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1440-Le passe temps Michault

Texte critique de l'édition imprimée sans lieu ni date - 2e moitié du XVe siècle.

Le texte donné ici a été corrigé en recourant aux manuscrits accessibles dans les cas suivants : vers faux sur le plan métrique, vers faux sur le plan rimique, vers manquants.a été corrigé en recourant aux manuscrits accessibles dans les cas suivants : vers faux sur le plan métrique, vers faux sur le plan rimique, vers manquants.

  Le passe temps Michault nouvellement imprimé
   
  Cy commence le passe temps Michault
   
  Je pensoye, n’a pas sept ans[1],
  Ainsi qu’on pense a son affaire,
  Par maniere d’un passe temps,
  Ainsi comme en lieu de rien faire,
5 Mais a renouer et refaire
  Trouvé trop en mes pesans fais:
  A longue voye, pesant faiz.
   
  Et quant j’euz bien par tout pensé
  Il m’alla aprés souvenir
10 De la joye du temps passé
  Et de la douleur advenir
  Ou il me vonviendra venir
  Car ainsi va qui ainsi s’atourne :
  [Temps passé jamais ne retourne.]
   
15 Comme j’euz mollé et empraint
  Mes faitz et en mon cueur escript
  Pensé, ainsi que s’il qui craint,
  Que j’avoye mon preterit
  [Jeune de corps et d'esperit,]
20 Gasté, dont fus bien esperdu :
  Ou conseil n’a tout est perdu.
   
  Au futur gisoit l’aventure
  De ma douleur ou de ma joye.
  Autre espoir n’autre couverture
25 N’autre remede n’y songeoye,
  Fors que pensant mon frain rongeoye
  En la face de mes ans cours :
  A mal prochain, hastif secours.
   
  De ma jeunesse au meilleur point,
30 Ainsi que ses ans on compasse,
  Encore ne pensoye point
  Comment temps s’en va et se passe
  En peu d’heure [et] en peu d’espace,
  Et la nuit vient aprés le jour :
35 Contre joie a plaisant sejour.
   
  A celle heure que je vous compte
  Le temps joyeusement passoye,
  Je ne tenoye de riens compte,
  A nulle chose ne pensoye,
40 Ou pent fille ou pent[2] soye
  Qu'on fait aux champs, qu'on fait aux bourgs :
  Cueur lié ne sone que labours.
   
  Je n'estoye mort ne malade,
  Ne fortune ne me troubloit,
45 Je faisoye[3] ditz et balade,
  Et le temps mes doulx ans embloit,
  A celle heurre il me sembloit
  Qu'il ne me fauldroit jamais rien :
  De maison neufve, vielz merrien.
   
50 Comme cil que jeunesse maine
  Pour le temps qu'ainsi me plaisoit,
  Ung mois ne m'estoit pas sepmaine,
  Ung an q'ung moys[4] ne me faisoit,
  Mon cueur en rien ne meffaisoit
55 Qu'a maintenir joyeuseté :
  Toujours n'est pas joyeulx esté.
   
  Ainsi jeunesse me maintint[5]
  Et quant j'euz beaucoup sejourné
  Dedans la sienne me main tint[6]
60 Et dist qu'estoit[7] a ce jour né
  Le bien ou j'estoye adjourné
  Elle me bailla ce lardon :
  A jeune poussin, peu de lardon.
   
  Neantmoins tousjours comme dessus
65 Mon fait en jeu s'entretenoit,
  Point ne cudoye[8] estre deceuz :
  D'envieillir ne me souvenoit,
  Et jour alloit, et jour venoit,
  Et le temps se passe tous dis :
70 Quant bergier dort, lou vient tousdis[9].
   
  Ainsi donc qu'en[10] jeunesse estoye,
  Sans tenir reigle ne compas,
  Et le temps par mes ans hastoye,
  Que je ne m'en guetoye pas.
75 Vieillesse m'attendoit au pas
  Ou elle avoit mis son embusche :
  Qui de joy yst, en dueil tresbuche.
   
  Et la perdy tout l'appetis
  De chanter, car dame Vieillesse
80 Tollu a donc tout l'appetis
  De ma joye et de ma lyesse,
  Dont il conviendra que je lesse
  Le dicter et le rimoyer :
  Aprés le rire, lermoyer,
   
85 En mon joly temps fuz estrains
  De faire virelaiz de flours,
  Or suis je maintenant contrains
  A faire ballades de plours
  En complainte de mes doulours
90 Pour mon temps qu'ay gasté en vain :
  Telle plume, tel escripvain.
   
  En mon estude florissant
  Jadis a dicter apprennoye,
  Ou avoit mainte yssant,
95 Sur quoy mes matieres prenoye,
  Et or en pleurs mon cueur pré noye,
  Ainsi est mon fait tout divers :
  Chappeaulx ne son pas tousdis[11] vers.
   
  Aux escoles d'amours haultaines
100 Usay tous mes beaulx jours feriz,
  Mais les ruysseaulx et les fontaines
  De ma joye sont tous tariz,
  Et les fosses tous actariz
  Ou je p[u]isoye faitz d'aymer :
105 Sur arbre doulx, fruict plain d'amer.
   
  Ainsi m'a tollue et ostee
  Toute ma joye et mon deport
  Vieillesse, par mes ans hastee
  Et destruict le havre[12] et le port
110 Ou tout le gracieux apport
  De mon doulx plaisir arrivoit :
  Qui vit changer dueil a ris[13] voit
   
  Vieillesse adonc rompyt le matz
  De ma nef je le voy [moult] bien,
115 Dont venoit l'espargne et l'amas
  De toute ma joye et mon bien,
  Si ne scay encore combien
  J'ay de temps et d'aage a durer :
  Qui vit, il fault tout endurer.
   
120 J'estoye de joye atourné
  Du temps que jeunesse hantoye,
  Mais le temps est bien retourné :
  Je pleure ce que je chantoye,
125 De vieillesse le droit parfont :
  Les regretz les douleurs parfont.
   
  Helas ! se j'eusse eu congnoissance
  De ce que j'ay depuis trouvé,
  Ou que maintenant congnois, sans ce
130 Que je l'eusse adonc esprouvé
  Ja n'eusse esté prins ne prouvé,
  Ainsi de joye degarny :
  Mal vit qui n'est a desgarny.
   
  Bien seusse, se j'eusse eu en ce sens,
135 Quant de jeunesse j'estoye es mains,
  Que temps passe, comme je sens
  A toutes heures, soirs et mains,
  Mais je ne cuydoye mains
  Du bien dont mon cueur est yssu :
140 Drap s'uze comme il est tissu.
   
  Jeunesse ou peu de gouverne a,
  Pour ce que de bon cueur l'amoye,
  Mon fait et mon sens gouverna,
  Se faulte y a, la coulpe est moye,
145 Chose n'y vault que je larmoye
  Et n'y feisse riens qu'ouvrer :
  Temps perdu n'est a recouvrer.
   
  Jeunesse m'a donc introduit[14],
  Qui conseil et corps a legier,[15]
150 A sa plaisance et non trop duit[16],
  Pour moy de vieillesse[17] alleger.
  Mais [a]mon docteur alleguer
  Aucune honte peusse avoir :
  Trop cuider vient de peu sçavoir.
   
155 Jeunesse au temps que je la vis[18]
  A sa guise me gouvernoit.
  Je n'avoye mis l'advis
  Que finer il me convenoit,
  Et pareillement, convenoit
160 A icelle devant sa mort :
  Jeune cerf paist ou il s'amort.
   
  Me suis en jeunesse repeu
  D'espoir vivre tousjours en joye,
  Doubtant d'estre arriere peu,
165 Mais avoir des biens a montjoye,
  Ce propos jamais ne changoye,
  Baings de joye on ne vit si flotz[19] :
  Nouvelle Sainct Jehan, neufz sifflotz,
   
  Tout se change et prent nouveau terme,
170 Assez de son compte on rabat[20]
  D'an en an et de terme en terme;
  Vieillesse; qui es cueurs s'embat,
  En l'homme toute joye abat
  Et change manière et propos :
175 Changer n'y vault pintes pour potz.
   
  D'esperance[21] diversement,
  Puis que vieillesse n'y vault rain,
  Je suis changé diversement,
  Lyé au premier, triste ou derrain,
180 Se je fuz d'or, je suis d'arain,
  Oncques ne passé pire pas :
  Qui bien change n'empire pas.
   
  Esperance qui doulx laict a
  De mon jouvent assez grant cours
185 Si me nourryt et alaicta
  Au courre aprés [a] ses grans cours,
  Si me promist aucun secours,
  La mehocquay a ung chardon :
  A grant pormesse, eschars don.
   
190 A court mes ans legier passay,
  En mengant mainte souppe grasse,
  A espargner riens ne pensay
  Ne me challoit fors d'estre en grace,
  Mais vieillesse, qui tout desbrace
195 M'a ores prins a pié levé :
  A menger fault qui a lavé.
   
  Je voy bataille, se me semble
  Qui me fait ja le cueur faillir,
  Vieillesse et povreté ensemble
200 Me commencent a assaillir,
  Je sçauroye bien ou saillir
  Aufort se povreté ne fust :
  Arme ne craint ne fer ne fust.
   
  Se povreté, sans dire rente
205 Venoit pour moy la teste fendre,
  Je n'ay pas ung denier de rente,
  Pour moy encontre elle deffendre,
  Si la me fault garder deffendre
  Qu'elle ne me guecte au passaige:
210 Celuy qui ne la craint n'est pas saige.
   
  De vieillesse suiz bien content,
  Bien sçay qu'il fault vieil devenir
  Et si scay [je] bien que on tend
  Tousjours a sa fin [par]venir,
215 Mais ou elle peult advenir
  Elle point, picque et si mort :
  Povreté est pire que mort.
   
  Qui est riche competamment
  Et vieil aufort n'en peult chaloir :
220 Ses biens laisse en son testament
  Et enrichist de son vouloir,
  Mais povre et vieil, c'est pour douloir
  Il n'est point de telle misere :
  Mal vit qui en danger mis ere[22]
   
225 Dueil n'est qu'estre en dolens sejours,
  Si n'est au monde tel dangier
  Qu'estre povre et vieil en ses jours
  Car de tout fail a le danger,
  Mal vit qui n'a que vendanger,
230 Que soyer ne que moisonner :
  Povre ne doit ces motz sonner,
   
  Povre et vieil si n'a pascience,
  En desespoir tous les jours vit,
  Quiert follie et non pas science
235 Et plaint le temps que les jours vit
  Que rien a son fait ne pourvit,
  Mais est tard, a ses jours pensé :
  A ravoir n'est le temps passé.
   
  De povre homme a de povres songes,
240 De povre sainct, povre chappelle,
  Povre homme, ce n'est pas mensonges,
  La mort huche, la mort appelle,
  A tout sa houe, a tout sa pelle
245 Mais la mort fait l'oreille sourde :
  Mal n'est qu'en povreté ne sourde.
   
  Chiere adés honteuse et confuse
  Fait povre homme et fol se reprouche,
  Mort requiert, mort le reffuse
  Ne ja de plus prés ne l'approuche,
250 Puis vient povreté qui l’acroche
  Parmy ses membres, a ses drois
  Povre et vieil est mis a ses drois.
   
  Povre temps passe, pleure et plaint,
  Pleure sepmaines et pleure temps
255 Qu'il a gaasté et se complaint
  Que mort ne cloust ses yeulx plourans,
  Et het ses jours mal coulourans,
  Esquelz fait moulin ne four n'a :
  Tel pain meng'on qu'on enfourna.
   
260 Qui ne met la main a la paste
  A luy pourvoir en temps decent
  Porter luy fault au four la paste,
  Povreté n'en sauve ung de cent,
  Nul confort d'elle ne descent,
265 Tant qu'on est de mort embrassé :
  Boyre fault comme on l'a brassé,
   
  De povre, s'il est qui mendye
  Qu'a espargner paine n'a mis,
  Qu'est cure s'il est qui mendye
270 Et qu'il n'ait ne parens ne amis
  Ne nulz affins fors ennemys ?
  En quel dangier c'est il bouté ?
  En povreté ne maint bonté.
   
  De larrecin tousdis famez
275 Est povre sans allegement,
  Et d'un chascun tous diffamez
  E[s]t reprouchable[23] en jugement
  Pource que devant juge ment
  Et que ses ditz ne sont a croire[24]
280 Songer ne fault qui veult accroire
   
  Il faut dire la verité :
  Povre est a tout mal ataché,
  Combien que sa l'a herité[25],
  De ce meffait n'est entaché.
285 Est bien meschant qui n'a taché
  A espargner dedans son aage :
  Menton soustenu, souef nage.
   
  De ce que sa rente luy livre
  Vit vieil homme et [est] a repos,
290 En sa maison on lit ung livre
  Ou mande du vin a trois potz
  Pour fuir le laz Atropos,
  Qui est la mort, dont nul n'eschape :
  Mantel d'un sac n'est nul temps chappe.
   
295 Puis d'un psëaulme ou d'une laude,
  Quant son disner voit appresté,
  Mercie dieu et le laude
  Des grans biens que lui a presté
  Et voit qu'il n'a riens emprunté
300 Et que ce qu'il a est a luy :
  Aise est qui ne prie nulluy,
   
  Et la son temps passé[26] recorde
  Et au recorder prent soulas,
  Et puis a raison se recorde
305 Quant vieillesse le tient sobz las,
  Et ce de vivre est saoul et las,
  Il est bien content de mourir :
  Pomme ne vault rien sans meurir.
   
  Vieillesse luy change ses meurs.
310 A Dieu rend tous ses esperitz
  Et peu prise, quant il est meurs,
  De jeunesse les grans perilz,
  Dont est hors sans estre periz,
  Sans rompre jambe ou bras briser :
315 Bonne vie fait a priser.
   
  Aprés se dispose et ordonne
  A son vouloir et a sa guise
  Et de ses biens laisse et ordonne
  Pour les ausmoner a sa guise[27]
320 Puis aux povres, puis a l'eglise,
  Qui chante pour luy maint psëaulme :
  Riens ne fait qui ne sauve l'ame[28].
   
  Ainsi fait homme vieil et riche,
  Au moins s'il est de bon affaire,
325 Mais vieil a qui le poil herisse
  De povreté ne peut ce faire,
  S'il fault le riche contrefaire
  Et il ne peult, adés est pis :
  Champt est bon qui a des espis.
   
330 Ainsi en vieillesse[29] s'aise on
  Sans estre en riens contumassé.
  Mais qu'on ait en bonne saison
  Des biens pour sa vie amassé !
  A Gaultier le dis, a Macé :
330 Qu'i facent guet a la barriere ;
  Bon fait garder le pié derriere !
   
  Quel povreté d'estre en vieillesse
  Et riens avoir ! j'atens ces griefz :
  Amassé n'ay pour vieillesse.
340 Faire n'en fault lettres ne briefz :
  Mes ans sont cours: mes jours sont briefz
  Et povreté de son bers sault
  A fort archier ferme bersault[30].
   
  Qui est fol, ce dient ly gent,
345 Au temps futur ne prent rien garde,
  Mais qui est saige et diligent
  De point et heure il [y] regarde.
  Ou qui a des biens si les garde !
  Gecter l'aval sien ne fault :
350 Bon est ce qu'a besoing ne fault.
   
  Voulentiers fëisse quelque œuvre
  Pour mes beaulx jeunes jours ravoir.
  Mais temps passé ne se recouvre,
  Car pour rien ne le puis ravoir,
355 Ne pour argent, ne pour avoir.
  Vielz homs ne peult rajouvenir :
  Jeune cueur fait rage au venir.
   
  Aprés le matin vient la nuyt,
  Aprés jeunesse vieillesse vient.
360 Qui n'a riens adonc il ennuyt
  Et du temps passé luy souvient.
  Puis pour le mal qui lui sourvient
  Il souhaite huy, il souhaite hyer :
  Povre n'a bien qu'a souhaityer.
   
365 Aprés dit maintenant que n'ay Je
  La joye que jadis m'advint ?
  Et ne se souhaite qu'en aage
  De dixhuit ans ou de vint :
  C'est le temps qu'amoureux devint[31].
370 Il feroit merveilles encor :
  Joye de vieil chien gist en cor.
   
  Povre homme et viel a douleurs cent,
  Quant penser lui fait souvenir
  Du temps qu'il fut adolescent[32]
375 Et qu'il estoit en son venir,
  Car tel ne peult redevenir.
  C'est ce que son bien amendrist :
  Qui entre en grant joye a mendre ist[33].
   
  Au monde a entree et yssue
380 Et a entree tout par tout
  On y a si chault qu'on y sue
  C'est jeunesse que lors on bout
  Et apres l'yssue le bout
  C'est vieillesse froide que glace
385 Temps se passe tousdis et glace.
   
  En jeunesse chault et bouilyant
  On est souvent soubz ces faulx bers
  Avec[ques] sa mye bouillant
  Pource qu'on est en ces saulx bers[34]
390 Qu'en vieillesse, car le revers
  On treuve alors, dont est meschance :
  Tousjours ne queurt pas une chance.
   
  En vieillesse qui voir retraict,
  Vieulx homme n'a plus cure de jeux.
395 Il est tout moullié et retraict
  Et a tout vendu son vertjus.
  Pour monter n'aller sus ne jus
  Ne rompera jamais sa chausse :
  Qui tel pié a, tel soulier chausse.
   
400 Son beau cuir luy devient basanne.
  Il ne luy convient plus destrier,
  Mais chevaucher sur ung bas asne,
  Ou il ne faille point d'estrier,
  Huy a senestre, a dextre hyer,
405 Non le hault chemin, mais le bas :
  Sur le jarret blesse le bas.
   
  De vieil et de jeune ay parlé
  Et de povre et de riche aussi,
  Ay aussi par lon et par lé
410 En mes vers et ay dit aussi
  Que povre et vieil vit en soucy
  Et riche de doubte n'a point :
  Bon fait mener sa vie a point.
   
  Qui est riche, bel se[35] importe
415 Et, grace dieu, adés espere
  Qui est povre, humblement se porte
  Ja pour ce ne se desespere.
  Le courroux ne vault une poire
  Et les vertus font riche l'ame :
420 [Nulz n'est sauvez pour riche lame.
   
  Se pouvre suis, c'est ma deserte]
  Je n'ay point au temps entendu.
  J'ay semé en terre deserte.
  A cueillir ay trop attendu.
425 Cy fusse a ses las a tendu[36]
  Sur moy si me suis endormis :
  Chascun n'a pas chappeau d'or mis.
   
  J'ay laissé temps passer et courre
  A non challoir suis[37] asservy.
430 Venu suis aux nappes escourre
  Et, quant on a tout desservy,
  Au fort se j'ay bien desservy,
  Se confort n'est si respitié,
  Si bon n'est mort que respitié.
   
435 Printemps qui les beaulx jours amaine
  Et fait les belles fleurs flourir
  Et esté qui tient en demaine
  Tant qui fait les biens meurir,
  J'ai passé jusqu'à fleurs mourir
440 Couvers n'en voy plus les champeaulx :
  Qui a des fleurs il a chappeaulx.
   
  Helas, ou est avril et may
  Qui me soulloit joye apporter ?
  Je n'ay au cueur sinon esmay
445 Qui ne me laisse depporter,
  Car je me voy sans deporter
  Fort envieillir, dont je me dueil :
  De vieille joye, nouveau dueil.
   
  Des biens deusse avoir assemblé
450 Pour mes vieilz jours et mis en granche
  Or suis-je sans avoyne et sans blé
  Qui ma douleur croist et engranche[38],
  Toute richesse m'est estranche[39],
  Dont povreté me fuit grans fruis :
455 Qui arbre n'a ne queult grans fruictz.
   
  Authomne, terrouer tresnoble,[40]
  Saison qu'on ne peult trop louer,
  Plaine de blé et de vignoble
  (Pour ses jours en joye alouer
460 Sans riens a mars marche louer)
  L'esté passé, en yver[41] entre
  De vuyd gardemenger vuyd ventre.
   
  A l'yver, qui est grant et frois,
  Suis venu hors de joye j'ys[42],
465 Dont je doubte les grans effrois
  Qui pourront courre en mon logis,
  Car en ung hostel loge et gis
  Ou de toutes pars bise vente :
  Ou riens n'a, tout est mis en vente.
   
470 De mon fait me doubte forment,
  Car povre et doloreux vieillard
  Qui n'a pain, ne fleur, ne forment,
  Ne se peult ayder de vil art.
  Se j'eusse des pois et du lard,
475 Je feusse bien en mon retrait :
  Qui est sage a temps se retraict.
   
  Je voy chascun riche fors my,
  Dont le cueur et le cuyr me tremble.
  Se j'eusse fait comme le formy[43],
480 Qui l'esté pour l'yver assemble,
  J'eusse bien ouvré, se me semble,
  Et en passasse mieulx l'iver :
  Pour le froit se musse ly ver[44].
   
  L'yver, qui vieillesse j'entens,
485 Ne doubtoye ne chose nee,
  Comme avoir affaire j'atens.
  En deduis passoye l'ennee.
  Or est la chose retournee,
  Et mes propos changez sont puis :
490 Aise est qui prent l'eau a son puis.
   
  Qui boit eau de sa citerne
  Sans l'emprunter a son voisin
  Ou qui joue de sa guiterne,
  Il ne muse pas d'ung cousin.
495 Chascun concoipve son brassin !
  Aprés toutes choses, morelles[45]
  Bon fait jouer de ses merelles.
   
  De telz buvrages en mon temps
  N'eusse jamais beu une goutte
500 Ne de toute chose montant
  Enffans je n'y veoye[46] goutte.
  Jeunesse, qui me creva la goutte,
  En sa follie me bouta :
  En choses mondaines bout a.
   
505 Jadis joyeusement fumoye[47],
  Pour joye en moy constituer,
  Mais la liesse qui fut moye
  Ne peult[48] moult bien restituer
  Ainçoys me charchent pour tuer
510 Vieillesse et poverté ces deux :
  Qui craint folz, il se garde d'eulx.
   
  Je ne creignois vent qui ventast
  En la grant jeunesse ou je fus,
  Ne temps, aussi tant se ventast
515 De moy rendre mat et confus.
  On est chault bouillant comme fus[49]
  Mais du froit on a tremprement :
  Homs ne vault sans attrempement.
   
  Les lieux especieulx fort quis
520 Pour mieulx passer temps loing et prés,
  Le beau boys qui est fort requis
  Sont a mes rivieres et prés
  Joyeuse compaginie aprés
  Et tous autres lieux delectans :
525 Tousjours se passe [a]dés le temps.
   
  J'ay tout passé et voyagié
  Sans aller jusques en Cartaige,
  Dieu mercy, qui m'a voyagié,
  Et venu jusques au quart aage.
530 Encore passé le quart ay je
  Et suis au quint tout arrivay :
  Vieille ung clou tost a rivay.
   
  Des aages sans au dos l'abscence.
  Je suis oultré, c'est verité,
535 J'euz, sans jouer, adolescence
  Juventute et virilité,
  Et, sans estre en ville herité,
  Dont gueres ne me dura nombre :
  Saige est qui du temps se renombre.
   
540 Au temps que les portz sont ouvertz
  De joye et de[50] plaisance fine
  Et [que] champs et boys sont tous verds
  Et que tout de flourir ne fine,
  Adonc de belle fleur [on] fine[51],
545 Mais yver telz biens n'entendoit :
  Qui toujours vire n'est en droit.
   
  Tout a vie, ame, cueur et corps,
  Sur quoy nature est dominans,
  Mais en tout y a boutz et cours,
550 Car si jeunesse domine ans[52],
  Vieillesse est puis au dos minans,
  Qui tout deffait incorporelle :
  Tousjours n'est beaulté corporelle.
   
  He, nature, maintz beaulx dons as
555 Que sur creatures ordonnes !
  Beaulté et force me donnas
  Si comme a chascun sa part donnes.
  Dieu, je te pry que me pardonnes
  Se voullu m'ay glorifier :
560 Ne vault soy en gloire fier.
   
  Rien ne dure beaulté ne force
  Quant vieillesse crie tuez le
  Car adonc fault en l'homme force
  Qui cest œuvre perpetuelle
565 Il fault faillir par pied ou elle
  Contre n'y vault mettre ses barres
  Le plus fort est prins a ses barres.
   
  Fol est qui c'est fort adjoustay
  A force, au temps qu'il a vescu,
570 Car celui qui mieulx a joustay
  Est souvent le premier vaincu.
  Chose n'y vault lance n'escu.
  Force et beaulté, tout a saison :
  Vieillesse met tout a raison.
   
575 S'on est bel, jeune, tendre et fort,
  Lait et malotru on devient,
  Et de ce monde, a grand effort,
  On s'en reva ainsi qu'on vient.
  Il n'y vault, envieillir convient,
580 Et puis mort vient qui temps acourse :
  Rataint de chiens est ce[r]f a course.
   
  Qui est de vieilles ractrains
  (Ceste reigle n'est mensongiere)
  De mourir doit estre certains,
585 Car elle est de mort messaigiere,
  Mal revenant et estrangere,
  Et qui d'avoir gré paine pert
  Trace de temps a peine pert.
   
  Vieillesse est [la] dame commune
590 Qui de mettre ses las ne cesse.
  Vieillesse vient aux gens comme une
  Lente beste, ainsi que l'anesse,
  Ou pas pour pas comme larnesse[53]
  Par jours, par nuys, par moys, par ans :
595 La mort se prent aux plus parans.
   
  Puis que de vieillesse despend
  La mort, aprés qui tout assomme,
  Saige est qui bien son temps despend
  Car, tout compté et mis en somme,
600 Ceste vie se n'est q'ung somme,
  Et le temps va tousjours grant erre :
  Aprés la mort ne fault grant guerre.
   
  Enveillir fault, ou sot ou saige
  Ou povre ou riche ou pour ce fait.
605 Qui despend temps en bon usaige,
  Il est de joye aprés reffait,
  En ses vieulx jours pour ce bon fait.
  Nouer sa vie riglement
  Bon[ne] est raison, ou rigle ment.
   
610 Le temps a passer bien peu couste
  Quant on est jeune et tous sains :
  Nouel, Pasques et Penthecouste,
  On desire fort la Toussains.
  Mais comme fond beurre et tous saings
615 Tout s'en va a nyent et se fond :
  Merveilles tous les jours se font.
   
  Le temps, les ans, les gens, la vie
  S'en vont et ne scet on comment.
  Au fort, qui l'a bon si l'envie.
620 Pensay y ay petitement
  De faire ung povre testament.
  Suis bien taillé, se Dieu ne m'aide :
  A piteux mal, souef remede.
   
  De toutes pars povre me sens,
625 Que je ne puis recompenser,
  Povre d'avoir, povre de sens,
  Qui ne veult a droit compasser,
  Et pour follement temps passer,
  Dont joye en mon cueur peu repaire :
630 Qui tel fruict a, tel poire paire.
   
  Or se j'ay temps en folz despens
  Passay tellement quellement,
  Il m'en desplaist  et m'en repens.
  Ou se je n'ay fait tellement
635 Que mieulx m'en fust totallement,
  Dieu me pardonne et me pourvoye :
  Confort d'amys est bon por voye[54].
   
  Assez papier et encre misse
  A mon passé temps racompter,
640 Se je ne doubtasse cremisse
  Qu'il ennuyast a escouter.
  Ung metz a l'un si peult gouster,
  A l'autre non, tant soit petit :
  Tout se mengeust a l'appetit.
   
645 Ce traicté, par povre personne
  De nouvel fait et compille,
  Qui est povre de sa personne,
  En science et peu abille,
  Pour Dieu ne soit au pié pille !
650 C'est le passe temps de Mychault :
  A grant froidure, demy chault.
   
  Explicit

 

[1] long temps

[2] peut fille ou peut

[3] pensoye

[4] Ung moys q'ung an

[5] maintient

[6] tient

[7] estoye

[8] Point je ne c.

[9] tendis

[10] quant

[11] tousjours

[12] hable

[13] en r.

[14] instruict

[15] De conseil et corps abreger

[16] pl. a non introduit

[17] en v.

[18] q. la vie

[19] telz flotz

[20] en r.

[21] Mesperance

[22] prospere

[23] reprouchables

[24] accroire

[25] la verite

[26] passe temps

[27] sa devise

[28] l'ame ne sauve

[29] est v.

[30] f. bras fault

[31] advint

[32] eut a.

[33] amendrist

[34] faulx bers

[35] vieil se

[36] attendu

[37] me s.

[38] enflambe

[39] estrange

[40] Je hante

[41] et y.

[42] j. hys

[43] fromy

[44] le v.

[45] mortelles

[46] veyoye

[47] fus en voye

[48] Me p.

[49] feulx

[50] est d.

[51] fl. dine

[52] est dominans

[53] larronesse

[54] en v.

Mais non, vous ne vous êtes pas perdu !

 

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