Dit 15 : Treschiers sires, je me merveil (MCCCCVIII)
Lettres envoiees a un nouvel marié gouteux
1 Treschiers sires, je me merveil
2 Se par delit ou par traveil
3 Viennent gouttes a jeunes gens,
4 ou se trop estre diligens
5 Des besongnes de leur seigneur
6 Les met bien en tel[le] doleur.
7 Je nel sçay ne [nel] vueil aprandre,
8 Et si n’ay nul desir de prandre
9 Tant d’amours qui me font doubteux
10 Que je soie nul temps gouteux
11 De grant labour, de diligence,
12 Que je chee en telle indigence,
13 Car je ne vi onques encor
14 Cheoir ou [grief] mal de saint Mor
15 Homme nul sinon d’aventure
16 Que dame eust de son amour cure.
17 Plains font et merveilleux regrés,
18 Et si fault le mire estre pres
19 Pour mettre toudis froides choses,
20 Comme violettes ou roses,
21 Se la goute est de chaude cause.
22 Et si truis en une autre clause,
23 Se froide est la goute, sanz faille
24 Il fault [que] le medicin baille,
25 Pour la froide doleur deffaire,
26 Chaut remede, ainsi le doit faire :
27 Jus d’erbes fault et drappelés
28 De fin lin souefs et molés,
29 Aguille[s] et fil pour cousture
30 Faire, qui ne soit pas trop dure,
31 Et douce main, pour remuer
32 Le pacient et le ruer
33 Doucement en lit ou en couche,
34 Tellement qu’issir de sa bouche
35 Ne puist mautalent ne courroux, 420b
36 Car autrement il seroit roux.
37 Se goute a es piéz ou es jambes,
38 Il doit oir parler les dames
39 Et veoir, pour soy esjouir,
40 Mais il ne doit d’elles jouir
41 Autrement fors avoir plaisance.
42 Pour mieux endurer sa pesance,
43 Il faut porter chauces fendues,
44 Lasches, larges et mal tendues
45 Et solers non pas a poulaine,
46 Mais rous de maniere villaine,
47 Ouvers, larges et descousus,
48 Et si fault que par impotence
49 Se soustiengne a une potence
50 Jusques a ce qu’il soit guaris.
51 Hé ! femmes qui avéz maris
52 Malades de tel maladie,
53 Je vueil bien que chascune die :
54 ― Certes s’amoy feussiéz tenus,
55 Ja telz maulx ne vous fust venus.
56 Ce vous vient d’amer par amours,
57 Ou[1] oy voz plains et voz clamours ;
58 J’ay vostre noise jour et nuit,
59 Et autres ont eu le deduit
60 Dont vous estes dolens et las.
61 Mais ne puis si, j’en di helas,
62 Car trop vou vi jolis et cointe :
63 Or vous voy sur la couste pointe
64 Sanz dancer, triste et abatu.
65 Mal s’est vostre corps embatu
66 Au secle et es religions
67 Ou vous aviéz les legions
68 Des dames de nuit et de jour 420c
69 Qui or vous ont mis au sejour :
70 Plus de vous compte ne tendront,
71 Puis que les gouttes vous prandront.
72 Adviséz vous du temps passé
73 Qui vous a si le corps quassé
74 Qu’en vous n’a mais fors que tristesse.
75 C’est la chose qui plus me blesse.
76 Souviengne vous, n’oubliéz pas,
77 Quant vendra aprés le respas
78 Que jamais femme ne vous tiengne :
79 Toudis de ce mal vous souviengne !"
80 Or ne sçay pas s’ainsi vous est
81 Et pour ce ay un reconfort prest
82 Pour reconforter vous malade,
83 Dont vous verréz une balade
84 Nouvelle avec une autre chose,
85 Que siens vous envoie enclose.
86 Et pour Dieu prenéz tout en gré.
87 Je suis toudis en un degré,
88 Car je ne monte ne avale,
89 Et si est ma chemise sale
90 D’estre a la court trop longuement.
91 Si vous suppli treshumblement
92 De souvenir en lieu de[2] place
93 De vo servent le povre Eustace,
94 Qui a vous s’attent et esgarde.
95 Dieux vous cueille avoir en sa garde !
96 Escript a Sens sanz nul obprobre
97 De ma main, le tiers jour d’octobre.
98 Eustace[3], vostre obeissant,
99 Qui po vous va esjouissant.
[1] Raynaud corrige en or
[2] Ms. et
[3] Ms. Eustace morel