Estienne Dolet né en 1509 d'une famille de haut rang, mort en 1546, était un humaniste français au caractère turbulent. Écrivain, poète, il fut aussi imprimeur. Il obtint de François Ier en 1535 le privilège pour dix ans d'imprimer tout ouvrage en latin, grec, italien ou français, de sa plume ou sous sa supervision. Il édita Galien, Rabelais et Marot. Accusé d'avoir professé le matérialisme et l'athéisme, il fut torturé, étranglé et brûlé avec ses livres sur la Place Maubert à Paris.
Les propos qu'il tient sur la ponctuation dans sa Manière de bien traduire ont été repris textuellement par les grammairiens et théoriciens du langage de son temps dans leurs ouvrages (cf. [Sébillet], Art Poëtique François, 1556, p. 268 sq. ; Meigret, Traité touchant le commun usage de l'escriture francoise, 1545, p. 101 sq.)
Transcription de l'édition de Lyon, Estienne Dolet, 1540
LA MANIERE DE BIEN TRADUIRE D’UNE LANGUE EN UNE AUTRE
D’ADVANTAGE
De la Punctuation de la Langue francoyse,
Des Accents d’ycelle.
AUTHEUR
ESTIENNE DOLET,
Natif d’Orleans.
LYON,
ETIENNE DOLET.
1540.
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Au lecteur.
Ly et puis juge : ne juge toutesfoys devant que d’avoir veu mon Orateur francoys qui (possible est) te satisfera, quant aux doubtes, ou tu pourras encourir lisant ce livre.
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ESTIENNE DOLET,
A MON SEIGNEUR DE LANGEI,
Humble salut et recongnoissance de sa liberalite envers luy.
JE n’ignore pas (seigneur par gloire immortel) que plusieurs ne s’esbaissent grandement de veoir sortir de moy en ce present Œuvre : attendu que par le passé j’ay faict et fais encores maintenant profesion totalle de la langue Latine. Mais à cecy je donne deux raisons : l’une, que mon affection est telle envers lhonneur de mon païs que je veux trouver tout moyen de l’illustrer. Et ne le puis myeulx faire que de celebrer sa langue, comme ont faict Grecs et Rommains la leur. L’autre raison est, que non sans exemple de plusieurs je m’addonne à ceste exercitation. Quant aux antiques tant grecs que Latins, ilz n’ont prins aultre instrument de leur
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eloquence que la langue maternelle. De la Grecque seront pour tesmoing Demosthene, Aristote, Platon, Isocrate, Thucydide, Herodote, Homere. Et des Latins je produis Ciceron, Cæsar, Salluste, Virgile, Ovide, lesquelz n’ont delaissé leur langue pour estre renommez en une autre. Et ont mesprisé toute autre sinon qu’aucuns des Latins ont apris la Grecque afin de scavoir les arts et disciplines traictées par les autheurs d’icelle. Quant aux modernes, semblable chose que moy a faict Leonard Aretin, Sannazare, Petrarque, Bembe (ceux cy Italiens), et en France Budée, Bouille, et maistre Jacques Sylvius. Doncques non sans l’exemple de plusieurs excellents psersonnages j’entreprends ce labeur. Lequel, Seigneur plein de bon jugement, tu recepvras non comme parfaict en la demonstration de nostre langue, mais seullement comme ung commencement d’ycelle. Car je scay que quand on voulut reduire la langue Grecque et Latine en art, cela ne fut basolu par un homme, mais par plusieurs. Ce qui se faira pareillement en la langue Francoyse, et peu à peu par le moyen et travail des gens doctes elle pourra estre reduicte en telle parfection que les langues dessudictes. A ceste cause,
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Seigneur tout humain, je te requiers de prendre ce mien labeur en gré : et s’il ne reforme totallement nostre langue, pour le moins pense que c’est commencement qui pourra parvenir a fin telle, que les estrangiers ne nous appelleront plus Barbares. Te soubvienne aussy en cest endroict, qu’il est bien difficile qu’une chose soit inventée, et parfaicte tout à un coup. Parquoy tu te doibs cententer de mon invention, et en attendre ou par moy, ou par autres, la perfection avec le temps. Joinct aussy qu’en choses grandes et difficiles le vouloir doit estre assez. Je laisse ce propos, et te veulx dire ce qui m’a esmeu de te dedier ce livre. Certes l’opinion et estime grande que j’ay de ton scavoir, eloquence et jugement en tout esmerveillable, m’a induict à en faire autant ou plus que l’humanité, et liberalité, de laquelle tu uses de jour en jour, de plus en plus en mon endroict : et ce sans aucun moen merite ; car de te faire aucun service, meritant telle amour que me la portes et monstres par effect, cela est hors totallement de mon pouvoir. Toutesfoys pour suppliment du pouvoir la voulunté te doibt satisfaire : laquelle est telle que, sans exception d’aucun humain, je te revere comme
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un demi-dieu habitant en ces lieux terrestres, et estincellant de tous costez par une lumiere de vertus à toy seul octroyées par l’Omnipotent : Omnipotent envers toy prodigue de ses graces, si jamais il en eslargist à aucune sienne creature. Et qui est celuy qui puisse, à mon dict, contredire s’il a congnoissance de tes faicts ? Nul ne doubte de la bonté de ta nature. Chascun se sent de ta munificence. Toutes nations estranges ne preferent aucun à tou touchant l’art militaire et conduite de guerre. Quant à la politique et gouvernement equitable d’un païs, le Piedmont en donnera tesmoignage : en laquelle province tu es à present gouverneur soubz l’autorité du Roy, qui t’a esleu à ceste charge, comme personne idoine à tous faictz de grand conseil et prudence. Croy (seigneur le premier des humains) que je suis l’homme le moins admirant les hommes sans raison, et cause vehemente : mais tes vertus et perfections infinies m’ont ravy jusques à la que sur tous je t’adore : et ceste affection, la posterité l’ignorera si mes œuvres meritent immortalité de nom. Icy feray fin de mon epistre, te priant de rechef avoir ce mien livre pour aggreable. De Lyon ce dernier jour de may mil cinq cents quarante.
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ESTIENNE DOLET
Au Peuple Francoys,
Humble salut et accroissement d’honneur et puyssance.
DEPUIS six ans (ô peuple Françoys) desrobbant quelques heures de mon estude principalle (qui est en la lecture de la langue Latine et Grecque), te voulant aussy illustrer par tous moyens, j’ay composé en nostre langage un œuvre intitulé l’Orateur Francoys, duquel œuvre les traictez sont telz :
La grammaire,
L’Orthographe,
Les Accentz,
La Ponctuation,
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La Pronunciation,
L’Origine d’aucunes Dictions,
La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre,
L’Art Oratoire,
L’Art Poetique.
Mais pour ce que le dict Œuvre est de grand importance, et qu’il y eschet un grand labeur, scavoir et extresme jugement, j’en differeray la publication (pour ne le precipiter) jusques à deux ou troys ans. Ce pendant tu t’ayderas des instructions qui sont en ce present livre. Lequel, si je congnois t’estre aggreable, je seray plus enclon à te bien polir, et parfaire le demeurant de mon entreprinse. Combien que j’en attends plus tost contentement de la posterité que du siecle present ; car le cours des choses humaines est tel, que la vertu du vivant est tousjours enviée et deprimée par detracteurs, qui se pensent advantager en reputation, s’ils mesprisent les labeurs d’autruy. Mais l’homme de scavoir et de bon jugement ne doibt regarder à telz resveurs, et plus tost s’en mocquer du tout. Ainsi faisant, je poursuivray mon effort, et
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attendray legitime los de la posterité : non d’aucuns vivante par trop pleins d’ingratitude et mauvais vouloir. Contente toy pour ceste heure (ô peuple Francoys) de ce petit œuvre : et prens pour pleige l’affection que je porte à ma renommée, que dedans quelque temps je te rendray parfaict l’œuvre dessusdict. Et si aulcuns se delectent en tel labeur, cela n’est que bon. Que pleust à Dieu, que pour un il y en eust mille : car par telz efforts le plus parfaict sera congneu, et en demeurera la gloire au bien entendant la langue Latine et Francoyse. Pour le moins, de mon costé, je tascheray de faire mon debvoir en si noble et louable passe temps. Vray est que si j’estois envieux du bien d’autruy, je me deporterois de ce mien labeur : pour ce que j’ay congneu telle ingratitude entre les hommes de mon temps, que ceux qui ont le plus prouffité sur mes œuvres sont les premiers qui taschent de deprimer mon renom : mais pour leur meschante nature, je ne laisseray de produyre par œuvres le don de grace que le Createur m’a faict tant en la congnoissance de la langue Latine que de ma maternelle Fancoyse. Et ce tout à l’hoonneur et gloire de luy (luy seul autheur de tout bien) et à l’utilité
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de la chose publique, laquelle je prefere aux maldicts de tous mes envieux et detracteurs, qui à la fin se trouveront trompez en moy, car leur meschant langage ne me sert que d’un esguillon à la vertu : tout au rebours de ce qu’ilz vouldroient de moy proceder. Mais je scay, comme il faut tromper telles bestes chaussées, et en telle prudence consumeray le demeurant de ma vie, taschant tousjours de perpetuer mon nom par œuvres recommandables à la posterité et aage futur : lequel se trouvant vuyde d’envie en mon endroict, et muni de bon vouloir, ne se monstrera ingrat ; mais, par une equité et raison, louera ce qui est de louer. Ceste esperance m’as tousjours esmeu à escrire, et donné cueur de prendre les labeurs que j’ay jusques icy prins en la vacation litteraire. Car, au jugement des vivants, il y a bien peu d’equité et racueil pour les doctes. Adieu, peuple le plus triumphant du monde, soit en vertu, soit en puissance. A Lyon, ce dernier jour de may, l’an de grace mil cinq cents quarante.
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LA MANIERE
DE BIEN TRADUIRE
D’UNE LANGUE EN AUTRE.
LA maniere de bien traduire d’une langue en autre, requiert principallement cinq choses. En premier lieu, il fault que le traducteur entende parfaictement le sens et matiere de l’autheur qu’il traduict ; car par ceste intellignece il ne sera jamais obscur en sa traduction : et si l’autheur lequel il traduict est aucunement scabreux, il le pourra rendre facile et du tout intelligible. Et de ce je te vois bailler exemple familierement. Dedans le premier livre des questions Tusculanes de Ciceron, il y a un tel passage latin : « Animum autem animam et iam fere nostri declarant nominari : nam et agere
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animam, et efflare dicimus : et animosos, et bene animatos : et ex animi sententia. Ipse autem animus ab anima dictus est. »
Traduisant cest œuvre de Ciceron, j’ay parlé comme il s’ensuyt. « Quant a la difference (dy je) de ces dictions animus et anima, il ne s’y fault point arrester : car les facons de parler Latines, qui sont deduictes de ces deux mots, nous donnent à entendre qu’ilz signifient presque une mesme chose. Et est certain que animus est dict de anima, et que anima est l’organe de animus, comme si tu voulois dire la vertu, et instrumens vitaulx estre origine de l’esperit : et icelluy esperit estre un effect de ladicte vertu vitale. Dy moy, toy qui entends Latin, estoit il possible de bien traduire ce passage sans une grande intelligence de ciceron ? Or saiche donques qu’il est besoing et necessaire à tout traducteur d’entendre parfaictement le sens de l’autheur, qu’il tourne d’une langue en autre. Et sans cela, il ne peut traduire seurement et fidelement.
La seconde chose qui est requise en traduction, c’est que le traducteur ait parfaicte congnoissance de la langue de l’autheur qu’il traduict : et soit pareille
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ment excellent en la langue en laquelle il se mect à traduire. Par ainsi il ne violera, et n’amoindrira la majesté de l’une et l’autre langue. Cuydes tu que si un homme n’est parfaict en la langue Latine et Francoyse, qu’il puisse bien traduire en Francoys quelque oraison de Ciceron ? Entends qu chascune langue a ses propriétés, translations en dictions, locutions, subtilités et vehemences à elle particulieres. Lesquelles, si le traducteur ignore, il faict tort à l’autheur qu’il traduict, et aussy à la langue en la quelle il le tourne ; car il ne represente et n’exprime la dignité et richesse de ces deux langues, des quelles il prend le maniement.
Let iers poinct est qu’en traduisant il ne se fault pas asservir jusques à la que l’on rende mot pour mot. Et si aucun le faict, cela luy procede de pauvreté et deffault d’esprit. Car, s’il a les qualitez dessusdictes (les quelles il est besoing estre en un bon traducteur), sans avoir esgard à l’ordre des mots, il s’arrestera aux sentences, et faira en sorte que l’intention de l’autheur sera epxrimée, gardant curieusement la proprieté de l’une et l’autre langue. Et par ainsi, c’est superstition trop grande (diray je besterie
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ou ignorance ?) de commencer sa traduction au commencement de la clausule. Mais si, l’ordre des mots perverti, tu exprimes l’intention de celuy que tu traduis, aucun ne t’el peult reprendre. Je ne veulx taire icy la follie d’aucuns traducteurs, lesquelz, au lieu de liberté, se soubmettent à servitude. C’est asscavoir qu’ils sont si sotz, qu’ilz s’efforcent de rendre ligne pour ligne ou vers pour vers, par laquelle erreur ilz depravent souvent le sens de l’autheur qu’ilz traduisent, et n’expriment la grace et perfection de l’une et l’autre langue. Tu te garderas diligemment de ce vice, qui ne demonstre autre chose que l’ingnorance du traducteur.
La quatriesme reigle que je veulx bailler en cest endroict, est plus a observer en langues non reduictes en art, qu’en autres. J’appelle langues non reduictes encores en art certain et repceu : comme est la Francoyse, l’italienne, l’Hespaignole, celle d’Allemaigne, d’Angleterre, et autres vulgaires. S’il advient doncques que tu traduises quelque livre Latin en icelles, mesmement en la Francoyse, il te fault garder d’usurper mots trop approchans du Latin, et peu usitez par le passé : mais contente toy du commun, sans innover
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aucunes dictions follement, et par curiosité reprehensible. Ce que si aucuns font, ne les ensuy en cela : car leur arrogance ne vault rien, et n’est tollerable entre les gens scavans. Pour cela n’entends pas que je die que le traducteur s’abstienne totallement de mots qui sont hors de l’usaige commun : car on scait bien que la langue Gracques ou Latine est trop plus riche en dictions, que la Francoyse qui nous contrainct souvent d’user de mots peu frequentés. Mais cela se doibt faire a lestresme necessité. Je scay bien en oultre qu’aulcuns pourroient dire que la plus part des dictions de la langue Francoyse est derivée de la Latine, et que noz predecesseurs ont heu l’autorité de les mettre en usaige, les modernes et posterieures en peuvent autant faire. Tout cela se peult debattre entre babillarts : mais le meilleur est de suyvre le commun langage. En mon Orateur Francoys je traicteray ce poinct plus amplement, et avec plus grand’ demonstration.
Venons maintenant à la cinquiesme reigle que doibt observer un bon traducteur. La quelle est de si grand’ vertu, que sans elle toute composition est lourde et mal plaisante. Mais qu’est ce qu’elle contient ? rien autre chose que l’observation des nombres oratoires :
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c’est asscavoir une liaison et assemblement des dictions avec telle doulceur, que non seulement l’ame s’en contente, mais aussi les oreilles en sont toutes ravies, et ne se faschent jamais d’une telle harmonie de langage : d’yceulx nombres oratoires je parle plus copieusement en mon orateur : par quoy n’en feray icy plus long discours. Et de rechef advertiray le traducteur d’y prendre garde : car sans l’observation des nombres, on ne peult estre esmerveillable en quelque composition que ce soit : et sans yceulx les sentences ne peuvent estre graves et avoir leur poids requis et legitime. Car penses tu que ce soit assés d’avoir la diction propre et elegante sans une bonne copulation des mots ? Je t’advise que c’est autant que d’un monceau de diverses pierres precieuses mal ordonnées : lesquelles ne peuvent avoir leur lustre, à cause d’une collocation impertinente. Ou c’est aultant que de divers instruments musicaulx mal conduicts par les joueurs ignorantz de l’art peu congnoissantz les tons et mesures de la musique. En somme, c’est peu de la splendeur des motz, si l’ordre et collocation d’yceulx n’est telle qu’il appartient. En cela sur tous fut jadis estimé isocrate, orateur grec : et pareillement Demos
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tene. Entre les latins, Marc Tulle ciceron a esté grand abservateur des nombres. Mais ne pense pas que cela se doibve plus observer par les orateurs que par les historiographes. Et qu’ainsi soit, tu ne trouveras Caesar et Salluste moins nombreux que ciceron. Conclusion quant à ce propos, sans grande observation des nombres un autheur n’est rien : et avec yceulx il ne peult faillir à avoir bruict en eloquence, si pareillement il est propre en diction, et grave en sentences : et en arguments subtil. Qui sont les poincts d’un orateur parfaict, et vrayment comblé de toute gloire d’eloquence.
FIN
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LA PUNCTUATION
DE
LA LANGUE FRANCOYSE.
Si toutes les langues generalement ont leurs differences en parler et escripture, toutesfoys non obstant cela elles n’ont qu’une punctuation seulement : et ne trouveras qu’en ycelle les Grecs, Latins, Francoys, Italien ou Hespaignolz soient differents. Doncques je t’instruiray breifvement en cecy. Et pour t’y bien endoctriner il est besoing de deux choses. L’une est que tu congnoisses les noms et figures des points : l’autre que tu entendes les lieux ou il les fault mettre.
Quand aux figures elles sont telles qu’il s’ensuit, ou en ceste sorte :
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1. , 4. ?
2. : 5. !
3. . 6. ( )
1. Le premier poinct est appellé en latin incisum : et en Francoys (principalement en l’imprimerie) on l’appelle un point à queue, ou virgule : et se souloit marquer ainsi /.
2. Le second est appellé en grec Comma : et les Latins luy ont baillé autre nom. Mais il fault entendre que toutes ces sortes de punctuer n’ont leur appellation et nom à cause de leur forme, et marque, ains pour leur effect et proprieté.
3. Le tiers est dict par les Grecs Colon. En latin on l’appelle punctum : et en l’imprimerie on l’appelle un poinct, ou un poinct rond. Toutesfoys quant à l’efficace il n’y a pas grand’ difference entre Colon et Comma. Si non que l’un (qui est Comma) tient le sens en partie suspens : et l’autre (qui est le Colon) conclud la sentence. Par ainsi on pourroit dire que le Colon peult comprendre plusieurs Comma, et non pas le Comma plusieurs Colon.
Si en cest endroict quelque maling detracteur veult
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dire que j’entends mal ce que les Grecs appellent Comma et Colon : je luy responds que combien que les Grecs ayent appellé Comma ce que j’appelle poinct à queue, et que dudict Comma je marque ung Colon : et que je constitue ung Colon pour fin de sentence, certainement je n’erre en rien. Car les Latins interpretent Comma par Incisum : et si les Grecs le prennent pour incision de locution, je le veulx prendre pour incision de sentence, c’est asscavoir pour sentence moyenne et suspendue : et le Colon pour sentence finale du periode. Je dy cecy pour obvier aux maldisants et calumniateurs. Desquelz il est au temps present si grand nombre, que si ung homme d’esprit s’arrestoit à eulx, il ne composeroit jamais rien. Mais mon naturel est tel que je n’ay aultre passetemps que de telz folz.
4. Le quart est nommé par les Latins interrogans, et par les Francoys Interrogant.
5. Le quint differe peu du quart en figure : toutesfoys il se peult appeler Admiratif, et non Interrogant.
6. Le sixiesme est appellé parenthese : et est double, comme lon peult voir par ses deux petits demys cercles.
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Or puisque tu congnois leurs noms et figures, je te veulx maintenant monstrer familierement quelz lieux ils doibvent avoir en nostre parler et escripture : et te prie y vouloir entendre : car la punctuation bien gardée et observée sert d’une exposition en tout oeuvre.
Premierement il te fault entendre que tout argument et discours de propos, soit oratoire ou poetique, est deduict par periodes.
Periode est une diction Grecque que les Latins appellent clausula, ou comprehensio verborum : c’est à dire une Clausule, ou une Comprehension de parolles. Ce Periode (ou autrement Clausule) est distingué, et divisé par les poincts dessus dicts. Et communement ne doibt avoir que deux ou trois membres : car si par sa longueur il excede l’haleine de l’homme il est vitieux. Si tu en veulx avoir exemple, je te voys forger ung propos ou il y aura trois periodes : dedans lesquelz tous les poincts que je t’ay proposez seront contenus, et puis je te declareray par le menu l’ordre et la cause d’ung chascun. Or mon propos sera tel.
L’empereur cognoissant que paix valloit mieulx que guerre, a faict appoinctement avec le roi : et pour
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plus confirmer ceste amytié, allant en Flandre il a passé (chose non esperée) par le royaulme de France, ou il a esté repceu en grand honneur, et extresme joye du peuple. Car qui ne se rejouyroit d’ung tel accord ? Qui ne loueroit Dieu de veoir guerre assopie, et paix regner entre les chrestiens ? O que longtemps avons desiré ce bien ! o que bien heureux soient qui ont traicté cest accord ! que mauldicts soient qui tascheront de le rompre !
Au premier Periode (qui commence l’Empereur congnoissant) je te veux monstrer l’usage du Poinct à queue, du Comma, de la Parenthese et du Poinct final, aultrement dict Poinct rond. Le Poinct à queue ne sert d’aultre chose que de distinguer les dictions et locutions l’une de l’autre. Et ce ou en adjectifs, substantifs, verbes ou adverbes simples. Ou avec adjectifs joincts aux substantifs expressement. Ou avec adjectifs gouvernans ung substantif. Ou avec verbes regissans cas, ce que nous appellons locutions. Exemple de l’adjectif simple. Il est bon, beau, advenant, jeune et riche. Ne vois-tu pas que ce Poinct distingue ces dictions bon, beau, advenant, jeune et riche ? Exemple du substantif simple. Il est plein de grand’
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bonté, beaulté, adresse, jeunesse et richesse. Exemple du verbe simple. Il ne fault rien que manger, boire et dormir. Exemple de l’adverbe. Il a faict cela prudemment, courageusement et heureusement. Exemple de l’adjectif joinct au substantif. Il est de grand courage, de prudence singuliere et execution extresme. Exemple de l’adjectif gouvernant ung substantif. Il a tousjours vescu bien servant Dieu, secourant ses prochains et n’offensant personne. Exemple du verbe regissant cas. C’est chose louable de bien servir Dieu, secourir ses prochains et n’offenser personne.
Voila des exemples pour te montrer clairement l’usage de ce poinct à queue. Il a pareillement tel usage en la langue Latine. Devant que de venir aux aultres poincts, je te veulx advertir que le poinct à queue se met devant ce mot ou, semblablement devant ce mot Et. Exemple de ce mot Ou. Sot, Ou sage qu’il soit, il me plaict. Exemple de ce mot Et. Sans scavoir, et bonne vie l’homme n’est poinct à priser. Or, entends maintenant que ce mot Ou, aussi ce mot Et, sont aulcunes fois doublés : et lors au premier membre il n’y eschet aulcun poinct à queue. Exemple de Ou. Soit Ou par mer, Ou par terre, le roy est le
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plus puissant. Exemple de Et. Il a tousjours esté constant et en bonne fortune, et en mauvaise.
Je viens maintenant à parler du Comma : lequel se mect en sentence suspendue, et non du tout finie. Et aulcunesfois il n’y en a qu’un en une sentence : aulcunesfois deux, ou trois. Exemple. Il est bon de n’offenser personne : car il n’est nul petit ennemy : et chascun tasche de se venger, quand il est offensé.
Quant à la Parenthese, c’est une interposition qui a son sens parfaict : et pour son intervention ou detraction, elle ne rend la Clausule plus parfaicte ou imparfaicte. Exemple. Allant en Flandre il a passé (chose non esperée) par le royaulme de France. Oste la Parenthese, le sens sera aussy parfaict que sy elle y estoit. Ce qui est facile à congnoistre. Entends aussy que la Parenthese peult avoir lieu partout le discours du periode : sinon au commencement et à la fin. D’advantage il est à noter que devant, ou apres la parenthese il n’y eschet aulcun poinct à queue ou final. Et dedens y en eschet aussi peu : si ce n’est un interrogant ou un admiratif. Exemple du premier. Si je puys jamais avoir puissance, je me vengeray d’un si vilain tour (en doibs je faire moins ?) et luy
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donneray à entendre qu’il me souvient d’une injure dix ans apres qu’elle m’est faicte. Exemple du second. Estant le plus fort en toutes choses il fut vaincu (quel hazard de guerre !) et tost apres fut victeur seulement par prudence.
Sans aulcune vigueur de Parenthese on trouve quelquesfois un demy cercle en ceste sorte ) ou ainsi ], et cela se faict quand nous exposons quelque mot, ou quant nous glosons quelque sentence d’aulcun autheur Grec, Latin, Francoys ou de toute aultre langue.
On trouve aussi ces demys cercles aucunesfois doublés : et ce sans force de Parenthese. Ils se doublent doncq’ ainsi [ ] ou 6 9. Et lors en iceulx est comprinse quelque addition, ou exposition notée sur la matiere, que traicte l’autheur par nous interpreté. Mais le tout (comme j’ay dict) se faict sans efficace de Parenthese. Lisant les bons autheurs, et bien imprimés, tu pourras congnoistre ma traditive estre vraye.
Quant au Poinct final aultrement dict Poinct rond, il se mect tousjours à la fin de la sentence, et jamais n’est en aultre lieu. Et apres luy on commence voulontiers par une grande lettre.
Au demeurant : il n’y a que deux poincts : c’est
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l’interrogant et admiratif : et l’un et l’aultre est final en sens : et en peult avoir plusieurs en une periode. L’interrogant se faict par interrogation pleine addressé à un ou plusieurs tacitement. Exemple : Qui ne se resjouiroit d’un tel accord ? Qui ne loueroit Dieu de voir guerre assopie et paix regner entre les chrestiens ?
L’admiratif n’a si grand’vehemence : et eschet en admiration procedante de joye ou detestation de vice et meschanceté faicte. Il convient aussi en expression de soubhait et desir. Brief : il peult estre partout où il y a interjection. Exemple. O que longtemps avons desiré ce bien ! O que bien heureux soient qui ont traicté cet accord ! Que mauldicts soient qui tascheront de le rompre ! A tant te suffira de ce que j’ay dict des figures et collocation de la punctuation. Je scay bien que plusieurs Grammairiens latins en ont baillé d’avantage : mais tu ne te doibs amuser à leurs resveries. Et si tu entends et observes bien les reigles precedentes, tu ne fauldras à doctement punctuer.
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LES ACCENTS
DE
LA LANGUE FRANCOYSE.
LEs gens doctes ont de coustume de faire servir les accents en deux sortes. L’une est en pronunciation et expression de voix, expression dicte Quantité de voyelle. L’aultre en imposition de marcque sur qeulque diction. Du premier usage nous ne parlerons icy aulcunement : car il n’en est poinct de besoing. Et d’advantage il a moins de lieu en la langue Francoyse qu’en toutes aultres : veu que ses mesures sont fondéessur syllabes et non sur voyelles : ce qui est tout au rebours en la langue Grecque et Latine.
Quant à l’imposition de marcque (qui est le second membre de l’accent), j’en diray en ce Traicté ce
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qu’il en fault dire briefvement et privement, sans aulcune ostentation de scavoir et sans fricassée de grec et Latin. j’appelle fricassée une mixtion superflue de ces deux langues, qui se faict par sottelets glorieux et non par gens resolus et pleins de bon jugement. Venons à la matiere.
En la langue Francoyse sur toutes lettres, il y en a deux qui recoipvent plus accent que les aultres. C’est asscavoir a et e. De ces deux nous parlerons par ordre.
La lettre dicte a se trouve en troys sortes communement en nostre langue francoyse. Aulcunes foys elle est un article du datif, car le datif Latin est exposé en Francoys par ledict article. Exemple : Dedi Petro, quod ad me scripseras : J’ay baillé à Pierre ce que tu m’avois escript.
Aulcunes foys est proposition servant à l’accusatif cas, et vault autant comme ad en latin. Exemple : Rex ad imperatorem scripsit, tutam ei viam in Flandriam par Galliam patere : le Roy a escript à l’Empereur que le passage luy estoit seur par France pour aller en Flandre.
Aulcunes foys aussi ceste particule a signifie autant
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en Francoys que habet en latin. Exemple : Habet omnia quae in oratore perfecto esse possunt : Il a toutes choses qui peuvent estre en un orateur parfaict. Autre exemple : Occidit illum nefarie : Il l’a tué meschamment. Telle est la langue Francoyse en aulcunes locutions, ce mot a est prins diversement, car il est de signification possessive, active ou temporelle. Exemple de la possessive : Multas divitias habet, il a plusieursrichesses. Exemple de l’active : Cantauit, il a chanté. Exemple de la temporelle : Fuit, il a esté. Quant à la duplication des mots pour un seul Latin, cela se faict seulement en la signification active et temporelle de ceste diction a. exemple : Cantarunt, ilz ont chanté : Fuerunt, ilz ont esté. Et par cela tu peux congnoistre que la langue Latine comprent plus que la francoyse : ce qu’il n’advient pas en toutes choses.
Note doncques que, quand a est article ou preposition, il le fault signer d’un accent grave en ceste sorte, à. Et ainsi signent les Latins leurs prepositions,
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c’est asscavoir a et è. Mais quand a represente ce verbe Latin habet, il n’a point d’accent. Lors aulcuns l’escrivent avec une aspiration ha, ce qui me semble superflu : toutesfoys je remects cela à la fantasie d’un chascun. Note aussi que, quand il est de signification active ou temporelle (comme j’ay demonstré), il ne recoipt point d’accent.
La lettre appellée e a double son et prolation en Francoys : la premiere est dicte masculine et l’autre feminine. La masculine est nommée ainsi, pour ce que é, masculin, a le son plus viril, plus robuste et plus fort sonnant. Davantage il porte sur soy une virgule un peu inclinée à main dextre, comme est l’accent appelé des Latins aigu, ainsi é. exemple : Il est homme de grand’ bonté, privaulté et familiarité ; plus, il dist tousjours verité. Autre exemple : Apres qu’il eut bien mangé, bancqueté et chanté, il voulut estre emporté de là, et puis fut couché en ung bon lict : mais le lendemain matin, apres estre desyvré, il se trouva bien estonné, et fut frotté et gallé de mesmes par ung tas de rustres qui ne l’aymoient gueres. Voilà deux exemples de la terminaison masculine.
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Maintenant il te fault noter diligemment deux choses. C’est que ceste lettre é estant masculine, jamais ne vient en collision ; c'est-à-dire qu’estant devant ung mot commençant par voyelle, elle ne se perd point. Exemple : Il a esté homme de bien toute sa vie, et n’a merité un tel outrage.
En apres, il fault entendre que ceste lettre é est aussi bien masculine au plurier nombre qu’au singulier, et ce tant en noms qu’en verbes. Exemple des noms : Les iniquités et meschancetés, desquelles il estoit remply, l’ont conduit à ce malheur. Autre exemple : Toutes voluptés contraires à vertu ne sont louables.
Je te veulx avertir en cest endroict d’une mienne opinion : Qui est que le é, masculin en noms de plurier nombre, ne doibt recepvoir un z, mais ine s, et doibt estre marqué de son accent tout ainsi qu’au singulier nombre. Tu escriras donq’ voluptés, dignités, iniquités, verités ; et non pas voluptéz, dignitéz, iniquitéz, veritéz ; ou sans e marqué avec son accent aigu, tu n’escripras voluptez, dignitez, iniquitez, veritez.
Car z est le signe de é, masculin au plurier nom
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bre des verbes de seconde personne, et ce sans aucun accent marqué dessus. Exemple : Si vous aymez vertu, jamais vous ne vous adonnerez à vice, et vous esbattrez tousjours à quelque exercice honneste. Autre exemple : Si vous estiez telz que vous dictes, vous ne deschasseriez ainsi les vertueux. Sur ce propos, je sçay bien que plusieurs non bien congnoissants la virilité du son de le é, masculin, trouveront estrange que je repudie le z en ces motz voluptés, dignités et autres semblables. Mais, s’ilz le trouvent estrange, il leur procedera d’ignorance et maulvaise coustume d’escripre, la quelle il convient reformer peu à peu.
Oultre ce qui est dict, saiche que e, de pronunciation masculine, ne se mect seulement en fin de diction, mais aussi devant la fin. Exemple : Journée, renommée, meslée, assemblée, diffamée, affolée, et autres motz qui se forment du masculin et feminin : comme est de despité, despitée : de courrouce, courroucée : de suborné, subornée, et semblbles dictions tant au singulier nombre qu’au plurier. Exemple du plurier : Contrées, journées, assemblées, menées.
L’autre pronunciation de ceste lettre e est feminine, c’est a dire de peu de son et sans vehemence.
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Estant feminine elle ne recoipt aucun accent. Exemple : Elle est notable femme de bonne vie, de bonne rencontre, et autant prudente et sage que femme qui se trouve en ceste contrée.
Note aussi que, quand ceste lettre e est feminine, elle est de si peu de force que tousjours elle est mangée, s’il s’ensuict apres elle ung mot commencant par voyelle. De là ont leur orgine les figures appellées Synalephe et Apostrophe : entre lesquelles figures il y a aulcune difference, comme nous demonstrerons maintenant.
La figure que nous appellons Synalephe ou collision, oste et menge la voyelle en proferant seulement et non en escripvant, car ladicte voyelle se doibt escripre. Exemple en prose : J’ay esperance en luy, et me fie en la grande amour et largesse extresme, de laquelle il use envers tous gens scavants. En cest exemple, la derniere lettre d’esperance, fie, grande, largesse, laquelle, use, se perd en proferant, à cause des aultres mots ensuivants qui commencent pareillement par voyelle. Mais non obstant la collision, il fault escrire tout au long tant en prose qu’en vers.
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Exemple en rhythme.
Tu est tant belle et de grace tant bonne,
Qu’à te servir tout gentil cueur s’addonne.
Necessairement en ce mot belle, le dernier e est mangé, ou autrement le vers seroit trop long. Et les Faictistes, qui composent rhythmes en langage vulgaire, appellent cela couppe feminine, c’est à dire abolition de l’e feminin, qui rencontre une aultre voyelle, par laquelle il est aboli apres la quatriesme syllabe du vers. De cecy je parleray plus amplement en l’art poétique.
Ce dict e féminin est aucunes foys autrement mangé par apostrophe. Or l’apostrophe oste du tout la voyelle finale de ce qui precede la voyelle du mot ensuyvant, et faict qu’elle ne s’escript, ne profere aucunement, et suffist que seulement on la marque en dessus par son petit poinct. Devant que de t’en bailler exemple, je t’advertis qu’apostrophe eschet principalement sur ces monosyllabes, ce, se, si, te, me, que, ne, je, re, le, la, de. Et combien que lesFrancoys n’ayent de coustume de signer ledict apostrophe, si en usent ilz
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naturellement : principalement aux monosyllabes desssusdicts, quand le mot ensuyvant se commence semblablement par voyelle.
Et si d’advanture il se commence par h, cela n’empesche point quelquefois l’apostrophe ; car nous disons et escripvons sans vice, l’honneur, l’homme, l’humilité ; et non le honneur, le homme, la humilité. Au contraire, nous disons sans apostrophe le haren, la harendiere, la haulteur, le houzeau, la housse, la hacquebute, le hacquebutier, la haquenée, le hazard, le hallecret, la hallebarde. Et si ces mots se proferent sans grande aspiration, la faulte est anorme. De la quelle faulte sont pleins les Auvergnats, les Prouvencaulx, les Gascons, et toutes les provinces de la Langue d’Oc : car pour le haren, ilz disent l’aren : pour la harendiere, l’arendiere : pour la haulteur, l’aulteur : pour le houzeau, l’ouzeau : pour la housse, l’ousse : pour la honte, l’onte : pour la hacquebute, l’acquebute : pour la hacquenée, l’acquenée : pour le hazard, l’azard : pour le hallecret, l’allecret : pour la hallebarde, l’allebarde. Et non seulement (qui pis est) font ces faulte au singulier nombres de telles dictions, mais aussi au plurier. Car pour des harens,
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ilz disent des arens : pour les hacquenées, les acquenées : pour mez houzeaux, mes ouzeaux : pour il me fault, ou je me vois houzer, il me fault ouser. Or, je laisse le vice de ces nations et reviens à ma matiere.
Exemple de ce : C’est grand follie de prendre pied à ces paroles. Sans apostrophe, il fauldroit dire : Ce est grand follie. Entends toutesfoys que souvent ce mot c’est n’a point d’apostrophe, comme quand nous parlons ainsi : Cest œuvre est digne de louenge : Cest homme n’est pas en son bon sens : Cest Allemand est trop glorieux.
Exemple de se : S’adventurant de passer la riviere à pied, il s’est noyé : pour se adventurant, et pour il se est noyé. Note icy que non seulement cette diction se recoipt apostrophe, mais aussi ces mots la recoipvent, c’est asscavoir, son, mon, ton. Et par cela nous disons : M’amye pour mon amye, et m’amour pour mon amour, et t’amour pour ton amour, et s’amour pour son amour. Et usons de tel parler tant en prose qu’en rhythme, mais plus souvent en rhythme. Et aussi m’amye et m’amour sont dictions plus usitées que les deux autres.
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Exemple de si : S’il estoit possible, je vouldrois bien faire cela. Pour si il estoit possible : Toutesfoys tu ne verras gueres qu’il recoipve apostrophe avec autre mot que ce mot il. Exemple de toutes autres voyelles. De la voyelle a : Si audace estoire prisée, chascun seroit audacieux. De la voyelle e : Si eloquence est en luy grande, ce n’est de merveille ; car il a un esperit merveilleux, et puis il estudie continuellement en Ciceron. De la voyelle i : Si ignorance vient à regner, tout est perdu. De la voyelle o : Si orgueil est en un homme, je ne le puis frequenter.
De la voyelle u : Si un homme diligent peult parvenir à richesses, j’espere quelque jour estre riche. En tous ces exemples, je confesse que l’apostrophe y peult escheoir : mais avec apostrophe le parler sera plus rude que sans apostrophe : ce que peult facilement juger un homme d’oreilles delicates, j’excepte tousjours les licences poetiques et les laisse en leur entier. Car un poete pourra dire (à cause de sa rythme) s’audace, s’éloquence, s’ignorance, s’orgueil, s’un homme.
D’advantage il te convient scavoir que ceste particule si est aulcunes foys conditionnale ou demonstra
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tive ; et lors elle peult recepvoir apostrophe, comme tu as veu aux exemples precedents. Aulcunes foys elle se mect pour tant ou tant fort ; et los elle ne repçoit aulcune apostrophe. Exemple : Il est si ambitieux, si envieux, si injurieux, si oultrageux, que personne ne le peult comporter. Autre exemple : ce lieu est si umbrageux que le fruict n’y peult meurir : c'est-à-dire, tant ambitieux, tant envieux, tant injurieux, tant oultrageux, tant umbrageux. Alors garde toy de l’apostrophe, car il n’y auroit rien si aspre en prolation que dire s’ambitieux, s’envieux, s’injurieulx, s’oultrageux, s’umbrageux.
Tel est l’usage de ceste particule ni, car elle ne recoipt pas bonnement apostrophe, si elle se rencontre devant un mot commencant par voyelle. Exemple : je ne veis jamais ni Amboise, ni Envers, ni Italie, ni Orleans, ni umbrage en ce champ. En toutes ces locutions, l’apostrophe seroit indecente et lourde. Exemple de te : Je serois marri de t’avoir offensé ; il t’eust bien recomponsé si tu eusses faict cela ; il t’interrogue ; il t’oultrage ; il t’use ta robbe : pour de te avoir : il te est ; il te interrogue ; il te oultrage ; il te use.
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Exemple de me : Il m’assault ; il m’entend bien ; il m’irrite ; il m’oultrage ; il m’use tous mes habillements : pour il me assault, il me entend bien, il me irrite, il me oultrage, il me use.
Exemple de que : C’est bonne chose qu’argent en necessité ; Qu’est ce que richesse sans santé ? Il fault qu’il s’y trouve ; O qu’Orgueil est desplaisant à Dieu ; Il n’est scavoir qu’usage ne surmonte : pour que argent, que il se y trouve, que orgueil, que usage.
Exemple de ne : je n’ay que ce vice ; Il n’est rien si sot ; Il n’ignore cela ; Cela norne point le parler ; Je n’use jamais de parfums : pour je ne ay ; il ne est ; il ne ignore ; cela ne orne ; je ne use. Exemple de je : J’ay tousjours peur des calumniateurs ; J’entends bien que tu demandes ; J’interpreteray ce livre de Ciceron ; Je te donneray à entendre comme j’ouys cela de luy ; J’use souvent de telles figures : pour je ay, je entends bien, je interpreteray, je ouys, je use. Exemple de re : Il faut r’assembler ces pieces ; Je te r’envoye ton serviteur ; Il seroit bon de r’imprimer ses œuvres ; Il fault r’ouvrir ce coffre ; Il seroit bon de r’umbrager ce ply ; pour reassembler, reenvoye, reimprimer, reouvrir, reumbrager, et note que re signifie de rechef.
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Exemple de le : L’avoir n’est rien en un homme, s’il n’a vertu ; L’entendement trop soubdain ne faict pas grand fruict ; L’interpreteur de cecy ment ; L’orgueil de luy me desplaist ; L’usage de tel art est faulx : pour le avoir, le entendement, le interpreteur, le orgueil, le ysage.
Exemple de la : L’amour est bonne quand elle est fondée en vertu ; L’enfance de luy a esté terrible ; L’interpretation de ce lieu est difficile : L’oultrecuidance est grande ; L’usance est telle : pour la amour, la enfance, la interpretation, la oultrecuidance, la usance.
Exemple de ce mot de : C’est grand charge d’avoir tant d’enfants ; par faulte d’entendre le Grec, il a failli ; Cela part d’invention bien subtile ; Ceste responce est pleine d’orgueil et oultrage ; par faulte d’user de bon regime, il est retombé en fievre : pour de avoir, de entendre, de invention, de orgueil, de user.
Je ne parleray plus de l’Apostrophe, et viendray maintenant à declarer que signifie un petit Poinct semblable à celuy de l’Apostrophe. Ce petit Poinct est signe d’une figue nommée des Grecs et Latins apocope, et ainsi la nomment aussi les Francoys par faulte
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d’aultre terme à eulx propre. Ceste figure oste la voyelle ou syllage de la fin d’un mot pour la necessité du vers, ou affin que le mot soit plus rond et mieulx sonnant. Exemple : Pri’, suppli’, com’, hom’, quel’, el’, tel’, recommand’, encor’, avec’ : pour prie, supplie, comme, homme, quelle elle, telle, recommande, encores, avecques. En prose, L’exemple peult estre grand’ chose ; Quelle qu’el’ soit : pour grande chose ; quelle qu’elle soit. Car ainsi la prolation est plus douce et plus ronde.
Au demeurant, il fault entendre que les Francoys usent, oultre ce que dessus, de deux sortes de characteres, lesquelz sont de telle figure :
^ ¨
Tous deux se signent sur voyelles, mais au reste ilz sont bien differentz. Le premier est signe de conjunction ; le second de division. Le premier r’assemble, r’unit, et conjoinct les parties divisées, et ce en troys facons. La premiere, quand par une figure fort usitée nommée syncope, concision ou couppure (car ainsi se peult dire en Francoys), un mot est
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syncope, c’st à dire divisé et diminué au milieu, puis les deux parties sont rejoinctes ensemble, la division et reunion d’icelles est signifiée par ledict charactere. Exemple : L’ai^rra, pai^ra, vrai^ment, hardi^ment, don^ra : pour laissera, paiera, vraiement, hardiement, donnera. Et ainsi font souvent les Latins, comme l’on veoit aux bonnes impressions, esquelles on treuve diu^um, duûm, virûm : pour diuorum, duorum, virorum. La seconde facon de cest figure est quand deulx mots (desquelz l’un est detronqué) sont rassemblés en un. exemple : Av^ous, pour avez vous ; qu’av^ous, pour qu’avez vous : m’av^ous, pour m’avez-vous : n^avons, pour nous ne avons. Tel est le commun usage de la langue Francoyse. La tierce facon de ceste figure est quand deux voyelles sont r’accoursies et proferées en une : ce qui se faict souvent en rhythme principalement.
Exemple : Pensées, ou les deux e^e se passent pour un proferé par traict de temps assés longuet, quasi comme si l’on disoit pensés. Et note que cecy est general en toutes dictions feminines, qui sont formées des dictions masculines, ausquelles la derniere voyelle est
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masculine : et ce seulement au plurier nombre. Et si tu signes ceste figure sur les deux e^e, il n’y fault poinct d’accent aigu sur le penultime e. Exemple : courroucé, courroucée, courrouce^es : irrité, irritée, irrite^es : suborné, subornée, suborne^es. En telle sorte doibt on escripre en rythme ; mais en prose avec un accent aigu sur le e penultime : ainsi courroucées, irritées, subornées. Par ceste figure aussi on dict aise^ment, nomme^ment, a^age ou e^age, en faisant de deux syllabes une par synerese et r’accoursissement.
Le second charactere dessus mentionné, qui est ¨, noté sur les voyelles, est celuy par lequel on faict au contraire de l’aultre duquel sortons de parler. Car il signifie division et separation, et que d’une syllabe en sont faictes deux. Exemple : païs, poëte : pour pa^is, po^été.
Ce sont les perceptions que tu garderas, quant aux accents de lalangue Francoyse. Lesquelz aussi observeront tous diligents imprimeurs : car telles choses enrichissent fort l’impression, et demonstrent que ne faisons rien par ignorance.
Quant à l’accent enclitique, il n’est point recep
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vable en la langue Francoyse, combien qu’aulcuns soient d’autre opinion. Lesquelz disent qu’il eschet en cesdictions : je, tu, vous, nous, on, lon. La forme de cest accent est telle ‘ : par ainsi ilz vouldroient estre escript en la sorte qui ensuit. M’atendrai’je à vous ? feras’tu cela ? quant aurons’nous paix ? dict’on tel cas de moy ? voirra’lon jamais ces meschantz punitz ? De rechef, je t’advise ue cela est superflu en la langue Francoyse et toutes autres ; car tels pronoms demeurent en leur vigueur, encores qu’ilz soient posposés à leurs verbes. Et qui plus est, l’accent enclitique ne convient qu’en dictions indeclinables, comme sont en Latin, Ne, ve, que, nam. Qu’ainsi soit, on n’escript point en Latin en ceste forme : « Feram’ ego id iniuriae ? eris’ tu semper tam nullius consilii ? auersabimini’ vos semper à vobis pauperes ? » Tiens doncques pour seur que tel accent n’est propre aulcunement à nostre langue : qui sera fin de ce petit Œuvre.