il y a l’Ectlipse par laquelle on oste une consonante au milieu des mots, comme  en ceux cy […] pour […],[…] pour […] [vray sceptre]. Ceste figure est à l’pposite de la Paremptose, laquelle adjouste une consonante aux mots tels que ceux cy πτολις, πτολεμος, […], pour πολις, πολεμος, […], comme nous disons prinse pour prise. Quant à ce que les Latins & les Gregeois ont accourcy ou allongé une syllabe contre sa nature, je n’estime pas cela figure, ainçois il le fault mettre entre les

[18v]

licences, desquelles nous allons parler.

Des licences à l’imitation des autheurs de l’une & de l’autre langue.

LA raison que nous avons de vouloir petit à petit eslongner nostre langue hors du vulgaire, nous permet les figures & les Licences. Or est il que les Grecs sont trop plus licencieux que les Latins : Il est à nous de regarder à les ensuyvre. La Licence donc se fait quand on transgresse la naturelle quantité d’une syllabe : comme Homere qui dit Ἆρες ἆρες, & Virgile Connubio iungant. Pareillement ainsi que cestuicy dit Arīĕrĕ & Pārĭĕtibus, nous pourrons de deux sillabes breves en faire une longue en quelques mots, & principallement polysillabes. Tu pourras allonger les sillabes breves aux cesures comme les Grecs, & Virgile qui dit Limináque laurúsque dei & c. Omnia vincit amor, & nos & c.

Congredior, fer sacra parter, & concipe fœdus.

Item: Muneribus tibi Pampineo grauidus Autumno.

On te donne aussi congé d’allonger la derniere des mots qui finent par une voyelle breve, si le mot ensuyvant commence par deux consones, de sorte qu’en disant lā grandeur, lē sceptre il sera en toy de faire longs les Articles brefs comme fait souvent Homere, & Virgile en ses carmes Terrásque tractúsque maris, Drimóque Xanthóque,

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& c. Il te sera encor permis d’abbrevier les voyelles longues à la fin des mots, si s’ensuit apres une voyelle : Virgile, Te Coridon ó Alexi, & c. Fallmur, an qui amant sibi, & c. Simoenta sun Ilio alto :

Là où nous voyons qu’o & qui, & la dernierre d’Ilio, non seulement ne sont pas mangez, mais aussi abbregez contre leur naturel.

Les Grecs font bien davantage : car non seulement les voyelles, mais aussi les diftongues sont abbregees à la fin des mots devant une voyelle, ce qu’on voit en Virgile en ce seul vers,

Insulæ Ionio in magno quæ dira Celæno.

Comme nous ne faisons aopstrophe que sur l’E feminin, les Grecs n’en font aussi que sur les voyelles breves, esquelles encore il leur est permis de faire apostrophe ou de n’en faire point, ce que nous pourrons imiter quelquefois comme devant On, il, & elle, quant ils sont interrogatifs, tellement qu’on peut dire avecq & sans apostrophe Ayme-il, Ayme-elle, ayme-on ? Nous dirons aussi j’eusse eu, & entre elles, pour j’euss’eu, & entr’elles, à ce que dit Loys Megret. Ainsi voyons-nous que Virgile dit sans Synalęphe :

Et succus pecori & lac suducitur agnis.

Item, Tu ne ille Æneas quem Dardanio Anchisæ.

Ovide, Jactari quos cernis in Jonio immenso.

Si quelcun veut apostropher l’M devant une voyelle ainsi que les Latins, je ne l’empécheray point, pourveu que son authorité le face digne d’une telle licence. Pour le moins nous ferons de l’S ce que les vieux Latins en ont fait, comme en ce carme de Lucile,

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Cum lateralu dolor certissimus nincius mortis,

auquel pour le scander il faut tuer toutes les SS. Mesme Virgile par ce vers,

Inter se coisse viros & decernere ferro.

monstre que nous pouvons racler l’S, ce que nous ferons aux secondes personnes des verbes indicatifs en ce point. Tu ayme’ un tel. Tu donne’ ton argent. Par ce moyen cette lettre sera sugette non seulement à l’apostrophe, mais aussi à la Sinalephe. Il y a d’autres consonantes qui recevront apostrophe devant une autre consonante, à cause de la rudesse qu’elles auroient s’elles estoient prononcees. Pour exemple nous escrirons plutost, J’ay trŏp de mal, que trōp de mal : & cependant la syllabe où est le P apostrophé, deviendra bref, ce qu’il ne seroit pas s’il n’y avoit point d’apostrophe. C’est ainsi que Stace Papin dit Stimulátque Agamemnŏ volentes, pour Agamemnon. Tu aviseras si on en peut autant faire des autres consones. Je n’ignore pas que nous ne puissions user de beaucoup d’autres licences lesquelles je laisse tout à propos, pour estre aussi communes à la ryme qu’à nos vers. Voyla pourquoy je n’entreray point plus avant dans l’art Poetique, que tant d’hommes sçavans ont composé general pour toutes langues. Je diray bien pour ne laisser si tost mon propos, que tout ainsi que nous pouvons prendre des licences particulieres à nostre langue, aussi nous ne devons pas imiter toutes celles des Autheurs Grecs & La

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tins. Qu’ainsi soit nous ne devons pas omettre comme les Latins, les articles & les pronoms, Je, tu il, mon, ton son, &c. en quelque lieu que ce soit, sinon rarement.

Nous ne pourrons pas brouiller & entremesler la construction de nos clauses, comme les Grecs & les Latins : car qui traduyroit ce vers de Virgile,

Oceanim interea surgens aurora reliquit,

ne pourra dire, L’Ocean tandis se levant l’aurore laisse, pour L’Aurore tandis se levant laissa l’Ocean.

Combien que les Latins ayent dit Ilion, Peleos, Orfei, Hectora, en prenant la quantité & les mesmes cas des Grecs, si ne faut-il pas que nous disions Æneas, Demostenes, Orfeus, Dido, Hecuba, comme ont fait nos petis rymeurs jusques icy : ainçois il nous faut approprier tous les noms estranges en nostre usage, mettant un E feminin pour la terminaison Latine, As, Es, Is, Os, Us, A, E : toutesfois avec discretion, car outre les Monosillabes il y en a qu’on ne peut traduire, comme Jesus, & Venus, & c.

Il faut aussi noter que ceux qui finent en Aus, & en Ous, se changent en As, & en Ois, & diras Menelas, & Alcinois, pour Menelaus, & Alcinoüs. Quant aux noms feminins terminez en oe tu ne les pourras changer, si tu ne les formois en oue, disant, Alcinoue, Callirrhoue, Pasithoue, pour Alcinoé, Callirrhoé, Pasithoé, pour Pasiphaé, tu diras, Pasiphee. Touchant ceux qui finent en L, N, R, T, & X, tu les pourras laisser

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comme ils sont, s’ils ne sont feminins, ou si tu n’escrivois S, pour X, en Aias, & Astianas. A ceux qui finent en O tu adjouteras un N. Or entre ceux qui ne se traduisent point il y a Pallas, Atlas, Simoys, si tu ne disois Pallade, Atlant, Simoente, les traduisant par leurs genitifs (comme les Italiens) quand ils reçoivent increment. Ce que je dy des noms Grecs & Latins, j’en veux estre autant entendu des noms Hebrieus que je ne sçay comment nos consciencieux (que je ne die ignorans) traducteurs ont laissé en leur entier tant en Grec, en Latin, qu’en François. Il leur faut, di-je, oster cette rudesse Hebraique, & leur donner la tainture Françoise, en disant Exechie, Joabe, Sarre, Rabecque, Jonathe, Judicque : Mesmes aux noms Feminins en L tu adjoindras le, disant : Rachelle, Jezabelle, Micholle. Je sçay bien toutesfois, que nostre ignorance a si bien receu les noms purs Hebraiques, qu’il est presques trop tard de leur oster l’usage où ils ont tant esté, que peu a peu.

Des Vieux mots François.

POur conclusion lon ne fera point de difficulté, non seulement d’inventer des mots, mais aussi de remettre en usage & quasi comme resusciter ceux que nous avons laissé perdre, de maniere que nous prendrons dans nos vieux autheurs François, comme dans le Rommant de la Rose, ce que Virgile cherchoit dans les vers d’Ennie : & comme il dit Olli & Fuat, pour Illi

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& sit, nous dirons en un grand poëme, veez pour voyez, voult & puist pour voulut & puisse : venist, pour vint, tenisse pour tinsse, au pour avecques. Mesmes faisant parler un vieillard, du bon temps je ne craindray de dire ly bons homs pour les bons hommes Nous r’amerrons aussi les Temps, les Modes, & les personnes des verbes hetenroclites, comme en ceux-cy : Tolt qui est tierce personne de l’indicatif du verbe Tollir, qui signifie oster : Ist & istra, qui sont aussi tierces personnes du verbe Issir : Seult, pour a de coustume, nous en avons l’infinitif Souloir. Tu chercheras les autres.

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TU as Lecteur, non tant les loys & reigles, que mon opinion & advis touchant la quantité de nos syllabes : Que s’il y a quelcun qui trouve cecy estrange, & comme chose non jamais ouye, je dy que pourtant on ne la doit blamer veu que par tout il faut commencement. Toutesfois ne me pense point si arrogant, que je m’estime avoir commencé des premiers à mesurer les vers François : veu que celuy qui nous a si doctement enseigné l’Art Poetique, & l’autre qui a si vaillamment deffendu nostre langue, en ont desja fait mention jusques a louer celuy qyu voudroit reduire en art telle nouveauté, en laquelle depuis quelques uns des nostres s’estans employez, nous ont bien monstré que ce n’est chose absurde ny impossible comme on cuide, que de Metrifier en ce point nostre langage. Je ne dy pas que ce ne soit une chose difficile pour l’estroite sugecion où nous sommes, de n’omettre les pronoms & Articles, & de garder un certain ordre en nostre Sintaxe, ce que n’ont fait les étrangers en la leur. Mais que sçavons-nous si la hardiesse, le sçavoir & eloquence de nostre emps, en mettra point nostre langue hors de page, jus

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ques à la depestere de ce qui l’engarde de voller aussi haut que la Grecque & la Romaine ? Et quand cela n’adviendroit, devons)nous rejetter cette nouvelle, ainçois renouvelee poesie pour sa difficulte, quand selon le proverbe Grec ce qui est difficile est beau, d’autant plus qu’il est rare ? Ce n’est pas tout de faire beaucoup de vers, comme tresbien entendoit Euripide, qui voyant un qui se vantoit de faire cent vers tous les jours, A grand peine (dit-il) en puis-je faire trois le jour : mais aussi les tiens ne dureront que trois jours, & les miens à tout jamais. C’est le tout que les Poetes si peu qu’on en a soient parfas. Que plust aux Muses qu’on eut banny de France tant de poetes fraichement éclos ou plustost avortez, & qu’on gardast seulement six ou sept de la premiere volee, & dont la gloire est, peu s’en faut, étouffee par la presse de trant d’ignorans. Il seroit besoin pour ce faire qu’Apollon & Pallas, luy avec son arc, &  cettes cy avec sa Gorgonne,vinssent à l’ayde de leurs neuf Seurs qui soient ainsi prophanees & presques prises à force par ces nouveaux & impudiques Pyrenez. Mais à fin qu’on ne dise que je garde le venin à la queuë de mon livre, je ne passeray plus outre, avertissant sans plus ceux qui taxeront ce livret, comme inutile & de peu de consequence (ainsi que de vray

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je le confesse estre) que pour le moins je pense avoir autant faict que nos Pedentes qui ne cessent de rapetasser ainçois de transcrire des Grammaires, Rhetoriques, & Dialectiques, en Latin ou en Grec, plutost que de les composer en leur langue.

Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

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