Dit 3 : Uns homs fut qui me demanda (MCCCLIX)
[La farce de Me Trubert et d’Antrongnart][1]
Comment un homme trova un autre en son jardin cuiellant une amende et comment il le fist mettre en prison et du jugement qui en fut fait.
1 Uns homs fut qui me demanda
2 Contre une autre, et tel demande a :
3 ― Qui avoit cueilli une amende
4 En mon vergier, doit il amende,
5 Si je m’en plaing, et maugré mien
6 D’ainsi prandre et ravir le mien
7 Et de moy faire tel dommaige ?
8 ― Es tu hom ? ― [Hé !] par Dieu d’omme ay ge
9 Le semblant, l’usaige et la fourme.
10 ― Doncques selon raison te fourme,
11 Esperit as qui tousjours dure.
12 Ne seroit [ce] pas chose dure
13 De mettre un homme, pour mangier
14 Une amende, en si grant dangier
15 Com de le condempner par juge ?
16 Garde toy que Cilz qui tou juge
17 Pour si petit ne te condempne :
18 Qui autruy fait ort, il se dampne.
19 ― L’amende n’est pas de grant pris,
20 Vous dictes voir, mais cellui pris
21 En mon jardin qui me fist force,
22 Et puis que mon vergier efforce,
23 Et qu’il y entre oultre mon gré
24 Par sus les murs, c’est un degré
25 De larrecin et de mesfait.
26 Et bien sçay que plus eust mesfait,
27 Considere sa violence,
28 Se ce n’eust esté une lance, 372b
29 Dont je lui donnay sur le chief.
30 Ja n’en fusse venu a chief,
31 Mesmement que d’un grant baston
32 Me frappa, disant a bas ton :
33 ― Retourne, ou je t’assenerai !
34 Et lors en criant reviray :
35 Sur le chemin vi maintes gens.
36 La acourirent deux sergens
37 Qui demanderent : ― Qu’est cela ?
38 Lui et moy gaires ne cela,
39 Mais dist que je li ay queurs seure,
40 Et je me plains que par desseure
41 Les murs estoit contre raison
42 Entréz en clos de ma maison,
43 M’avoit villené et batu
44 Et un amendier abatu.
45 Lors me desmentit par la gueule,
46 En disant c’une amende seule,
47 Sanz avoir fait autre rompture,
48 Avoit pris en celle closture,
49 En passant par mu son chemin.
50 Lors escriprent en parchemin
51 La plainte de chascun par soy
52 Les sergns, et lors m’apperçoy
53 Qu’il disoit que batu l’avoie.
54 Lors leur dis : ― Regardéz la voie
55 Et le mur qu’il a desrompu,
56 Et si m’a le musel rompu
57 Pour prandre et ravir mon chastel
58 En ma maison, en mon chastel
59 Ou je devoie asseur estre,
60 Et si fait chascun en son estre.
61 Adonc fut menéz en prinson,
62 Onques mais ne fut mieulx prins hom. 372c
63 La est encores detenu.
64 Dictes moy, n’est il pas tenu
65 A moy qu’om doit pour ce mander
66 De la villenie amender,
67 Et mon dommaige restablir,
68 Mon mur refaire et establir
69 En l’estat qu’il estoit devant ?
70 Car s’il venoit un pou de vent,
71 Mes gardins ne seroit pas saulx,
72 Car il n’a qu’un fagot de saulx
73 Sur le trou ou li foulz passa,
74 Qui venir ne vouloit pas ça,
75 Qu’il ne fust pour ce emprinsonnéz,
76 Mais la est comme en prinson nez.
77 N’est ce a bon droit qu’om le justice
78 Et qu’il l’amende a la justice ?
79 Dont sanz moy de leenz n’ystra.
80 Son pain en plourant benistra
81 Jusques restituéz [en] soye :
82 J’en aray bien robe de soye
83 Pour donner mon consentement.
84 Se vous saviéz mon sentement
85 Et le malice que je pance
86 Itel comme il est en ma pance,
87 Et vous m’y vouléz bien aidier,
88 Veu que vous sçavéz bien plaidier,
89 Il lui cousteroit coq et poule.
90 Il ne vault rien qui ne triboule
91 Au jour d’ui ou qui ne mescompte.
92 On ne tient de prodomme compte :
93 Uns preudoms ne puet pain avoir,
94 Mais les hoqueteurs ont l’avoir,
95 Les benefices, les estas.
96 Ceulx ont a milliers et a tas 372d
97 Les vaisselles, l’argent, les ors,
98 Et si en a d’entr’eulx si ors,
99 Si malostrus, si pou saichans
100 Quant a honneur, mais fort sachans
101 Sont et tirans l’avoir mondain
102 Du peuple. Et pour ce ce monde aim.
103 Et vueil penser de mon affaire :
104 J’ay de vostre consei la faire,
105 A ma pension vous retien.
106 ― Il me couvendroit dire : « Tien ! »
107 Et de fait baillier .iiii. frans,
108 Car s’autre m’estoit plus offrans,
109 Et je n’avoie de toy erres,
110 Sanz moy pouoir dire : « Tu erres »,
111 Je[2] pourroye a sa cause aler.
112 Faut[3] faire le pousse baler
113 Qui veult avoir les advocas,
114 Avant qu’om leur die son cas.
115 C’est un noble office du bec,
116 Ou il couvient paier tout sec.
117 Si je suy de ta retenue,
118 Ta cause sera soustenue
119 Si fort et de si bon endroit
120 Que je te feray de tort droit
121 Et du droit ta partie tort,
122 Car je sçay une loy qui tort
123 Arrebours le droit de chascun,
124 Et si rescçay bien pour aucun
125 Une science qui radresse
126 Le tort : no science est maistresse
127 Du gouvernement de ce monde :
128 Je feroye de sanemonde
129 […][4]
130 Par ma parole estre un oingnon,
131 [Et] de pourcel estre sensue. 373a
132 Je feroie d’une massue
133 Un espieu trenchant et agu.
134 Je feroie par mon argu
135 Ce qui est noir devenir blanc.
136 Je feroie d’un po de sang
137 .iii. sectiers et un homme mort.
138 Je feroie d’un chien qui mort
139 Un aingnel simple et debonnaire,
140 Et d’un esprevier de bon aire
141 Feroie une chauve souris.
142 S’uns mesiaux estoit tous pourris,
143 Sain le feroie par parole,
144 Et toute foiz que je parole,
145 Par mon parler couvient et fault
146 Estre bon ce qui rien ne vault,
147 Et ce qui n’est bon ne estable
148 Faiz par ma langue profitable.
149 Je fais d’un prdomme larron,
150 Et si fais d’un mauvais garçon
151 Homme de bonne renommee.
152 Encor ay je bien la nommee
153 De faire d’un foul homme saige,
154 Et encor par contraire sçay je
155 D’un foul faire homme de science,
156 Et de mauvaise conscience
157 Faire un homme de charité.
158 Je di tousjours en[5] verité
159 En plaidoyant devant ses juges
160 Mes raisons [et] mes suterfuges.
161 Je caiche menu et souvent
162 Le droit, et arrier et avant
163 Je sçay bien desdfendre mon pal,
164 Si qu’on ne puet au principal
165 Venir de la cause ou pretoire 373b
166 Qu’il n’y aut une dilatoire,
167 Un advis, un jour de conseil.
168 Je lo mainte fois et conseil
169 Que faiz nouveaulx doubteus se treuve,
170 Si que mes maistres ait la preuve,
171 Car qui scet garder pres et loings
172 A la fois treuve des tesmoings
173 Dont on puet prouver sa besongne.
174 Je sçay proposer une essongne
175 [Et] prandre default, s’il y chiet.
176 Comme l’eure de midi chiet
177 Et partie n’est pas presente,
178 Lors di : ― Mes maistres se presente !
179 Et faiz maulgré les mesdisans
180 Une cause durer dix ans
181 Par absences et par delais.
182 C’est merveille d’avocas lays,
183 Encor plus grant de ceuls d’Eglise,
184 Car ilz sont tous de terre glise,
185 Si perilleus et si glassans
186 Que tous ly mondes par leur sens
187 Est entortilliéz a leurs cours,
188 Et desliéz, car leur recours
189 Y ont clers qui n’ont que tonsure.
190 larrons, mourdreurs, sanz escripture
191 Savoir, ont requis et rendus,
192 Qui bien deussent estre pandus.
193 Mais pitéz pour argent s’acorde
194 Que pugnicion et la corde,
195 Et le pain d’eaue et de tristesce
196 Leur soit converti en leesce.
197 Dieux ne veult du pecheur la mort.
198 Mains de telz clers ont autrui mort
199 Et font encores chascun jour, 373c
200 Qui ne font gaires de sejour
201 En leurs prinsons, s’ilz ont argent,
202 Car ce sont piteable gent.
203 Mais un vray juge seculer
204 N’oseroit ce chemin aler.
205 Encor s’uns homs est mes afins,
206 Sçay je proposer tant de fins
207 Ou je vueil jugement avoir,
208 Qu’a paines puet juges sçavoir
209 Que j’ay dit ne qu’il doit jugier.
210 Je me faiz mainte fois huchier
211 Que j’oy bien et sçay qu’om m’appelle,
212 Pour acorder quelque querelle,
213 Mais je me soustendray toudis
214 En ma parole et en mes dis.
215 Je fais doubles conclusions,
216 Je treuve tant d’evasions,
217 D’escriptures en parchemin,
218 Que toudis fault estre en chemin
219 Pour paier clercs, pour commissaires.
220 Je faiz d’escriptures trois paires
221 Ou un autre n’en feroit que une.
222 J’ay chier le plait d’une commune,
223 De grosses villes, de citéz.
224 Aux chapitres suy exitéz,
225 A ces granz abbez, a ces moingnes,
226 A ces prieurs, a ces chanoines,
227 A ces ducs, contes, chevaliers :
228 Plaiz entr’eulx voy trop voulentiers,
229 Et suy belement leur afin
230 Que leur plaiz ne prandra ja fin
231 A mon pouoir, mais pour l’un d’eulx
232 En ara toudis .iiii. entr’eulx.
233 Est ce grant frait d’avocacie ? 373d
234 Se tu m’as, pas ne te soussie,
235 Car ton plaidoié sera bon.
236 ― Sire, or me dictes vostre nom.
237 ― Mais tu le tien, se Dieux te gart.
238 ― Par foy, on m’appelle Entroingnart.
239 ― Antroingnart ? De quel lieu ? ― D’Entroingne,
240 Une bonne ville en Sauloingne.
241 Et vous, comment ? ― Maistre Trubert
242 Suy appeléz, de Saint Hubert.
243 ― Haro ! vous estes ardenoys :
244 Ailleurs avéz escaillé noys.
245 Vous sçavéz tout le sens du monde.
246 Toute science en vous habonde,
247 Par le sang Dieu, vous sçavéz tout.
248 Doulz maistre, adviséz par quel bout
249 Je pourray gaingnier ma querelle :
250 N’y laissiéz a tirer merelle.
251 Vez cy .iiii. frans. ― Doulz amis,
252 Sont ilz de pois ? ― Je les ay mis
253 Par .iiii. foys sur le buquet.
254 ― Oil, par Dieu. ― Et au drinquet
255 Les ay gaingniéz. ― Et sont ilz d’or ?
256 ― Pour moy n’avéz rien fait encor,
257 Et s’espeluchiéz si l’argent !
258 Ilz sont de bon or et de gent,
259 Du coing du Roy, et ont leur course.
260 ― Je les mettray dedenz ma bourse.
261 Ha dya ! c’est bon or, puis qu’il ploye.
262 En avéz vous plus toutevoye ?
263 ― Si ay, par Dieu, encores vint.
264 ― Or me dictes dont ce vous vint.
265 ― Du gaing du gieu de l’eschequier.
266 ― Moustrer ça, je le vous requier.[6]
267 ― Tenéz, regardéz, sont ilz grans ? 374a
268 ― Par saint Fiacre, ce sont bons frans
269 A cheval arméz pour la guerre.
270 Regardéz qu’ilz sont plains de terre :
271 Quelque part furent enterréz.
272 ― Mais tTrubert, trop fot erréz,
273 Quant vous ne penséz a mon plait.
274 Sa ! mes vint frans ! ― Aléz au plait.
275 ― De quoy ? ― Je vous ay tant parlé :
276 Vostre homme sera ravalé
277 Si fort et par tele maniere
278 Qu’il nosera lever la chiere.
279 Tenéz sa cause pour perdue.
280 Sa terre vous sera vendue,
281 Quant ma cause sera gaingnee,
282 Antroingnart. Mais qu’a ame nee
283 Ne soit dit ce que vous diray !
284 Vez ci ce que je vous ferai :
285 Il me fault trop souvent debatre.
286 Si me vouldroie un pou esbatre
287 Avecques vous, s’il vous plaisoit,
288 A quelque gieu ou l’en[7] congnoit,
289 Au drinquet a deux ou trois dez
290 Ou a un autre. Demandéz.
291 ― Je ne sçay rien qu’a la vachette.
292 ― La couvenance sera fecte,
293 Entre vous et moy, Antroingnat,
294 Que chascun mettra a sa part,
295 .xx. frans de bon or et de fin,
296 Sanz laissier jusques a la fin
297 Que tout yert gaingnié ou perdu.
298 Mais nous tirerons au festu,
299 Et cilz qui le plus grant ara 374b
300 Le gieu pour jouer eslira.
301 Est ce bien dit, que t’en semble il ?
302 ― Maistres, vous estes trop soutil
303 Et sçavéz trop de l’escremie.
304 Je [ne] m’y acorderay mie,
305 Se vous ne renoncéz avant
306 A tout plait, et m’aréz couvent
307 Que vous ne me trich[er]éz pas.
308 Si je pers, bien puis dire, helas !
309 De mauvese heure vous moustray
310 Ces .xx. frans, car plus d’agent n’ay :
311 Peschier m’en iray au pannier,
312 Plus n’aray maille ne denier,
313 Si seray chetis et meschans.
314 Mieulx me vaulsist f[o]uir mes champs
315 Et mon courtil [bien] courtillier.
316 Me vouléz vous entourtillier ?
317 De gieu ne sçai ne c’un cornart.
318 ― Nenil, par ma foy, Entroingnart.
319 Neant plus n’en sçay que vous faictes.
320 ― Il y faurroit avoir des guettes,
321 Pour jugier li droit et li tort
322 Ou nous ne serions ja d’acort.
323 ― Avéz vous paour de tricherie ?
324 ― Ouil, pour vostre advocacie,
325 Car je ne sçaroie plaidier.
326 ― Contre vous ne m’en vueil aidier,
327 Antroingnart, je le vous affie.
328 ― Se tesmoings n’y a ceste fye
329 Pour veoir et jugier des cops,
330 Des mains puissent voler mes os,
331 S’ainsis n’est fait com je recorde.
332 ― Antroingnart, je le vous acorde : 374c
333 Or nomméz ceuls qui bons seront.
334 ― Barat et Hasart jugeront,
335 Faintise qui l’eschequier garde
336 Et Happetout. ― C’est bien. Regarde.
337 A ce gieu deux festus prenons,
338 Et se li uns est li plus longs,
339 Cilz de nous deux qui [si] l’ara,
340 Le gieu pour jouer choisira.
341 ― Je le vueil : faictes les festus.
342 ― Ilz sont faiz, tiréz. ― C’est li plus
343 Grans de ces .ii. que j’ay tiré.
344 Maistre Trubet, je vous dira :
345 Tendre vous fault la main aux sains :
346 Tendéz ! ― Voulentiers, beau compains.
347 ― Juréz le tres[saint] sacrement,
348 Vostre foy, vo baptisement,
349 Tous les sains [et] toutes les sainctes,
350 Sanz penser a paroles faintes
351 Ne a equivocacions,
352 A plaiz, a advocacions,
353 A delaiz, a tous subterfuges,
354 A officiaulx et a juges
355 Tant seculiers comme d’Eglise,
356 A quelconque plait et emprise,
357 Par[8] la Passion Jhesu Crist
358 En renonçant a Droit escript,
359 A tout Decret, aux.xii. Tables,
360 Que fermes serés et estables
361 Au gieu du drinquet que je nomme,
362 Et ne vous tenceréz a homme
363 Pour vostre gaing ne pour vo perte,
364 Et s’il y a chance couverte,
365 Vous paieréz, se vous le perdéz,
366 Soit a la vachette ou aux dez, 374d
367 Au drinquet ou a autre gieu,
368 Et ne vous partiréz du gieu
369 Tant que vous aiéz [un] denier,
370 Ne pour perdre ne pour gaingnier
371 Jusques a .xx. frans sur le mains.
372 Et si tendrez les diz certains
373 Et les jugemens[9] sanz debat
374 Et de Hasart[10] et de Barat,
375 De Faintise et des regardans,
376 Et ne serés ja si ardans
377 Que vous maugriéz ne juréz,
378 Se vous tenir vous en pouéz,
379 Pour perte que vous puisséz faire.
380 ― Saincte sang Dieu ! Qu’est ce grant haire
381 D’un si grant service eschevir ?
382 Je le vueil bien. Va toy seir.
383 Mais tu jures semblablement ?
384 ― Non faiz pas, mais tout autrement,
385 Car je ne suy point advocas.
386 ― Sur dyables laisséz ces debas !
387 Il souffist qu’il tiengne no dit.
388 Seez vous, jouéz ! ― C’est tresbien dit :
389 Je serray cy. ― Et je deça.
390 Antroingnés premiers gettera.
391 Lesquels prans tu ? ― Les blans sanz faille.
392 ― Et je les noirs, vaille que vaille.
393 Gettéz. ― Pour combein ? ― Pour .ii. frans.
394 ― Je le vueil. Or voist. Il est blans !
395 Je l’ay gaingnié. Pour autres deux ?
396 ― Il me plaist, puisque tu le veuls.
397 Va de par Dieu ! ― Ou blanc est droit !
398 ― Certes non est : je di qu’il boit
399 Sur le noir. ― Barat, regardéz.
400 ― Je ne sçay. ― [Mais] vous en diréz, 375a
401 Barat. ― Il me semble tout franc.
402 ― Hasart, adviséz sur le blanc.
403 ― Il tient du noir a un costé.
404 ― Ce coup cy sera tout osté.
405 Regettéz encor ceste fois.
406 ― On me fait ort, ce n’est pas drois,
407 Mais il fait bon taire sa bouche.
408 Antroingnart, .iiii. frans vous couche.
409 Le tenéz vous ? ― Ouil, par Dieu.
410 Or suy[11] je ou blanc droit en milieu ?
411 ― Ces.iiii. prandra Antroingnart.
412 ― Or ça, Dieux en ait male part !
413 En ce biau brelan suy truans :
414 A.ii. coups ay perdu .vi. frans.
415 Pour autres .vi. vouléz vous bien ?
416 ― Couche. Je ne refuse rien.
417 Or va, va ! ― Vous l’avéz perdu.
418 Il fist ou nour tout estendu.
419 Ces .vi. frans revendront arriere
420 Devers moy. ― Est ce la maniere ?
421 ― Mettéz jus, tenéz vous en pés,
422 Car il ne fait riens es cornés.
423 ― Est ce vray ? ― Oil, a ce gieu.
424 ― Ha, sire, qu’en despit de Dieu,
425 Quant tel gieu fut onques trové,
426 Il a tost son cornet prouvé!
427 Jugiéz pour moy s’il y eschiet.
428 ― Jettéz hault ! ― Voulentiers. ― Il chiet
429 En my lieu du blanc, ce m’est vis.
430 Je l’ay gaingnié. ― J’en ay du pis,
431 Qu’en despit de la Letanie,
432 Filz de putain est qui se fie
433 En drinquet ! ― Taiséz vous ! couchéz.
434 ― Pour .iiii.[12] franc, mais y gettéz ! 375b
435 ― Veéz la ! ― il est noir tout par my.
436 Perdu l’avéz. ― Ce poise my.
437 ― Mais il me doit du coup peser,
438 Qui pour un seul franc recouvrer
439 En ay perdu .xii. du mains !
440 Je sçay trop bien faire telz mains !
441 ― Jettéz pour demi franc, beau mestre !
442 ― En despit de Dieu ce puist estre !
443 Couchez vous si petiz lopins ?
444 Je vous couche .iiii. flourins,
445 Et vous me couchéz demi franc !
446 ― C’est trop pour moy. ― il est ou blanc !
447 Demi avéz ci. ― Pour ma part,
448 Je l’ay gaingnié. ― Sire Antroingnart,
449 Couchéz bon ocup, je vous en prie.
450 ― Pour .xii. frans ? ― Et je l’ottrie.
451 Or voist a Dieu ! ― Il boit, ne vault.
452 ― Je brise ce coup. ― Gettéz hault !
453 ― Voulentiers. Est ce bien getté ?
454 ― Vous avéz le tablier bouté.
455 Ce coup ci ne doit riens valoir.
456 ― Par saint Fiacre, il n’est pas en noir,
457 Mais tout blanc, je le gaingneray.
458 ― Par Dieu, ja ne le perderay.
459 Il tient du noir. Jugiéz, Hasart.
460 ― Par ma leauté, Antroingnart
461 L’a gaingnié, et maistre Trubert
462 Par nicement getter le pert.
463 ― Je ne vous en croiray de rien :
464 Barat, regardéz ou moen,
465 Et vous, Faintise, tous ensemble,
466 Et jugiéz ce qu’il vous en semble.
467 ― Qu’en dictes vous ? ― Et vous, Barat ?
468 ― Ce Trubert en vain se debat.
469 Il l’a perdu. ― C’est donques mien. 375c
470 ― Trubers doy je estre appelléz bien :
471 On m’a fait un beau jugement !
472 Je voy que chascun jugeur ment
473 A ce gieu, dont pas ne suy aise.
474 ― Vous y mentéz, par saint Nicaise,
475 Comme faulx lodier et parjure !
476 ― Vous amenderéz ceste injure.
477 ― Et ce que vous avéz juré ?
478 Et puis vous estes parjuré,
479 Quant vous repugnéz la sentence
480 Contre raison. ― Bien sçay qu’en pence.
481 ― Vous n’estes pas en vo pretoire :
482 Jouéz. ― Oil, s’on me vuelt croire :
483 Car je n’ay plus d’argent content.
484 ― Ne vous aléz plus debatant :
485 Sur vo mentel vous presteray.
486 Jouéz, car je vous aideray,
487 Dist Faintise. Vous gaingneréz
488 Et vostre perte rescourréz.
489 Vous gettéz plus bel qu’Entroingnart,
490 Ce n’est c’un villain, ne scet l’art.
491 Quanqu’il jeue n’est qu’aventure.
492 ― Sa, prestéz moy sur ma sainture
493 Et mon mentel vint frans ou trente.
494 ― Vez les ci, je les vousp resente :
495 Sa, le mentel et la courroye.
496 ― Or faictes beau gieu, je vous proye.
497 Pour .xx. frans gettéz. ― [Je] le vueil.
498 ― Va gaingnier, va. ― Veéz vous a l’eil
499 Qu’il est ou blanc sanz buverie ?
500 ― Maugré en ait saincte Marie !
501 De ce gieu je pers tout le moen
502 A un chetif qui n’y scet rien,
503 Si comme il dit ! Le fiable ait part,
504 Quant vous[13] vi onques, Entroingnart !
505 Vous gaingnéz a chascune fois.
506 ― Au remanant va ou tu dois !
507 ― Je tien tout, descen : si fait il.
508 ― Il n’y fault point d’omme soutil :
509 En my le blanc est trestout droit !
510 ― Par le sang Dieu, qui me pendroit
511 Sanz grace et sanz misericorde,
512 Il ne perderoit que la corde,
513 Car j’ay ci par ma couvoitise
514 Tout perdu, argent[14] et chemise,
515 Pour .xx. frans que je vi si rouges !
516 Mettre les cuiday en mes bouges,
517 Mais le mien m’ont fait perdre tout.
518 Je vueil estre sur le debout :
519 Prestéz sur ma cotte et pourpoint.
520 Douze frans : mettéz[15] vous a point ?
521 ― Vez les cy. Ça, pourpoint et cotte !
522 ― Je suy bien pour porter la hotte.
523 Or donnéz. Gettéz, Antroignart.
524 Franchement vous couche ma part.
525 ― Je le tieng. ― Or va gaingnier, va !
526 ― Benoit soit qui ce coup rua !
527 On ne le puet mieulx mettre ou blanc.
528 ― Ce poise moy, j’ay froit au flanc :
529 […]
530 Et s’ay cotte et mentel perdu,
531 Courroye, chappel et pourpoint.
532 ― Or est Trubert en petit point,
533 Car de ci ne s’en puet aler.
534 ― Faictes mon pourpoint avaler,
535 Ma cotte pour couvrir ma pel,
536 Ou des juges faiz un appel.
537 ― Du fornier ne seray pas lent.
538 ― Laisséz lay : il est appelant 376a
539 En cel estat, sanz attempter,
540 Car s’il puet plouvoir ou venter,
541 Il sçara bien d’avocassie.
542 [Et] s’il n’a froit en la vessie,
543 Mieulx vaulsist appeler vestus,
544 S’il eust droit, qu’appeler tous nus.
545 ― Mais de sentence [pas] n’y a.
546 Je ne sçay de quoy appella :
547 Il n’y a grief noppression
548 Venu que de sa mottion.
549 Il est du trinquet triquetéz,
550 Du tablier et du gieu des dez.
551 Ne voy pas relever appeaulx
552 Ou maint ont perdu leurs drappeaulx.
553 De partons nous de cy, Hasart.
554 ― Je le vueil. Alons autre part.
555 ― Barat, demouréz, je vous prie,
556 Car de moy appellé n’a mie,
557 Pour faire un traicté avec li.
558 Maistre Trubert, je vous affi
559 Que .iiii. franz qu’avéz euz
560 Me sont par vous a present deuz,
561 Car pa n’avéz plaidé pour my.
562 Or regardéz, mon doulz amy,
563 Comment vous ferés de mon plait.
564 ― Taiséz vous, que maugré en ait
565 Dieu, et sa mere, et tous ses sains,
566 Quant je vous vi onques, villains,
567 Ne vo cause, ne vo parole !
568 Vous me tenéz bien en geole,
569 Qui avéz tout en vo commande !
570 J’eusse plus chier que vostre amende,
571 L’amendier et le jardinaige
572 Fussent de burre et de frommaige, 376b
573 Qu’onques fussiéz a moy venu,
574 Qui ainsis m’en renvoiéz nu,
575 Sanz argent, [sanz] cotte et pourpoint !
576 L’amende m’a mis en dur point.
577 Grant rigueur ne grant couvoitise
578 N’est pas bonne, qui bien l’advise,
579 Car elle fait homme perir,
580 Moquer, dampner et escharnir.
581 S’il est de ce fait aucun compte,
582 Tant y aray je plus grant honte,
583 Que je crains plus que le dommaige.
584 Certes nul ne puet estre saige,
585 Se il n’est prudens et loyaulx.
586 Nulz ne doit noier ses boyaulx
587 A Barat et a Tricherie
588 Pour avoir ne pour lecherie.
589 Et qui le fait, Barat ly paye.
590 Bien voy ceste chose estre vraye
591 Et advenir en pluseurs cas,
592 N’il n’est nul si grans advocas,
593 Puis que de desloyauté boive,
594 Que couvoitise ne deçoive :
595 Pour de chetiveté honnist,
596 Et Baras onque bien ne fist.
597 Il m’a payé, si fait il maint.
598 Or m’a desvestu et dessaint,
599 Et Antroingnart a entroingnié,
600 Tant que il[16] a mal besongnié.
601 Ainsis pers je par mon entroingne
602 Mon sens, mon los et ma besoingne.
603 Quitte moy, je te quitteray :
604 Pour amende ne plaideray
605 Jamais, pour noix ne pour noisette.
606 Je te pri, quitte moy ta debte, 376c
607 Et accorde avec ta partie :
608 Sens ne vault rien puis qu’il folie.
609 Je suy sanz raison, verité.
610 Oultrecuidance m’an tempté.
611 Ma folour congnois desormais :
612 Je ne me quier venter jamais,
613 Et suy comme desesperé.
614 Sanz cause et raison appellé
615 Ne soit nul qui saige se cuide,
616 Car li sens en cuider se vuide,
617 Et tel cuide on nice et coquart,
618 Qui scet asséz : par Entroingnart
619 Est bien ceste chose avoiree.
620 ― Alons himer de la puree,
621 En chantant ! Barat et Hasart,
622 Et Faintise avec Antroingnart,
623 Ont maistre Trubert trumelé,
624 Qui a nicement appellé,
625 Et pour ceva pandent l’appel
626 Sanz cotte et pourpoint sur la pel,
627 En chemise dessus et nus :
628 Est d’antroingnart ainsi tenus.
[1] Titre restitué d’après la table du manuscrit
[2] Ms. Je men
[3] Ms. Faire
[4] Vers manquant
[5] Ms. en la
[6] Vers doublé par le copiste
[7] Ms. l’en se
[8] Ms. Et par
[9] Ms. jugeurs
[10] Ms. De hoquelerie
[11] Ms. say
[12] Raynaud corrige en un seul en s’appuyant sur le vers 438.
[13] Ms. je vous
[14] Ms. et argent
[15] Ms. et mettez
[16] Ms. quil