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1538-Cymbalum mundi (Bonaventure Des Périers)

Humaniste, collaborateur d'Estienne Dolet, Bonaventure Des Périers est surtout connu comme conteur, auteur de petits récits pleins d'esprit et de finesse. Le Cymbalum mundi lui est attribué sans réelle certitude, comme une grande part de son œuvre.

Source du document : Gallica

Transcription de l’édition de Lyon, Benoist Nonnyn, 1538.

CYMBALUM MUNDI EN FRANCOYS CONTENANT QUATRE Dialogues Poetiques, fort natiques, joeux, & facetieux.

Probitas laudatur, & alget.

M.D.XXXVIII

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Thomas du Clevier a son amy Pierre Tryocan                       S.

IL y a huyct ans ou environ, cher amy, que je te promis de te rendre en langaige francoys le petit traicte que je te monstray, intitule Cymbalum mundi, contenant quatre Dialoques poetiques : lequel javoyes trouve en une vieille Librairie dung Monastere qui est aupres de la cite de Dabas. de lquelle promesse jay tant faict par mes journees, que je men suis acquite au moins mal que jay peu. Que si je ne l’ay rendu de mot a mot selon le latin, tu doibs entendre que cela a este faict tout expres : affin de suyvre le plus quil me seroit possible, les facons de parler sui sont en nostre langue francoise : laquelle chose cognoistras facilement aux formes de juremens qui y sont, quand pour Me Hercule, Per Jovem, Vispeream, Aedepol, Per Stygta, Proh Jupiter, et aultres semblables. jay mis ceulx la dont nos bons gallandz usent, asscavoir : Morbieu, Sambien, Je puisse mourir. comme voulant plus tost translater & interpreter laffection de celuy qyu parle, que ces propres parolles. Semblablement, pour vin de Phalerne, jay mis vin de Beaulne : a icelle fin quil te fust plus familier et intelligible. Jay aussi voulu adjouster a Proteus, masitre Gonin, pour myeulx te declarer que cest que Proteus.

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Quant aux chansons que Cupido chante au troysiesme Dialogue, il y avoit au texte certains vers lyriques damourettes, au lieu desquelz jay mieulx ayme mettre des chansons de nostre temps : voyant quelles serviront autant a propos, que les dictz vers lyriques : lesquelz (selon mon jugement) si je les eusse translatez, neussent point eu tant de grace. Or je te lenvoye tel quil est, mais cest soubz condition que tu te garderas den bailler aulcune copie, a celle fin que de main en main il ne vienne a tomber en celles de ceulx qui se meslent du faict de limprimerie, lequel art (ou il souloit apporter jadis plusieurs commoditez aux lettres) par ce quil est maintenant trop commun, faict que ce qui est imprime, na point tant de grace, & est moins estime, si ce n’estoit que limpression fust nette, et bien correcte. Je tenvoiray plusieurs aultres bonnes choses, si je cognoys que tu nayes point trouve cecy maulvais. Et a Dieu mon cher amy, auquel je prie quil te tienne en sa grance, et te doint ce que ton petit cueur desire.

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DIALOGUE

Premier

Les personnages.

Mercure. Byrphanes. Curtalius. Chostesse.

Mercure.

IL est bien vray quil ma commande que je luy feisse relier ce livre tout a neuf : mais je ne scay sil le demande en aix de boys, ou en aix de papier. Il ne ma point dict, sil le veult en veau, ou couvert de veloux. Je doubte aussi sil entend que je le f ace dorer, et changer la facon des fers et des cloux, pour le faire a la mode qui court. Jay grand peut quil ne soit pas bien a son gre. Il me haste si fort, & me donne tant de choses a faire a ung coup, que joublie lune pour lautre. Davantage Venus ma dict je ne scay quoy que je disse aux Jouvencelles de Cypre touchant leur beau rainct. Juno ma donne charge en passant que je luy apporte quelque dorure, quelque jaseran, ou quelque cincture a la nouvelle facon sil en ya point ca bas. Je scay bien que Pallas me demandera si ses poetes auront rien faict de nouveau. Puis il me fault aller mener a Charon xxvij. ames de coquins, qui sont mortz de langueur ce jourdhuy par les rues, & treize qui se sont entretuez

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aux cabarets, et dixhuict au bordeau, huict petitz enfans que les Vestales on suffocquez : & cinq Druydes qui se sont laissez mourir de manie & male rage. Quant auray je faict toutes ces commissions ? Ou est ce que lon relie le myeulx . a Athene, en Germanie, a Venise, ou a Romme ? Il me semble que cest a Athenes. Il vault mieulx que je y descende. je passeray la par la rue des orfevres, & par la rue des merciers, ou je verray sil ya rien pour ma dame Juno. Et puis de la men iray aux libraires pour chercher quelque chose de nouveau a Pallas. Or me conveient il garder sur tout que lon ne sache de quelle maison je suis : Car ou les Atheniens ne serfont la chose aux aultres que deux foys autant quelle vault, ilz me la vouldroyent vendre quatre foys au double. ¶Byrphanes. Que regardes tu la mon compaignon ? Curtalius. Cest Mercure le messagier des Dieux, que jay veu descendre du ciel en terre. ¶Byrphanes. O, quelle resverie. il le te semble, povre homme tu as cela songe en veillant. Sus sus allons boire, & ne pense plus a telle vaine illusion. ¶Curtalius. Par le corbieu, il nya rien plus vray, ce nest pas mocquerie, il ses la pose, & croy quil passera tantost par icy, attendons ung petit. Tien, le voys tu la ? ¶Byrphanes. Il ne sen fault gueres que je ne croye ce que tu me diz, veu aussi que je voy

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la chose a loeil. Pardieu voyla ung homme acoustre de la sorte que les Poetes nous descrivent Mercure. Je ne scay que faire de croyre que ce le soit. ¶Curtal. Tay toy : voyons ung petit qui deviendra, il vient droict a nous. ¶Mercu. Dieu gard les compaignons. vend on bon vin ceans ? Corbieu jay grand soif. ¶Curtalius. Monsieur, je pense quil nen ya point de meilleur dedans Athenes. Et puis monsieur quelles nouvelles ? ¶Mercure. Par mon ame je nen scay nulle, je viens icy pour en apprendre. Hostesse, faictes venir du vin, sil vous plait. ¶Curtalius. Je tasseure que cest Mercure sans aultre, je le cognoys a son maintien : et voyla quelque cas quil apporte des cieulx. Si nous vallons rien, nous scaurons que cest, & luy desroberons, si tu men veulx croire. ¶Byrphanes. Ce seroit a nous une grande vertu, & gloire, de desrober non seulement ung larron, mais lauteur de tous larrecins, tel quil est. ¶Curtalius. Il laissera son pacquet sur ce lict, et sen ira tantost veoir par toute la maison de ceans sil trouvera rien mal pis apoint pour le happer, & mettre en sa pouche. ce pendant nous verrons que cest quil porte la. ¶Byrphanes. Cest tresbien dict a toy. ¶Mercure. Le vin est il venu ? La compagnons passons dela en ceste chambre, & allons taster du vin. ¶Curtalius. Nous ne faisons que partir de boire, toutesfoys monsieur nous sommes contens de vous tenir compagnie, & de boire encore avec vous. ¶Mercu. Or messieurs tandis que le vin viendra, je men voys ung petit a

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lesbat, faictes reinsser des verres ce pendant, & apporter quelque chose a manger. ¶Curatlius. Le voys tu la le galland ? Je cognois ses facons de faire ; je veulx quon me pende sil retourne quil nayt fouille par tous les coings de ceaans, & quil nayt faict sa main, comment que ce soit, & tasseure bien quil ne retournera pas si tost. Pource voyons ce pendant que ces quil a icy, & le desrobons aussi si nous pouvons. ¶Byrphanes. Despeschons nous donc, quil ne nous surprenne sur le faict. ¶Curtalius. Voy cy ung livre. ¶ Byrphane. Quel livre est ce ? ¶Curtalius.

Quae in hoc libro continetur :

Chronica rerum memorabilium quas Iupiter gessit antequam esset ipse.

Fatorum praescriptum : sive, eorum quae futura sunt, certae dispositiones.

Catalogus Heroum immirtalium, qui cum Iove vitam civturi sunt sempiternam.

Vertubieu, voicy ung beau livre mon compagnon, je croy quil ne sen vend point de tel dedans Athenes. Scays tu que nous ferons ?  nous en avons ung dela, qui est bien de ce volue, & aussi grand, va le querir, & le mettons en son sac, en lieu de cestuy cy, et le refermons comme il estoit, il ne sen doubtera ja. ¶Byrphanes. Par le corbieu nous sommes riches, nous trouverons tel libraire qui nous baillera dix mil escuz de la copie. Ce le livre de Jupiter lequel

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Mercure vien faire relier (comme je pense.) Car il tombe tout en pieces de vieillesse. Tien voyla celuy que tu diz, lequel ne vault de gueres mieulx, & te prometz que a les veoir il nya pas grand difference de lung a laultre. ¶Curtalius. Voyla  qui va bien, le pacquet est tout ainsi quil estoit, il ny scauroit rien cognoistre. ¶Mercure. Sus beuvons compagnons. Je viens de visiter le logis de ceans, lequel me semble bien beau. ¶Byrph. Le logis est beau, monsieur, pour cela quil contient. ¶Merc. Et puis que dit on de nouveau ? ¶Curtal. Nous nen scavons rien Monsieur, si nous nen apprenons de vous. ¶Mercure. Or bien, je boy a vous messieurs. ¶Byrphanes. Monsieur, vous soyes le tresbien venu : nous vous allons pleiger. ¶Mercure. Quel vin est ce cy ? ¶Curtalius. Vin de Beaulne. ¶Mercu. Vin de Beaulne ? Corbieu, Jupiter ne boit point de nectar meilleur. ¶Byrphanies. Le vin est bon : mais il ne fault pas acomparager le vin de ce monde au nectar de Jupiter. ¶Mercure. Je renydieu, Jupiter nest point servy de meilleur Nectar. ¶Curtalius. Advisez bien que cest que vous dictes. car vous blasphemez grandement : & diz que vous nestes pas homme de bien, si vous voulez soustenir cela, voire par le sambieu. ¶Mercure. Mon amy, ne vous colerez pas tant. Jay taste des deux : & vous dys que cestuy cy vault mieulx. ¶Curalius. Monsieur, Je ne me colere point, ny je nay point beu de Nectar, comme vous dictes quavez faictz : mais

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nous croions ce quen est escript, & ce que lon en dict. Vous ne devez point faire comparaison de quelque vin qui croisse en ce monde icy, au nectar de Jupiter : vous ne seriez pas soustenu en ceste cause. ¶Mercure. Je ne scay comme vous le vroyez : mais il est ainsi comme je le vous dys. ¶Curatlius. Je puisse mourir de male mort, Monsieur, (et me pardonnez, sil vous plait) si vous voulez maintenir ceste opinion, si je ne vous fais mettre en lieu ou vous ne verrez vos piedz de troys moys, tant pour cela, que pour quelque chose que vous ne cudyez pas que je sache. (Escoute mon compagnon, il a desrobe je scay bien quoy la hault en la chambre, par le Corbieu, il nya rien si vray) Je ne scay qui vous estes : mais ce nest pas bien faict a vous de tenir ces propos la : vous vous en pourriez bien repentir, & daultres cas que vous avez faictz il nya pas long teps : & sortez de ceans hardyment : car, par la morbieu, si je sors premier que vous, ce sera a voz despens. Je vous ameneray des gens quil vauldroit mieulx que vous eussiez a faire a tous les diables denfer, que au moindre deux. ¶Byrphanes. Monsieur, il dict vray : vous ne devez point ainsi vilainement blasphemer. Et ne vous fiez en mon compagnon que bien apoint. Par le Corbieu, il ne vous dict chose quil ne face, si vous luy eschaffez gueres le poil. ¶Mercure. Cest pitie davoir affaire aux hommes, que le granddiable ayt part a lheure que mon pere Jupiter me donna jamais

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doffice pour traficq(u)er & converser entre les humains. Hostesse, tenez, payez vous, prenez la ce quil vous fault. Et bien, estes vous contente ? ¶Lohstesse. Ouy monsieur. ¶Mercure. Ma dame, que je vous dye ung mot a loreille si vous plait. Scavez vous point comment sappellent ces deux compagnons qui ont beu dela avec moy ? ¶Lhostesse. Lung sappelle Byrphanes, & laultre Curtalius. ¨Mercu. Cest assez. A Dieu ma dame. mais pour le plaisir que mavez faict, tant de mavoir donne de si bon vin, que de me dire les noms de ces meschans, je vous promectz & asseure, que vostre vie sera allongee de cinquante ans en bonne sante, & joyeuse liberte, oultre linstitution & ordonnance de mes cousines les Destinees. ¶Lhostesse. Vous me promettez merveilles, monsieur, pour ung rie: mais je ne le puis croire : pource que je suis bien asseuree, que cela ne pourroit jamais advenir. Je croy que vous le vouldries bien, aussi feroy je de ma part : car je seroye bien heureuse de vivre si longuement en tel estat, que vous me dictes : Mais si ne sen dera il rien pourtant. ¶Mercure. Dictes vous ? ha, vous en riez, & vous en mocquez ? Non, vous ne vivrez pas tant voirement, et si serez tout le temps de vostre vie en servitude, et malade toutes les lunes jusques au sang. Or voy je bien que la maulvaistie des femmes surmontera celle des hommes. Hardiement il ne sen fera rien, puis que ous ne lavez pas voulu croire. Vous naurez jamais hoste (quelque plaisir que luy ayez

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faict) qui vous paye de si riches promesses. Voyla de dangereux maraudz. Tudieu, je neuz jamais plus belle paour : Car je croy quilz mont bien veu prendre ce petit image dargent, qui estoit sur le buffet en hault, que jay desrobe pour en faire ung present a mon cousin Ganymedes, lequel me baille tousjours ce qui reste en la coupe de Jupiter, apres quil a pris son nectar. Cestoit de quoy ilz parloyent ensemble. Silz meussent une foys pris jestoyz infame, moy, & tout mon lignage celeste. Mais si jamais ilz tumbent en mes mains, jay les recommanderay a Charon, quil les face ung petit chommer sur le rivage, et quil ne les passe de trois mil ans. Et si vous jouray encores un bon tour, messieurs Byrphanes, & Curtalius : car devant que je rende le livre dimmortalite a Jupiter mon pere, lequel je vois faire relier, jen effaceray voz beaux noms, si je les y trouve escriptz, & celuy de vostre belle Hostesse, qui est si desdaigneuse, quelle ne veult croire ny accepter que lon luy face du bien. ¶Curtalius. Par mon ame, nous luy en avons bien baille. Cestoit aisi quil failloit besongner, Byrphanes. Affin den vuyder la place, cest Mercure luy mesme, sans faillir. ¶Byrphanes. Cest luy sans autre voyrement. Voyla le plus heureux larcin qui fut jamais faict : car nous avons desrobe le prince & patron des robeurs : qui est ung acte digne de memoire immortelle : & si avons recouvert ung livre dont il nest point de semblable au monde. ¶Curtalius. La pippee est

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bonne, veu que au lieu du sien nous luy en avons mis ung qui parle bien daultres matieres. Je ne crains que une chose, cest, que si Jupiter le voit, et quil trouve son livre perdu, il ne fouldroye et abysme tout ce povre monde icy, qui nen peult mais, pour la punition de noste forfaict. il ny auroit gueres a faire : car il est assez tempestatif quand il se y met. Mais je te diray que nous ferons. Pource que je pense que tout ainsi que rien nest contenu en ce livre, qui ne se face : ainsi rien ne se faict, qui ny soit contenu. Nous regarderons ce pendant si cestuy nostre larcin y est point predict et pronostique, et sil dict point que nous le rendrons quelques foys, a celle fin que nous soyons plus asseurez du faict. ¶Byrphanes. Sil y est, nous le trouverons en cest endroict, car voicy le tiltre, fata & eventus anni. ¶Curtalius. Et, St. Cache ce livre ; car je voy Ardelio qui vient : lequel le vouldroit veoir. Nous le verrons plus amplement une aultre foys tout a loysir.

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DIALOGUE

Second.

Les personnages.

Trigabus. Mercure. Rhetulus. Cuberrus. Drarig.

Trigabus.

JE puisse puisse mourir, Mercure, si tu es qung abuseur, et fusses tu filz de Jupiter troys foys, affin que je te le dye. Tu es ung caut Varlet. Te souvvient il du bon tour que tu feiz oncques puis ne fuz tu icy ? Tu en baillas bien a noz Resveurs de Philosophes. ¶Mercure. Comment donc ? ¶Trigabus. Comment ? Quant tu leur dis que tu avois la pierre Philosophale, et la leur monstras, pour laquelle ilz sont encore en grant peine, dont ilz timportunerent tant par leurs prieres, que toy doubtant a qui tu la donneroys entiere, vins a la briser, et mettre en pouldre, & puis la respandiz par lareine du theatre, ou ilz estoyent disputans (comme ilz ont de costume) a celle fin que ung chascun en eust quelque peu, leur disant quilz cherchassent bien, et que silz pouvoient recouvrer dicelle pierre philosophale, tant petite piece fust elle, ilz feroyent merveilles, transmuroyent les metaulx, romproyent les barres des por

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tes ouvertes : gariroyent ceulx qui nauroyent point de mal : Interpreteroyent le langage des oyseaulx : Impetreroyent facilement tout ce quilz vouldroient des Dieux, pourveu que ce fust chose licite, et qui deust advenir, comme apres le beau temps la pluye, fleurs & serain au primtemps, en este pouldre & chaleurs, fruictz en autonne, froid & fanges en hyver. bref quilz feroyent toutes choses, & plusieurs aultres. Vrayement ilz non cesse depuis ce temps de fouiller et remuer le sable du theatre, pour en cuyder trouver des pieces. Cest ung passetemps que de les veoir esplucher. Tu dirois proprement que se sont petiz enfans, qui sesbatttent a la pouldrerie, sinon quant ilz viennent a se battre. ¶Mercure. Et bien, nen ya il pas eu ung qui en ait trouve quelque piece ? ¶Trigabus. Pas ung, de par le dyable : mais il nya celuy qyu si tout ce quilz en monstrent, estoit amasse ensemble, il seroit dix foys plus gros que nestoit la pierre en son entier. ¶Mercure. Il pourroit bien estre, que pour  des pieces dicelle pierre philosophale, ilz auroient choisi par my le sable du sable mesmes, & si ny auroit pas gueres a faire : car il est bien difficille de les cognoistre dentre le sable, pource quil nya comme point de difference. ¶Trigabus. Je ne scay : mais jay veu plusieurs affermer quilz en avoient trouve de la vraye, et puis bien tost ares doubter si cen estoit, & finablement jetter la toutes les pices quilz en avoient, pour ce mettre en cher

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cher daultres. Puis de rechef apres en avoir bien amasse, ne se pouvoient asseurer ny persuader que cen fust : tellement que jamais ne fut exhibe ung tel jeu, ung si plaisant esbatement, ny une si noble fable que ceste cy. Corbieau, tu les nous a bien mis en besongne noz veaulx de philosophes. ¶Mercu. Nay pas ? ¶Trigabus. Sandieu, je vouldroye que tu eusses veu ung peu le desduit, comment ilz sentrebattent par terre, & comment ilz ostent des mains lung de laultre les myes darene quilz trouvent : comment ilz rechignent entre eulx quant ilz viennent a confronter ce quilz en ont trouve. Lung se vante quil en a plus que son compagnon. Laultre luy dict que ce nest pas de la vraye. Lung veult enseigner comme cest quil en fault trouver, & si nen peut pas recouvrer des pieces, il se fault vestir de rouge et vert. Laultre dict quil vauldroit mieulx estre vestu de jaune & bleu. Lung est dopinion quil ne fault manger que six foys le jour avec certaine diette. Laultre tient que le dormir avec les femmes ny est pas bon. Lung dict quil fault avoir de la chandelle, & fust ce en plain mydi. Laultre dict du contraire. Ilz crient, ilz se demainent, ilz se injurient, & Dieu scait les beaulx proces criminelz qui en sourdent, tellement quil nya court, rue, temple, fontaine, four, molin, place, cabaret, ny bourdeau, que tout ne soit plein de leurs parolles, caquetz, disputes, factions, & envies. Et si en

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ya aulcun dentre eulx qui sont si oultrecuidez et opiniastres, que pour la grande persuasion quilz ont que lareine par eulx choisie est de la vraye pierre philosophale, promettent rendre raison & juger de tout, des cieulx, des champs Elisiens, de vice, de vertu, de vie, de mort, de paix, de guerre, du passe, de ladvenir, de toutes choses & plusieurs aultres, tellement quil nya rien en ce monde, de quoy il ne faille quilz en tiennent leurs propos, voire jusques aux petis chiens des garses des Druydes, & jusque aux poupees de leurs petis enfans. Il est bien vray quil en ya quelques ungs (ainsi que jay ouy dire) lesquelz on estime en avoir trouve des pieces : mais icelles nont eu aucune vertu ne propriete, sinon quilz en ont transformé des hommes en cigales, qui ne font aultre chose que cacquetter jusques a la mort, daultres en perroquets injurieux, non entendans ce quilz jargonnent, & daultres en asnes propres a porter gros faix, et opiniastres a endurer force coups de batons. Bref cest le plus beau passetemps, et la plus joyeuse risee de considerer leur facon de faire, que lon vit oncques, & dont lon ouyt jamais parler. ¶Mercure. A bon escient ? ¶Trigabus. Voire par lecorbieu. Et si tu ne men veulx croire, vien ten, je te meneray au theatre, ou tu verras le mistere, & en riras tout ton beau saoul. ¶Mercure. Cest tresbien dict, allons y. Mais jay grant paour quilz me cognoissent. ¶Trigabus. Oste ta verge, tes talaires, et ton chapeau, ilz ne te cognoistront jamais

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ainsi. ¶Mercure. Non non ; je feray bien mieulx, je men voys changer mon visage en aultre forme. Or me regarde bie nau visage pour veoir que je deviendray. ¶Trigabus. Vertubien, quest cecy ? quel Proteus ou maistre Gonn tu as ? comment tu as tantost eu change de visage ? ou tu estois ung beau jeune gars, tu tes faict devenir ung veillart tout gris. ha jentendz bien maintenant donc cela procede, cest par la vertu des motz que je tay veu ce pendant mornonner entre tes levres : Mais par le corbieu si fault il que tu men monstres la science, ou tu ne seras pas mon amy. je paieray tout ce que tu vouldras. Sil advient que je sache une foys cela, et que je prenne tel visage que je vouldray, je feray tant que lon parlera de moy. Or je ne tabandonneray jamais que tu ne le me ayes enseigne. Je te supplie, Mercure mon amy, apprens moy les aprolles quil fault dire, affin que je tienne cela de toy. ¶Mercure. Vrayment je le veulx bien, pource que tu es bon compaignon. je le tenseigneray avant que je parte davec toy. Allons premierement aux areines, et puis apres je le te diray. ¶Trigabus. Or bien, je me fie en ta parolle. Voy tu cestuy-la qui se promene si brusquement ?  Je vouldrois que tu louysses ung petit raisonner, tu ne vis oncques en ta vie le plus plaisant badin de philosophe. Il monstre je ne scay quel petit grain dareine, et dict par ses bons dieux que cest de la vraye pierre philosophale, voire et du fin cueur dicille. Tien la, com

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ment il tourne les yeulx en la teste ? est il content de sa personne ? voy tu comment il nestime rien le monde au pris de soy ? ¶Mercure. En voyla ung aultre qui nest pas moins rebarbatif que luy, approchons nous ung petit, & voions les mines quilz feront entre eulx, & oyons les propos quilz tiendront. ¶Trigabus. Cest bien dict. ¶Rhetulus. Vous avez beau chercher messieurs, car cest moy qui ay trouve la feve du gasteau. ¶Cuberbus. Mon amy, ne vous glorifiez ja tant. La pierre philosophale est de telle propriete, qeuelle pert sa vertu si lhomme presume trop de soy apres quil en travoue des pieces. je pense bien que vous en avez : mais souffrez que les aultres en cherchent, & en aient aussi bien que vous, si leur est possible. Mercure qui la nous a baillee, nentend point que usions de ces reprouches entre nous, mais veult que nous nous entraymions lung laultre comme freres. Car il ne nous a pas mis a la quest dune si noble et divine chose pour dissensio: mais plus tost pour dilection. toutesfoys (a ce que je voy) nous faisons tout le contraire. ¶Rhetulus. Or vous avez beau dire, ce n’est que sable tout ce que vous autres avez amasse. ¶Drarig. Vous mentez par la gorge, en voyla une piece, qui est de la vraye pierre philosophale, mieulx que la vostre. ¶Rhetulus. Nas tu point de honte de presenter cela pour pierre philosophale ? est il pas bon a veoir que ce nest que sable ? Phy phys, oste cela. ¶Drarig. Pour quoy me las tu faict tumber ?

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elle sera perdue. je puisse mourir de male rage, si jestoie homme de guerre, ou que jeusse une espee, si je ne te tuoye tout roide, sans jamais bouger de la place. comment est il possible que je la puisse trouver maintenant ? Javois tant pris de peine a la chercher, & ce meschant, mauldict, & abominable la ma faict perdre. ¶Rhetulus. Tu nas pas perdu grand-chose, ne te chaille. ¶Drarig. Grant chose ? Il nya tresor en ce monde pour lqueul je leusse voulu bailler, que males furies te puissent tormenter. O traistre envieux que tu es, ne m pouvois tu autrement nuyre, si non de me faire perdre en ung moment tous mes labeurs de puis trente ans ? je men vengeray, quoy quil tarde. ¶Cuber. Jean ay quinze ou seize pieces, entre lesquelles je suis bien asseure quil en ya quatre (pour le moins) qui sont de la plus vraye, quil est possible de recouvrer. ¶Trigabus. Or ca messieurs, dictes nous (sil vous plaist) que cest que vous autres philosphes cherchez tant tous les jours parmy lareine de ce theatre ? ¶Cubercus. A quoy faire le demandez vous ? Scavez vous pas bien que nous chercons des pieces de la pierre philosophale, laquelle Mercure mist jadis en pouldre, & nous la repandit en ce lieu ? ¶Trigab. Et pour quoy faire de ces pieces ? Cuber. Pourquoy faire dea ? pour transinuer les metaulx, pour faire tout ce que nous vouldrions, & impetrer tout ce que demanderions des dieux. ¶Mercu. Est il bien possbile ? ¶Cuber. Sil est possible ? en doubtes

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vous ? ¶Mercure. Voire jen doubte : Car vous qui avez dict nagueres que vous en aviez pour le moins quatre pieces de la vraye, pourriez bien faire par le moyen de lune (si toutes ne les y voulez employer) que vostre compagnon pourroit facilement recouvrer la sienne laquelle lautre luy a faict perdre, dont il est demy enrage. Et moy qui nay point dargent, vous priroy voluntiers que ce fust vostre bon plaisir de me convertir en escuz quinze livres de monnoye (sans plus) que jay en ma bourse, vous ny scauriez rien perdre : il ne vous pourroit couster que le vouloir, ou la parolle, si tant estoit que ces pieces (que vous avez) eussent tant defficace que vous dictes. ¶Cur. Je vous dirau Monsieur, il ne le fault pas prendre ainsi. Vous devez entendre quil nest pas possible que la pierre soit de telle vertu, quelle estoit jadis, quand elle fut brisee nouvellement par Mercure, pource quelle est toute esventee de puis le temps qu il la respandue par le theatre, & si vous dy bien ung point quil nest ja besoing quelle monstre sa valeur quant ainsi seroit quelle lauroit encores. Et devantage, Mercure luy peult soustraire & restituer sa vertu, ainsi quil luy plait. ¶Merc. Il nest ja besoing, dictes vo(s) ? & pour quoy vous rompez vous donc la teste, les yeulx, & les reins a la chercher si obstinement ? ¶Rhetul. Non non, ne dictes point cela, car elle est autant puissante & vertueuse, quelle fut jamais, non obstant quelle soit esventee, comme vous dictes. Si ce que

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vous en avez, ne monste point par œuvre & effect quelque vertu, cest bien signe que ce nen est point de la vraye. Quant au regard de ce que jen ay, je vous advertiz bien dung cas que jen fay ce que veulx, Car non seulement je transmue les metaux, colle lor en plomb (je vous dy le plomb en lor) mais aussi jen fay transformation sur les hommes, quand par leurs opinions transmuees bien plus dure que nul metal. Je leur fay prendre autre facon de vivre : car a ceulx qui nosoient nagueres regarder les Vestales, je fay maintenant rouver bon de coucher avec elles. Ceulx qui se soloient habiller a la Bouhemienne, je les fau acoustrer a la Turque. Ceulx qui par cy devant alloient a cheval, je les fai trotter a piedz. Ceulx qui avoient coustume de donner, je les contrains de demander. Et si fay bien mieulx, car je fay parler de moy par toute la Grece, tellement quil en ya telz qui soustiendront jusque a la mort contre tous que jen ay de la vraye. & plusieurs autres belles choses que je fay par le moyen dicelles pices, lesquelles seroient trop longues a recompter. Or ca bon bomme, que te semle il de noz philosphes ? ¶Mer. Il me semble quilz ne sont gueres sages, monsieur, ne vous aussi. ¶Rhetulus. Pour quoy ? ¶Mercure. De se tant travailler & debatre pour trouver & choysir par lareine de si petites pieces dune pierre mise en pouldre, & de perdre ainsi leur temps en ce monde icy, sans faire autre chose quechercher ce que a ladventure

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il nest pas possible de trouver, & qui (peult estre) ny est pas. Et puis ne dictes vous pas que ce fut Mercure qui la vous brisa, & respandit par le thetre ? ¶Rhetulus. Voire, ce fust Mercure. ¶Mercu. O povre gens, vous fiez vous en Mercure, le grand aucteur de tous abuz et tromperie ? Scavez vous pas bien qul na que le bec, & que par ses belles raisons & persuasions il vous feroit bien entendre de vessies que son lanternes, & de nuees que sont poilles dairain ? Ne doubtez vous point quil nevous ait baille quelque aultre pierre des champs, ou, peult estre, de lareine mesmes, & puis quil vous ayt faict a croire que cest la pierre philosophale, pour se mocquer de vous, & prendre son passetemps des labeurs, coleres, & debatz quil vous voit avoir en cuydant trouver la chose laquelle nest point ? ¶Rhetulus. Ne dictes pas cela monsieur, car sans faillir cestoit la pierre philosophale, on en a trouve des pieces, & en an lon veu certaines experiences. ¶Merc. Vous le dictes, mais jen doubte, car il me semle que si ce la fust, vous feriez choses plus merveilleuses, veu la propriete que vous dictes quelle a, & mesmement comme gens de bon vouloir que vous estes, pourriez faire devenir tous les povres riches, ou a tout le moins, vous leur feriez avoir tout ce qui leur est necessaire, sans truander. ¶Rhetulus. Les belistres sont de besoing au monde, car si tous estoient riches, lon ne trouveroit point a qui donner, pour exercer la belle vertu de libe

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ralite. ¶Merc. Vous trouveriez aysement les choses perdues, & scauriez les cas dont les hommes doubetent, affin de les mettre dappointement selon la verite, laquelle vous seroit bien cognue. ¶Rhetulus. Et que diroyent les juges, advocatz, & enquesteurs ? que feroient ilz de tous leurs codes, pandectes, & digestes, qui est une chose tant honeste & utile ? ¶Mercure. Quand il y auroit quelcun qui seroit malade, & on vous manderoit, vous ne feriez que mettre une petite piece dicelle pierre philosophale sur le patient, qui seroit gary incontinent. ¶Rhetulus. Et de quoy serviroient les medecins, & apothicaires, & leurs beaulx livres de Galien, Avicenne, Hippocrates, Egineta, & autres qui leur coustent tant ? Et puis par ce moyen tout le monde vouldroit tousjours guerir de toutes maladies, & jamais nl ne vouldroit mourir, laquelle chose seroit trop desraisonnable. ¶Trigabus. En voyla ung lequel semble avoir trouve quelque chose, tenez comment les aultres & accourrent denvie, & se mettent a cherche au mesme lieeu. ¶Rhetulus. Ils font tresbien de chercher : car ce qui nest trouve, se trouvera. ¶Mercure. Voire, mais de puis le temps que vous cherchez, si nest il point de bruit que vous ayez faict aulcun acte digne de la pierre philosophale, qui me faict doubter que ce ne lest poin, ou (si ce lest) quelle na point tant de vertu que lon dict : mais que ce ne sont que parolles, & que vostre pierre ne sert que a faire

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des comptes. ¶Rhetulus. Je vous ay ja dict plusieurs cas que jay faict par le moyen de ce que jen ay. ¶Mercure. Et puis quest ce que cela ? Le grand babil & hault caquet que vous avez, en est cause, & non pas vostre grain de sable : vous tenez cela tant seulement de Mercure, & non aultre chose : car tout ains qul vous a payez de parolles, vous faisant a croire que cestoit la pierre philosophale, aussi contentez vous le monde de belle pure parolle. Voyla de quoy je pense que vous estes tenuz a Mercure. ¶Trigabus. Je puisse mourir si jestoye que du Senat, si je ne vous envoyoye bien tous a la charrue, aux vignes, ou es galleres. Pensez vous quil faict beau veoir ung tas de gros veaulx perdre tout le temps de leur vie a chercher de petites pierres comme les enfans : Encores si cela venoit a quelque proffit, je ne diroys pas : mais ilz ne font rien de tout ce quilz cuydent, quilz resvent & promettent. Par le Corbieu ilz sont plus enfans que les enfans mesmes : Car des enfans encore en faict on quelque chose, & sen sert lon aulcunement. silz samusent a quelque jeu, lon les faict cesser aiseement pour les faire bosongner : Mais ces Badins & Resveurs de philosophes, quant ilz se sont une foys mis a chercher des grains dareine permy ce theatre pensans trouver quelque piece de leur belle pierre philosophale, on ne les peult jamais retirer de ce sot jeu de barbue & perpetuelle enfance, ains vieil

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lissent & meurent sur la besongne. Combien en ay je veu qui debvoient faire merveilles ? Ouy dea, des nouveaulx, ilz en ont belles lettres. ¶Rhetulus. On nen trouve pas des pieces aisi que lon vouldroit bien, & puis Mercure nest pas tousjours favorable a tous.  ¶Mercure. Je le pense. ¶Rhetulus. Or messieurs, il ne vous desplaira point, si je prens conge de vous, car voyla monsieur le Senateur Venulus, avec lequel jay promis daller souper, qui menvoye querir par son serviteur. ¶Mercu. A dieu donc monsieur. ¶Trigabus. Voy la de mes gens, il sera assis au hault bout de la table, on luy trenchera du meilleur, il aura laudiuit, & le cacquet par-dessus tous, & dieu scait s leur en comptera de belles. ¶Mercure. Et tout par le moyen de ma pierre philosophale. ¶Tricabus. Et quoy donc ? Quand ce ne seroit ja que les repues franches quilz en ont, ilz sont grandement tenuz a toy Mercure. ¶Mercure. Tu voy de quoy sert mon art. Or il me fault aller faire encor quelque message secret de par Jupiter mon pere, a une dame, laquelle demeure au pres du templs dapollo : & puis il me fault aussi ung petit veoir mamye devant que je retourne. A dieu. ¶Trigabus. Tu ne me veulx donc pas tenir promesse ? ¶Mercure. De quoy ? ¶Trigabus. De menseigner les motz quil fault dire pour changer ma trongne & mon visaige en telle forme que je vouldray. ¶Mercure. Ouy dea, cest bien dict : escoute en loreille. ¶Triga

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Comment ? je netoy pas, je ne scay qye tu dis, parle plus hault. ¶Mercure. Voyla toute la recepte, ne loblie pas. ¶Trigabus. Qua il dict ? par le sambieu je ne lay point entendu, & croy quil ne ma rien dict, car je nay rien ouy. Sil meust voulu enseigner ce la, jeusse faict mille gentillesses, je neusse jamais eu affaire dargent, je neusse faict que transmuer mon visage en celluy de cuelcun a qui ces tresoriers en doibvent, & men feusse allé le recevoir pour luy. Et pour bien jouyr de mes amours, & entrer sans danger chez mamye, jeusse pris souvent la forme & la face de lune de ses voisines, a celle fin que lon ne meust cogneu, & plusieurs aultres bons tours que jeusse faict. O la bonne facon de masques que ceust este. sil meust voulu dire les motz. & quil ne meust point abuse. Or je reviens a moymesmes, & cognois que lhomme est bien fol, lequel sattend avoir quelque cas de cela qui nest point, & plus malheureux celuy, qui espere chose impossible.

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DIALOGUE

Troysiesme.

Les Personnages.

Mercure, Cupido, Celia, Phlegon, Statius, Ardelio.

Mercure.

ENcores suis je grandement esmerveille comme il peult avoir si belle patience. le forfaict de Lycaon, pour lequel il fit jadis venir le deluge sur la terre, nestoit point tant abominable que cestuy cy. Je ne scay a quoy il tient, quil nen a desja du tout fouldroye & perdu ce malheureux monde, de dire que ces traistres humains non seulement luy ayent ose retenir son livre, ou est tout sa prescience : mais encore, comme si cestoit par injure & mocquerie, ilz luy en ont envoye ung au lieu dicelluy, contenant tous ses petiz passetemps damours, & de jeunesse, lesquelz il pensoyt bien avoir faictz a cachette de Juno, des dieux & de tous les hommes : Comme quant il se feit Taureau pour ravir Europe : Quand il se desguisa en Cygne pour aller a Leda : Quand il print la forme dAmphitrion, pour coucher avec Alcmena : quand il se trasmua en pluye dor, pour jouyr de danae : quand il se transforma en Diane, en

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pasteur, en Feu, en Aigle, en Serpent, & plusieurs aultres menues follies, qui nappartenoit point aux hommes de scavoir, & encore moins les escrire. Pensez si Juno trouve une foys ce livre, & quelle vienne a lire tous ces beaulx faictz, quelle feste elle luy menera ? Je mesbahis comment il ne ma gette d hault en bas, comme il fit jadis Vulcanus : lequel en est encore boiteux du coup quil print, & sera toute sa vie. Je me fusse rompu le col, car je navois pas mes talaires aux piedz pour voler, & me garder de tumber. Il est vray que ce a este bien ma faulte en partie : car je y devoye bien prendre garde de par dieu avant que lemporter de chez le relieur : mais qui eusse je faict ? cestoit la veille des Bacchanales, il estoit pres que nuyt, & puis tantde commissions que je avoys encores a faires, me troubloyent si fort lentedement, que je ne scavoye que je faisoye. Daultre part, je me fioye bien au relieur, car il me sembloit bien bon homme, aussi est il, quant ne seroit ja que pour les bons livres quil relie & manie tous les jours, jay este vers luy depuis, il ma jure avec grandz sermens, quil mavoit rendu le mesme livre, que je luy avooye baille, dont je suis bien asseure quil ne ma pas est change en ses mains. Ou est ce que je fuz ce jour la ? il my fault songer. Les meschans avec lesquelz je beu en lhostellerie du charbon blanc. Le mauroyent ilz point desrobe, & mis cestuy cy en son lieu ? Il pourroit bien estre, car je mabsentay deulx assez long temps, ce pendant quon estoit alle tirer le vin ? Et

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par mon serment. je ne scay comment ce vieulx rassotte na honte ? Ne pouvoit il pas avoir veu aultrefoys dedans ce livre (ouquel il cognoissoit toutes choses) que icelluy livre debvoit quelque foys devenir ? Je croy qye sa lumiere la esblouy : car il failloit bien que cestuy accident y fust faulx. Or, sil sen courrousse, quil sen deschausse, je ny scaurois que faire. Quest ce quil ma baille icy en memoire ? De par Jupiter laltitonant soit faict ung cry publique part tous les carrefours Dathenes, & sil est besoing, aux quatre congs d monde, que sil ya personne qui ayt trouve ung livre intitule : Que in hoc libro continentur : Chronica rerum memorabilium, quas Jupiter gessit antequam esset ipse. Fatorum prescriptum, sive eorum que futura sunt, certe dispositiones. Catalogus heroum immortalium qui cum Jove vitam victuri sunt sempiternam. Ou sil ya quelcun qui sache aulcune nouvelle dicelluy livre, lequel appertient a Jupiter, quil le rende a Mercure, lequel il trouvera tous les jours en lacademie, ou en la grand place, & icelluy aura pour son vin la premiere requeste quil luy fera. Que sil ne le rend dedans huict jours apres le cry faict, Jupiter a delibere de sen aller par les douze maisons du ciel, ou il pourra aussi bien deviner celuy qui laura, que les astrologues : dont fauldra que icelluy qui la, le rende non sans grande confusion, & punition de sa personne. Et quest ce cy ? Memoire a Mercure de bail

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ler a Cleopatra de par Juno, la recepte qui est cy dedans ce papier ployee, pour faire des enfans, & en delivrer avec aussi grand joye qye quand on les conceoit : & apporter ce ui sensuyt. Voire dez apporter, je le feray tantost : attendez vous y. Premierement ung perroquet qui sache chanter tout Liliade Dhomere. Ung corbeau, qui puisse cause & harenguer a tous propos. Une pie qui sache tous les preceptes de philosophie. Ung Singe, qui joue au quillard. Une guenon, pour luy tenir son miroir le matin quand elle saccoustre. Ung miroir dacier de Venise, des plus grandz quil pourra trouver. De la Civette, de la Ceruse. Une grosse de lunettes, des Gandz perfumez. Le Carquan de pierrerie qui faict faires les cent nouvelles nouvelles. Ovide de lar daymer, et six paires de potences Dhebene. Je ne puisse jamais remonter aux cieulx, si je faiz rien de tout cela, & voyla son memoire & sa recepte en pieces, elle yra chercher ung autre vallert que moy, par le corbieu. Comment me seroit il possible de porter toutes ses besongnes la hault ? Les femmes icy veulent que lon leur face mille services, comme si lon estoit bien tenu a elles : mais au Diable lune qui dye, tien Mercure, voy la pour avoir ung feutre de chappeau. Et puis quest cecy ? Memoire a Mercure de dire a Cupido de par sa mere Venus (ha, est ce vous Venus ? vous serez obeye vrayement) que le plus tost quil pourra, il sen voise tromper & abuser ces Vestales (lesquelles cuydent

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estre si sages et prudentes) pour leur remonstrer ung petit leur malheureuse follie et temerite. Et que pour ce faire, il sadresse a Somnus, qui luy prestera voulentiers de ses garsons, avec lesquelz il yra de nuyct a icelles Vestales, & leur fera taster & trouver bon en dormant ce quen veillant elles ne cessent de blasmer : & quil escoute bien les propos de regretz et repentances que chascune tioendra a par soy, pour luy en mander toutes nouvelles bien au long, & le plus tost quil luy sera possible. Item dire a ces dames et damoyselles, quelles noublient pas leurs touretz de nez quand elles yront par la ville, car ilz sont bien bons pour se rire et mocquer de plusieurs choses que lon voit, sans que le monde sen apercoive. Item advertir ces jeunes filles quelles ne faillent pas darrouser leurs violettes devers le soir, quand il fera seicheresse : & quelles ne se voisent pas coucher de si bonne heure, quelles nayent receu & donne le bon soir a leurs amys : & quelles se donnent bien garde de se coiffer souvent sans miroir, & quelles apprennent & recordent souvent toutes les chansons nouvelles. Quelles soyent gracieuses, courtoyses, & amyables aux amans. Quelles ayent plusieurs Ouys aux yeulx, et force Nennyz en la bouche : et que sut tout elles se facent bien prier a tout le moins que par leurs dictz elles ne viennent point si tost a declarer leur volunte, ains quelles la dissimulent le plus quelles pourront, pource que cest tout le bon. la parolle faict le jeu. Bien. il ny aura point de

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faulte, si je trouve Cupido. Encores des commissions ? Ha, cest ma dame Minerve. je cognois bien son escripture. certes je ne luy voldroye faillir, pour perdre mon immortalite. Memoire a Mercure de dire aux Poetes de par Minerve, quilz se desportent de plus escrire lung contre lautre, ou elle les desadvouera, car elle nen any appreuve aucunement la facon, & quilz ne samusent point tant a la vaine parolle de mensonge, quilz ne prennent garde a lutile silence de verite. Et qu silz veullent escrire damour, que ce soit le plus honestement, chastiement & divinement quil leur sera possible, & a l’exemple delle. Davantage, scavoir si le poete Pindarus a riens encores mos en lumiere, et recouvrer tout ce quil aura faict, et apporter tout ce quil pourra trouver de la facon des painctres, Apelles, zeuxis, Parrasius, é aultres de ce temps, mesmement touchant le faict de broderie, tapisserie, & patrons douvrages a lesguille. Et advertir toute la compagnie des neuf Muses, quelles se donnent bien garde dung tas de gens qui leurs font la court faisans semblant les servir et aymer, mais ce nest que pour quelque tems, affin quilz acquerent bruyt & nom des poetes, & que par le moyen delles (commes de toutes aultres choses dont ilz se scavent bien ayder) ilz puissent trouver acces envers Plutus, pour les richesses, duquel elles se font veu souvent estre mesprisees & abandonnees, dont elles devroyent bien estre sages doresenavant. Vrayement ma dame Minerve, je

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le feray pour lamou de vous. Qui est cestuy la qui vole la ? Par Dieu je gage que cest Cupido. Cupido ? ¶Cupido. Qui est ce la ? hen bon jour Mercure : est ce toy ? & puis quelles nouvelles ? Que se dict de bon la hault en vostre court celeste ? Jupiter est il plus amoureux ? ¶Mercure. Amoureux de par le diable ? il na garde pour le present : mais la memoire & souvenance de ses amours luy tourne maintenant en grand ennuy, et fascherie. ¶Cupido. Comment donc ? ¶Mercure. Pource que ces paillars humains en ont faict ung livre, lequel de male adventure je lui ay apporte au lieu du sien, ou il regardoit toujours quant il vouloit commander quel temps il devoit faire, lequel jestoye aller faire relier : mais il ma est change : je men voys pour le faire crier a son de trompe, affin que sil ya quelcun qui layt, quil le rende, il men a bien cuide manger. ¶Cupido. Il me semble que jay ouy parler dung livre le plus merveileux que lon vit oncques, que deux compagnons ont, avec lequel (ainsi quon dict) ilz disent la bonne adventure a ung chascun, & scavent aussi bien deviner ce qui est a venir, que jamais fit Tyresias, ou le Chesne de Dodone. Plusieurs Astrologues briguent pour lavoir, ou en recouvrer la copie : Carilz disent quilz feroyent leurs Ephemerides, Pronostications, & Almanachs beaucoup plus seurs & veritables. Et davantage, ces gallantz promettent aux gens de les enroler au livre dimmortalite

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pour certaine somme dargent. ¶Mercure. Voire ? Par le corbieu cest ce livre la sans aultre. Il nya que danger quilz ny escripvent des usuriers, rongeurs de povres gens, des bougres, des larrons, & quilz en effacent des gens de bien, pource quilz nont que leur donner. Jupiter en auroit bien de par le diable. Et ou les pourroys je trouver ? ¶Cupido. Je ne ten scaurois que dire : car je ne suis point curieux de ces matieres la. Je ne pense si non a mes petiz jeux, menuz plaisirs, & joyeux esbattemens, & entretenir ces jeunes dames, a jouer au cachemouchet au domicile de leurs petiz cueurs ou je picque & laisse souvent de mes legeres flesches, a voltiger par leurs cerveaulx, & leurs chatoiller leurs tendres mouelles, et delicattes entrailles a me monstrer & promener dedans leurs ryans yeulx, ainsi quen belles petites galleries, a baiser & succer leurs levres vermeilles, a me laisser couler entre leurs durs tetins, & puis de la me desrober, & men aller en la valler de joyssance, ou est la fontaine de jouvence, en laquelle je me joue, je me rafreschy & recree, & y faiz mon heureux sejour ; ¶Mercure. Ta mere ma icy baille ung memoire pour tadvertir de quelque chose : Tien, tu le veraas tout a loisir, & fera le contenu : car jay grand haste, a dieu. ¶Cupido. Tout beau, tout beau seigneur Mercure. ¶Mercure. Vertudieu, tu me arracheras mes talaires, laisse moy aller Cupido je te prie, je nay pas si grand envye de jouer que toy. ¶Cupido. Pourtant

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que je suis jeunette, amy ne prenez esmoy, je feroys myeulx la chosette qune plus vieille que moy. ¶Mercure. Ha, que tu as bon temps, tu ne te soucyes gueres sil doit plouvoir ou neiger, comme faict nostre Jupiter, lequel en a perdu le livre. ¶Cupido. Tousjours les amoureux auront bon jour, Tousjours & en tout temps les amoureux auront bon temps. ¶Mercure. Voire voire, nous en sommes bien. ¶Cupido. Il y a ma damoyselle il ya je ne scay quoy. Qui est ceste belle jeune fille, que je voy la bas en ung verger seullette ? Est elle point encore amoureuse ? il fault que je la voye en face. Nenny, & toutesfoys je scay bien que son amy languit pour lamour delle. Ha, vous aymerez velle dans sans mercy, avant quayez marche trois pas. ¶Celia. O ingrate & mescognoissante que je suis. en quelle peine est il maintenat pour lamour de moy ? Or cognois je a ceste heure (mais las cest bien trop tard) que la puissance damour est merveilleusement grande, & que lon ne peult eviter la vengence diceluy. Nay je pas grand tort dainsi mespriser & esconduire cestuy qui mayme tant ? voire plus que soymesmes ? Veulx je tousjours estre autant insensible qune statue de marbre ? Vivray je tousjours ainsi seullette ? helas, il ne tient qua moy : ce nest que ma faulte,  folle opinion. Ha petiz oysillons, que vous me chantez & monstrez bien ma lecon, que nature est bonne mere de menseigner, par vos motetz & petiz jeux, que les creatures ne se peuvent

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passer de leurs smeblables. Or vous feroys je volunteirs une requeste, cest que vous ne mimportunissiez plus par voz menuz jargons : car jentendz trop ce que vous voulez dire : & que ne me feissiez plus veoir les spectacles de voz amoureux assemblemens : car cela ne me peult resjouyr, ains me faict juger qui je suis la plus malheureuse creature qui soit en ce monde. Helas quand reviendra il mon amy. Jay grand paour que je ne luy aye este si farrouche, quil ne retourne plus, si fera, sil ma autant aumee ou aume encores, comme je layme maintenant. Il me tarde bien que je ne le voy : sil revient jamais, je luy serau plus gracieuse, & luy feray bien ung plus doulz racueil, & meilleur traictement, que je nay pas faict par cy devant. ¶Cupido. Va va e par dieu va, dict la fillette, puis que remede ny puis mettre. Or, elle est bien la bonne dame, elle en a ce quil luy en fault. ¶mercure. Nest ce pas pitie, soit que je vienne en terre, ou que je retourne aux cieulx, tousjours le monde, & les dieux me demandent, si jay, ou si scay rien de nouveau. il fauldroit une mer de nouvelles, pour leur en pescher tous les jours de fresches. Je vous diray, a celle fin que le monde ayt de quoy en forger, & que jen puisse porter la hault, je men voys faire tout a ceste heure, que ce cheval la parlera a son palefernier, qui est dessus, pour veoir quil dira : ce sera quelque chose de nouveau a tout le moins. Gargabanado Phorbantas Sarmotoragos. O, quoy je

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faict ? jay presque profere tout hault les parolles quil fault dire pour faire parler les bestes.Je suis bien fol, quant je y pense. si jeusse tout dict, & quil y eust icy quelcun qui meust ouy, il en eust peu apprendre la science. ¶Phlegon. Je cheval. *Il a este ung temps que les bestes parloyent : mais si le parler ne nous eust point este oste non plus qua vous, nous ne nous trouveriez pas I bestes que vous faictes. ¶Statius. Quest ce a dire cecy ? Par la vertu bieu, mon cheval parle. ¶Phlegon. Voire dea, je parle, & pour quoy no? Entre vous hommes, parce que a vous seulz la parolle est demouree, & que nous povres bestes navons point dintelligence entre nous, par cela que nous ne pouvons rien dire, vous scavez bien usurper toute puissance sur nous, & non seulement dictes de nous tout ce quil vous plait, mais aussi vous montez sur nous, nous nous picquez, vous nous battez : il fault que nous vous pourtions, que nous vous vestions, que nous vous nourrissions, & vous nous vendez, vous nous tuez, vous nous mangez. Dont vient cela ? cest par faulte que nous ne parlons pas. Que si nous scavions parler, & dire noz raisons, vous estes tant humains (ou devez estre) que apres nous avoir ouy, vous nous traicteriez aultrement, comme je pense. ¶Statius. Par la morbieu il ne fut oncques parle de chose si estrange que cest cy Bonne gens, je vous prie venez ouyr ceste merveille, autrement vous ne le croiryez pas. Par le sambieu mon cheval

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parle. ¶Ardelio. Qui a il la, que tant de gens y accourrent, & sassemblent en ung troupeau ? Il me fault veoir que cest. ¶Statius. Ardelio, tu ne scay pas, par le corbieu mon cheval parle. ¶Ardelio. Diz-tu ? voula grand merveille. Et que dict il ? vStatius. Je ne scay : car je suis tant estonne douyr sortir parolles d’une telle bouche, que je netendez point a ce quil dict. ¶Ardelio. Metz pied a terre, & lescoutons ung petit raisonner. Retirez vous messieurs sil vous plait, faictes place, vous verrez aussi vien de loing que de pres. ¶Statius. Or ca, que veulx tu dire belle beste, par tes parolles ? ¶Phlegon. Gens de bien, puis quil a pleu au bon Mercure de mavoir restitue le parler, & que vous en vos affaires prenez bien tant de loisir de vouloir escouter la cause dung povre animau que je suis. Vous devez scavoir que cestuy mon palefernier me faict toutes les rudesses quil peult, & non seulement il me bat, il me picque, il me laisse mourir de fain, Mais. ¶Statius. Je te laisse mourir de fain ? ¶Phlegon. Voire, tu me laissez mourir de fain. vStatius. Par la morbieu vous mentez, si vous le voulez soustenir, je vous couperay la gorge. ¶Ardelio. Non ferez dea, seriez vous bien si hardy, de tuer ung cheval qui sciat parler ? Il est pour faire ung present au roy Ptolomee le plus exquis quon vist jamais. Et si vous advertiz bien que tout le tresor de Cresus ne le pourroit pas payer. Pource advisez bien que vous ferez, & ne le touchez point, si vous

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estes sage. ¶Statius. Pourquoy dict il donc ce qui nest pas vray ? ¶Phlegon. Te souvient il point quant dernierement on tavoit baille de largent pour la despence de quatre chevaulx que vous sommes, que tu faisois ton compte ainsi. Vous avez force fein, & force paille, faictes grand chere, vous naurez que pour tant daveine le jour, la reste sera pour aller banqueter avec mamye. ¶Statius. Il teust myeulx valu que tu neusses jamais parle : ne te soucyes. ¶Phlegon. Encores ne men chault il de tout cela : mais quant je rencontre quelque jument au moys que nous sommes en amour (ce qui ne nous advient qune foys lan) il ne me veult pas souffrir monter sur elle, & toutesfois je le laisse bien tant de foys le jour monter sur moy. Vous hommes voulez ung droict pour vous, ung aultre pour voz voisins. Vous estes bien contens davoir tous voz plaisirs naturelz : mais vous ne les voulez pas laisser prendre aux autres, & mesmement a nous povres bestes. Combien de foys tay je veu amener des garses en lestable pour coucher avec toy. Combien de foys ma il fallu estre tesmoing de ton beau gouvernement ? Je ne te vouldrois pas requerir que tu me laissasses ains iamener des jumens en lestable pour moy, comme tu amaine des garses pour toy : Mais quant nous allons aux champs, tu le me pourrois bien laisser faire en la saison, at tout le moins ung petit coup. Il ya six ans quil me chevauche : & si ne ma pas encore laisse faire

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cela une povre foys. ¶Ardelio. Par dieu tu as raison mon amy, tu es le plus gentil cheval. & la plus noble beste, que je veiz jamais, Touche la jay une Jument, qui est a ton commandement. je la te presteray voluntiers, pource que tu est bon compagnon, & que tu le vaulx. tu en feras ton plaisir. Et de ma part, je serois tresaise, & joyeulx si je pouvois avoir de ta semence, quant ce ne seroit ja que pour dire, voyla de la rache du cheval qui parloit. ¶Statius. Par le corbieu je vous en garderay bien, puis que vous vous estes mesle de parler si avant. Sus sus, allons, & vous deliberez de trotter hardiment, & ne faictes point la beste si vous estes sage que je ne vous avance bien de ce baston. ¶Ardelio. Adieu adieu compagnon, te voyla bien peneux de ce que ton cheval a si bien parle a toy. ¶Statius. Par la vertubieu je laccoustreray bien si je puis estre a lestable, quelque parleur quil soit. ¶Ardelio. Or jamais je neusse creu qung cheval eust parle, si je ne leusse veu & ouy. voyla ung cheval qui vault cent milions descuz. Cent milions descuz ? on ne le scauroit trop estimer. Je men voys conter le cas a maistre Cerdonius, lequel ne loblira pas en ces annalles. ¶Mercure. Voyla desja quelque chose de nouveau pour le moins, je suis bien ayse quil y avoit belle compagnie de gens, dieu mercy, qui ont ouy et veu le cas. Le bruit en sera tantost par la ville, quelcun le mettra par escript, & par adventure qui y adjoustera du sien pour enrichir le compte

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Je suis asseure que jen trouveray tantost la copie a vendre vers ces libraires. Ce pendant quil viendra quelques aultres nouvelles, je men voys faire mes commissions, & specialement chercher la trompette de la ville, pour faire crier sil ya personne qui ayt point trouve ce diable de livre.

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DIALOGUE

Quatriesme, De deux chiens, Hylactor & Pamphagus.

SIl plaisoit a Anubis, que je peusse trouver ung chien lequel sceut parler, entendre, et tenir propos comme je fay, que je seroye ayse ? Car je ne me veulx pas avancer de parler, que ce ne soit a mon semblable. Et toutesfoys je suis bien asseure, que si je vouloye dire la moindre parolle devant les hommes, que je seroye le plus heureux chien, qui fut jamais. je ne scay Prince ne Roy en ce monde, qui fust digne de mavoir, veu lestime que l’on pourroit faire de moy. Se jen avoye tant seulement dict autant  que jen vien de dire, en quelque compagnie de gens, le bruyt en seroit desja jusques aux Indes. Et diroit lon par tout, Il ya en ung tel lieu ung chien qui parle. On viendroit de tous les quartiers du monde, la ou je seroye, & bailleroit lon de largent pour me veoir & ouyr parler. Et encores ceulx qui mauroyent  veu, et ouy, gaigneroyent souvent leur escot a racompter aux estrangiers, et aux pays loingtains de ma facon, & de mes propos. Je ne pense pas que lon ayt veu chose plus merveilleuses, plus exquise, ne plus delectable. Si me garderay je bien toutesfoys de rien dire devant les hommes, que je naye trouve premierement quelque chien qui parle comme

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moy, car il nest pas possible, quil ne y ayt encores quelcun au monde. je scay bien quil ne me scauroit eschapper si petit mot, que incontinent ilz ne courrussent tous a moy, pour en ouyr davantage ; & peult estre que a ceste cause ilz me vouldroyent adorer en Grece, ainsi que lon a faict Anubos en Egypte, tant sont les humains curieux de nouveaute. Or, encores nay je rien dict, & ne diray entre les hommes, que je naye trouve quelque chien qui ayt parle a moy. Toutesfois que cest une grand peine de se taire, mesmement a ceulx qui ont beaucoup de choses adire, comme moy. Mais voicy que je fay quant je me trouve seulet, & que je voy que que personne ne me peut ouyr : je me prens a dire a parmoy tout ce que jay sur le cueur, et vuyde ainsi mon flux de ventre, je vous dy de langue, sans que le monde en soit abreuve. Et bien souvent en allant par les rues a lheure que tout le monde est couche, jappelle pour mon passetemps quelcun de noz voisins par son om, & luy fay mettre la teste a la fenestre, & cryer une heure. Qui est la ? Apres quil a proucrye, & que personne ne luy respond, il se colere, & moy de rire. Et quant les bons compagnons de chiens sassemblent pour aller battre le pave, je my trouve voulentiers, affin que je parle liberalement entre eulx pour veoir si jen trouveray point qui entende & parle comme moy, car ce me seroit une grande consolation, & la chose que plus je desire en ce monde. Or quand nous jouons ensemble, & nous

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mordons lung lautre, je leur dy tousjours quelque chose en loreille, les appellant par leurs noms & surnoms, en leur demandant silz parlent point. de laquelle chose ilz sont aussi estonnez que si cornes leur venoyent : Car voyans cela, il ne scavent que penser, si je suis homme desguisse en chien, ou chien qui parle. Et affin que je die tousjours quelque chose, & que je ne demeure sans parler, je me prens a crier, au meurtre, bonne gens, au meurtre. Adonc tous les voisins sesveillent, & se mettent aux fenestres. Mais quand ilz voyent que ce nest que mocquerie, ilz sen retournent coucher. Cela faict, je passe en une aultre rue, & crye tant que je puis : aux larrons aux larrons : les boutiques sont ouvertes. Ce pendant quilz se lievent, je men voys plus avant, & quant jay passe ung coing de rue, je commence a crier, au feu, au feu : le feu est en vostre maison. Incontinent vous les verriez tous saillir en place les ungs en chemises, les aultres tous nudz, les femmes toutes deschevelees, cryans : ou est ce ? ou est ce ? Et quant ilz ont prou este en ceste sueur, & quilz ont bien cherche et regarde par tout, ilz trouvent a la fin que ce nest rien, dont sen retournent achever leurs besongnes, & dormir seurement. Puis quant jay bien faict toutes les follies de mes nuictz attiques, jusques au chapitre. Qui sunt leues & importuni loquutores. pour mieulx passer le demourant de mes phantasies, ung peu devant que je jour vienne, je me transporte au par de noz ouail

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les, faire le loup en la paille : on je men voys desraciner quelque arbre mal plante : ou brouiller & mesler les filetz de ces prescheurs : ou mettre des os & des pierres au lie du tresor que Pygargus lusurier a cache en son champ : ou je voys pisser au potz du potier, & chier en ses beaulx vases. Et si dadventure je rencontre le guet, jen mors troys ou quatre pour mon plaisir, & puis je men fuy tant que je puis, cryant, qui me pourra prendre, si me prenne. Mais quoy quil en soit, si suis-je bien marru que je ne trouve quelque compagnon lequel sache aussi perler. Toutefoys si ay je bonne esperance den trouver, ou il nen y aura point au monde. Voyla Gargilius avec tous ses chiens qui sen va a la chasse, je men voy esbattre avec eulx, affin de scavoir sil en ya point en la compagnie quelcun qui parle. Dieu gard les compagnons, dieu gard espagnol mon amy. dieu gard mon compagnon levrier. Ouy dea, ilz sont tous muetz : au diable le mot que lon scauroit avoir deulx. nest ce pas pitie ? Puis que ainsi est que je nen trouve pas ung qui me puisse respondre, je vouldrois scavoir quelque poison ou herbe qui me feist perdre la parolle, & me rendist aussi bien muet quilz sont. Je seroye bien plus heureux que de languir ainsi du miserable desir que jay de parler & ne trouver oreilles commodes pour ce faire, telles que je les desire. Et toy compagnon, ne scaurois tu rien dire ? Parlez a des bestes. Dy he matin, parle tu point ? ¶Pampha

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gus. Qui appelles tu matin ? Matin toy mesmes. ¶Hylactor. He mon compagnon, mon amu pardonne moy, sil te plait, & maccolle, je te prie. Tu est celuy que jay le plus desire & chercher en ce monde. Et voyla ung sault pour lamour de Diane, qui ma rendu tant heureux en ceste chasse, que je ya y trouve ce que je cherchoye. En voyla encor ung autre pour toy gentil Anubis. Et cestuy la pour Cerberus, qui garde les enfers. Dy moy ton nom sil te plait. ¶Pamphagus. Pamphagus. ¶Hylactor. Est-ce toy, Pamphagus mon cousin, mon amy. Tu cognois donc bien Hylactor. ¶Pamphagus. Voire dea, je cognois bien Hylactor. ou est il ? ¶Hylactor. Cest moy. ¶Pamphagus. Par ta foy ? Pardonne moy hilactor mon amy, je ne te pouvoye recognoistre, car tu as une oreille couppee, & je ne scay quelle cicatrice au front, que tu ne soulois pas avoir. dont test venu cela ? ¶Hyla. Ne ten enquiers plus avant, je te prie, la chose ne vauldroit pas le racompter, parlons dautre matiere. Ou as-tu este, & quas tu faict depuis que nous perdismes nostre bon maistre Acteo? ¶Pamphagus. Ha, le grand malheur, tu me renouvelles mes douleurs. O que je perdiz beaucoup en sa mort, Hilactor mon amy : Car je faisoys grand chere lors, ou maintenant, je meurs de fain. ¶Hylactor. Par mon serment nous avions bon temps, quand je y pense. Cestoit ung homme de bien que Acteon, & vray gentil homme, car il aymoit bien les chiens. On neust ose frapper

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le moindre de nous, quoy quil eust faict. Et avec cela que nous estions bien traictez tout ce que nous pouvions prendre, feust en la cuisine, au gardemanger, ou aillieurs, estoit nostre. sans que personne eust este si hardy de nous battre ou toucher. Car il lavoit ainsi ordonne. pour nous nourrir plus liberalement. ¶Pamp. Helas, il est vray. le maistre que je sers maintenant, nest pas tel, il sen fault beaucoup : car il ne tient compte de nous, ny ses gens ne nous baillent iren a manger la plus part du temps : & toutes les foys que lon nous trouve en la cuysine, on nous hue, on nous hare, on nous menace, on nous chesse, on nous bat tellement que nous sommes plus murdris & deschirez de coups, que vieulx coquins. ¶Hylactor ; Voyla que cest, Pamphagus mon amy, il fault prendre en pacience. Le meilleur remede que je sache pour les doleurs presentes cest doublier les joyes passees en esperance de mieulx avoir. Ainsi que au contraire, le souvenir des maulx passez sans crainte diceulx, ny de pis, faict trouver les biens presens bien meilleurs, & beaucoup plus doulx. Or scais tu que nous ferons Pamphagus mon cousin ? Laissons leur courre le lievre, & nous escartons toy & moy pour deviser une petit plus a loisir. ¶Pamphagus. Jen suis content, mais il ne nous fault gueres demourer. ¶Hylactor. Tant peu que tu vouldras, peult estre que nous ne nous reverrons de long temps. Je seray bien ayse de te dire plusieurs choses, & den entendre aussi de oy.

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Nous voicy bien Ilz ne nous scauroient veoir en ce petit boscage. Et puis leur gibbier ne sadresse pas pardeca. Ce pendant je te demanderoye voluntiers si tu scays point la cause pourquoy toy & moy parlons, & tous les autres chiens sont muetz, Car je nen trouvay jamais qui me sceust rien dire fors que toy, et si en ay beaucoup veu en mon temps. ¶Pamphagus. Nen scais tu rien ? Je te la voys dire. Te souvient il bien quand noz compagnons Melancheres, Theridamas, & Oresitrophus faillirent sus Acteon leur bon maistre, & le nostre, lequel Diane avoir nouvellement transforme en serf, et que nous autres accourrusmes, et luy baillasmes tant de coups de dentz, quil mourut en la place ? Tu dois scavoir (comme jay depuis veu en je ne scay quel livre qui est en nostre maison). ¶Hylactor. Comment ? tu scais donc bien lire. ou as-tu apprins cela ? ¶Pamphag. Je le te diray apres : mais escoute cecy premierement. Tu doys entendre que quand ung chascun de nous faisoit ses effortz de le mordre, dadventure je le mordiz en la langue, laquelle il tiroit hors de la bouche, si bien que jen emportay une bonne piece que javallay. Or dict le compte, que cela fust cause de me faire parler, il nya rien si vray : car aussi Diane le vouloit. Mais pource que je nay point encores parle devant les hommes, on cuyde que ce ne soit qune fable : toutesfoys si est on tousjours apres pour trouver les chiens qui mangerent de la langue Dacteon serf. Car le livre

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dict quil y en eust deux, bont jen suis lung. ¶Hylactor. Corbieu je suis donc lautre : car jay souvenance que jen mangeay ung bon loppin de sa langue. Mais je neusse jamais pense que la parolle me fust venue a cause de cela. ¶Pamphagus. Je tasseur Hylactor mon amy, quil est ainsi que je le te dy : car je lau veu en escript. ¶Hylactor. Tu es bien heureux de te cognoistre ainsi aux livres, ou lon voit tant de bonnes choses. Que cest ung beau passetemps, je vouldroye que Diane meust faict la grace den scavoir autant que toy. ¶Pamp. Et je vouldroye bien que je nen sceusse ja tant, car de quoy sert cela a ung chien, ny le parler avec ? Ung chien ne doibt autre chose scavoir, sinon abayer aux estrangiers, servir de garde a la maison, flatter les domestiques, aller a la chasse, courir le lievre, et le prendre, ronger les os, lescher la vaisselle, & suivre son maistre. ¶Hylactor. Il est vray : mais toutesfoys si faict il bon scavoir quelque chose davantage : car on ne scait ou lon se trouve. Commet ? tu nas donc point encore donne a entendre aux gens, quetu scais parler ? ¶Pamphagus. Non. ¶Hylactor ; Et pour quoy ? Pamphagus. Pource quil ne men chault : car jayme mieulx me taire. ¶Hylactor. Toutesfoys si tu voulois dire quelque chose devant les hommes, tu scais bien que les gens de la ville non seulement te iroyent escouter, sesmerveillans, & prenans plaisir a te ouyr : Mais aussi ceulx de tout le pays a lenviron, voire de tous costez du monde viendroyent

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a toy pour te veoir, & ouyr parler. Nestimes tu rien veoir a lentour de toy dix milions doreilles qui tescoutent, et autant dyeulx qui te regardent en face ? ¶Pamphagus ; Je scay bien tout cela. Mais quel prouffit men viendroit dadvantage ? Je nayme point la gloire de cause, affin que je le te dye : car avec ce que ce me seroit une paine, il ny auroit si petit coquin a qui il ne me faillist tenir propos, et rendre raison. On me tiendroit en chambre, je le scay bien, on me croteroit, on me pigneroit, on maccoustreroit, on madoreroit, on me doreroit, on me doreltotteroit. Bref, je suis bien asseure que lon me vouldroit faire vivre autrement que le naturel dung chien ne requiert. Mais. ¶Hylactor. Et bien, serois tu pas content de vivre ung petit a la facon des hommes ? ¶Pamphagus. A la facon des hommes ? Je te jure par les trois testes de Cerberus, que jayme mieulx estre tousjours ce que je suys, que plus avant ressembler les hommes, en leur miserable facon de vivre, quand ne seroit ja que pour le trop parler dont il me fauldroit user avec eulx. ¶Hylactor. Je nesuis pas de ton opinion. Vray est que je nay point encores parle devant eulx. Mais sans cela que javoye en phantasie de trouver premierement quelque compagnon qui sceut parler comme nous, je neusse par tant mis a leur dire quelque chose : car jen vivroye mieulx, plus honorablement, & magnifiquement. Ma parolle seroit preferee a celle de tous les hommes,

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quoy que je disse : Car incontinent que jouvriroye la bouche pour parler, lon feroit faire silence pour mescouter. Ne scay je pas bien que cest que des hommes ? Ilz se faschent voulentiers des choses presentes, accoustumees, familieres, et certaines, et ayment tousjours mieulx les absentes, nouvelles, estrangeres, et impossibles. Et son si sottement curieux, quil ne fauldroit qune petite plume qui seslevast de terre le moins du monde pour les amuser tous quantz quilz sont. ¶Pamphagus. Il nya rien si vray, que les hommes se faschent douyr parler ling lautre, et vouldroyent bien ouyr quelque chose ailleurs que deulx mesmes. Mais considerez aussi, qua la longue il leur ennuiroit de te ouyr causer. Ung present nest jamais si beau ne si plaisant que lheure quon le presente, et que avec belles parolles on le faict trouver bon. On na jamais tant de plaisir avec Lycisca que la premiere foys que lon le couvre. Ung collier nest jamais si neuf, que le premier jour quon le mect : Car le temps envieillit toutes choses, et leur faict perdre la grace nouveaute. Auroit lon prou ouy perler les chiens, on vouldroit ouy parler les chatz, les beufs les chevres, les ouailles, les asnes, les porceaulx, les pulce, les oyseaulx, les poissons, et tous aultres animaulx. Et puis quauroit lon davantage quand tout seroit dict ? Si tu consideres bien, il vault mieulx que tu soys encores a parler, que si tu eusse desja tout dict. ¶Hylactor. Or je ne men

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pourrois pas tenir longuement. ¶Pamphagus. Je men raporte a toy, on te aura en fort grand admiration pour ung temps, on te prisera beaucoup, tu mengeras de bons morceaulx, tu seras bien servy de tout, excepte que lon ne te dira pas, duquel voulez vous ? car tu ne boys point de vin, comme je croy : au reste, tu auras tout ce que tu demanderas : Mais tu ne seras pas en telle liberte que tu desireroys : Car bien souvent il te fauldra parler a lheure que tu vouldrois dormir, et prendre ton repoas. Et puis je ne scay si a la fin on se faschera point de toy. Or il est emps de nous retirer par devers noz gens, allons nous en a eulx ; mais il fault faire semblant davoir bien couru & travaille, et destre hors daleine. ¶hylactor. Quest ce que je voy la au chemin. ¶Pamphagus. Cest ung paquet de lettres, qui est umbe a quelcun. ¶Hylactor. je te prie desplie le, et regarde veoir que cest, Puis que tu scais bien lire. ¶Pamphagus. Aux antipodes superieurs. ¶Hylactor. Aux antopodes superieurs ? ¶Pamphagus. Les Antipodes inferieurs, aux Antipodes superieurs. ¶hylactor. Mon dieu, quelles viennennt de bien loing. ¶Pamphagus. Messieurs les Antipodes, par le desur que nous avons de humainement converser avec vous, a celle fin dapprendre de vos bonnes facons de vivre, & vous communiquer des nostres, suyvans le conseil des astres, avions faict passer par le Centre de la terre 

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aulcuns de noz gens pour aller par devers vous : mais vous ayans aperceu cela, leur avez estouppe le trou de vostre coste, de sorte, quil fault quilz demeurent ax entrailles de la terre.Or nous vous prions que vostre bon plaisir soit leur donner passage : autrement nous vous en ferons sortir pardela de tant de costez, et en si grande abundance, que vous ne scaurez au quel courir. Tellement, que ce que lon vous prie faire de grace et amour, serez contrains souffrir par force, a vostre grande honte et confusion. Et A dieu soyez. Voz bons amys les Antipodes inferieurs. Voyla bien des nouvelles. ¶Hylactor. Cest mon, & merveilleuses. ¶Pamphagus. Escoute, on me husche. il men fault aller nous lirons le demeurant des lettres ne aultre foys. ¶Hylactor. Mais ou est ce que tu les mettras ? Cache les la en quelque troi de ceste pyramide, et les couvre dune pierre, on le les trouvera jamais, et puis au jourdhuy a quelque si nous sommes de loysir, ou demain qui est le jours des Saturnalles, nous les viendrons achever de lire : car jespere quil y aura quelques bonnes nouvelles, aussi bien te veulx je apprendre plusieurs belles fables, que jay ouy racompter autrefoys : comme la fable de Prometheus, la fable du grand Hercules de Libye, la fable du jugement de Paris, la fable de Saphon, la fable de Erus qui revesquit, et la chanson de Ricochet, si dadventure tu ne la scaiz. ¶pamphagus. Tu men bailles bien. je suis tout

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verses de telles matieres. Haston nous. je te prie, et nous taisons, que noz gens qui sont icy pres, ne nous oyent parler. ¶Hylactor. Je ne parleray donc meshuy ? Si feray par Diane, si je puis estre en nostre maison : car je ne men pourroie plus tenir, Adieu donc. ¶Pamphagus. Et noublie pas de bien ouvrir la bouche, et tirer la langue, affin de faire les mines davoir bien couru. ¶Pamphagus. Ce follastre Hylactor ne se pourra tenir de parler, affin que le monde parle aussi de luy. Il ne scauroit dire si peu de parolles quil nssemblist tantost beaucoup de gens, et que le bruit nen coure incontinent par toute la ville, tant sont les hommes curieux, et devisans voluntiers des choses nouvelles et estrangeres.

Fin du present Livre intitule Cymbalum Mundi, en Francoys Imprime nouvellement a Lyon par Benoist Nonnyn imprimeur demourant audict lieu en la rue de Paradis.

M.D.XXXVIII.

Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

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