Dit 27 : Treschiers amis et vrais compains (MCCCCXX)
D’une autre lettre envoyee par ledit Eustace, lui estant malade a Villers Cost Rest
1 Treschiers amis et vrais compains,
2 Mes pleurs, mes regrés [et] mes plains
3 Et l’estat de ma maladie
4 Que pas n’appartient que je die,
5 Me sont cessez soubdainement.
6 En partie moiennement[1]
7 Ay recouvré convalescence[2]
8 Et avray, si comme je pence
9 D’or en avant, la Dieu mercy,
10 Et mon treschier seigneur aussi,
11 Qui de s’umble benignité
12 A fait œuvres de charité,
13 Congnoissans ma pouvre personne,
14 Dont au cuer tel joie me sonne
15 Pour le temps futur [et] present,
16 Quant je remembre le present
17 De la perche qu’il m’envoya
18 De son plat, dont il ravoya
19 En moy santé et esperance
20 En lieu de tirstesce et pesance
21 Qui m’avoient ensevely
22 Et estraint en un cuir boully,
23 Plain de triste merencolie
24 Ou je doubtay que par folie
25 J’eusse Monseigneur offendu.
26 Las ! et je voy qu’il m’a rendu
27 Bien pour mal, quant il se recorde
28 De faire aux siens misericorde,
29 Quant ilz sont en adversité. 430a
30 Et Dieux vueille par sa pité
31 Que je le puisse temprement
32 Mercier de mon suavement !
33 Et vous pri[e] qu’en mon absence
34 L’en merciéz en la presence
35 De sesgens : si congnoisteront
36 Que ceuls qui bien le serviront
37 Ne seront pas mis en oubli,
38 Quant moy, qui ay mespris vers li,
39 Ne suy pas de lui oubliéz.
40 Et aveux ce le merciéz
41 De par moi, car je vous en prie,
42 Du saint vin qui ploure et [qui] crie,
43 Qui Beaunes estoit appelléz,
44 Qui s’en est a sa fins[3] aléz
45 En barris, dont la queue est vuide,
46 Et par Nostre Seigneur je cuide
47 Qu’il n’a medicin a Paris
48 Dont je fusse si tost guaris
49 Ne qui m’eust fait tant de confors
50 Que a li precieux vins fors,
51 Qui m’a chacié toute froidure
52 De mon corps par sa nourreture
53 Et m’a rendu force et vigueur
54 Et cuer encontre ma doleur,
55 N’il n’est cirop ne lettuaire
56 Qui peust ne sceust tant de bien faire
57 Comme le vin dessus nommé,
58 Qui tant doit estre renommé.
59 Et certes qui n’est trop begaune,
60 Celle[4] proprieté de Beaune,
61 A bien interpreter de non,
62 Se despent de beneiçon.
63 Dont je dis chose ben[e]oitte 430b
64 Ne pourroit estre maleoitte.
65 Et pour ce que je tien qu’il vaille,
66 J’en ay encor une boutaille
67 Fait mettre deléz mon coissin,
68 Pour mieulx digerer un poucin
69 Que j’ay encor en mon despost,
70 Lequel je doy manger en rost.
71 Et quant ma boutaille fauldra,
72 Certes fuir m’en couvendra,
73 Car je n’avray qui me conforte.
74 Mais ma vertu sera si forte
75 Dedens lors, que je poursuivray
76 Monseigneur : si me remestray
77 A l’ordonnance de la court
78 Ou chascun d’entre nous recourt.
79 Et distes a maistre Nicole
80 Qu’il se garisse de sa cole,
81 Et qu’i lvoise autre part gaignier,
82 Car je n’ay d’eulx mais nul mestier
83 Ne de son visaige de diable,
84 Noir, hideux et esouentable,
85 Ne du visaige angelical
86 Qu’il mist au commencier du mal,
87 Ne aussi du visaige d’omme
88 Ne donroie je pas une pomme,
89 Car j’ay toutes ces trois figures
90 Reboutees comme tresdures
91 De ma pensee et de mon corps
92 Par le doulx et savoureux mors
93 De Bachus, poete[5] divin,
94 Que j’ay bon trouvé en la fin.
95 Je vous pri, recommendéz moy
96 A touz et a chascun par soy,
97 Et a Monseigneur tous premiers, 430c
98 Que je merciroye voluntiers.
99 Et Dieux qui sanz fin vit et regne,
100 Vous vueille ottrier son saint regne
101 Au depart de ce monde cy,
102 Et vous doint bonne vie aussi !
103 Escript a Villiers en ma chambre,
104 Le .vii. jour de novembre.
[1] Ms. si moiennement
[2] Ms. qualescence
[3] Raynaud corrige en fin
[4] Ms. La
[5] Ms. porte