Dit 36 : Moult sont d’amis et de parens (fragment 1) (MDCCCCXCVIII)
Le Miroir de Mariage
I. Comment l’acteur commence sa matere des amis de Fortune
1 Moult sont d’amis et de parens
2 Qui se moustrent plus apparens
3 De paroles a leurs amis,
4 Quant Fortune hault les a mis,
5 Que du leur n’y vouldroient traire,
6 Quant Fortune leur est contraire,
7 Et conceillent en conceillent
8 Conceil perilleux, essillent
9 Selon la voulenté qu’ilz ont,
10 Et faingnent ainsi qu’ilz le font
11 Par vraie amour et naturele.
12 Mais l’entencion n’est pas tele,
13 Car se l’ami avoit doleur,
14 Riens n’y metteroient[1] du leur ;
15 Ains si tost qu’estat lui fauldroit,
16 Ung chascun d’eulx en son endroit
17 Le[2] larroit, c’est chose commune :
18 Ce sont les amis de Fortune,
19 Qui suient l’estat et l’avoir,
20 Non pas le corps, je vous di voir.
21 Mais l’ami de vraie amité
22 Suit l’ami en adversité,
23 Non pour remuneracion,
24 Pour estat, pour possession
25 Ne pour chose que cilz li donne,
26 Fors pour l’amour de sa personne,
27 Et le poursuit com vray afin
28 Et porte jusques a la fin
29 De cuer, de corps et de chevance,
30 Sanz fiction de decepvance.
II. Comment l’en pourra discerner entre vray ami et ami fortunel, et comment Desir, Folie, Servitute et Franchise[3] viennent admonnester a Franc Vouloir qu’il se marie pour avoir lignie, afin qu’il puisse continuer son espce.
31 Et veulz tu congnoistre en appert 487b
32 Vray amy, aussi le couvert ?
33 Le vray amy, se tu faiz mal,
34 Lui saichant, par especial
35 Le te dira pour toy garder.
36 Lors doiz tu a ce regarder,
37 Et s’aucuns deboings te court seure,
38 Vraiz amis est qui en celle heure
39 Apporte le sien, et avole
40 De fait non pas de parole,
41 Sanz ton parler, sanz ta requeste.
42 Mais le faulx ami, par ma teste,
43 Blandist, flatte et va decepvant,
44 Et se tourne avecques le vent
45 Et consentira ta folie
46 Pour toy plaire : a ce ne te lie.
47 Chiens et oyseaulx te promettra.
48 En ta bonneurté te sera
49 Compains, subgéz obeissens.
50 Il t’offerra milliers et cens
51 De flourins et quanqu’il couvient.
52 Mais s’adverse fortune vient,
53 Et le requiers par adventure,
54 Tu trouveras response dure,
55 Ou il fera qu’il ne te voie,
56 Ou il fuira toudis ta voie,
57 Ou il dira : ― Je n’ay denier :
58 J’ay bien du blef en mon grenier
59 Pour vivre jusques aux nouveaux.
60 Je n’ay meubles, vaiches en veaux
61 De quoy je puisse faire argent.
62 La se moustrera indigent,
63 Se tu as ton estat perdu.
64 Tel ami soient confundu !
65 De paroles et non de fait 487c
66 Est maint ami qui ainsi fait.
67 Si doit on l’ami tenir chier
68 Qui son avoir fait desmarchier,
69 Et qui l’apporte de son coffre
70 A son ami, ainçois qu’il l’offre,
71 Quant il voit que mestier li est ;
72 Et qui treuve un tel ami prest,
73 Il en doit faire son tresor,
74 Garder et amer com fin or
75 Et le croire, amer et cherir.
76 Les aultres chacer et perir
77 Comme faulx amis fortunéz,
78 Qui pour decepvoir furent nez.
79 Pour ce le dy qu’aucuns faintis
80 Qui cuident estre moult soubtils,
81 Pour complaire a ma voulenté,
82 Sont venu moult entalenté
83 De mon bien et de mon honour,
84 Ce me dient, et pour l’amour
85 Qu’ilz ont a moy de bon courage
86 M’ont admonnesté mar[i]age,
87 Disans : ― Tu es uns riches homs,
88 Et si as diverses maisons :
89 Ton eage est encor ou moyen.
90 En cest estat n’espargnes ren :
91 Estrange gent li[4] tien aront,
92 Tes biens po te proufiteront.
93 Le temps s’en va sanz revenir,
94 Et vieil te faurra devenir
95 Et espargnier en ta juenesse
96 Pour conduire droit ta vieillesse
97 Jusqu’a la fin de l’eage humain.
98 Se tu y entrres vuide main,
99 Chetis seras et langoreus, 487d
100 Car vieilles gens sont souffraiteux :
101 Tant aient avoir et chevance,
102 Nulz pour eulx secourre n’advance.
103 Serviteresses, serviteurs
104 Sont leurs hoirs et executeurs,
105 Et les demainent durement.
106 D’autre part cilz vit folement
107 Et contre la Saincte Escripture,
108 Quant il art ou feu de luxure.
109 Dont mieulx vault marier qu’ardoir,
110 Car saint Pol le nous fait sçavoir
111 Es epistres qu’il nous envoye,
112 Maraiage est moult bonne voye
113 Quui la prant en entencion
114 De faire generacion :
115 On en laist maint autre pechié
116 De quoy on puet estre entechié.
117 Et si voions neis que li arbre
118 Sur les caillos et sur le marbre
119 Croissent et font leurs fruiz divers,
120 Ne n’yert ja nulz si granz yvers
121 Que leur racine ne s’extende
122 En terre, et autre arbre ne rende.
123 Quant aux vieulx leur humeur perie,
124 Au jeune est forme reperie.
125 Ainsi se vont renouvellent ;
126 Et li oiselet ne sont lent
127 Chascun an de leurs niz niser
128 Et par nature eulx aviser
129 De pondre, couver et esclorre
130 Leurs poucins pour nature sorre,
131 Qui cest entendement leur baille,
132 Afin que leur forme ne faille :
133 Mauvis, merles, chardonnereaulx, 488a
134 Pinssons, tarins et frionceaulx,
135 Cochevis, estourneaux, lynettes,
136 Prapers, verdiers et alouettes,
137 Pyes, jays et coulons ramiers,
138 Papegaiz, ostoirs, espreviers,
139 Rossignolz, passeriaux, becasses
140 Et cucus qui en maitnes places
141 Chantent, corbaux, mesagnes, choes,
142 Et chahuant qui font[5] les moes,
143 Perdriz, cailles et teurterelles,
144 Huppes, faisans et arondelles,
145 Plouviers, vanneaux, ostardes, grues,
146 Cannes qui s’en vont par les rues,
147 Gelines, oes et herons,
148 Cormarans, cignes [et] blerons,
149 Paons, pymars et lorios,
150 Poches qui font moult de ryos,
151 Roitiaux, passe[riaux] solitaires,
152 Et sygoignes qui font leurs ayres
153 Es palays, es haultes maisons,
154 Colandre qui ses mansions
155 Fait es plains de Jherusalem,
156 Tous ceuls cy nisent chascun an,
157 Ostoirs, faucons et espreviers,
158 Gerfaux, saicres, butors, lanniers,
159 Aigles, voultoirs, hobez, cresselles,
160 Esmerillons, huas, cercelles
161 Et maint autre gendre d’oyseaux.
III. Exemple de mariage par ce que les brutes bestes habitent masle avec femelle pour generacion avoir
162 D’autre part sont cerfs et chevreaux,
163 Lyons, lyeppars, sanglers et ours,
164 Loups et renars qui ont leurs cours
165 Pour ravir lievres et connins, 488b
166 Taissons qui pou vont par chemins,
167 Hirsons et dains, louves servieres
168 Et bestes de pluseurs manieres,
169 Vaches, brebis, chevaux, moutons,
170 Chievres, pourceaulx que nous domptons,
171 Asnes, buefs, mules et mulés,
172 Qui sont contre nature fés
173 D’asne en jument et l’opposite,
174 Dont du pechié ne sont pas quitte
175 (L’un ne gendre, l’autre ne porte,
176 Pour ce que par naturel porte
177 N’ont ensuite leur nature),
178 Les povres vers de pourreture
179 Ensuient generacion,
180 Et aussi font tuit li poisson
181 Que nature ensemble conforme,
182 Afin que chascuns puist sa forme
183 Continuer tant comme il vit,
184 Et non pas pour charle delit,
185 Fors tant que son semblable lesse
186 En continuant son espece
187 Chascun oisel, chascune beste,
188 Chascun poisson, teste pour teste.
IV. Autre approbacion de mariage par l’Ancien Testament pour generacion avoir
189 Et doncques par plus fort raison,
190 Tu, qui es raisonnables hom
191 Et qui as ame intellective
192 Perpetuel, saige et soubtive,
193 Doiz mieulx tendre a avoir lignee
194 Par le moien d’espouse nee
195 Que tu deusses prandre et henter 488c
196 Pour ta forme representer,
197 Toy et ton nom aprés la mort
198 Selon la loy. N’as tu pas tort
199 De tant attendre a marier ?
200 N’as tu pas oy reprouchier
201 Que l’arbre qui ne porte fruit
202 Sera arrachié et destruit
203 Et mis ou feu comme brehain ?
204 Et si refusoit on a plain,
205 Si comme il est en Levitique,
206 L’offrande en celle loy antique
207 Que la femme brehaingne offroit :
208 Veoir puéz que ce demoustroit.
V. Des biens qui generalement sont en mariage, supposé que l’en n’eust point de lignie
209 Et supposé qu’om n’eust enfens,
210 S’est ce de soy marier sens.
211 Car nulle vraie policie
212 N’est sanz mariage assevie
213 Ne hostel, et bien le verras
214 En Ethiques, quant tu vourras,
215 Et Pollitiques d’Aristote,
216 Qui plus a plain ce nous denote.
217 C’est tresdoulce conjunction,
218 Ce sont deux corps en union[6],
219 En une char par la loy joins,
220 Qui s’entraiment et pres et loins.
221 Homs doit par dehors ordonner,
222 Femme doit dedenz gouverner :
223 Elle est si doulce en sa parole,
224 Son mari sert, baise et acole,
225 Et fait, quant il est a martire,
226 Qu’elle le puisse getter d’ire.
227 S’il a griefté, celle le garde, 488d
228 Et piteusement le resgarde,
229 Et mainte foiz par sa douçour
230 Le retrait de mortel langour.
231 Elle gouverne son hostel
232 Et son bestail d’autre costel.
233 Elle est guettant, saige et apperte,
234 Et voit que rien ne voist a perte.
235 Elle veille sur ses sergens.
236 Elle scet restraindre ses gens,
237 Quant mestiers est, et eslargir[7].
238 Elle se scet taire et souffrir.
239 Espargnier scet et avoir soing
240 Pour le despendre a un besoing ;
241 Ce ne fait pas mesgnie estrange,
242 Qui vuide l’escrin et la grange
243 Et ne pense fors de rober,
244 De po faire et de temps passer.
245 Matin lieve et[8] se couche tart,
246 Car son cuer et sa pensee art
247 Tousjours a son gouvernement.
248 Eureux, se Salemon ne ment,
249 Est cilz qui treuve bonne fame !
250 Il puisera de corps et d’ame
251 Joye devers Nostre Seigneur.
VI. Des femmes de l’Ancien Testament qui ont esté secourables aleurs maris, et premier la femme Thobie
252 Thobie perdit sa lueur,
253 Mais sa femme lui fut aidable,
254 Treshumble, doulce et charitable,
255 Et a lui garder entendi
256 Tant que Dieux clarté lui rendi ;
257 Ce que ses filz par Raphael
258 Lui fist des oeulx cheoir la pel
259 Par le tresdoulz oingnement fres 489a
260 Qui du poisson de mer fut tres,
261 Qui happa le jeune Thobie
262 Par le piet, dont par Zacharie
263 Lui fut le fiel du ventre ostéz,
264 Dont diables furent reboutéz,
265 Quant rostiz fut sur le charbon,
266 Au mariage qui fut bon
267 De Saire, fille Raguel,
268 Et Thobie[9] le jouvencel :
269 Avant.vii. maris un et un
270 Estranglerent, ce scet chascun,
271 Les diables la nuit des noces :
272 Il n’a cy arestes ne boces
273 Ne chose qui ne soit visible
274 Et trouvee en texte de Bible.
275 Celle Saire que nous disons
276 Fut si loyal qu’es[10] benissons
277 Est nommee et es espousailles.
278 Or advises que tu ne failles
279 D’attendre plus que tu ne doys
280 A marier. Il fut un roys
281 Qui diverses femmes ama
282 Et son propos en ce ferma
283 Que il n’aroit jamais espouse.
284 Pluseurs enfens ot d’une touse.
285 Pluseurs concubines maintint.
286 Et scez tu pas qu’il en advint ?
287 Elles lui destruirent son corps,
288 Et quant li povres roys fut morts
289 Par continuer leur vouloir,
290 Maint bastart se vouldrent faire hoir
291 Qui le royaume destruisirent.
292 Et quant aucuns voisins ce virent.
293 Les[11] destruisirent et regnerent, 489b
294 Entr’eulx le regne diviserent
295 Et mistrent a mort en la fin
296 Concubines et tout leur lin,
297 Et ainsi par deffault d’oyrie
298 Fut celle royaulté perie.
299 Et pour ce par succession
300 Vault mieulx a toute region
301 Avoir seigneur par mariage
302 Et descendue de linaige
303 Et roy qu’a force ou par eslire
304 Ainsi comme on fait en l’Empire,
305 Car en teles elections
306 A trop de fraudulacions,
307 Ou par malice ou par promesse.
308 Ou par paour ou par haultesce.
309 Qui a regner ne sont y doine
310 Jadis advint en Babiloine,
311 Puis que Balthazar fut peris.
312 Qui aux vessiaux qui furent pris,
313 Dont jamais n’iert jour qu’il n’y pere,
314 En Jerusalem par son pere,
315 Nommé Nabugodonosor,
316 Ou temple Dieu, d’argent et d’or,
317 Fist au mangier de son palays
318 Boire a yceulx moult de gens lays
319 Comme haultains et orgueilleus ;
320 Mais Dieux, li peres glorieus,
321 Qui ne voult plus l’orgueil du roy,
322 Fist une main en la paroy
323 Escripre .iii. mos prés a prés
324 Disans : ― Mané, Thechel, Pahrés,
325 Signifians que brief mourroit
326 Et que son royaume perdroit,
327 Et seroit moult tost divisé. 489c
328 Ainsi fut. Lors fut advisé
329 Que sept saiges qui la estoient
330 Cel royaume gouverneroient ;
331 Et quant ilz l’orent gouverné
332 Un temps, entr’eulx ont ordonné,
333 Que de l’un d’eulx un roy se face,
334 Et que tuit sept en une place
335 Voisent a cheval l’endemain,
336 Et que le cheval ou poulain
337 De celui qui premierement
338 Hanniroit, eust plainement
339 De ce regne la seignourie.
340 Eulx, estans en place establie,
341 Ainsi l’accordent, ainsi jurent.
342 Lors si tost que departi furent
343 Et chascuns fut en son recept,
344 Daires dist a un sien varlet :
345 ― Quant la nuit sera bien obscure.
346 Une jument quier et procure,
347 Et la place lui demoustra
348 De l’assemblee, et dist : ― Va, la
349 Maune la jument sanz deffaulte,
350 Et fay que mes chevaulx l’assaulte
351 Secretement. Va et revien,
352 Et n’en di a personne rien.
353 Ainsi le fist. Lors s’en revint.
354 L’endemain sçavéz qu’il advint ?
355 Touz.vii. sont li saige monté,
356 Et li peuples de la cité,
357 Pour veoir qui roy pourra estre.
358 Mais si tost qu’ilz furent en destre,
359 Ly chevaulx Daire[12] a chiere lie,
360 Qui avoit la jument saillie
361 La nuit en celle meisme place, 489d
362 Commença a lever la face
363 Et a hannir a moult hault ton
364 Devant tous. Et lors ot le don
365 Daires pa sa subtilité
366 Du regne et de la royauté.
367 Et faillit la ligne des roys
368 En Babiloine a celle foys.
369 Si fait bon avoir droicte ligne
370 Et espouser femme benigne
371 D’onnestes parens et de bons
372 Tant qu’a perdailles n’a garsons
373 Par deffault d’oirs ne soit donnee
374 Terre d’autruy n’abandonnee.
375 On a lors des amis le port
376 De sa femme, on en est plus fort,
377 On a sa douçour et sa joye,
378 On s’en remet a droicte voye,
379 On en laisse mainte aventure :
380 Femme a le soing, femme a la cure
381 Des enfens nourrir et garder
382 De les vestir, de les porter
383 Jusqu’ilz soient en point d’apprendre,
384 De les marier ou les rendre
385 En aulcune religion
386 Ou d’aller quelque region
387 Pour le monde cerchier ou querre,
388 L’un en clergie et l’autre en guerre.
389 Qui se marie en [son] juene eage,
390 Les enfans de son mariage
391 Et les enfans de ses enfans
392 Puet veoir en paix beaus et grans,
393 Ains que ses jours soient fenis.
394 Mais s’il est vieulx et espanis,
395 […][13]
396 Ancor vault mieux tart que jamais 490a
397 Soy marier pour avoir hoirs.
398 Marie toy, c’iert grant savoirs :
399 Tu[14] aras asséz filz et filles
400 Qui repeupleront maintes villes,
401 Et sera tes noms celebréz
402 Et tes lignaiges honouréz ;
403 Ainsis en l’un et l’autre monde
404 Sera ta ligniee seconde[15]
405 Ne ta lumiere n’yert estincte,
406 Ainçois sera ta lampe entincte
407 De clarté mieulx des sotes vierges
408 Qui n’avoient oille ne cierges,
409 Quant aux noces entrer cuiderent :
410 Asséz a la porte hurterent,
411 Mais elles n’y entrerent point.
412 Les vierges saiges plus a point
413 Firent qu’elles furent garnies
414 D’oille et de clarté raemplies ;
415 Si entrerent par leur clarté
416 Ou lieu qui leur estoit gardé,
417 Ou tousjours dura leur lumiere.
418 Or garde donc par quel maniere
419 Ta clarté n’estaingne ne faille,
420 Et que par mariage saille
421 De toy lumiere pardurable,
422 Belle au monde, a Dieu agreable,
423 Et que ta femme en tes vieulx jours
424 Soit a ta vieillesse secours,
425 Ainsi comme fut la vieille Anne
426 Au grant Thobie. Et ne te dampne
427 De suir en ce temps obscur
428 Pechié dechar, car ou futur
429 En seroit ta vie abregiee,
430 Et en la fin t’ame dampnee ; 490b
431 Et se la mort qui tout deveure,
432 Prenoit ta femme avant son eure
433 Et devant toi, soies touz fis
434 Que donc tes filles et fils
435 Naturelment te garderoient
436 Et ta viellesce soustendroient :
437 Si ne puéz donc estre fraudéz
438 Que tu ne soies bien gardéz.
439 Or advises que nous[16] diras
440 Et que tu nous responderas ;
441 Car a homme qui bien s’entent,
442 Ne faulsist point sermonner tant.
443 Toutefoie et en verité
444 Est il bien de neccessité
445 A parler d’une si grant chose
446 Que l’en die et que l’en propose
447 Et moustre le fait a la bouche
448 De la personne a qui il touche
449 Tout au long pour lui adviser ;
450 Et li puet on bien diviser
451 Les principes, moyens et fins
452 Pour quoy il y doit estre enclins.
453 Car puet estre qui les tairoit,
454 Qu’aussi les dissimuleroit
455 Cilz cui on diroit la parole
456 Et si tenrroit la gent pour fole
457 D’avoir de mouvoir occoison
458 Chose dont ne rendist raison.
459 Et pour ce est chose neccessaire
460 En pluseurs lieux de l’ainsi faire,
461 Et c’est pour quoi certainement
462 T’avons tenus si longuement
463 Je parle en nous, c’est pour tous quatre :
464 Aux trois en pleu pour eulx esbatre, 490c
465 Combien que je dignes n’en soye,
466 Que ce fait au long te diroye,
467 Et tout sur leur correction ;
468 Mais mieulx et sanz subrepcion
469 L’eussent dit, et chacun par soy.
470 Si te suppli, pardonne moy,
471 Eulx aussi, ma prolixité
472 Et mon cas trop long recité,
473 Duquel avoir dit les gracie.
VII. Comment Franc Vouloir est aucunement esmeu par les paroles des.iiii. dessus nomméz, et neantmoins prist certain temps de deliberacion pour respondre.
474 Beaux seigneurs, je vous remercie
475 Cent mille foiz, g’i suis tenus,
476 De ce que vous estes venus
477 A moy, pour mon honneur traictier ;
478 Mais j’ay de bon conseil mestier,
479 Pour opposer et pour respondre
480 A ce que fait m’avéz espondre,
481 Qui touche ma mort et ma vie ;
482 Et si a grant philosophie,
483 Exemples de Bible et de loy,
484 Ou petitement me congnoy,
485 Et mainte escripture authentique,
486 Et du moustrer belle pratique
487 Ou propos que vous m’avéz fait ;
488 Et samble bien a vostre fait
489 Que les livres avéz veus
490 Et estudiéz et sceus.
491 Et suy[17] simples et ignorent,
492 Si comme il est bien apparent :
493 S’ay bien mestier d’avoir advis.
494 Et si me samble que je vis, 490d
495 Comme je fu enfant d’escole,
496 De Salemon une parole,
497 Qui disoit asséz plainement :
498 ― Se tu faiz rien, fay saigement,
499 Et resgarde en tous temps la fin.
500 Et ailleurs disoit en latin,
501 De quoi le françois veult retraire,
502 Qu’om ne doit nulle chose faire
503 Sanz conseil, car qui de lui euvre,
504 A bonne fin vient deson euvre ;
505 Mais ceulx qui d’eulx sanz conseil euvrent,
506 Souventefois s’en deshoneurent,
507 Et les autres ne se repentent
508 Qui a leur bon conseil s’attendent.
509 Pour ce.vi. jours pran de delay
510 De respondre, et si escripray
511 Ces choses a ung vray ami,
512 Et me conseilleray par mi
513 Et aultres pendent la journee,
514 Afin qu’a vostre retournee
515 Je vous puisse response rendre.
516 Aussis y vueilléz garde prandre,
517 Afin qu’en la conclusion
518 Soyons tuit d’une opinion,
519 Selon ce qu’il sera veu
520 Des responses et congneu
521 Et argué pour le milleur.
522 A Dieu, qui vous croisse honeur !
VIII. Comment Franc Vouloir compare mariage a plus dure chose que gaige de bataille temporel
523 Ainsi quatre de moy se partent 491a
524 Qui de griefs pensers me repartent
525 De moi buter en servitute,
526 Qui par le droit d[e l]’institute
527 et du droit du ciel premerain
528 Suis plus frans que l’oisel du raim.
529 Qui puet ou il lui plaist voler :
530 Aussi[18] puis je par tout aler
531 Franchement et sanz nul lien
532 Or veulent mon eage moien
533 Lier en puissance d’autrui !
534 Voiéz en quel point je me trui !
535 Mais ce n’est pas lien de paille,
536 Ainçois est gaiges de bataille,
537 Dont il fault que li uns soit mort,
538 Eulx entréz ou dolereus port
539 De ceste loy de mariage.
540 Las ! a qui m’en conseillera ge ?
541 Cilz gaiges est trop perilleux ;
542 Les aultres ne sont pas doubteux
543 Au regart de cest gaige cy,
544 Car il n’y a nulle mercy
545 Ne nul bon traicté qui se face
546 Comment telz gaiges se defface,
547 Car les lices y sont trop fortes ;
548 Aussi sont les sermens aux portes
549 Si grief qu’il fault les .ii. parties
550 Combatre la toutes leurs vies
551 Jusques l’un d’eulx en soit oultré.
552 J’ay bien veu et m’a l’en moustré
553 Grans gaiges entre deux amis,
554 Ou li traictiéz a esté mis
555 Ou champ a l’oneur de tous deux,
556 Et aussi que juges piteux
557 Aprés combatre et l’escremie 491b
558 En sauvoit a aucun la vie,
559 Et si non n’avoit il ses maulx
560 Fors combatre entre deux soulaux :
561 Oultrez estoit celle journee :
562 L’on[19] savoit sa douleur finee,
563 Et estoit desconfiz ly champs.
564 Helas ! or est cilz plus meschans
565 Qui entre avec femme en gaige,
566 Car l’en voit bien un mariaige
567 Durer souvent.xxx. ans et plus
568 Quant sera telz gaiges conclus,
569 Qui un chascun jour recommence ?
570 Ly uns riote et l’autre tance,
571 On ne scet qui est demandeur.
IX. Comment Franc Vouloir pense a la franchise ou il est et considere le servitute ou on le veult bouter
572 Es autres cas le deffendeur
573 N’a seulement fos lui deffendre,
574 Sanz assaillir ne sanz lui rendre
575 S’on ne l’assault ou soit vaincus,
576 Et seroit drois pour lui rendus
577 Et du gaige a honneur ystroit,
578 Se la journee se passoit
579 Qu’il ne fust mas ne descondis
580 De son adversaire ou occis.
581 Or n’est pas entre deux conjoins
582 Mariéz bien gardéz cilz poins,
583 Car l’un en fault mourir sanz doubte :
584 Trop est hardiz qui la se boute,
585 Car li gaiges y est trop longs
586 Aux mauvés et non pas aux bons ;
587 Remission ne s’en puet faire,
588 Ne tel gaige ne puet deffaire
589 Juges mortelz que Dieu conjoindre 491c
590 A voulu : homs ne puet desjoindre,
591 Car c’est escripture divine.
592 Se femme est plaine d’ataine,
593 Tanceresse, fausse ou rebelle,
594 Que vauldroit a baillier libelle
595 A son mari de repudie ?
596 S’il n’y a formel ribaudie
597 Prouvee et confesse par li[20],
598 Il a a sa cause failli.
599 Et encor s’il a ce prouvé,
600 Le depart lui est reprouvé
601 Qui n’est que de biens et personne.
602 Esbahys suy pour quoy on donne
603 Tel reprouche aux dolens maris :
604 Se leur femme a jecté un ris
605 Ou s’elle a un autre homme amé,
606 Pour quoy en sont ilz diffamé,
607 Moustré au doy, clamé de tous ?
608 ― Resgardéz ! cilz homs la est coux !
609 Chascuns en parle entre ses dens.
610 Helas ! s’en est ly plus dolens
611 Et qui moins voulsist que la chose
612 Fust esclarcie ne desclose ;
613 Pas ne fut fait par son conseil.
614 Et pour ce torp fort me merveil[21]
615 Pour quoy on blasme creature
616 Du fait de sa non forfaiture,
617 Comme il soit chose vraie et clere
618 Que li filz le pechié du pere
619 Ne portera ne le peril
620 Du peché le pere du fil,
621 C’est loy divine et temporele.
622 Et ceste honte corporele
623 Porte le mari pour sa femme, 491d
624 Mais non pas, ce croi, quant a l’ame.
625 Or sont li enfant diffamé,
626 Bastart et advoultre clamé ;
627 Supposé qu’aulcuns en y ait
628 Qui n’a riens par le mari fait,
629 Toutevoie l’en les repute
630 Nez de mauvaise femme et pute,
631 Et portent, ce qu’en droit ne vy,
632 La peine qu’ilz n’ont desservy
633 D’estre pricez de leur hoirie,
634 Seulement pour la puterie
635 Que la mere a fait de son gré.
636 En mal an est cellui entré
637 Qui se veult mettre en tel servage,
638 Et qui ne scet pas en ce gage
639 Qui vaincra ou sera vaincus !
640 Helas ! que c’est uns durs escus
641 Et pure plaie que d’espee
642 De femme qui est diffamee !
643 Ne cilz qui en ce s’embatra
644 Ne puet sçavoir liquelz vaincra,
645 Qui demande ou qui se deffent.
646 Certes le las de cuer me fent,
647 Quant je resgarde, pense et voy
648 Aux faiz et aux parlers que j’oy !
649 Qui est de femme separéz,
650 Pour son meffait mal est paréz :
651 Autre femme ne puet avoir,
652 Elle vivent, cilz fait paroir
653 Sa pauvreté et sa misere
654 Et n’a lors suer, parent ne frere
655 Qui n’ait doleur de son ennuy :
656 Onques tel peril ne congnuy.
657 Or le fault en cest estat vivre 492a
658 Jusques de femme soit delivre,
659 Car femme a et ne l’a [il] pas,
660 Et si ne puet sanz son trespas
661 Marier n’autre femme prandre ;
662 Mieux vauldroit donques de non tendre
663 A soy marier, quoy qu’om die,
664 Que d’encheoir en tel folie.
X. Comment Franc Vouloir discute en son cuer pluseurs choses pour soy desister de mariage
665 Or laissons tel chose doubteuse,
666 Et supposons que bonneureuse
667 Soit et preude femme du corps.
668 Se male est et de durs accors,
669 Et qu’elle me riote et tance,
670 Ce sera trop dure sentence,
671 Paine et travail non supportable,
672 Vie a moi et a lui dampnable,
673 Car Salemon dit en appert
674 Que mieulx vault [il] vivre en desert
675 Qu’avec male femme habiter.
676 Et quant j’oy telz moz reciter
677 Par si solemnel escripture,
678 Hair doy toute creature
679 Qui ramentevoir le me vient,
680 Car de neccess[it]é couvient
681 J’aye bonne femme ou mauvese,
682 S’il est qu’a marier me plese ;
683 Se bonne est, en doubte vivray ;
684 Se mauvaise est, je languiray :
685 En doubte la bonne ne perde,
686 En langour l’autre ne s’aerde
687 A moy destruire et essillier 492d
688 Je ne me puis trop mervillier
689 Que j’ay meffait a mes amis
690 Qui ce m’ont en l’oreille mis :
691 Puet estre me heent ilz fort,
692 Et ne puent plus biau ma mort
693 Tractier [et] mon dueil et ma raige,
694 Que de moy mettre en mariaige.
695 Si seroient de moy vengiéz :
696 Mors osient ilz et enrragiéz,
697 S’ainsy le font com je suppose !
698 Puet estre y a il autre chose,
699 Que ilz sont touz [les] quatre iréz
700 De ce que ilz sont mariéz,
701 Et n’ont fors noises et tençons,
702 En moy voyent deduis, chançons[22]
703 Et que je vif en grent franchise :
704 S’en puelent avoir couvoitise,
705 Car en enfet les ames vaines
706 N’ont confort nl, fors qu’en leurs paines
707 Puissent des compaignes trouver,
708 Que seulz ne se voient dampner.
709 Et ceuls cy qui samblablement
710 Ont de mariage tourment
711 Et servitute qui les grieve,
712 Me vouldroient mettre en ce piege,
713 Pour reconforter leur dolour
714 D’avoir ocmpaignon en leur plour :
715 Ou ilz le font pour mon grant bien,
716 Dont je n’appercoy encor rien.
717 Si suy en grant proplexité,
718 Car il m’est de neccessité
719 Qu’a marier me doye entendre,
720 Se je doy jamais femme prandre,
XI. Comment Franc Vouloir aprés ces choses pense aux biens de mariage dont il est aucunement entrepris par la promocion des .iiii. dessus nomméz, et quelle femme il desire avoir. 492c
721 Dedenz brief temps pour avoir ligne.
722 Mais avoir vueil femme benigne,
723 Humble, simple, po enparlee,
724 Bien besongnant, pou eslevee,
725 Juene et chaste de bouche et mains,
726 Saige et gente, et qui ait du mains
727 De .xv., .xvi. ou a vint ans,
728 Qui soit riche et de bons parans,
729 Qui ait bon corps et qui soit belle,
730 Et doulce comme columbelle,
731 Obeissant a moy en tout,
732 Qui n’ait pas le sourcil desrout,
733 Ne ne regarde par decoste,
734 Mais soit tousjours pres de ma coste,
735 Si non pour aler au moustier,
736 Quant aux jours qu’il sera mestier,
737 Et qui ne soit pas enfestee
738 Ne de saillir a la volee
739 Es rues pour ouir le bruit,
740 Nulle foiz de jour ne de nuit ;
741 Mais soit bonne et religieuse,
742 Et de sa besongne songneuse,
743 De son hostel a droit tenir
744 Et de son bestail maintenir,
745 Amer mon corps, garder ma paix,
746 Et si[23] je des enfans lui fais,
747 Qu’elle les aimt, garde et nourrice,
748 Comme mere et douce nourrice,
749 Et espargne pour les nourrir
750 Et pour eulx a estat venir.
751 Si[24] j’en puis trover une tele,
752 Plus l’ameray que riens mortele, 492d
753 En joie fineray mon temps,
754 Je n’aray noise ne contemps,
755 Je seray gaiz et envoisés,
756 Je seray tousjours bien aisés
757 Et hors de ces aultres perils
758 De foles femmes qui sont vils ;
759 Nulz n’avra tel joie com moy :
760 Je viv[e]ray selon la loy.
761 S’iert le retret de ma jonesse,
762 Si’ert le baston de ma veillesse,
763 Soustenent ma fragilité,
764 Et quant je seray exité
765 A paier le tru de nature,
766 Celle ara de m’ame la cure
767 Et prira pour l’ame de my :
768 Ce ne feront pas mi amy ;
769 Et mes enfans qui demourront
770 Moy leur pere ramenbreront :
771 Ainsi demourra ma lumiere
772 Glorieuse ça en arriere,
773 Et croy que ce sera le mieulx.
774 Et qu’ay je dit, beau sire Dieux ?
775 Ou pourroit l’en tel femme querre ?
776 Je croy que pas ne soit en terre,
777 Ne je ne suis pas plus eureux
778 Des aultres, que j’aye touz seulx
779 Femme de tel condicion,
780 Car je voy sanz presumpcion
781 Tout de cler que chascun se plaint
782 De sa femme et que pluseurs taint
783 Sont de doleur et d’amertume.
784 L’un dit que sa femme le tume ;
785 L’autre dit : ― Ma femme est si male,
786 Que je ne puis aler en gale, 493a
787 En esbatement n’en deduit !
788 L’autre dit : ― La mienne me nuit !
789 L’autre dit : ― Ma femme est jalouse,
790 Despiteuse, felle, ayrouse ;
791 Avoir ne puis paix a l’ostel !
792 Et l’autre dit sur le costel :
793 ― Ma femme ne puet a ville estre !
794 L’autre murmure que le prestre
795 Vient trop souvent en sa maison.
796 L’autre dit une autre raison :
797 ― Ma femme dance voluntiers.
798 L’autre dit : ― O les chevaliers
799 Va ma femme souventefoys.
800 Or en revient puis .ii., puis troys,
801 Dont l’un dit : ― Femme ay debonnaire !
802 Elle fait trestout le contraire
803 De ce que je vueil et commande.
804 L’autre dit : ― Quant des poys demande,
805 On me fait feves ou poureaux ;
806 Se harenz vueil, j’ay maquereaux ;
807 Si[25] je di : ― Gardéz le mesnaige,
808 On me faint un pelerinaige :
809 Lors fault aler a Saint Denis !
810 Bien sont gens mariéz honnis,
811 S’ilz ont tel dangier comme ilz dient,
812 Et quant je voy que pas n’en rient,
813 Mais dient que, leurs femmes mortes,
814 Ne passeront jamais telz portes,
815 Il me semble selon leurs diz
816 Ce n’est repos ne paradis,
817 Mais droiz enfers de tel riote.
818 Et quant j’entens ces poins et note
819 Le dangier felon et cruel
820 Et le tourment perpetuel 493b
821 Que ceuls ont qui suefrent tel vie,
822 Talent n’ay que je me marie.
XII. Exemple de la dure servitute de mariage par cellui qui juga le loup pris a estre marié pour le plus grant langour qu’il peust penser
823 Une fable oy pieca dire
824 D’une enfant qui estoit le pire,
825 Le plus mauvés qu’on peust trover :
826 Par tout se vouloit esprouver ;
827 Il batoit la gent et frapoit,
828 Des fillettes les huis rompoit ;
829 Il leur dessiroit leurs cotelles.
830 Maintes foiz en vindrent nouvelles
831 A son pere qui dolens yere
832 De ses faiz et de sa maniere,
833 Dont par mainte foiz le reprint
834 Et coriga, et le detin
835 Longtemps en tresdure prinson
836 Aucunefoiz une saison,
837 Aucunefoiz plus, l’autre moins[26],
838 Aucunefoiz fu par les mains
839 En sep, autrefoiz par les piéz,
840 Batus aussi et laidengiéz,
841 Dessains, dessiréz, mal vestus.
842 Li peres fu touz esperduz,
843 Car pour menacer ne pour batre
844 Ne pouoit son orgueil abatre,
845 Sa juenesse ne sa folie.
846 Voit que ses cuers ne s’amolie :
847 Long temps li fit suir la guerre,
848 Maint pais cerchier, mainte terre ;
849 En granz batailles se trova
850 Et en mainz perilz s’esprouva :
851 Hardi fu, moult de maulx souffri ; 493c
852 Aux perilz de la mer s’offri :
853 En galee fut et en lins,
854 Et fist pluseurs divers chemins,
855 De froit pain pluseurs foiz manga,
856 Mais ains pour ce ne se changa :
857 Tousjours fut folz, juenes et vers.
858 Ses peres qui lui fut divers
859 Pour les folies qu’il faisoit,
860 De ses meffaiz ne se taisoit,
861 Ains disoit pour avoir conseil
862 A ses amis : ― Je me merveil
863 Que je feray pour corrigier
864 Mon fil qui me fait enrragier.
865 Li uns li dist : ― Par Nostre Dame,
866 Il ne lui fault que donner fame,
867 Et je vous jure sur ma vie,
868 S’il est ainsi qu’om le marie,
869 Que vous le verréz amaty,
870 Bien debonnaire et amorty :
871 Ainçois que li ans soit passéz,
872 Sera si vaincu et lasséz
873 Que vous n’orréz jamais nouvelle
874 Que sa folie renouvelle.
875 Ly peres qui grant joie en ot,
876 A son fil quist si tost qu’il pot
877 Juene femme cointe et jolie ;
878 Les deux par mariage lie
879 Et leur donna de son avoir
880 Et de tout ce qu’il pot sçavoir
881 Qui fault a mesnaige tenir ;
882 Leur estat leur voult soustenir
883 [Un] long temps, puis en leur mesnaige 493d
884 Les fist aler. Lors devint saige,
885 Car sa femme l’aguillonnoit
886 De nuit et par jour le poingnoit,
887 Et l’enveoit a ses ouvriers.
888 Ore lui donnoit doulz baisiers,
889 Autre foiz seclamoit chetive,
890 Disans par paroule soutive :
891 ― Pourquoy revenéz vous si tart ?
892 Certes vous améz autre part,
893 Et voy que vous ne m’améz rien.
894 Et la faisoit tant au derrien
895 Que ses maris lui promettoit
896 Que plus ainsi ne le feroit.
897 Maintes choses li faisoit croire,
898 Et tant fist, ce fut chose voire,
899 Par son blandier, par le sens d’elle
900 Qu’elle le trait a sa cordelle.
901 Il souloit saillir com chevriaux,
902 Mais plus doulz devint c’uns aigniaux,
903 Maigres, ses et descouloréz,
904 Tristes, dolens et esploréz ;
905 Domptéz fut com beuf a charrue,
906 Plus ne fiert ne frape ne rue.
907 Moult en furent liéz ses parens
908 Et li peres ; ains que li ans
909 Fust passéz, n’ot plus debonnaire
910 Ou pais, on ne lui vit faire
911 Nulz meffaiz de la en avant,
912 Car puis ce jour, il doubta tant
913 Sa femme, son plet et sa noise.
914 Que s’elle deist de cervoise
915 Que ce fust vin, il l’acordast,
916 Car trop a courcer la doubtast.
917 Ainsi fut domptéz ce bon fil. 494a
918 Or advint un tresgrant peril
919 Ou pais et en la contree
920 Aprés celle premiere annee :
921 Il fut un course de leux
922 Enrragiéz, fors et perilleux,
923 Ravissans et femmes et hommes ;
924 Petiz enfans en grosses sommes
925 Prindrent, ravirent, estranglerent,
926 Et du bestail petit curerent :
927 Ne mangoient que char humaine ;
928 Plus de cent en une sepmaine
929 En destruirent sur le païs.
930 De quoi chascun fut esbahis,
931 Mais au fort chascuns s’assambla ;
932 Qui mieulx mieulx a la chace ala :
933 Aux bois, aux buissons et aux champs
934 Fut li cris et la chace grans
935 A chiens, a filez et a las ;
936 L’un criotoit hault, li aultres bas.
937 Et tant chacierent a effort
938 Que les loups orent ce jour tort :
939 Maint en y ot prins et tué,
940 Ce jour y ot maint coup rué :
941 D’espié, de haiche et godandart,
942 De baston, de lance et de dart
943 D’espees, d’arcs et de saiettes
944 Leur furent maintes plaies faictes.
945 La furent mors et desconfiz
946 Les loups, dont ce fut grans proufiz ;
947 Les aultres en furent pandus,
948 Les aultres aux champs espandus.
949 Mais uns vieulz loups, grans et chenus, 494b
950 Qui estoit li pires tenus,
951 Et qui plus avoit fait de maulx,
952 Fut prins tous vis a ces assaulx,
953 Et fut dit qu’om adviseroit
954 Laide mort de quoy il mourroit,
955 Et seroit menéz a la ville.
956 La veissiéz a cens et a mille
957 Hommes, femmes, petiz enfens,
958 Qui lui ruoient par les flens
959 Pierres, bastons, boe et mortier ;
960 La fut admené prinsonnier,
961 Lié les piéz de bonne corde ;
962 Sanz pité ne misericorde,
963 Fut en une cave gettéz.
964 Lors fut il consaulx assambléz
965 De quelle mort cilz loups mourroit :
966 L’un disoit qu’om l’escorcheroit
967 Tout vif, pour souffrir plus de mal ;
968 L’autre disoit qu’a un cheval
969 Fust trainéz et qu’om le pendist
970 Tout vif, si qu’en pendant languist ;
971 L’autre disoit, dont je me membre,
972 Qu’on le coupast membre aprés membre
973 Tout vif ; l’autre qu’om li crevast
974 Les yeulx et qu’ainsy s’en alast,
975 Si que chiens et gens le futassent
976 Et que de son mal se vengassent ;
977 L’autre disoit : ― En feu soit ars !
978 La veissiéz de toutes pars
979 Rendre merveilleux jugemens,
980 Tant que li uns dist : ― Je commens
981 Que nous soyons d’opinion. 494c
982 Lors churent en conclusion
983 Que le fil qui avoit esté
984 Mariéz, n’avoit c’un esté,
985 En jugast, et que sa sentence
986 Fust tenue sanz nulle offence.
987 De ce jugement s’excusa,
988 Mais neantmoins on opposa
989 Que tant avoit par tout alé
990 De long, de travers et de lé,
991 Et avoit tant veu et apris,
992 Que de ce ne seroit repris.
993 Lors dist : ― Puis qu’ainsi le fault faire,
994 Je juge, pour plussouffrir haire
995 Au leu, que il soit mariéz,
996 Et jamais ne le hairiéz
997 Aultrement mais que donnéz femme ;
998 Et je vous jure par mon ame
999 Qu’avoir ne puet plus grant tourment.
1000 L’exemple en voiéz proprement,
1001 Que moi, qui par prison ne guerre,
1002 ne aler par ler ne par terre,
1003 Ne poy onques estre domptéz
1004 Fors par femme, or suis ahontéz
1005 Que je n’ose son desplaisir
1006 Penser, ne hors aler gesir,
1007 Ne demourer plus hault d’une heure,
1008 Que femme ne me coure seure.
1009 Et par Dieu si sera li leux,
1010 S’il a femme, doulz et piteux,
1011 Et le verréz encor[27] hermite.
1012 Quant il ot sa parole ditte,
1013 Chascuns s’en rit, mais en la fin
1014 Escorchierent il Ysangrin,
1015 Et le pandirent par la gueule 494d
1016 A une saulx trestoute seule.
1017 Mais quant je pense a ceste fable,
1018 Elle puet estre veritable.
1019 Esbahis sui de cest exemple,
1020 Car mieulx est prins que par la temple
1021 Qui est de cel lien liéz :
1022 Par ma foy, il n’est pas trop liéz.
1023 Cuidéz vous pas que je y advise ?
1024 Or couvient il par mainte guise
1025 Que je par quelque voie quiere
1026 Bon conseil en ceste matiere :
1027 A deux conseilliers[28] m’en vouldray,
1028 Dont a l’un mon fait escripray,
1029 C’est a mon vray loyal ami,
1030 Qui ara grant pité de mi ;
1031 L’autre est a ceuls qui en ce cas
1032 Ont autrefois passé le pas :
1033 Que di je ? a ceuls qui l’ont passé ?
1034 je voy qu’ilz en sont tuit lassé
1035 Et oy chascun jour leur complainte :
1036 A mon ami feray ma plainte
1037 Par lettres, et comment je vis,
1038 Pour avoir sur ce son advis.
1039 Lors luy escry je ceste lettre,
1040 Que j’ay cy aprés voulu mettre.
XIII. Comment Franc Vouloir escript a son vray ami Repertoire de Science pour avoir son oppinion sur ce que les .iiii. dessus nomméz lui ont admonnesté
1041 Treschers amis, vraiz et secréz,
1042 Saiges [et] courtois et discréz,
1043 M’amour, mon bien, mon esperance,
1044 Mon confort, toute ma fiance,
1045 Le soustenement de mon corps,
1046 De ma vie et mort li drois pors, 495a
1047 Cellui en qui j’ay mon attente,
1048 Savoir vous faiz que l’en me tempte
1049 Et presse de marier fort,
1050 Et me dit on pour reconfort
1051 Que mieulx vault que je me marie
1052 Que non, et pour avoir lignie,
1053 Afin que mon renom ne faille
1054 Et que garçon ne truandaille
1055 N’aient aprés ma mort le mien,
1056 Et aussi que, se vieulx devien,
1057 Que ma femme sousteneresse
1058 Soit de moi et de ma vieillesse,
1059 Ou mes enfants, s’elle mouroit ;
1060 Et que que femme gouverneroit
1061 Mieulx mon hostel et ma chevance
1062 A mon proufit, par attemprance,
1063 Que ne font estrangier gent,
1064 Comme meschines et sergent,
1065 Et s’aray le port des amis
1066 Du lieu ou je me seray mis,
1067 Et larray l’orde vie et ville
1068 Que Dieux deffent en l’euvangille,
1069 C’est assavoir que nulz ne preingne
1070 Fornicacion ne ne tiengne
1071 Concubine ne femme estrange,
1072 Ne bate blef en aultrui grange,
1073 Car ce seroit pechiéz mortelz[29].
1074 Et encores suis je ennortelz[30]
1075 Que je la praingne jeune et riche,
1076 Belle, douce, courtoise et friche,
1077 Bien nee et d’auonnestes parans,
1078 Pour avoir plus tost des enfans
1079 Qui aprés ma mort porteront
1080 Mon nom et me remembreront 495b
1081 Au secle[31], quant finéz seray,
1082 Et par ce point que je pourray
1083 Ma vie user et ma juenesse
1084 En grant deduit, en grant leesse,
1085 Jusques a la fin de mon temps.
1086 Et pour ce qu’en ce po m’entens,
1087 Envoye ceslettres a ty,
1088 Et treshumblement te suppli
1089 Que sur ce me vueilléz rescripre
1090 Chose qui me doye souffire
1091 A congnoistre parfaictement
1092 Le bien, le mal ou le tourment,
1093 Qui de ce fait se puet despendre,
1094 Afin que de toy puisse aprandre
1095 Se c’est mon pourfit ou dommaige
1096 De moy bouter en mariaige,
1097 Ou de vivre sanz ce lien.
1098 Et, pour Dieu, n’y espargne rien
1099 A cerchier en toute escripture,
1100 Car au monde n’a creature
1101 Ou j’aye fiance qu’en toy,
1102 Et il me fault, quant est de moy,
1103 Dedenz .vi. jours de ci respondre.
1104 Si me vueilléz donques espondre
1105 Ta volunté et ton plaisir
1106 Sur ce fait, dont j’ay grant desir,
1107 Et le plus tost que tu pourras.
1108 Et par ma foy, quant tu voulras
1109 Chose que je puisse ne aye,
1110 Tien en ce ma parole vraye
1111 Que pour moy aler en essil,
1112 Je le feray comme ton fil,
1113 Qui moult a toy me recommende.
1114 Escri moy, ordonne et commende 495c
1115 Ton plaisir, et je le feray
1116 A mon pouoir mieulx que pourray ;
1117 Faulte n’y ara de ma part.
1118 Chers ami, Jhesucrist te gart !
1119 Escript en pensee nouvelle,
1120 Qui chascun jour me renouvelle.
1121 ― Ma lettre escrivi et seellay,
1122 Et a mon ami l’enveay,
1123 Qui la lut, et.iii. jours aprés,
1124 Petit loing ou petit plus pres,
1125 Me rescrivi en tel manniere
1126 Que vous ourréz ça en arriere
1127 De mot a mot, par son epistre,
1128 Dont cy aprés s’ensuit le titre.
XIV. Comment Repertoire de Science cerche touz ses livres et escript une espistre a Franc Vouloir, son disciple, sur l’estat de mariage, contenent sa conclusion
1129 Chers amis, j’ay ta lettre veue,
1130 Bien advisee, et bien leue,
1131 Et te voy ja plungié en l’onde
1132 Des flos perilleus de ce monde,
1133 Ou pour richesses que tu quiers,
1134 Ou pour femme que tu requiers
1135 Par l’ardent desir de juenesse,
1136 Qui maint homme destruit et blesse ;
1137 Et par le pouoir de ces deux,
1138 Richesse, femme, ou de l’un d’eulx,
1139 Te voy en grief oraige courre,
1140 Dont je voy po homme rescourre,
1141 Qu’il ne couviengne en celle mer
1142 De tourment sa vie blamer,
1143 S’al ‘un des deulx perilz s’ahert,
1144 Qu’il ne soit destruit et desert. 495d
1145 Or, enten, c’est droicte tempeste
1146 Qu’amour de femme, par ma teste,
1147 Et une unde qui plunge l’omme
1148 Es mortelz perilz, et l’assomme,
1149 Et le lie en toute saison ;
1150 Mais ancor par plus fort raison
1151 Est plus prins et de grief servaige
1152 Par le lien du mariaige
1153 Non desnouable et plus estraint,
1154 Qui toute franchise restraint,
1155 Et si n’en puet nulz desnouer ;
1156 Car en li fait si fort nouer
1157 Et en nouant faite tel veu,
1158 Qu’il ne piet desnouer ce neu
1159 Jusu’a tant la mort le desneue.
1160 Or se gart donc qui tel veu veue
1161 Au vray Dieu, qui si le conjoint,
1162 Que mortelz hom ne le desjoint
1163 Ne nulz ne le desjoindera.
1164 Or avise ci qui vourra :
1165 Pour ce le souverain lien
1166 Esperitel, oy et retien,
1167 C’est la saincte exortacion,
1168 Que tu n’aies entencion
1169 De toy bouter dedenz ce cerne.
1170 Jheremies en la cisterne
1171 Et ou lymon moult souffert a.
1172 Mais depuis, quant on l’en tira,
1173 Fut il mondéz de la boe orde :
1174 Et aussi, quant je me recorde,
1175 Les pecheurs sont par repentence
1176 Nettoiéz et par penitence
1177 Au monde et par confession.
1178 De la boe et pollucion 496a
1179 Fu Jheremies tiréz hors
1180 Aux vieulx vestemens de son corps ;
1181 Aussi noz peres anciens
1182 Nous sont exemples et liens
1183 De nous tirer hors des peris.
1184 Ou pluseurs ont esté peris
1185 Par mal considerer leurs fais.
1186 Treschier filz, enten que tu fais
1187 Et des nopces le grant dommaige
1188 Qui puet venir par mariaige ;
1189 Voy que phillosophes en dient
1190 Et comment ce grief lien nient,
1191 Et pran garde aux divins escrips
1192 Et aux exemples que j’escrips.
1193 Pran a l’un et a l’autre garde :
1194 A moy te consen et resgarde,
1195 Pense, retien et met a œuvre
1196 Ce que pour ton bien se descueuvre.
1197 Aureole nous fait ung compte
1198 De Theofrastre et nos racompte
1199 En son livre qu’il fist des nopces,
1200 Ou il n’a arestes ne boces,
1201 S’il laist au saige femme prandre,
1202 Et diffinit, se belle et tendre
1203 Est, de gent corps et bien parens,
1204 Honneste et de riches parens,
1205 Qu’elle soit bien moriginee
1206 Et de sa maniere ordonnee.
1207 [Et] bonne soit et riche et saige,
1208 Dont l’en voit pou en mariaige
1209 En deux gens ces pooins acorder.
1210 Si veult il dire et recorder,
1211 Et a son accort me consens,
1212 Que li saiges pert la son sens : 496d
1213 Donques ne doit il femme prandre,
1214 Qu’a l’estude et a elle entendre
1215 Ne puet ne a tous deux servir,
1216 A sa femme et aux livres vir.
XV. Des charges qui sont en mariage pour le mesnage soustenir avec les pompes et grans bobans des femmes.
1217 Et sces tu qu’il fault aux matrones
1218 Nobles palais et riches trones,
1219 Et a celles qui se marient,
1220 Qui moult tost leurspensers varient ?
1221 Elles veulent tenir d’usaige
1222 D’avoir pour parer leur mesnaige
1223 Et qui est de neccessité,
1224 Oultre tap ossibilité,
1225 Vestemens d’or, de draps de soye,
1226 Couronne, chapel et courroye
1227 De fin or, espingles d’argent,
1228 Et pour aler entre la gent
1229 Fins cuevrechiefs a or batus,
1230 A pierres et perles dessus
1231 Tyssus de soye et de fin or.
1232 Deniers fault avoir en tresor
1233 Et argent chascune journee ;
1234 Et qu’elle soit bien ordonnee,
1235 Vert, bleu, fin pers et escarlate
1236 Et fin blanc d’Yppre lui achate,
1237 Pour faire surecos ouvers,
1238 Cours etl ongs, et des menuz vers,
1239 Gris escureulx, fines laitisses,
1240 Afin que plus soient faitisses,
1241 Pannes de roix leur sont moult bonnes.
1242 Encor fault il que tu leur donnes
1243 Afin d’estre plus gracieuses
1244 Boutons a pierres precieuses,
1245 Et se tu veulz este benignes,
1246 Chaperons fault fourréz d’ermines, 496c
1247 Leurs manches, l’orfroy par dehors ;
1248 Et s’elle veult aller au corps
1249 De Gaultier, Hersan ou Jehannette,
1250 Il li fault robe de brunette
1251 Et mantel pour faire le dueil ;
1252 Et si dira : ― Encor je vueil
1253 Une fustaine, monseigneur,
1254 Et me fault un mantel greigneur
1255 Que je n’ay, a droit fons de cuve ;
1256 Et si vous di bien que ma huve
1257 Est vieille et de pouvre fasson :
1258 Je sçay tel femme de masson,
1259 Qui n’est pas a moy comparable,
1260 Qui meilleur l’a et plus coustable
1261 .iiii. fois que la mienne n’est.
1262 Et si me fault bien, s’il vous plest,
1263 Quant je chevaucheray par rue,
1264 Que j[e] aye ou cloque ou sambue,
1265 Haguenee belle et amblant,
1266 Et selle de riche semblant
1267 A las et a pendans de soye.
1268 Et se chevauchier ne pouoye,
1269 Quant li temps est fres comme burre,
1270 Il me fauldroit avoir un curre,
1271 A cheannes bien ordonné,
1272 Dedenz et dehors painturé,
1273 Couvert de drap de camocas.
1274 Je voy bien femme d’avocas,
1275 De povres bourgois de villaige
1276 Qui l’ont bien, (pourquoy ne l’arai ge ?)
1277 A .iiii. roncins atelé :
1278 Certes pas ne sont de tel lé 496d
1279 Ne de tel ligne com je suy.
1280 Par ma foy, encor ne vi je huy
1281 Femme qui mieulx le doie avoir,
1282 Et si ne seroit pas sçavoir
1283 A vous qui estes riches hom,
1284 Que je, dame de la maison,
1285 Entre les aultrs n’apparusse
1286 La plus grant, et que je ne fusse
1287 Pour vostre estat et reverence
1288 Femme de plus grant apparence
1289 Que ces pauvres femmes ne sont,
1290 Qui maintes bonnes choses ont.
1291 Encor voy je que leurs maris,
1292 Quant ilz reviennent de Paris,
1293 De Reins, de Rouen ou de Troyes,
1294 Leur apportent gans ou courroyes,
1295 Pelices, anneaulx, fremilléz,
1296 Tasses d’argent ou gobeléz,
1297 Pieces de cuevrechiés entiers ;
1298 Et aussi me fust bien mestiers
1299 D’avoir bourses de pierrerie,
1300 Couteaulx a ymaiginerie,
1301 Espingles tailliéz a esmaulx,
1302 Et chambre, quant j’aray les maulx
1303 D’enfans, belle et bien ordonnee
1304 De blanc camelot et brodee,
1305 Et les courtines ensement ;
1306 Pigne, tressoir semblablement
1307 Et miroir, pour moy ordonner,
1308 D’yvoire me devéz donner
1309 Et l’estuy qui soit noble et gent
1310 Pendu a cheannes d’argent ;
1311 Heures me fault de Nostre Dame,
1312 Si comme il appartient a fame 497a
1313 Venue de noble paraige,
1314 Qui soient de soutil ouvraige
1315 D’or et d’azur, riches et cointes,
1316 Bien ordonnees et bien pointes,
1317 De fin drap d’or tresbien couvertes ;
1318 Et quant elles seront ouvertes,
1319 Deux fermaulx d’or qui fermeront,
1320 Qu’adonques ceuls qui les verront
1321 Puissent par tout dire et compter
1322 Qu’om ne puet plus belles porter.
1323 Escuier fault et chamberiere,
1324 Qui voisent devant et derriere,
1325 Et qui facent vuidier les rens.
1326 Et si fault faire grans despens :
1327 Un clerc fault et un chapelain
1328 Qui chantera la messe au main,
1329 Un queux, une femme de chambre,
1330 Et si fault, quant je m’en remembre,
1331 Maistre d’ostel et clacelier,
1332 Grant foison grain en un celier,
1333 Bestiaulx, poulailles, garnisons,
1334 Foings, avoines en leurs maisons,
1335 Grans chevaulx, roncins, haguenees,
1336 Salles, chambres bien ordonnees
1337 Pour les estrangiers recevoir,
1338 Et si leur fault encor avoir
1339 Beaux lis, beaux draps, chambres tendues,
1340 Et qu’il mettent leurs entendues
1341 A belles touailles et nappes ;
1342 Et si faut, ains que tu eschapes,
1343 Belles chaieres et beaux bans,
1344 Tables, tretiaulx, fourmes, escrans,
1345 Dreçoirs, grant nombre de vaisselle,
1346 Maint plat d’argent et mainte escuelle 497b
1347 Si non d’argent, si com je tain,
1348 Les faut il de plomb ou d’estain,
1349 Pintes, pos, aiguiers [et] chapines,
1350 Salieres, et pour les cuisines
1351 Fault poz, paelles, chauderons
1352 Cramaulx, rostiers et sausserons,
1353 Broches de fer, hastes de fust,
1354 Croches, havés, car, ce[32] ne fust,
1355 L’en s’ardist la main a saichier
1356 La char du pot, sanz l’acrochier.
1357 Lardouere fault et cheminons,
1358 Petail, mortier, aulx et oignons,
1359 Estamine, paelle trouee[33]
1360 Pour plus tost faire la poree,
1361 Cuilliers grandes, cuilliers petites,
1362 Cretine pour les leschefrites
1363 Aler souvent querir au four,
1364 Longue pelle fault a retour
1365 Qui dessoubz le rost sera mise,
1366 Et si couvient, quant je m’advise,
1367 Pos de terre pour les potaiges.
1368 Et encor est ce li usaiges
1369 D’avoir granz cousteaulx pour les queux.
1370 Et si fault avoir entre deux
1371 Buche, charbon, sel et vinaigre,
1372 Lart pour larder, qui ne soit maigre,
1373 Gingembre, cannelle, safran,
1374 Graine et cloux, tresdoulz filz, apran,
1375 Poivre long, fueille de lorier,
1376 Pouldre pour la sausse lier,
1377 Et s’aucune fritture est fette,
1378 Oile, sain fault et la palette
1379 De fer trouee[34] au remouvoir.
1380 Et si te faiz bien assavoir 497c
1381 Qu’il fault beaus couteaulx a trenchier
1382 Devant la table a ton mangier ;
1383 Pouldre de duc pour l’ypocras
1384 Te couvient, et maint lopin cras,
1385 Sucre blanc pour les tartelettes,
1386 Pommes, poires, neffles, noisettes,
1387 Frommaiges de presse et de Brie.
1388 A pres disner vient la mestrie
1389 Des dragoirs faire et apporter.
1390 Lors couvient ses gens enhorter,
1391 D’avoir sucre en plate et dragee,
1392 Paste de roy bien arrangee,
1393 Annis, madrian, noix confites,
1394 Et o les choses desssus dictes
1395 Couvient pignolat qui refroide,
1396 [Et] manus Christi qui est roide
1397 Et aultres espices asséz,
1398 Que je suy de nommer lasséz.
1399 Pour honourer les estrangiers,
1400 En chambre[35] aprés les grans mangiers,
1401 Touailles blanches sanz reprouche
1402 A quoy on essura sa bouche,
1403 Quant le dragoir yert descouvert.
1404 Encor ne t’ay je pas ouvert
1405 Qu’il faut escrins, huches et coffres.
1406 Resgarde a quelz perilz tu t’offres.
1407 Chaussemente fault et solers,
1408 Pour les venues, pour les alers,
1409 De blanc, de noir et de vermeil,
1410 L’un de blanc, l’aultre despareil,
1411 Qui soient fait comment qu’il prangne,
1412 Estroiz, escorchiéz, a poulaine
1413 Ronde, deliee et ague,
1414 Tant qu’om la voye par la rue. 497d
1415 Aucune foiz soient a las,
1416 A bouclettes, puis hauls, puis bas,
1417 Selon l’esté ou les yvers
1418 Et la saison des temps divers ;
1419 Fault chauces et cotte hardie
1420 Courtelette, afin que l’en die :
1421 "- Vez la biau piet et faiticet !
1422 Or couvient un large colet
1423 Es robes de nouvelle forge.
1424 Par quoy les tettins et la gorge
1425 Par la façon des entrepans
1426 Puissent estre plus apparans
1427 De donner plaisance et desir
1428 De vouloir avec eulx gesir ;
1429 Et, se de tetins est desmise,
1430 Il couvient faire en la chemise
1431 De celle cui li sangs [36] avale,
1432 Deux sacs par maniere de male,
1433 Ou l’en fait les peaulx enmaler
1434 Et les tetins a mont aller ;
1435 Et afin qu’elle semble droicte,
1436 Lui fault faire sa robe estroicte
1437 Par les flans et soit bien estraincte,
1438 Afin qu’elle semble plus joincte :
1439 La ne fault panne fors que toile,
1440 Mais au dessoubz faut faire voile,
1441 Depuis les reins jusques au piet,
1442 Du cul de robe qui leur chiet
1443 Contreval, comme uns fons de cuve
1444 Bien fourré ou elle s’encuve ;
1445 Et ainsi ara la meschine
1446 Gresle corps, gros cul et poitrine,
1447 Par l’ordonnance qu’elle y met,
1448 De l’ouvrier qui s’en entremet.
1449 Des nopces qui sont de grans coux,
1450 Puisse bien sermonner a tous
1451 Que c’est folie de les faire !
XVI. Cy parle contre tous ceuls qui font nopces sumptueuses et, quelque largesce qui y soit, es plaintes que chascun y fait communement.
1452 Saint Bernart puis a temoin traire,
1453 Qui dit que nopces sumptueuses
1454 Aux marians sont dommageuses,
1455 Et qu’a la dame et au seigneur
1456 Portent dommaige sanz honneur.
1457 Et si ay vey ailleurs escript
1458 Un proverbe, qui sur ce dit
1459 Que les grans noces font li sot
1460 Et li saie homme sanz escot
1461 Les nopces de ces foulz manguent,
1462 Puis aprés s’en moquent et juent,
1463 Et y treuvent moult a redire :
1464 Si saiges n’est qui puist souffire
1465 A servir a nopces a gré.
1466 L’un dit : ― Je fu ou bas degré ;
1467 On ne tenoit compte de moy.
1468 Et l’autre jure par sa foy
1469 Qu’il ne vit onques pis servir.
1470 L’autre dit : ― L’en vint desservir
1471 Et oster tables et tretiaulx,
1472 Qu’asséz en y avoit de ciaulx
1473 Qui n’avoient but ne mangié.
1474 L’autre dit : L’en nous a changié
1475 Trois foiz le vin a nostre table !
1476 L’autre dit : ― Mangier delectable
1477 Avions asséz, s’il fust saléz
1478 Et li pains en fust mesaléz.
1479 L’autre dit : ― Que valoit leur ros ?
1480 Leur potaige savoit les pos
1481 Et leur sausse n’estoit que vin.
1482 ― Certes, fait un autre voisin,
1483 De povres gens n’y fist on compte.
1484 ― Certes, fait l’autre, c’est grant honte
1485 De teles nopces commencier
1486 Car on n’y faisoit que tancier.
1487 Et ainsis voit on moult souvent
1488 Que telz nopces et tel couvent
1489 Ne sont que cousts et moquerie ;
1490 Et pour ce est grant cocarderie
1491 A ceuls qui teles nopces font,
1492 Qui souventefoiz s’en deffont,
1493 Et despendent le tiers du lour,
1494 Ou dommaige ont et nulle honour.
1495 Heraul y a et menestrelz,
1496 Que, quant ilz sont leans entréz,
1497 L’un par corner, l’autre par bordes,
1498 Leur dient tant de fafclourdes
1499 Et portent si grant renommee
1500 Que le mentel de l’espousee
1501 Ara l’un, tant sera rusé ;
1502 L’autre l’ara de l’espousé.
1503 [Et] ainsi s’en va leur chevance,
1504 Et leur commence leur meschance.
1505 Telz menestrelz ne telz heraulx,
1506 Qui sont racine de touz maulx,
1507 Leur instrument ne jougleour
1508 N’ont pas plu a Nostre Seignour :
1509 Mieulx leur vausist que leur mantiaux
1510 Eussent esté donnéz a ciaulx
1511 Qui longuement les ont servis,
1512 Ou endementiers qu’ilz sont vis,
1513 En eussent leurs estas tenus, 498c
1514 Ou que les povres membres nus
1515 De Nostre Seigneur Jhesucrit
1516 En eussent petit a petit
1517 Esté couvert et sustentéz,
1518 Que les donner aux menestréz[37]
1519 Et aux heraulx, qui trop sont riches.
1520 Mais maintes personnes sont chiches
1521 De donner a pluseurs pour Dieu,
1522 Qui tout gastent en seul lieu
1523 Et donnent a ceulx qui trop ont,
1524 Mais ou ilz doivent riens ne font.
1525 Et Dieu pas ne les couverra,
1526 Quant plains de pechiéz les verra
1527 Trembler, gemir, plaindre et plourer :
1528 Petit leur vauldra leur ourer
1529 Ne leurs grans nopces qu’ilz ont faictes ;
1530 Leurs vies leur seront retraictes,
1531 Et, pour leur feste commencier,
1532 Les envoiera lors dancier
1533 En cordes et liens de fer
1534 Avec les ennemis d’enfer,
1535 S’ilz ne s’advisent entre deux.
1536 Penser y doit bien chascuns d’eulx,
1537 Et soy justement maintenir.
XVII. Comment mariage n’est que tourment, quelque femme ne de quelque estat que l’en prangne, et que en tele charge cheust mieulx advis qu’en achat de beste mue.
1538 A mon propos vueil revenir.
1539 Qui prandra femme, cilz l’ara
1540 Toute tele qu’il la prandra,
1541 Soit juene, vieille, salle ou nette,
1542 Sotte, boiteuse ou contrefette,
1543 Humble, courtoise ou gracieuse, 498d
1544 Belle ou borgne ou malicieuse,
1545 Car par devant se couverra ;
1546 Mais ses meurs aprés ouverra,
1547 Et de prés les fera sentir
1548 A tel qui en sera martir ;
1549 Lors fera apparoir ses vices.
1550 Si me semble que cilz est nices
1551 Qui, sanz cerchier ce qu’il veult prandre,
1552 L’achate et ne le puet reprandre.
1553 Se tu veulz achater bestail
1554 Pour garder ou vendre a detail,
1555 Soit buefs, vaiches, brebiz ou pors,
1556 Tu le verras au long du corps,
1557 Ou ventre, en la queue, en la teste
1558 Et es dens, s’il est juene beste,
1559 Et les metteras[38] a l’essay ;
1560 Et de chevaulx encore sçay,
1561 Quant ilz vendront en ton encontre,
1562 Ilz troteront dessus la monstre,
1563 Tu les verras et chaux et frois,
1564 Et soubz la selle, c’est bien drois,
1565 Qu’ilz ne soient rouz ou casséz.
1566 Et qu’ilz ne soient mespasséz,
1567 Leur tasteras parmi les jointes.
1568 Sus monteras, et donrras pointes
1569 Es costéz de tes esperons.
1570 Mais autrement va des barons
1571 Et des aultres qui prannent femmes,
1572 Car sanz vir queuvrent leurs diffames,
1573 Et les prannent sanz ce sçavoir
1574 Qu’elles font depuis apparoir,
1575 Comme plus a plain sera dit.
1576 Quant le povre deduit du lit
1577 Est passé par aucunes nuis,
1578 Lors te saudront les grans ennuis,
1579 Car tu ne pourras achever
1580 Son delit sanz ton corps grever,
1581 Qui adonc reposer vouldras ;
1582 Mais Dieux scet que tu ne pourras
1583 Rendre le deu qu’elle demande
1584 Quant au delit. Or yert engrande
1585 D’avoir fremilléz et affiches,
1586 Et tu ne seras pas si riches
1587 Que tu puisses continuer
1588 Son estat et renouveler ;
1589 Et elle verra ses voisines,
1590 Ses parentes et ses cousines,
1591 Qui nouvelles robes aront :
1592 Adonc plains et plours te saudront
1593 Et complainte de par ta fame,
1594 Qui te dira : ― Par Nostre Dame,
1595 Celle est en publique honouree,
1596 Bien vestue et bien accesmee,
1597 Et entre toutes suy despite
1598 Et povre, maleureuse ditte !
1599 Mais je voy bien a quoy il tient :
1600 Vous regardéz, quant elle vient,
1601 No voisine, bien m’en perçoy,
1602 Car vous n’avéz cure de moy ;
1603 Vous jouéz a no chamberiere :
1604 Qui[39] du marchié venis arriere,
1605 L’autre jour, que li apportas ?
1606 Las ! De dure heure m’espousas !
1607 Je n’ay mari ne compaignon.
1608 Certes si[40] vous me fussiéz bon,
1609 Et vous n’amissiéz autre part,
1610 Vous ne venissiéz pas si tart
1611 Comme vous faictes a l’ostel ! 499B
1612 Elle tient ennemi mortel
1613 Celle a qui son mari parole,
1614 Et cuide et pense, tant est fole,
1615 Que le parler a sa voisine
1616 Ly engendre mortel haïne.
1617 Et encor soit ly maris saiges,
1618 De droit escript et par usaiges
1619 Gouvernans toutes les citéz,
1620 Et que ses noms soit recitéz
1621 Comme saiges en toute terre,
1622 Ne puet il eschuer la guerre
1623 De sa femme, puis qu’il l’a prise,
1624 Ne la sarcine de l’emprise.
XVIII. Des grans annuys de mariage quant la femme est b
1625 Se tu la prens, qu’elle soit belle,
1626 Tu n’auras jamais paix a elle,
1627 Car chascuns la couvoitera,
1628 Et dure chose a toy sera
1629 De garder ce que un chascun voite
1630 Et qu’il poursuit et qu’il couvoite,
1631 Car tu as contre toy cent oeulx.
1632 Et li desirs luxurieux
1633 Est toutes fois contre beauté,
1634 Qui est contraire a chasteté.
1635 A paine pourroit belle fame
1636 Sanz grant bonté eschuer blame,
1637 Com chascuns y tend et y rue,
1638 Soit en moustier, soit en my rue,
1639 En son hostel ou autlre part.
1640 Ly uns des chapeaulx ly depart,
1641 L’autre robes, l’autre joyaulx,
1642 L’un fait joustes, festes, cembeaux 499c
1643 Pour son amour, pour son gent corps ;
1644 L’autre lui envoie dehors
1645 Chançons, lettres et rondeléz,
1646 Formaulx, frontaulx et anneléz,
1647 Et dit que de sens n’a pareille,
1648 C’est[41] de beauté la nompareille :
1649 Il art pour li[42], il muert, il pert ;
1650 Li uns se vest pour li de vert,
1651 L’autre de bleu, l’autre de blanc,
1652 L’autre s’en vest vermeil com sanc,
1653 Et cilz qui plus la veult avoir
1654 Pour son grant dueil s’en vest de noir,
1655 Et dist qu’il vit a grant martire.
1656 Et quant femme oit sa beauté dire,
1657 Lors rogist, lors taint, lors fremie,
1658 Et fait le tour de l’escremie,
1659 Et se consent comme une beste
1660 A l’ort pechié, vil, deshonneste,
1661 Et se melle comme uns pourceaux
1662 Avec cellui, avecques ceaux
1663 Qui l’emprintent a son mari,
1664 Qui depuis a le cuer mari
1665 Et vit en crueuse bataille
1666 Pour la grant lesse qu’il lui baille,
1667 Car puis qu’elle change une foys,
1668 Son lit certes ne deux ne trois
1669 A homme ne refusera,
1670 Et ainsis honnie sera ;
1671 Car qui une fois s’acoustume
1672 A pechier, legierement tume
1673 Les autres foiz ou grief pechié,
1674 Dont il est prins et entechié.
1675 Car par naturele raison, 499D
1676 Quant il chiet inundacion
1677 D’eaue du ciel en une plainne,
1678 En pendant ou en la montaingne,
1679 Quant l’eaue descent du ciel fort,
1680 Aucune foiz fait un regort
1681 Et cheve, quant elles desroche,
1682 Aucun royat en une roche
1683 OU il n’avoit onques esté,
1684 Dont jamais yver ne esté
1685 Ne sçavera si po plouvoir
1686 Qu’eaue ne s’i vueille esmouvoir
1687 Et venir par accoustumance
1688 En cel lieu, non fait d’ordonnance,
1689 Fors d’une fois par un faulx cours ;
1690 Et ainsi femme tout le cours,
1691 Puis qu’elle a une fois changié,
1692 N’en sera nul homme estrangié.
XIX. Des griefs et ennuys d’omme et de femme quant elle est belle et le mari lui refuse aller aux festes et aux deduys.
1693 Or veons, se li homs refuse
1694 Sa femme a aucun qui la ruse
1695 Plus grant de li, et n’en scet rien,
1696 Ou a un prince terrien,
1697 Pour aller a jouste ou a feste,
1698 Ou a un sien parent honneste
1699 Qui sera de ce fait requis,
1700 Il sera de pluseurs hais,
1701 Et diral l’en qu’il est jaloux,
1702 Et qu’il est felon et estoux,
1703 Et met sa femme a male voye.
1704 D’autre part jamais n’ara joye,
1705 Car sa femme plourra toudis
1706 Et dira : ― Li jous soit maudis 500a
1707 Que je fus onques mariee !
1708 Lasse ! Je doy bien estre iree,
1709 Quant on a sur moy souspeçon
1710 Sanz cause ! Mieulx a un garçon
1711 Me vaulsist avoir esté femme !
1712 Mon propre mari me diffame,
1713 Qui ne me laist en compaignie
1714 Aller. Nul temps ne m’esbanie,
1715 A feste ne vois n’a carole.
1716 Neis me deffent il la parole,
1717 Ne je n’ose aller au moustier !
1718 Certes la femme d’un fruitier,
1719 Qui vent son fruit en my la ville,
1720 Seroit plus aise que telz mille
1721 Comme je suy, et est sanz doubte.
1722 Je muir, seiche et languis trestoute !
1723 Elle voit, elle oit ce qu’om dit.
1724 Son mari ne lui escondit
1725 Riens veoir n’oir ne entendre,
1726 Et ainsi puet son deduit prandre
1727 Chascun jour et avoir plesir.
1728 Certes fors la mort ne desir,
1729 Mais s’ainsis estroit suy ferree,
1730 Mais chançon en yert chantee ;
1731 Ne me mescroira pour nyant !
1732 Ainsi va merencoliant
1733 Femme et parlant, qui est enclose.
XX. Comment c’est tout tourment que mariage, quant la femme est laide, belle, riche ou povre.
1734 Or regardons une autre chose,
1735 Que nulz homs ne veult ne souhaide :
1736 S’il est qui preingne femme laide, 500
1737 Nulz homs n’ara sur elle envie ;
1738 Et ou sera plus mortel vie
1739 Qu’a cellui qui possidera
1740 Ce que nulz avoir ne vourra,
1741 Que il possidera tous seulx ?
1742 En tous temps le verréz honteux,
1743 Plain de courroux et d’ataÿne
1744 Et contre sa femme en haÿne,
1745 En laidenges et en reprouches,
1746 Qui ysteront de leurs deux bouches.
1747 Et la clamera vile et orde.
1748 Et ainsis seront en discorde,
1749 Tousjours sanz paix et sanz amour,
1750 Et fera par tout sa clamour
1751 De sa femme laide qu’il a,
1752 Ne jamais jour ne l’aimera.
1753 Belle femme est envix domptee,
1754 Et la laide est trop ahontee.
1755 Se tu prans femme qui soit riche,
1756 C’est le denier Dieu et la briche
1757 D’avoir des reprouches souvent.
1758 S’elle est povre, ce n’est que vent
1759 Et tourment d’elle soustenir.
1760 S’en paix veulz ta vie finir,
1761 Quelque chiere que femme face,
1762 Il te fault encliner sa face.
1763 Soit belle, laide ou difformee,
1764 Fain qu’elle soit de toy amee :
1765 Il couvient sa beauté louer,
1766 Et te tien d’autre regarder.
1767 Il faut qu’apelee soit dame,
1768 Et que tu jures Nostre Dame
1769 Qu’elle passe tout en bonté.
1770 Le jour de sa nativité
1771 Te doit estre concelebrable,
1772 [Et] le sa nourice amiable,
1773 Son aieul, son frere et son oncle
1774 Et son pere doiz tu a l’ongle
1775 Honourer, amer, conjouir,
1776 Les mesgnies et gens jouir
1777 Et livrer tout[43] ce qu’il lui fault.
1778 Encor doiz tu jurer en hault
1779 Par son salut, tant qu’elle l’oye :
1780 Si la tendras par ceste voye
1781 En longue et grant entencion
1782 De faire fornicacion.
1783 Quanqu’elle aime te fault amer.
1784 Vez ci un mot dur et amer ;
1785 Se tu lui charges la maison
1786 A gouverner, c’esta choison,
1787 Qu’elle a la paine, et non pas toy.
1788 Obeir la te fault, par foy,
1789 Et souffrir ce qu’elle dira,
1790 Car souvent te reprouvera :
1791 ― J’ay la querche, je m’embesongne
1792 Ceens de toute la besongne.
1793 J’ay le soing de tout gouverner.
1794 Je ne sçay pas mon piet tourner
1795 Qu’en vint lieux ne faille respondre.
1796 L’un me dit : ― Les brebiz fault tondre.
1797 L’autre dit : ― Les aigneaulx secrer.
1798 L’autre : ― Il faut es vignes ouvrer.
1799 L’autre s’en va a la charrue.
1800 L’autre dit : ― Getter fault en rue
1801 Les vaches aprés le vachier.
1802 L’autre dit : ― Il fault escorchier 500d
1803 Un buef qui s’est laissé mourir.
1804 L’autre dit : ― Il faut recouvrir
1805 Es estables et sur la grange.
1806 Or revient aucune ame estrange :
1807 Si fault aparlier[44] a mangier.
1808 De l’argent fault pour le bergier,
1809 Du belf pour porter au moulin.
1810 Or fault pouveance de vin,
1811 De l’uille, des feves, des poys :
1812 Tous ce mettéz vous sur mon poys.
1813 Or fault du lin et de la chanvre
1814 Et un cuir qui ne soit pas tenve
1815 Pour solers et pour estivaux.
1816 Or fault des harnoiz aux chevaulx,
1817 Selles, cordes et mansillons.
1818 Or refault aller aux charrons
1819 Pour roes ou pour tumerlaux.
1820 Sarpes, houes fault et hoyaux.
1821 Au fevre les chevaulx ferrer.
1822 Fers a charrue pour arer,
1823 Et si fault au cordier des tres.
1824 Ainsi me fault guetter de pres,
1825 Dont je vous jur par saint Nichaise
1826 Qu’il n’a femme plus en malaise
1827 Que je sui en toute la ville.
1828 Et, Dieu mercy, si suy je habille
1829 A toutes ces choses deduire :
1830 Ceans ne fault ne pot ne buire
1831 Que je n’achate et que ne[45] tiengne.
1832 Et s’il avient qu’il la restreingne,
1833 Etque n’ait plainne auctorité,
1834 Lors dira : ― Bien suy a vilté
1835 Tenue comme une servente :
1836 Je n’oseroye mettre en vente
1837 Une seule aiie[46] de blé.
1838 Il samble au gens que j’aye emblé
1839 Aucune chose, est ce bien fait ?
1840 Hé ! Lasse ! Or n’ay je riens meffait,
1841 Et si suis de si prés tenue !
1842 Ceste maison est maintenue
1843 Par estrange gent jour et nuit.
1844 Ce me tourmente et si me nuit
1845 Et me cravente ma juenesse.
1846 Je ne suy mie larronnesse.
1847 N’ay je pas la moité par tout ?
1848 Nennil, je n’en ay qu’a un bout,
1849 Moins asséz c’une chamberiere,
1850 Qui va devant, et je derriere.
1851 On me restraint. Vez, quel doleur !
1852 Je n’averay jamais honeur
1853 Ne n’apprandray en mariage
1854 Qui vaille un denier de mesnage !
1855 Helas ! Et qu’a il veu en moy
1856 Ou il n’adjouste point de foy ?
XXI. Des divers engins et aguais que femme appareille a son mari, s’il ne consent pas a sa voulenté
1857 Or est en grant courroux tournee,
1858 Et maudit l’eure que fut nee.[47]
1859 Pense illec venins et charays,
1860 Enchantemens, poisons, agays,
1861 De toriaux, d’arays et de bestes,
1862 Et diverses autres tempestres
1863 Qu’elle puist lors pour soy vengier
1864 A son mary faire mangier,
1865 Car femme n’a plus grant science
1866 Fors voulenté pour conscience. 501b
1867 Elle est fraile et malicieuse
1868 Et a mal faire estudieuse,
1869 Et subtive a trouver ses ars.
1870 Vouldroit que ses maris fust ars,
1871 Quant il la restraint ou riote :
1872 Nul n’y a, Marson ne Guiote,
1873 Marguerite, Alison, Bietris,
1874 Qui ne voulsist que leurs maris
1875 Fussent cent toises en parfont,
1876 Puis que leurs voluntéz ne font.
1877 Tousjours veulent estre maistresses,
1878 Et se tu consens que leurs tresses
1879 A fil d’or soient galonnees
1880 Et qu’elles soient ordonnees
1881 De soye et de fins autres draps,
1882 Que feras tu ? Tu nourriras
1883 Le vice d’impudicité,
1884 Qui destruira leur chasteté.
1885 Et se tu fais restrinction,
1886 Sur toy aront suspection,
1887 Et leur gendreras grant injure,
1888 Comme il soit vray que je te jure
1889 Qu’a femme non chaste resgarde
1890 Ne puet valoir. Chastel ne garde
1891 Riens ne vault a elle garder.
1892 Veulz tu la chaste resgarder
1893 Et congnoistres sanz atouchier ?
1894 C’est celle qui lieu de pechier
1895 A eu et ne lui a pas pleu,
1896 Dont j’ay le nombre petit leu.
1897 Encores, quant a mariage,
1898 Tendroie cellui a plus saige
1899 Qui la laide femme prandroit,
1900 Que cil qui la belle tendroit
1901 Car al ala belle chascuns rue.
1902 Mais se la laide en my la rue
1903 Estoit cent ans et un demy,
1904 Ja n’y feroit un seul[48] amy.
1905 Car ja ne verréz creature
1906 Qui ne hee laide figure,
1907 Et aise le perier gardon
1908 On l’en ne jette nul baston
1909 Ne pierre, car qui y gettroit[49]
1910 Aucune pierre, y demourroit.
1911 Si ne puet qu’il ne viengne une heure
1912 Qu’un coup a la belle demeure,
1913 Et par ce seul coup en descent,
1914 Aprés, un a un plus de cent,
1915 Dont li periers est abatus.
1916 Et se[50], pour avoir embatus
1917 En mariage estroictement[51],
1918 Pour laissier le gouvernement,
1919 Avec la dispensacion
1920 De l’ostel et de la maison
1921 A ta femme, cuides tu mie
1922 Que plus fermement ta mesgnie,
1923 Uns bons sers, uns loyaulx varlés,
1924 T’obeisse, et auquel tu lés
1925 Ton vouloir et ton ordonnance
1926 Tant sur le fait de ta despence
1927 Comme aultrement et sur son blame,
1928 Que celle qui se tient pour dame,
1929 Et qui fera sa voulunté,
1930 Non ce que tu as commendé ?
1931 Car tout est sien a son advis :
1932 Si seroies trop mieulx servis
1933 De cellui qui tes servens est,
1934 Et le trouveroies plus prest
1935 Pour toy obeir a toute heure, 501d
1936 Que ta femme qui plaint et pleure,
1937 Quant tu te gis au lit mortel
1938 En ta maison, en ton histel,
1939 Et se complaint de son douaire.
1940 Ne te[52] puelent pas[53] de bien faire
1941 Tes amis charnelz, tes parens
1942 Et tes serviteurs apparens,
1943 Qui sont par nature obligéz
1944 Les aulcuns, les autres liéz
1945 Par loier et par droit servaige
1946 A toy farder en ton malaife
1947 Mieulx c’une femme, qui toudis
1948 Gette de grans mos et despis
1949 Au languissant qu’elle despoire,
1950 Et lui fait perdre son memoire,
1951 Souvent par crier et par braire,
1952 Et le mayne jusqu’au suaire ?
1953 Se le maru a des enfans
1954 D’autre femme, et son mendres d’ans,
1955 Petitement seront partis,
1956 Mais bien tost seront departis
1957 De la marrastre aprés la mort,
1958 Et couvendra, soit droit, soit tort,
1959 Qu’elle ait tout ce qu’elle demande.
1960 Chetive se claime et truande,
1961 Et dit : ― Nous estion povre gent :
1962 Il n’y a ne meubles n’argent,
1963 Mais nous devons de grosses debtes.
1964 Lors sont composicions fettes
1965 Sur les enfants ou heritiers.
1966 Elle emporte plus que le tiers,
1967 Et s’a a part tout desrobé,
1968 Sa proye prins comme un hobé
1969 Pour un autre qui la prandra.
1970 Et sçavéz vous qu’il advendra ?
1971 Du service, obseque et les lays
1972 Oir vouldra parler jamais,
1973 Excepté d’une courte messe.
1974 Et regardera, en la presse
1975 A porter[54] la deffunct en terre,
1976 Quel mari elle pourra querre
1977 Et avoir aprés cesti cy.
1978 Or te doiz tu bien, Dieu mercy,
1979 Marier et desirer femme,
1980 Qui ainsi pense de ton ame
1981 Et ta vieillesse te soustient !
1982 Mieulx vaulsist bons varlés qui vient
1983 Au commendement de son maistre,
1984 Qu’a tel femme mariéz estre,
1985 Qui abrege au mari la mort
1986 Et qui tost l’oublie lui mort.
1987 Et s’elle avoit enfans de li,
1988 Quoy de ce ? Il seroit honni,
1989 Car elle leur donrra parrastre,
1990 De mere leur sera marrastre.
1991 Et puet estre qu’elle aymera
1992 Du second mary qu’elle ara
1993 Mieulx les enfans que du premier.
1994 Et, se ferme est comme un pommier,
1995 Bonne et loial, qui po se treuve,
1996 Si com[55] l’Escripture nous preuve,
1997 En enfantant ses griefs plorons,
1998 Et du peril nous tormentons.
1999 Saiges homs ne puet estre seulx :
2000 Il voit les livres et s’a ceulx
[1] Ms. mettroient ; Raynaud corrige en meteroient
[2] Ms. Les
[3] Raynaud corrige en Faintise
[4] Raynaud corrige en le
[5] Ms. pour
[6] Ms. unicion
[7] Ms. esleargir
[8] Ms. et si
[9] Ms. de Thobie
[10] Ms. que es
[11] Ms. Ilz les
[12] Ms. daires
[13] Vers manquant
[14] Ms. Et tu
[15] Raynaud corrige en feconde
[16] Ms. tu nous
[17] Ms. je suy
[18] Ms. Et aussi
[19] Ms. Lun
[20] Ms. lui
[21] Ms. men dueil
[22] Ms. et chancons
[23] Raynaud corrige en se
[24] Raynaud corrige en Se
[25] Raynaud corrige en Se
[26] Raynaud corrige en mains
[27] Ms. encores
[28] Raynaud corrige en conseillier
[29] Raynaud corrige en mortés
[30] Raynaud corrige en ennortés
[31] Ms. secles
[32] Raynaud corrige en se
[33] Ms. trouuee
[34] Ms. trouuee
[35] Ms. chambres
[36] Raynaud corrige en sains
[37] Ms. menesterez
[38] Ms. metteras
[39] Raynaud corrige en Quant
[40] Raynaud corrige en se
[41] Raynaud corrige en S’est
[42] Ms. lui
[43] Ms. elle
[44] Raynaud corrige en aparlier
[45] Ms. je ne
[46] Raynaud corrige en mine
[47] Le copiste a doublé ce vers et le précédent.
[48] Ms. isieul
[49] Ms. getteroit
[50] Raynaud corrige en si
[51] Ms. es droitement
[52] Ms. ce
[53] Raynaud corrige en plus
[54] Ms. apporter
[55] Ms. comme